Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/797/2020

ATA/515/2020 du 26.05.2020 ( DIV ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/797/2020-DIV ATA/515/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 mai 2020

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Cédric Berger, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1975, de nationalité chinoise, réside en Suisse depuis 2006. Il est au bénéfice d'un permis C.

Il a exploité depuis 2010 un restaurant à l'enseigne « B______ », sis rue du D______ à Chêne-Bourg.

2) En septembre 2019, M. A______ a décidé de vendre ledit établissement et d'en ouvrir un nouveau, soit le café-restaurant « Le C______ », sis rue de E______ à Genève.

M. A______ a rempli la requête en autorisation d'exploiter un nouvel établissement soumis à la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22) et obtenu les autorisations nécessaires.

3) Dans le cadre de cette requête, M. A______ a, le 28 janvier 2020, sollicité la délivrance d'un certificat de bonne vie et moeurs (ci-après : CBVM) auprès du commissaire de police.

4) Par décision du 29 janvier 2020, le commissaire de police a refusé la délivrance du CBVM requis.

Les renseignements de police de M. A______ n'étaient pas compatibles avec l'obtention d'un CBVM, en raison d'une procédure en cours auprès du Ministère public « pour infractions à la LEI ».

5) Par acte déposé le 4 mars 2020, M. A______ a recouru contre la décision précitée auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Principalement, la décision devait être annulée et le commissaire de police devait lui délivrer le CBVM.

La procédure pénale qui était en cours auprès du Ministère public était « probablement » liée à un événement qui s'était déroulé en 2019. En effet, à fin avril 2019, M. A______ avait appris le décès de son père, à Hong Kong. Afin de pouvoir assister à ses funérailles, il avait cherché dans l'urgence une personne pour le remplacer au restaurant pendant son absence. Il avait alors demandé à Madame F______, qui ne disposait pas d'un permis de travail, de le remplacer pendant la durée de son court séjour à l'étranger. Cette personne était venue au restaurant les 18 et 19 mai 2019 pour y être formée. Le 20 mai 2019 au soir, elle avait surpris un homme en train de dérober de l'argent (CHF 3'180.-) dans les tiroirs du restaurant et elle s'était alors opposée au voleur. La police, qui se trouvait dans les alentours, s'était rendue sur place pour prendre sa déposition puis, par la suite, M. A______ s'était rendu au poste de police pour porter plainte. Il s'était enfin rendu à Hong Kong du 22 mai au 29 mai 2019 pour assister aux obsèques de son père. À son retour de voyage, il avait libéré Mme F______ et cette dernière avait quitté la Suisse.

Il fallait tenir compte du fait que l'intéressé avait agi dans l'urgence, alors qu'il était dans une situation éprouvante de deuil. Ces événements exceptionnels ne permettaient pas de mettre en doute son honorabilité, même s'il avait commis l'erreur d'engager une personne sans permis de travail, pour une très courte durée. Cette erreur était excusable au vu des circonstances particulières. En outre, le parcours de M. A______ était irréprochable, dans la mesure où il n'avait jamais fait l'objet de condamnations pénales ou de poursuites en Suisse et avait toujours travaillé, sans jamais percevoir d'indemnités de chômage ; de plus, dans le cadre de l'exploitation de son précédent restaurant, en près de dix ans d'exploitation, il s'était constamment acquitté de toutes les cotisations sociales pour chacun de ses employés. Si le CBVM devait lui être refusé, les conséquences seraient catastrophiques, son activité de restaurateur constituant la source principale de revenus pour lui et sa famille ; il avait également investi des sommes importantes pour l'acquisition de son nouveau restaurant. Le commissaire de police avait donc abusé de son pouvoir d'appréciation en refusant la délivrance du CBB.

6) Par courrier du 19 mars 2020, M. A______ a informé la chambre administrative qu'il avait reçu du Ministère public une ordonnance de non-entrée en matière. Il s'agissant là d'un « fait nouveau essentiel » et il en résultait que la procédure « qui était à l'origine du prétexte du refus » de délivrer un CBVM n 'existait plus.

7) Ladite ordonnance de non-entrée en matière, prononcée le 13 mars 2020 mentionne notamment : « Au vu des éléments du dossier, bien que les infractions aux articles 116 al. 1 et 117 al. 1 [LEI] soient réalisées, il sera exceptionnellement renoncé à vous condamner, pour cette fois, en application de l'article 52 CP, dès lors que vos agissements n'ont pas eu de conséquences importantes et que vous n'avez pas d'antécédent en la matière (art. 310 al. 1 let c CPP) ».

8) Le commissaire de police s'est déterminé le 5 mai 2020 et a conclu au rejet du recours.

Il ressortait du dossier de police que M. A______ avait facilité le séjour illégal d'une étrangère, ressortissante malaisienne, qu'il avait intentionnellement employée dans son restaurant alors qu'elle n'était pas autorisée à exercer une activité lucrative, infractions réprimées par les art. 116 al. 1 et 117 LEI, qui n'étaient pas contestées. Les pièces du dossier établissaient en outre que la procédure pénale était fondée et que les éléments constitutifs de ces infractions étaient réalisés ; le Ministère public avait renoncé « exceptionnellement » à condamner M. A______, tout en soulignant que son comportement était tout à fait inadmissible. Dans ces conditions, l'honorabilité de l'intéressé pouvait être déniée avec certitude selon l'art. 10 al. 1 LCBVM et ces infractions ne pouvaient être considérées comme de peu d'importance au sens de l'art. 10 al. 2 de ladite loi.

9) Le 12 mai 2020, M. A______ a répliqué, insistant sur le fait que le Ministère public avait considéré que ses agissements n'avaient pas eu de conséquences importantes et qu'il n'avait pas d'antécédents en la matière.

10) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le litige porte sur le bien-fondé du refus de délivrer un CBVM au recourant.

3. a. En vertu de l'art. 8 de la loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et moeurs du 29 septembre 1977 (LCBVM - F 1 25), quiconque justifie de son identité et satisfait aux exigences du chapitre IV de la loi peut requérir la délivrance d'un CBVM.

b. Le CBVM est refusé à celui dont le casier judiciaire contient une condamnation à une peine privative de liberté. L'autorité compétente apprécie librement, eu égard aux circonstances, si certaines condamnations de peu de gravité peuvent ne pas être retenues. Il peut en être de même des condamnations en raison d'une infraction non intentionnelle (art. 10 al. 1 let. a LCBVM). Le CBVM est également refusé à celui dont l'honorabilité peut être déniée avec certitude en raison soit d'une ou de plusieurs plaintes fondées concernant son comportement, soit de contraventions encourues par lui à réitérées reprises, notamment pour ivrognerie ou toxicomanie, ou encore s'il s'agit d'un failli inexcusable (art. 10 al. 1 let. b LCBVM). Les faits de peu d'importance ou ceux qui sont contestés et non établis ne sont pas pris en considération (art. 10 al. 2 LCBVM).

4. a. Le CBVM vise à assurer la constatation de la bonne réputation de l'intéressé à l'égard des tiers dans certaines situations où il est requis, par exemple pour la prise d'un emploi. L'exclusion d'un tel certificat est attachée à l'existence d'un comportement répréhensible par rapport aux critères éthiques adoptés par la majorité de la population. La bonne réputation peut se définir comme le fait de ne pas avoir enfreint les lois régissant la vie des hommes en société, ni heurté au mépris d'autrui les conceptions généralement répandues, conçues comme des valeurs et formant la conscience juridique de la majorité de la population (ATA/1028/2018 du 2 octobre 2018 et les références citées).

b. De plus, selon la jurisprudence constante, pour apprécier si une personne peut se voir délivrer un CBVM, il faut prendre en considération l'usage qu'elle entend faire du certificat. L'honorabilité d'un requérant, ou les conséquences qu'il faut tirer de son inconduite, doivent être appréciées plus ou moins gravement selon l'emploi qu'il entend faire du certificat, c'est-à-dire suivant l'activité professionnelle envisagée. En d'autres termes, l'exigence d'honorabilité doit permettre d'examiner si le comportement de l'intéressé est compatible avec l'activité pour laquelle l'autorisation est requise, même si le candidat concerné n'a pas été condamné pénalement (ATA/14/2019 du 8 janvier 2019 et les références citées).

5. Depuis l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, de la nouvelle loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22) et de son règlement d'exécution du 28 octobre 2015 (RRDBHD - I 2 22.01), les exigences personnelles à remplir par les candidats à la délivrance d'une autorisation d'exploiter une entreprise soumise à la LRDBHD ont été renforcées. Désormais, selon l'art. 9 LRDBHD, l'autorisation d'exploiter une entreprise est délivrée exclusivement à une personne physique (let. a), et à condition, notamment, que l'exploitant offre, par ses antécédents et son comportement, toute garantie que l'entreprise est exploitée conformément aux dispositions de la LRDBHD et aux prescriptions en matière de police des étrangers, de sécurité sociale et de droit du travail, ainsi qu'aux dispositions pénales prohibant les crimes ou délits dans la faillite et la poursuite pour dettes et, s'il a la qualité d'employeur, qu'il démontre au moyen d'une attestation officielle ne pas avoir de retard dans le paiement des cotisations sociales (let. d). Doit dorénavant notamment être joint, pour l'examen des conditions relatives à l'exploitant, un CBVM original datant de moins de trois mois (art. 20 al. 2 let. d RRDBHD).

6. La décision de délivrer ou non un CBVM ne relève pas de l'opportunité, mais repose sur des éléments objectifs et d'autres relevant du pouvoir d'appréciation de l'autorité, dont l'excès et l'abus sont revus par la chambre de céans avec plein pouvoir d'examen (art. 61 al. 1 let. a et al. 2 LPA ; ATA/14/2019 du 8 janvier 2019).

7. L'unique motif de refus du CBVM retenu par le commissaire de police est la procédure pénale de 2019 ouverte contre le recourant pour infractions aux art. 116 al. 1 et 117 al. 1 LEI, laquelle a fait l'objet d'une ordonnance de non-entrée en matière prononcée par le Ministère public. Le dossier pénal révèle qu'elle a été ouverte à la suite d'une intervention policière au restaurant de l'intéressé consécutivement à un « brigandage » commis aux dépends de la serveuse qui y travaillait ce jour-là, laquelle n'était pas en possession des autorisations nécessaires. Interrogé, le recourant a immédiatement admis les faits à la police et expliqué qu'il n'avait pas eu le temps de demander lesdites autorisations pour son employée, dans la mesure où il avait eu besoin d'elle « tout de suite » pour partir dans l'urgence à l'étranger afin de se rendre aux obsèques de son père.

Le recourant ne conteste pas avoir procuré à une personne étrangère une activité lucrative alors qu'elle n'était pas titulaire de l'autorisation requise et de l'avoir employée dans son restaurant. Ces infractions à la LEI ne sont objectivement pas de peu de gravité. Toutefois, il apparait que, dans le cas d'espèce, elles ont été commises dans des circonstances particulières, le recourant étant affecté par le deuil d'une personne très proche et s'étant trouvé dans l'obligation de prendre des mesures d'urgence pour le remplacer dans son restaurant, pour quelques jours. Au moment de son audition à la police, ladite employée était d'ailleurs sur le point de quitter la Suisse, ce qui démontre la brièveté de son séjour à Genève et de son emploi. Ces particularités ont d'ailleurs amené le Ministère public à rendre une ordonnance de non-entrée en matière dans le cadre de la procédure pénale, ce dernier insistant même sur le fait que ces agissements n'avaient pas eu de conséquences importantes. Le recourant n'a donc pas été condamné pour ces faits. Il n'est en outre pas contesté que son casier judiciaire est vierge.

Dans ces conditions, il ne peut être considéré que son honorabilité peut être déniée avec certitude ; il n'a été l'objet que d'une seule procédure, qui a été initiée en raison d'une infraction commise à ses dépens et à ceux de son employée. Ce comportement contraire à la législation apparait isolé, l'intéressé n'ayant jamais rencontré de problèmes avec les autorités depuis son arrivée en Suisse il y a près de quinze ans.

8. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis. La décision attaquée sera annulée et la cause retournée au commissaire de police afin qu'il délivre le CBVM sollicité.

Aucun émolument ne sera perçu et une indemnité de CHF 750.- sera allouée au recourant qui obtient gain de cause (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 mars 2020 par Monsieur A______ contre la décision du commissaire de police du 29 janvier 2020 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du commissaire de police du 29 janvier 2020 ;

retourne la cause au commissaire de police pour qu'il délivre le certificat de bonne vie et moeurs sollicité par Monsieur A______ ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de CHF 750.- à Monsieur A______, à la charge de l'État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Cédric Berger, avocat du recourant, ainsi qu'au commissaire de police.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Cuendet, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :