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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/241/2020

ATA/495/2020 du 19.05.2020 ( LAVI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/241/2020-LAVI ATA/495/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 mai 2020

2ème section

 

dans la cause

 

Mineurs A______ B______ et C______ B______
agissant par leur curateur, Me Manuel MOURO

 

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI



EN FAIT

1) Les jumeaux A______ et C______ B______, ressortissants angolais, sont nés à Genève le ______ 2014 de l'union de Madame Maria Helena B______
(ex-épouse D______) et de Monsieur acques E______.

2) Le 2 mars 2017, le Ministère public genevois a accusé M. E______ d'avoir, le 16 juin 2015, alors qu'il séjournait sans droit en Suisse, entre la fin de matinée et le début de l'après-midi, violemment secoué son fils A______ B______, alors âgé de sept mois, et lui avoir causé de très graves lésions cérébrales ayant entraîné un sévère handicap ; et auparavant, entre mars et juin 2015, d'avoir empoigné A______ à plusieurs reprises, et au moins lors de trois épisodes distincts, de manière violente, en effectuant des mouvements de rotation ou de traction, et lui avoir causé plusieurs fractures, des deux clavicules, du fémur droit et des deux humérus.

3) Il ressort de deux rapports d'expertise, des 17 juillet 2015 et 7 novembre 2016, établis dans le cadre de la procédure pénale par le Centre universitaire roman de médecine légale (ci-après : CURML), que le 16 juin 2015, A______ avait subi un arrêt cardio-respiratoire après avoir été secoué. À l'arrivée des secours, il était inconscient et en mydriase fixe. A______ avait subi une hémorragie sous-arachnoïdienne occipitale bilatérale aiguë avec lame d'hématome sous-dural pariéto-occipital droit, sans évidence d'hypertension intracrânienne, un oedème cytotoxique, ainsi que des hémorragies rétiniennes et du corps vitré importantes. Ces lésions étaient consécutives aux secousses infligées à A______.

A______ était devenu tétraplégique, il présentait des crises épileptiques quotidiennes, nécessitait parfois une oxygénothérapie, était attaché la journée sur une chaise roulante. A______ ne fixait pas du regard, sa bouche était ouverte et sa langue protruse. Il était tétraspastique. Ses yeux présentaient un mouvement d'oscillation saccadé, sa respiration des bruits importants, sous forme de râles associés à des projections de bulles par la bouche. Sa tête n'était pas tenue, mais il présentait une raideur de la nuque. Des troubles de la déglutition étaient apparents, et une sonde gastrique était posée par l'abdomen. A______ ne montrait aucun contact social clairement remarquable. Sa mimique était indifférente. Son état de conscience correspondait au mieux à un « minimally conscious state ». Son état avait montré peu d'évolution depuis sa première hospitalisation. Il était placé dans un foyer de la fondation F______.

4) Par jugement du 28 avril 2017, le Tribunal correctionnel genevois a déclaré M. E______ coupable de lésions corporelles graves par négligence, de lésions corporelles simples aggravées et d'infraction à la loi fédérale sur les étrangers et l'a condamné à une peine privative de liberté de quatre ans.

Statuant sur les prétentions civiles des victimes, le Tribunal correctionnel a condamné M. E______ à payer, à titre de tort moral CHF 150'000.- à A______, CHF 150'000.- à la mère de celui-ci, CHF 40'000.- à son frère C______, et CHF 20'000.- à chacune de ses deux demi-soeurs G______ et H______. Le Tribunal correctionnel a encore condamné M. E______ à payer à Mme D______ CHF 9'976.50 au titre de la perte de gain. Il a renvoyé pour le surplus les parties à agir par la voie civile. A______ et C______ B______ avaient conclu à des indemnités pour tort moral de CHF 300'000.- respectivement CHF 60'000, et ne s'opposaient pas à être renvoyés au civil pour le surplus.

Le jugement est entré en force.

5) Le 19 mars 2018, la libération conditionnelle de M. E______ a été ordonnée, avec effet au jour de l'exécution de son renvoi administratif de Suisse mais au plus tôt le 28 mars 2018.

6) Le 28 mars 2018, A______ et C______ B______ ont formé une demande de réparation et d'indemnisation devant l'instance d'indemnisation LAVI (ci-après : l'instance LAVI), concluant à ce que l'État verse une indemnité pour tort moral de CHF 150'000.- à A______, et une indemnité pour tort moral de CHF 40'000.- à C______.

M. E______ était détenu et n'aurait jamais les moyens de payer les sommes auxquelles l'avait condamné le Tribunal correctionnel.

7) Le 19 juin 2018, A______ B______ a complété sa requête auprès de l'instance LAVI et conclu à ce que l'État lui verse encore CHF 120'000.- au titre de l'indemnité pour perte de gain.

Il était privé définitivement de toute possibilité d'exercer une activité professionnelle.

8) Le 20 juin 2019, l'instance LAVI a entendu le curateur d'A______ et C______.

Celui-ci a déclaré que la situation d'A______ était gravissime et irréversible. Il y avait des complications régulières et il faisait souvent des voyages à l'hôpital où il faisait des séjours prolongés. La situation était très lourde et très difficile à vivre pour tout le monde. C______ n'avait pas d'atteinte physique, il manifestait une lassitude à aller voir son frère. Il disait qu'il avait un frère mais qu'il n'était pas drôle. Il était difficile de savoir quelles seraient les conséquences psychologiques pour C______ qui était déjà clairement amputé de son jumeau.

9) Le 30 juillet 2019, le curateur a transmis à l'instance LAVI un avis médical du 3 juillet 2019 émis par le centre médical I______ au sujet d'C______.

Après avoir présenté de gros troubles du comportement en lien avec sa situation familiale difficile, l'état d'C______ s'était amélioré.

Il était bien évidemment impossible à ce stade d'anticiper les séquelles futures de la situation vécue par C______, jumeau d'un frère devenu totalement invalide.

10) Par décision du 2 décembre 2019, l'instance LAVI a alloué à A______ B______ la somme de CHF 70'000.- à titre de réparation morale, à C______ B______ la somme de CHF 10'000 à titre de réparation morale, et a rejeté les requêtes pour le surplus.

A______ et C______ avaient le statut de victimes au sens de la loi.

Une indemnité pour tort moral de CHF 70'000.- était allouée à A______ compte tenu des séquelles subies, et conformément aux barèmes du guide de l'Office fédéral de la justice. Au vu des circonstances particulièrement tragiques et des conséquences très lourdes sur l'ensemble de la famille, C______ se voyait allouer une indemnité pour tort moral de CHF 10'000.-.

L'évaluation et le calcul de la perte de gain future d'A______ étaient prématurés. Le dommage ne se réaliserait pas avant l'âge de 18 ans au plus tôt, et il conviendrait de connaître le montant de la rente d'invalidité qui lui serait octroyée à partir de cet âge, ainsi que de toutes autres prestations sociales le cas échéant, montants qui seraient imputés sur la perte de gain en application du principe de subsidiarité. L'instance LAVI n'était pas encore en mesure de statuer sur la perte de gain future et il appartenait au curateur d'agir le cas échéant par la voie civile.

11) Par acte mis à la poste le 20 janvier 2020, A______ et C______ B______ ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de l'instance LAVI du 2 décembre 2019.

Ils ont conclu, préalablement, à une expertise pour déterminer l'espérance de vie d'A______ et, principalement, à l'annulation de la décision attaquée et à l'octroi à A______ de CHF 70'000.- à titre de réparation morale et CHF 120'000.- à titre d'indemnité pour perte de gain, et à C______ de CHF 35'000.- à titre de réparation morale.

Le Tribunal correctionnel avait alloué CHF 40'000.- à C______, de sorte que le montant de CHF 10'000.- alloué en application de la fourchette du guide de l'Office fédéral de la justice apparaissait peu équitable.

Pour A______, l'allocation de CHF 70'000.- au titre du tort moral n'était pas contestée. S'agissant de la perte de gain, il était possible aujourd'hui déjà de déterminer que la perte de gain serait supérieure à CHF 120'000.- à la majorité d'A______, avec une certitude suffisante pour que l'autorité puisse déjà déterminer l'allocation pour ce poste. A______ ne pourrait jamais travailler, il bénéficierait d'une rente invalidité, mais non de prestations d'une institution de prévoyance, il aurait droit à une allocation pour impotence de degré grave, et le cumul de ces prestations ne couvrirait pas sa perte de gain, soit le revenu moyen arrêté par l'enquête sur la structure des salaires en Suisse pour une activité non qualifiée et répétitive. La seule véritable inconnue résidant dans son espérance de vie, qui devrait être établie par expertise. Il n'était pas besoin d'être en mesure de chiffrer avec précision le dommage futur d'A______, et il suffisait de démontrer qu'il serait supérieur à CHF 120'000.- pour qu'il appartienne à l'instance LAVI de le prendre en charge.

12) Le 23 janvier 2020, l'instance LAVI a communiqué son dossier, renoncé à faire des observations et s'est référée à sa décision.

13) Le 12 mars 2020, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1. La décision attaquée a été reçue le 3 décembre 2019. Le délai de recours de trente jours a commencé à courir le lendemain, il n'a pas couru du 18 décembre 2019 au 2 janvier 2020, il a recommencé à courir le 3 janvier 2020 et est échu le 18 janvier 2020, soit un samedi, ce qui a reporté son échéance au lundi 20 janvier 2020. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 19 de la loi d'application de la LAVI du 11 février 2011 - LaLAVI - J 4 10 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. La loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions du 23 mars 2007 (loi sur l'aide aux victimes, LAVI - RS 312.5) est entrée en vigueur le 1er janvier 2009, abrogeant la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions du 4 octobre 1991 (aLAVI). Selon l'art. 48 let. a LAVI, le droit d'obtenir une indemnité et une réparation morale pour des faits qui se sont déroulés avant l'entrée en vigueur de cette loi, est régi par l'ancien droit. Les délais prévus à l'art. 25 LAVI sont applicables à ce droit pour des faits qui se sont produits moins de deux ans avant l'entrée en vigueur de cette loi.

b. En l'espèce, l'agression dont a été victime A______ et par contrecoup C______ ayant eu lieu le 16 juin 2015, le nouveau droit est applicable (art. 48
let. a LAVI a contrario).

3) Il n'est pas contesté que les recourants ont la qualité de victimes (art. 1
al. 1 LAVI) et que les délais de l'art. 25 LAVI ont été respectés. Seuls demeurent litigieux la quotité de la réparation morale ainsi que le principe et la quotité de l'indemnité pour perte de gain allouées à A______, et la quotité de la réparation morale allouée à C______, en application des art. 19 ss. et
22 ss. LAVI.

4) A______ B______ conclut préalablement à ce que soit ordonnée une expertise aux fins de déterminer son espérance de vie.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes, de participer à l'administration des preuves essentielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; 137 II 266 consid. 3.2 ; 135 II 286 consid. 5.1).

Cette garantie constitutionnelle n'empêche pas l'autorité de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_674/2015 du 26 octobre 2017 consid. 5.1).

b. En l'espèce, il ne se justifie pas d'ordonner une expertise, le dossier étant complet et contenant suffisamment d'éléments pour statuer sur la conclusion du recourant. Il s'ensuit que cette réquisition de preuves sera rejetée.

5) Selon l'art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (al. 1 let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b) ; les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

6) a. La LAVI révisée poursuit le même objectif que l'aLAVI, à savoir assurer aux victimes une réparation effective et suffisante dans un délai raisonnable (Message du Conseil fédéral concernant l'aLAVI du 25 avril 1990, FF 1990 II p. 909 ss, not. 923 ss ; ATF 134 II 308 consid. 5.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_571/2011 du 26 juin 2012 consid. 4.2). Elle maintient notamment les trois
« piliers » de l'aide aux victimes, soit les conseils, les droits dans la procédure pénale et l'indemnisation, y compris la réparation morale (Message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005, FF 2005 6701).

b. À teneur de l'art. 1 al. 1 LAVI, toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle a droit au soutien prévu par la loi.

7) A______ B______ se plaint de s'être vu refuser une indemnité pour perte de gain future.

a. L'aide aux victimes comprend notamment l'indemnisation (art. 2 let. d LAVI).

La victime et ses proches ont droit à une indemnité pour le dommage qu'ils ont subi du fait de l'atteinte ou de la mort de la victime (art. 19 al. 1 LAVI). Le dommage est fixé selon les art. 45 (dommages-intérêts en cas de mort) et 46 (dommages-intérêts en cas de lésions corporelles) de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220 ; art. 19 al. 2 1ère phr. LAVI).

Les principes du droit de la responsabilité civile sont applicables pour la détermination du dommage. Mais certains postes du dommage sont exclus. Il s'agit d'une part de postes du dommage dont l'indemnisation irait au-delà des objectifs de l'aide aux victimes et d'autre part de postes qui sont pris en considération par la loi d'une autre manière (Message du Conseil fédéral précité, FF 2005 6735).

En matière civile, le principe d'une réparation présuppose notamment l'existence d'un lien de causalité naturelle et adéquate entre l'acte illicite et le dommage allégué subi.

Dans la mesure où les prestations de l'aide aux victimes ont un caractère subsidiaire (art. 4 LAVI), les prestations que le requérant a reçues de tiers à titre de réparation du dommage sont déduites du montant du dommage lors du calcul de l'indemnité (art. 20 al. 1 LAVI). La victime doit ainsi rendre vraisemblable qu'elle ne peut rien recevoir de tiers ou qu'elle ne peut en recevoir que des montants insuffisants (ATF 125 II 169 consid. 2cc).

L'art. 20 al. 3 LAVI dispose que le montant de l'indemnité est de CHF 120'000.- au plus.

À teneur de l'art. 46 al. 1 CO, en cas de lésions corporelles, la partie qui en est victime a droit au remboursement des frais et aux dommages-intérêts qui résultent de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l'atteinte portée à son avenir économique.

Selon la jurisprudence, le dommage consécutif à l'invalidité doit, autant que possible, être établi de manière concrète. Le juge partira du taux d'invalidité médicale (ou théorique) et recherchera ses effets sur la capacité de gain ou l'avenir économique du lésé (ATF 131 III 360 consid. 5.1 et la jurisprudence citée).

Pour déterminer les conséquences pécuniaires de l'incapacité de travail, il faut estimer le gain qu'aurait obtenu le lésé de son activité professionnelle s'il n'avait pas subi l'accident. Dans cette appréciation, la situation salariale concrète de la personne concernée avant l'événement dommageable doit servir de point de référence ; cela ne signifie toutefois pas que le juge doit se limiter à la constatation du revenu réalisé jusqu'alors ; l'élément déterminant repose davantage sur ce qu'aurait gagné annuellement le lésé dans le futur. Encore faut-il que le juge dispose pour cela d'un minimum de données concrètes. Il incombe au demandeur, respectivement à la partie défenderesse, de rendre vraisemblables les circonstances de fait dont le juge peut inférer les éléments pertinents pour établir le revenu qu'aurait réalisé le lésé sans l'accident (ATF 131 III 360 consid. 5.1 et la jurisprudence citée ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_48/2011 du 15 juin 2011
consid. 4.1).

8) En l'espèce, le Tribunal correctionnel a renvoyé A______ B______ ainsi que les autres victimes à agir civilement pour leurs prétentions en indemnisation du dommage, et ce point du dispositif, comme d'ailleurs le reste du jugement pénal, n'a pas été attaqué.

Le curateur de l'enfant A______ ne soutient pas qu'il aurait à ce jour agi civilement contre son père en indemnisation du dommage résultant de sa perte de gain future.

Or, M. E______ a retrouvé la liberté, et se trouve probablement en France ou au Portugal, où il a des attaches et où il travaillait avant de venir en Suisse. Il ne peut ainsi être exclu que M. E______ puisse être poursuivi civilement et soit en mesure d'indemniser au moins partiellement son fils.

Aucune condamnation civile n'a été prononcée à ce jour contre M. E______ du fait du dommage causé, ni aucune indemnité arrêtée. Il est partant impossible de connaître le montant du dommage que l'instance LAVI serait appelée à compenser subsidiairement, ni d'ailleurs la probabilité que, ou la mesure dans laquelle, cette somme serait acquittée par M. E______.

C'est ainsi sans abus ni excès de son pouvoir d'appréciation que l'instance LAVI a estimé que l'évaluation et le calcul de la perte de gain future d'A______ étaient prématurées, et qu'il appartenait au curateur d'agir le cas échéant par la voie civile.

Le grief est ainsi infondé.

9) C______ B______ se plaint de s'être vu allouer une réparation pour tort moral de CHF 10'000.- et réclame un montant de CHF 35'000.-.

a. Selon l'art. 22 al. 1 LAVI, la victime et ses proches ont droit à une réparation morale lorsque la gravité de l'atteinte le justifie ; les art. 47 et 49 de la loi fédérale complétant le code civil suisse du 30 mars 1911 (livre cinquième : droit des obligations - CO - RS 220) s'appliquent par analogie. La réparation morale constitue désormais un droit (Message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005, FF 2005 6742).

b. Le système d'indemnisation instauré par la LAVI et financé par la collectivité publique n'en demeure pas moins subsidiaire par rapport aux autres possibilités d'obtenir réparation que la victime possède déjà (art. 4 LAVI ;
ATF 131 II 121 consid. 2 p. 124 ; 123 II 425 consid. 4b/bb p. 430). Les prestations versées par des tiers à titre de réparation morale doivent être déduites du montant alloué par l'instance LAVI (art. 23 al. 3 LAVI). La victime doit ainsi rendre vraisemblable qu'elle ne peut rien recevoir de tiers ou qu'elle ne peut en recevoir que des montants insuffisants (ATF 125 II 169 consid. 2cc p. 175).

c. La LAVI prévoit un montant maximum pour les indemnités, arrêté à CHF 70'000.- pour la réparation morale à la victime elle-même (art. 23 al. 2
let. a LAVI). Le législateur n'a pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu'elle a subi (ATF 131 II 121 consid. 2.2 p. 125 ; 129 II 312 consid. 2.3 p. 315 ; 125 II 169 consid. 2b/aa
p. 173). Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d'une allocation ex aequo et bono (arrêt du Tribunal fédéral 1C_48/2011 du 15 juin 2011 consid. 3 ; ATA/973/2015 précité consid. 4c ; ATA/699/2014 précité consid. 4c).

d. L'indemnité et la réparation morale en faveur de la victime peuvent être réduites ou exclues si celle-ci a contribué à causer l'atteinte ou à l'aggraver (art. 27 al. 1 LAVI). Aucun intérêt n'est dû pour l'indemnité et la réparation morale (art. 28 LAVI).

e. La LAVI prévoit un plafonnement des indemnisations pour tort moral, laissant une large liberté d'appréciation au juge pour déterminer une somme équitable dans les limites de ce cadre (ATF 117 II 60 ; 116 II 299 consid. 5a).

La chambre administrative se fonde sur la jurisprudence rendue en la matière, et, vu le renvoi opéré par l'art. 22 al. 1 LAVI, sur la jurisprudence rendue en matière d'indemnisation du tort moral sur la base de l'art. 49 CO (SJ 2003 II p. 7) ou, le cas échéant, l'art. 47 CO, étant précisé que, au sens de cette disposition, des souffrances psychiques équivalent à des lésions corporelles (arrêt du Tribunal fédéral 6B_246/2012 du 10 juillet 2012). Le système d'indemnisation du tort moral prévu par la LAVI répond à l'idée d'une prestation d'assistance et non pas à celle d'une responsabilité de l'État ; la jurisprudence a ainsi rappelé que l'utilisation des critères du droit privé est en principe justifiée, mais que l'instance LAVI peut au besoin s'en écarter (arrêt du Tribunal fédéral 1C_244/2015 du 7 août 2015 consid. 4.1 ; ATF 129 II 312 consid. 2.3 ; 128 II 49 consid. 4.1 et les références citées) ou même refuser le versement d'une réparation morale. Une réduction du montant de l'indemnité LAVI par rapport à celle octroyée selon le droit privé peut en particulier résulter du fait que la première ne peut pas tenir compte des circonstances propres à l'auteur de l'infraction (ATF 132 II 117 consid. 2.2.4 et 2.4.3).

f. L'ampleur de la réparation dépend avant tout de la gravité de l'atteinte - ou plus exactement de la gravité de la souffrance ayant résulté de cette atteinte, car celle-ci, quoique grave, peut n'avoir que des répercussions psychiques modestes, suivant les circonstances - et de la possibilité d'adoucir la douleur morale de manière sensible, par le versement d'une somme d'argent (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 129 IV 22 consid. 7.2 ; 115 II 158 consid. 2).

g. Sa détermination relève du pouvoir d'appréciation du juge. En raison de sa nature, elle échappe à toute fixation selon des critères mathématiques (ATF 117 II 60 consid. 4a/aa et les références citées). L'indemnité pour tort moral est destinée à réparer un dommage qui, par sa nature même, ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d'argent. C'est pourquoi son évaluation chiffrée ne saurait excéder certaines limites. Néanmoins, l'indemnité allouée doit être équitable. Le juge en proportionnera donc le montant à la gravité de l'atteinte subie et il évitera que la somme accordée n'apparaisse dérisoire à la victime. S'il s'inspire de certains précédents, il veillera à les adapter aux circonstances actuelles (ATF 129 IV 22 consid. 7.2 ; 125 III 269 consid. 2a ; 118 II 410 consid. 2a).

h. Les proches d'une personne gravement invalide ont droit, en règle générale, à une réparation morale plus élevée que celle allouée aux proches d'une victime décédée des suites de l'infraction ; la gravité de la souffrance des premiers est considérée comme plus grande (FF 2005 6683 p. 6745 s. ; ATF 117 II 50). Outre la gravité de la souffrance éprouvée par les proches, le Tribunal fédéral prend en considération notamment les circonstances de l'infraction (arrêt du Tribunal fédéral 1A_169/2001 du 7 février 2002 consid. 5.2).

Selon le Conseil fédéral, les montants alloués sont calculés selon une échelle dégressive indépendante des montants accordés habituellement en droit civil, même si ceux-ci peuvent servir à déterminer quels types d'atteintes donnent lieu à l'octroi des montants les plus élevés. La fourchette des montants à disposition est plus étroite qu'en droit civil, les montants les plus élevés devant être réservés aux cas les plus graves, sans quoi il ne serait pas possible de traiter différemment des situations différentes, ce qui serait contraire au principe de l'égalité de traitement. Pour les proches, les montants les plus élevés sont à attribuer aux proches d'une victime gravement invalide. La fourchette est étroite et la latitude à prendre en compte les particularités de chaque cas est dès lors réduite (FF 2005 6683 pp. 6745, 6746).

Pour qu'un proche de la victime puisse prétendre à une indemnité pour tort moral, il faut que celle-ci soit gravement blessée, que le proche en subisse une atteinte illicite et directe dans ses relations personnelles et que ses souffrances aient un caractère exceptionnel, la personne réclamant une indemnité devant être touchée de la même manière ou plus fortement qu'en cas de décès d'un proche (ATF 125 III 412 consid. 2a ; 117 II 50 cons. 3). Constituent des critères de fixation de l'indemnité en faveur de proches le type et la gravité des blessures ainsi que l'intensité et la durée de leurs effets sur la personnalité du lésé (ATF 132 II 117 consid. 2.2.2 ; 125 III 412 consid. 2a).

Selon le « Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale à titre d'aide aux victimes d'infractions à l'intention des autorités cantonales en charge de l'octroi de la réparation morale au titre de la LAVI » (ci-après : le guide), publié par l'office fédéral de la justice (ci-après : OFJ) en octobre 2008, l'intensité des liens se présume généralement en fonction des liens de parenté. On tiendra également compte, surtout pour les degrés de parenté, de critères tels que l'existence d'un ménage commun, l'âge de la victime et du proche. Lorsque la victime reste gravement atteinte et qu'il en résulte des souffrances exceptionnelles pour le proche (art. 49 CO), on réserve les montants les plus proches du plafond au proche qui subit en plus des répercussions importantes sur sa vie quotidienne.

Le guide a proposé un ordre de grandeur qui, pour les proches d'une victime, prévoit les montants suivants : CHF 25'000.- à CHF 35'000.- pour un proche qui a très considérablement réaménagé sa vie pour s'occuper de la victime ou qui subit d'autres répercussions très importantes ; CHF 10'000.- à CHF 35'000.- pour la perte d'un parent, d'un enfant, d'un conjoint, d'un partenaire enregistré ou d'un concubin ; jusqu'à CHF 10'000.- pour le décès d'un frère ou d'une soeur lorsque sa relation avec le demandeur était particulièrement étroite ou en cas de ménage commun.

10) a. En l'espèce, l'instance LAVI a retenu que le drame violent subi par A______ avait causé un choc et considérablement bouleversé la vie de son entourage et plus précisément celle de son frère. A______ et C______ avaient tous deux été séparés brutalement de leur famille, et C______ avait été placé six mois en foyer, et séparé de son frère jumeau, qui ne pourrait probablement jamais revenir à domicile. C______ avait en outre perdu la disponibilité de sa mère, monopolisée par la situation médicale de son frère, et ses relations avec son père étaient gravement compromises. C______ manifestait parfois une certaine lassitude à rendre visite à son frère jumeau et peinait à comprendre pour quelle raison celui-ci ne communiquait pas. Il fallait tenir compte du rapport très particulier entre jumeaux et de ce que l'impact de la perte gémellaire sur C______ ne pouvait encore être connu (syndrome du jumeau esseulé ou perdu). Les circonstances particulièrement tragiques conduisaient à fixer l'indemnité à
CHF 10'000.-.

L'instance LAVI a retenu le maximum suggéré par les directives du guide l'OFJ, soit CHF 10'000.-.

Ce faisant, elle n'a commis ni abus ni excès de son pouvoir d'appréciation.

b. Le recourant C______ B______ soutient que ce montant est toutefois inéquitable au regard de l'indemnité pour tort moral arrêté à CHF 40'000.- par le Tribunal correctionnel.

Ce faisant, il méconnaît que l'indemnité arrêtée par l'instance LAVI est calculée selon une échelle dégressive indépendante des montants accordés habituellement en droit civil, et n'a pas vocation à procurer l'entièreté de l'indemnité arrêtée par le juge civil.

Le grief est ainsi infondé.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

11) La procédure étant gratuite, aucun émolument ne sera prélevé (art. 30 al. 1 LAVI et 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée aux recourants vu le rejet de leur recours (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 janvier 2020 par les mineurs A______ B______ et C______ B______ contre la décision de l'Instance d'indemnisation LAVI du
2 décembre 2019 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt aux mineurs A______ et C______ B______, pour eux leur curateur Me Manuel MOURO, ainsi qu'à l'Instance d'indemnisation LAVI.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Verniory et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. Specker

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :