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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3708/2018

ATA/511/2020 du 26.05.2020 ( MARPU ) , REJETE

Parties : HEPTA (ENTREPRISE DE BÂTIMENTS) SA / VILLE DE GENÈVE - DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DE L'AMÉNAGEMENT
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3708/2018-MARPU ATA/511/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 mai 2020

 

dans la cause

 

HEPTA (ENTREPRISE DE BÂTIMENTS) SA
représentée par Me Enis Daci, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE - DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DE L'AMÉNAGEMENT

 



EN FAIT

1) Hepta (Entreprise de Bâtiments) SA (ci-après : Hepta ou la société) est une société ayant son siège à Genève. Elle a pour but l' « exploitation d'une entreprise effectuant tous travaux de revêtement de sols et de murs, notamment la pose de parquets, moquettes et résines, peinture, crépis, papiers peints et toute décoration d'intérieurs ainsi que la réalisation de tous travaux du bâtiment dans le second oeuvre et plus généralement toutes opérations immobilières, à l'exclusion des opérations prohibées par la loi fédérale sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger du 16 décembre 1983 (LFAIE - RS 211.412.41) ».

Monsieur Selajdin SALIHU en est administrateur unique avec signature individuelle. 

2) Par décision du 23 juin 2016, la Ville de Genève (ci-après : la ville) a adjugé le marché de construction pour les peintures, plâtrerie et faux plafonds dans le cadre du chantier de rénovation de l'ensemble des immeubles rue des Minoteries 1, 3, 5 et 7, et rue de Carouge 98, 100 et 102 à l'entreprise Welson SA.

3) Le 15 juin 2018, la ville a adjugé à Hepta les travaux de peinture, cloisons, plâtrerie et faux plafonds pour les « appartements rocades Carouge 98 deux colonnes et Carouge 100 » pour un montant total de CHF 300'700.-. Le contrat entre Welson SA et la ville avait été résilié et les travaux interrompus.

Les travaux étaient adjugés à Hepta de gré à gré, en application de l'art. 15 al. 3 let. d du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01) en raison de l'urgence.

Dans le cadre de cette adjudication, Hepta avait remis à la ville les attestations usuelles, soit notamment une attestation «multipack» n° 53'735 émise par la caisse de compensation du gros oeuvre et du second oeuvre (ci-après : caisse GGE) qui attestait que l'entreprise était liée par une convention collective de travail, qu'elle était à jour avec le paiement de ses cotisations et inscrite au registre du commerce. L'attestation datait du 19 avril 2018. Elle avait été transmise par courriel le 15 juin 2018.

4) a. Par courriel du 28 septembre 2018, Monsieur François VITTORI du bureau de contrôle des chantiers (ci-après : BCC) a interpellé la ville.

Lors d'un contrôle le 27 septembre 2018, deux employés d'Hepta, à savoir Messieurs Kosovar SYLEJMANI et Muqë LUSHAJ, n'étaient pas annoncés aux assurances sociales. Le troisième travailleur l'était. L'entreprise avait fourni, le soir même, des formulaires d'annonce à la caisse GGE. Les documents mentionnaient toutefois un effet rétroactif au 4 septembre 2018 pour M. SYLEJMANI et au 1er août 2018 pour M. LUSHAJ. Par ailleurs, l'entreprise n'avait annoncé aucun salaire depuis début juin 2018.

Enfin, la caisse GGE certifiait que Hepta n'avait pas reçu d'attestation «multipack» depuis le 1er janvier 2018. Le BCC s'étonnait en conséquence de trouver la société sur un chantier public.

b. Le même jour, la ville a sommé la société de quitter le chantier immédiatement.

5) Dans l'échange de courriels qui a suivi, Hepta a confirmé que les employés avaient signé leur contrat de travail dès le début de leur activité. Ils étaient annoncés à l'office cantonal des assurances sociales, séparément de la caisse GGE chez qui ils n'étaient affiliés que pour la LPP. Les salaires avaient été dûment versés et annoncés. La société avait reçu une attestation «multipack» le 19 janvier 2018, puis le 19 avril 2018. Elle n'était plus en possession des originaux qu'elle envoyait par courrier aux destinataires qui les réclamaient. La société avait fait l'objet de plusieurs contrôles, sur différents chantiers, pendant les derniers mois. Elle s'en étonnait. Elle avait été soumise à un audit effectué par la commission paritaire du second oeuvre dans le courant du mois de juin 2018. Le rapport était positif sans aucune remarque à sonégard.

6) a. Le 4 octobre 2018, la caisse GGE a établi un rapport de quatre pages relatif à l'allégation de fraude sur l'attestation «multipack» n° 53'735 en faveur de l'entreprise Hepta. Elle concluait qu'il s'agissait d'un faux.

b. Par décision du même jour, la caisse GGE a radié Hepta de sa caisse.

7) a. Par décision du 10 octobre 2018, Monsieur Rémy PAGANI, conseiller administratif de la ville, a révoqué l'adjudication des travaux faite à Hepta. La décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

La société avait transmis un faux document. Par ailleurs, le rapport d'investigation de la caisse GGE avait mis en exergue que l'entreprise n'était pas à jour avec le paiement de ses cotisations au moment où l'attestation devait être délivrée.

b. Le même jour, la ville a déposé plainte pénale à l'encontre de la société.

8) Par acte du 22 octobre 2018, Hepta a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de révocation de l'adjudication.

Elle a conclu à son annulation et à ce que la ville soit condamnée à l'autoriser à continuer les travaux sur le chantier. Cela fait, un délai devait lui être accordé pour prouver son dommage. Elle devait être indemnisée de celui-ci. Préalablement, il devait être fait interdiction à la ville d'attribuer le marché à un tiers et l'effet suspensif devait être restitué.

Les faits avaient été constatés de manière inexacte et incomplète. Il en avait résulté une mauvaise application de l'art. 42 RMP. Au moment où elle avait remis l'attestation «multipack», la société était à jour avec le paiement de ses cotisations. Elle n'avait pas fourni de faux renseignements. Il n'était par ailleurs pas prouvé que l'attestation était un faux.

Le droit d'être entendu de la société avait été violé. La ville s'était fondée sur le rapport de la caisse GGE pour rendre sa décision, sans le lui soumettre au préalable. La société n'avait dès lors pas pu se défendre contre les accusations portées à son encontre.

Le principe de la présomption d'innocence avait été violé. La société était accusée d'une infraction pénale grave. Or, des mandataires concernés par le projet avaient, lors d'une séance avec les représentants de la ville, évoqué une possible cabale contre la société. La ville n'avait ni vérifié cette hypothèse, ni pris la peine d'entendre la société avant de révoquer son adjudication.

Le principe de la proportionnalité avait été violé. Les allégations de faux n'étaient pas prouvées. Au moment où la décision de révocation avait été prise, la société remplissait toutes les conditions pour être admise à soumissionner pour la ville. Elle avait remis le 2 octobre 2018 à la ville, à la demande de celle-ci, les attestations permettant de prouver qu'elle remplissait les conditions. S'il fallait la sanctionner un avertissement aurait suffi.

9) La ville a conclu au rejet du recours et de la demande d'octroi de l'effet suspensif. Elle a sollicité l'audition de témoins.

10) Dans sa réplique sur effet suspensif et au fond, la société a précisé que la ville avait mandaté une autre entreprise pour terminer les travaux. La ville n'avait en conséquence pas attendu que la chambre administrative statue sur la question de l'effet suspensif. La société estimait son dommage à CHF 72'797.55. Elle détaillait le calcul. La question de la restitution de l'effet suspensif ne se posait plus.

11) Dans sa duplique, la ville a persisté dans ses conclusions.

12) Une audience de comparution personnelle des parties et d'enquêtes s'est tenue le 7 mars 2019.

a. Monsieur Mikail ERBEK travaillait comme technicien pour Hepta depuis octobre 2017. Son salaire avait toujours été versé à temps. L'ensemble des employés était déclaré. La société était un modèle en matière de formation, notamment pour la qualité du travail et le suivi des chantiers. Les relations des responsables avec leurs employés se faisaient sur un mode amical, mais respectueux des rôles de chacun. La société n'avait jamais eu de soucis majeurs avec ses clients. S'agissant des adjudications, il lui arrivait souvent de remplir les dossiers, lesquels étaient ensuite contrôlés par son supérieur. La société envoyait jusqu'à une trentaine de soumissions par mois. En général, l'entreprise envoyait l'original de l'attestation «multipack» et gardait une copie au cas où les travaux ne lui étaient pas adjugés.

b. M. VITTORI, responsable du BCC, a indiqué que la surveillance du marché du travail était de la compétence du secrétariat d'État à l'économie, lequel l'avait déléguée aux cantons, plus précisément pour Genève à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT). Ce dernier l'avait déléguée aux partenaires sociaux, via un contrat de prestations. L'association du contrôle paritaire de chantiers (ci-après : ACPC) avait été créée dans ce but. Elle s'était dotée d'un bureau, le BCC. Il en était le responsable. Des inspecteurs y travaillaient. Le chantier des Minoteries était suivi avec attention puisqu'il avait déjà posé des problèmes, un précédent adjudicataire ayant été écarté par le maître d'ouvrage. Le BCC avait procédé à un contrôle le 27 septembre 2018. Il s'était avéré, après un entretien téléphonique avec la caisse du GGE, que deux des employés d'Hepta présents sur le chantier n'étaient pas annoncés à cette caisse au moment du contrôle. Cela avait déclenché des contrôles complémentaires par le BCC. Questionnée, Madame Dolorès GONZALEZ, responsable du dossier pour la ville, leur avait confirmé qu'Hepta était officiellement en charge des travaux. Elle leur avait aussi confirmé que l'attestation «multipack» avait été demandée et obtenue. Il s'en était étonné auprès de la caisse du GGE. Une enquête avait été diligentée par ladite caisse, laquelle était arrivée à la conclusion que l'attestation produite ne provenait pas d'elle. Le 28 septembre 2018, il avait confirmé par écrit que l'attestation «multipack» d'avril 2018 ne pouvait pas provenir du GGE. Il avait communiqué ce résultat à la ville.

Conformément à la procédure de leur bureau, lorsque le BCC trouvait des personnes non déclarées sur un chantier, il stoppait l'activité de l'entreprise sur le chantier et demandait la régularisation des personnes concernées. Il avertissait le maître de l'ouvrage de cette procédure. De telles procédures étaient déclenchées une à deux fois par jour sur tous les chantiers du canton. Hepta avait été contrôlée les 7 octobre 2017, 29 août 2018 et 27-28 septembre 2018 sur le chantier concerné, déjà problématique.

c. Monsieur Peter RUPF était administrateur de la caisse du GGE, dont Hepta était membre. Les attestations «multipack» étaient délivrées par la caisse de compensation. Pour obtenir une telle attestation, une entreprise devait être préalablement membre du GGE, ce qui l'autorisait à pouvoir être affiliée à la caisse de compensation. La caisse était le centre de facturation pour un certain nombre de cotisations sociales. Elle ne prélevait toutefois ni les cotisations à l'AVS, ni celles à la SUVA ni l'impôt à la source. Lorsqu'une attestation était demandée, le GGE vérifiait que l'entreprise était à jour tant à l'interne qu'auprès des caisses AVS concernées, la SUVA et l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC). Si l'entreprise n'était pas à jour lors de l'une de ces quatre vérifications, l'attestation n'était pas délivrée.

En général, les entreprises leur confiaient l'établissement de leurs fiches de salaire. Si tel n'était pas le cas, elles leur transmettaient chaque mois les fiches de salaire établies par elles-mêmes. Ceci permettait à la caisse de calculer les cotisations dues tant auprès de la caisse du GGE que dans les trois autres institutions. En conséquence, à la fin de chaque mois, la caisse du GGE connaissait, pour chaque entreprise, tant la masse salariale que l'ensemble des cotisations dues par l'entreprise. Une entreprise qui n'aurait pas transmis les informations à temps à la caisse était considérée comme n'étant pas à jour. Dès lors, la caisse ne pouvait pas lui délivrer d'attestation.

La caisse GGE avait été contactée le 1er octobre 2018 par le BCC par téléphone. Le BCC avait posé des questions. Le témoin avait été informé du problème, dès lors qu'une attestation «multipack» avait été délivrée. La personne en charge de la délivrance de l'attestation lui avait indiqué qu'elle ne l'avait pas délivrée. Le 2 octobre 2018, il avait demandé à Hepta l'original ou une copie. Il lui avait été répondu que l'original avait été envoyé à la ville. Une investigation à l'interne avait suivi, en mentionnant aux employés que, si l'erreur était à l'interne, il n'y aurait pas de conséquence pour le personnel de la caisse GGE. Après investigations, il avait rendu un rapport daté du 4 octobre 2018. Il était arrivé à la conclusion ferme et certaine que l'attestation «multipack» ne pouvait pas provenir de la caisse GGE. Dès lors qu'elle avait sa signature et l'en-tête du GGE, il en avait conclu qu'il s'agissait d'un faux. L'attention de la caisse GGE avait notamment été attirée par le n° de l'attestation «multipack» qui apparaissait fantaisiste.

La décision de radiation d'Hepta de la caisse GGE avait été prise par le comité du GGE. Hepta avait recouru auprès de l'assemblée générale du GGE. Une assemblée générale (ci-après : AG) extraordinaire s'était tenue le 22 janvier 2019, laquelle avait confirmé la décision du comité. La manière de procéder à l'AG avait été préalablement soumise au conseil de la société et approuvée par celui-ci. Lors de l'AG, il s'était exprimé et l'entreprise Hepta avait pu s'exprimer à deux reprises. Hepta avait pu voter. Plainte pénale avait été déposée contre la société après l'AG extraordinaire.

Leur système interne de contrôle se basait sur les échéances des cotisations. Il s'agissait d'une procédure standardisée uniforme pour toutes les caisses habilitées à délivrer des attestations «multipack» à Genève. En principe, l'attestation «multipack» était valable trois mois.

Il était apparu un arriéré de la société auprès de l'impôt à la source. Elle s'en était acquittée immédiatement. L'AFC les avait contactés pour les informer qu'elle considérait que le solde d'impôt à la source dû par la société Kosbat 7 Sàrl, avant qu'elle ne soit transformée en Hepta, devait être mis à la charge de la société. Les CHF 700.- concernés avaient aussi été soldés immédiatement par Hepta.

d. Mme GONZALEZ, architecte à la ville était responsable d'opération pour la rénovation des Minoteries, était « la pièce d'entrée » de tout ce qui transitait entre le maître d'oeuvre, qu'elle représentait, et les architectes mandatés pour suivre cette rénovation. Le chantier des Minoteries était une rénovation d'ampleur. Ayant dû se séparer de l'entreprise Welson SA, la ville avait dû faire une procédure de gré à gré vu l'urgence, notamment pour trois lots distincts, pour la période d'intérim avant que la procédure publique ne puisse aboutir. Les travaux dans les appartements des locataires étaient en cours. Ils répondaient à une planification très stricte. Chaque semaine, quatre appartements se libéraient et quatre appartements étaient réintégrés par leurs locataires. C'était dans ce contexte que la ville avait mandaté Hepta pour le troisième lot. S'agissant plus particulièrement du troisième lot et vu l'urgence, la ville avait regardé quelles entreprises pourraient être mandatées. Elle n'avait demandé qu'une seule offre pour le lot 3, à savoir à Hepta. Avant de la mandater, elle avait reçu les attestations usuelles en matière de marchés publics. Elle n'avait aucune raison de douter de la validité de l'une d'elles. Elle avait par la suite reçu un courriel du BCC s'étonnant de la présence d'Hepta. Elle avait fait suivre aux architectes en leur demandant de faire le lien avec Hepta pour que celle-ci puisse répondre et que l'arrêt du chantier puisse être levé. La situation avait impliqué que la ville recherche à nouveau une nouvelle entreprise dans l'urgence pour s'occuper des travaux jusqu'à l'adjudication en procédure publique, laquelle n'avait pas encore abouti.

C'étaient les mandataires qui faisaient le lien pour la transmission des attestations. En l'espèce, elles avaient été transmises par mail et par les mandataires, Itten + Brechbühl. La ville ne travaillait pas souvent avec ce bureau de mandataires. Celui-ci avait été choisi à la suite d'un appel d'offres.

Sous réserve des frais liés aux honoraires d'architectes pour retrouver une nouvelle entreprise en remplacement d'Hepta, les travaux effectués par celle-ci seraient payés.

13) Le 1er avril 2019, le Ministère public a prononcé une ordonnance pénale à l'encontre de M. SALIHU. Celui-ci était reconnu coupable de faux dans les titres au sens de l'art. 251 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). L'intéressé y a fait opposition.

14) Après que les parties se furent déterminées sur une éventuelle suspension de la présente procédure, le juge délégué a, par décision du 21 mai 2019, suspendu la procédure jusqu'à droit jugé devant la juridiction pénale compétente de la P/19790/2018.

15) Le 20 février 2020, la ville a transmis copie de l'ordonnance pénale du 6 novembre 2019. M. SALIHU était reconnu coupable de faux dans les titres et d'infraction à l'art. 117 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20). Il sera revenu en tant que de besoin sur l'ordonnance pénale dans la partie en droit du présent arrêt.

16) Le 21 février 2020, la procédure a été reprise par décision du juge délégué, à la suite de la transmission de l'ordonnance pénale du 6 novembre 2019 et un délai a été fixé aux parties au 23 mars 2020 pour une éventuelle détermination avant que la cause ne soit gardée à juger.

17) a. La ville a persisté dans ses conclusions.

b. Le 26 février 2020, Hepta a indiqué que M. SALIHU avait fait opposition à l'ordonnance pénale précitée. Une ordonnance sur opposition avait été rendue par le Ministère public le 22 novembre 2019 par laquelle l'ordonnance pénale du 6 novembre 2019 était maintenue et la procédure transmise au Tribunal de police. Dès lors que celui-ci ne s'était pas encore prononcé et que la procédure pénale était toujours en cours, M. SALIHU sollicitait la suspension de la procédure administrative jusqu'à droit jugé sur la procédure pénale. Différentes pièces étaient jointes. Elles seront reprises en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante sollicite la suspension de la procédure comme dépendant de la procédure pénale.

a. Aux termes de l'art. 14 LPA, lorsque le sort d'une procédure administrative dépend de la solution d'une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d'une autre autorité et faisant l'objet d'une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu'à droit connu sur ces questions. Les autorités administratives et les juridictions administratives saisies d'une question préjudicielle sont toutefois liées par les décisions de l'organe compétent qui l'ont résolue avec force de chose jugée.

b. En l'espèce, la recourante a fourni, le 26 février 2020, différents documents en lien avec la procédure pénale. Il en ressort que l'administrateur de la société a fait, le 18 novembre 2019, une opposition partielle à l'ordonnance pénale du 6 novembre 2019, ne contestant pas sa condamnation pour infraction à l'art. 117 al. 1 LEI, à savoir avoir employé deux personnes sans permis de séjour ou de travail. Le premier motif invoqué à l'appui de la décision de la révocation de l'adjudication n'est en conséquence plus contesté.

S'agissant du second, soit la production d'une fausse attestation «multipack» n° 53'735, datée du 19 avril 2018, la société n'a pas été à même de prouver qu'elle remplissait les conditions de l'adjudication ni au moment de celle-ci ni par la suite. Dans son opposition du 18 novembre 2019 auprès du Ministère public, l'administrateur de la société se limite à solliciter l'audition de témoins. S'agissant de la motivation de cette demande d'audition, il se réfère à son courrier du 31 mai 2019. Selon celui-ci, la société reconnaissait qu'elle n'était pas à jour, le 19 janvier 2018, avec ses cotisations sociales LPP échues au 31 décembre 2017. Elle s'étonnait qu'une attestation «multipack» en sa faveur ait pu lui être délivrée le 19 janvier 2018 et en déduisait soit qu'il existait des défaillances au sein de la caisse GGE soit que le responsable avait fait des déclarations inexactes.

Toutefois, la question de la confection du faux ou de son éventuel usage, en sachant ou devant savoir qu'il s'agissait d'un faux, par l'administrateur unique de la société est sans pertinence sur l'issue de la présente procédure, laquelle se limite au bien-fondé de la décision de révocation, le 10 octobre 2018, de l'adjudication par la ville, à la société, le 15 juin 2018, de travaux de peinture sur le chantier des Minoteries. De même, l'éventuelle erreur commise par la caisse GGE en janvier 2018 en délivrant à la recourante une attestation «multipack» si la société, par hypothèse, n'en remplissait pas les conditions à cette date, est sans incidence sur la situation le 19 avril 2018 ou lors des contrôles en septembre 2018.

En conséquence, il n'est pas nécessaire de poursuivre la suspension de la procédure administrative comme dépendant de la procédure pénale, le sort de celle-là ne dépendant plus de celle-ci.

3) La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue par la ville avant la prise de décision.

a. Le droit d'être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l'autorité de recours n'est pas possible, l'annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2 ; ATA/493/2018 du 22 mai 2018). Ce moyen doit par conséquent être examiné en premier lieu (ATF 138 I 232 consid. 5.1). Sa portée est déterminée d'abord par le droit cantonal (art. 41 ss LPA ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_915/2013 du 6 octobre 2014 consid. 4.1) et le droit administratif spécial (ATF 126 I 15 consid. 2 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_11/2009 du 31 mars 2009 consid. 2.1). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Constitution qui s'appliquent (art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_915/2013 précité).

b. En l'espèce, la recourante soutient ne pas avoir pu s'exprimer avant la décision de révocation de l'adjudication du 10 octobre 2018.

Contrairement à ce que soutient la recourante, celle-ci a été interpellée le 28 septembre 2018 par courriel de la ville. Il lui était demandé de se prononcer sur les faits allégués par le BCC, à savoir la présence de travailleurs non annoncés au moment du contrôle, l'absence d'annonce de salaires depuis juin 2018 et l'affirmation de la caisse GGE selon laquelle celle-ci n'avait pas délivré d'attestation «multipack» à la société depuis le 1er janvier 2018. La société a répondu et s'est encore prononcée le 2 octobre 2018 en envoyant plusieurs pièces à même d'attester, selon elle, de la régularité de sa situation. L'original de l'attestation «multipack» n° 53'735 faisait toutefois défaut, malgré la demande expresse de la produire.

Le rapport d'investigation de l'allégation de fraude sur l'attestation «multipack» n° 53'735 date du 4 octobre 2018 à l'instar de la décision de la radiation avec effet immédiat de la société du GGE. Le GGE développait sur quatre pages la motivation de sa décision, singulièrement les raisons qui l'avaient amené à considérer que l'attestation «multipack» n° 53'735 était un faux. Si certes il ne ressort pas du dossier que le rapport d'investigation ait été soumis à la société avant le prononcé de la décision querellée, celle-ci savait en détail, au vu de la décision de radiation notamment, ce qui lui était reproché et a eu du 4 au 10 octobre 2018 pour se déterminer auprès de la ville, ce qu'elle n'a pas fait.

Le grief de violation du droit d'être entendu n'est en conséquence pas fondé.

4) a. Selon l'art. 48 RMP, l'adjudication peut être révoquée, sans indemnisation, pour l'un des motifs énoncés à l'art. 42 RMP. L'autorité adjudicatrice rend une décision de révocation motivée, notifiée par courrier à l'intéressé, avec mention des voies de recours.

L'art. 42 RMP énumère tous les motifs d'exclusion d'une offre dans le cadre de la procédure d'adjudication. Il prévoit que l'offre est écartée d'office notamment lorsque le soumissionnaire ne répond pas ou plus aux conditions pour être admis à soumissionner (al. 1 let. b) ou a fourni de faux renseignements (let. c).

b. On exige que les fournisseurs participent au marché loyalement, afin que la concurrence puisse jouer de manière régulière. Ainsi, il y a lieu d'exclure les soumissionnaires qui ont produit des dossiers comportant de faux renseignements ou déposés des offres concertées avec d'autres entreprises (Etienne POLTIER, Droit des marchés publics, 2014, n° 305).

c. En l'espèce, il ressort de la procédure que la société conteste avoir fourni un faux. Elle n'a toutefois été en mesure ni de produire l'original du document ni surtout d'attester qu'elle remplissait toutes les conditions pour son obtention le 19 avril 2018. Au contraire, elle a reconnu avoir employé deux personnes sans permis de travail ou de séjour et avoir, ce faisant, enfreint la LEI. Or, le respect des dispositions relatives à la protection sociale des travailleurs et aux conditions de travail applicables à Genève dans le secteur d'activité concerné est une condition nécessaire et importante dans l'octroi d'un marché public, rappelée notamment à l'art. 20 RMP. Lorsque le pouvoir adjudicateur constate que ces conditions ne sont pas ou plus remplies, il est habilité à révoquer l'adjudication (Etienne POLTIER, op. cit., n° 364).

Par ailleurs, la non-conformité de l'attestation «multipack», nécessaire pour l'obtention du marché, a été établie dans le cadre d'un rapport détaillé et après de nombreuses investigations à l'interne de la caisse GGE. Son responsable a été auditionné par la chambre de céans. Il a confirmé son rapport et a détaillé les raisons qui l'avaient amené à conclure à l'existence d'un document non conforme à ceux émis par la caisse et donc à dire qu'il ne provenait pas de celle-ci. Outre que les renseignements contenus dans l'attestation n'étaient pas conformes à la vérité, le numéro de l'attestation était incohérent avec leur numérotation. La société a par ailleurs été exclue de la GGE et le recours interjeté auprès de l'assemblée générale du GGE contre cette décision a été rejeté.

L'employé de la recourante, auditionné à la demande de celle-ci, n'a pas pu donner de renseignements pertinents en lien avec l'attestation querellée.

En conséquence, la société n'a pas démontré qu'elle remplissait les conditions pour se voir adjuger, en juin 2018, le marché querellé. Dans ces conditions, la ville était fondée, après être intervenue auprès de la société pour qu'elle se détermine sur les reproches qui lui étaient adressés et produise en tant que de besoin tout pièce utile à prouver la conformité de la situation avec le droit des marchés publics, à révoquer la décision d'adjudication.

Les conclusions en indemnisation ne sont dès lors pas fondées.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

5) Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la société qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d'indemnité (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 octobre 2018 par Hepta (entreprise de bâtiments) SA contre la décision de la Ville de Genève - département des constructions et de l'aménagement du 10 octobre 2018 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de Hepta (entreprise de bâtiments) SA ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n'est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s'il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Enis Daci, avocat de la recourante, ainsi qu'à la Ville de Genève - département des constructions et de l'aménagement.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mme Cuendet, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

P. Hugi

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :