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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/360/2020

ATA/528/2020 du 26.05.2020 sur DITAI/117/2020 ( LCI ) , REJETE

Parties : SERVICES INDUSTRIELS DE GENÈVE (SIG) / DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC, COMMUNE DE COLOGNY
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/360/2020-LCI ATA/528/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 mai 2020

3ème section

 

dans la cause

SERVICES INDUSTRIELS DE GENÈVE (SIG)
représentés par Me Nicolas Wisard, avocat

 

contre

COMMUNE DE COLOGNY
représentée par Me Xavier Latour, avocat

et

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 février 2020 (DITAI/117/2020)


EN FAIT

1) Le 27 août 2018, le département du territoire (ci-après : DT ou le département) a délivré l'autorisation n° DD 110'263/1 concernant la parcelle n° 1'566 de la commune de Pregny-Chambésy.

Cette autorisation portait sur la construction d'une station de pompage avec captage en eau profonde, de conduites sous l'échangeur du Vengeron, de parkings voitures et bateaux, de WC/vestiaires/douches ainsi que d'un slip de mise à l'eau, ainsi que l'abattage d'arbres et un défrichement temporaire sur la parcelle. Elle s'inscrivait dans le cadre du projet GeniLac, un outil de gestion de politique énergétique qui utilise l'eau du lac pour rafraîchir et chauffer des bâtiments dans le canton de Genève.

Aucun recours n'a été formé contre cette autorisation.

2) Le 7 juin 2019, les Services Industriels de Genève (ci-après : SIG) ont déposé une demande d'autorisation de construire complémentaire n° DD 110'263/2, qui visait l'installation d'un chantier sur le quai de Cologny pendant vingt-quatre mois notamment sur les parcelle nos 1'843, 1'853 et 1'817 de la commune de Cologny (ci-après : la commune).

Les parcelles sont incluses dans le périmètre de protection de la loi sur la protection générale des rives du lac du 4 décembre 1992 (LPRLac - L 4 10).

3) Dans le cadre de cette demande d'autorisation, plusieurs préavis ont été récoltés, notamment :

- le préavis favorable sous conditions de l'office cantonal du génie civil du 12 juillet 2019. Le projet était en conflit avec le projet de réaménagement du quai de Cologny piloté par l'office cantonal du génie civil et nécessitait une coordination étroite ;

- le préavis défavorable de la commune de Cologny du 19 juillet 2019. L'emplacement du projet se trouvait dans le périmètre de protection des rives du lac. Il s'agissait d'un site protégé tant selon le plan directeur cantonal que communal qui le qualifiait de réservoir de biodiversité Le projet viendrait en confrontation avec un axe structurant de mobilité douce. Au vu de la taille des installations (grue de plus de 42 m, cabanes de chantier, tuyaux installés sur 170 m de long) et de la durée de l'entreprise, cela péjorerait de manière significative et durable la beauté du site ;

- le préavis favorable sous conditions, avec dérogations, de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) du 5 novembre 2019. Elle n'avait pas préavisé favorablement le projet initial mais vu la décision prise par le département, elle ne s'opposait pas à l'installation du chantier pour une durée de vingt-quatre mois.

- le préavis favorable sous conditions de l'office cantonal de l'eau du 8 novembre 2019 ;

- le préavis de la commission consultative de la diversité biologique du 15 novembre 2019, qui préconisait une modification du projet. Il fallait étudier un emplacement alternatif afin de limiter l'atteinte sur les macrophytes. Si aucune variante n'était possible, une compensation devait être offerte ;

- le préavis favorable sous conditions, avec dérogations, de l'office cantonal de l'agriculture et de la nature du 2 décembre 2019 ;

- le préavis favorable sous conditions, avec dérogations, de l'office cantonal de l'environnement du 6 décembre 2019.

4) Par décision du 13 décembre 2019, publiée le même jour dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève, le département a délivré l'autorisation de construire n° DD 110'263/2.

5) Par acte du 28 janvier 2020, la commune de Cologny (ci-après : la commune) a formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) contre cette décision, concluant principalement à son annulation, sous suite de « frais et dépens ». Elle a conclu préalablement à la restitution de l'effet suspensif dans l'hypothèse où le projet aurait été déclaré d'utilité publique par le Grand Conseil.

À sa connaissance toutefois, le projet GeniLac n'avait pas été déclaré d'utilité publique au sens de l'art. 148 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), de sorte que le recours avait effet suspensif. Si tel n'était toutefois pas le cas, la restitution de l'effet suspensif se justifiait par le fait qu'un début immédiat des travaux engendrerait la destruction de la végétation de la rive du lac sur les parcelles concernées, lui causant de la sorte un dommage irréparable. Bien plus, les SIG pourraient terminer les travaux qu'ils souhaitaient entreprendre avant que les autorités judiciaires ne puissent rendre une décision finale, étant précisé qu'un tel achèvement rendrait la procédure sans objet.

Sur le fond, la recourante faisait valoir que de nombreux intérêts prépondérants s'opposaient à l'octroi d'une dérogation à l'interdiction de bâtir sur les parcelles concernées par le projet litigieux, dans la mesure où l'intimée disposait de choix alternatifs. C'était également en violation de l'art. 15 de la loi sur les eaux du 5 juillet 1961 (LEaux/GE - L 2 05) que cette autorisation avait été accordée. Les conditions d'une dérogation au sens de l'art. 22 loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage du 1er juillet 1966 (LPN - RS 451) n'étant pas réunies, le département avait violé le droit fédéral en autorisant la destruction de la végétation des rives des parcelles concernées pour permettre la mise en place du chantier. Le projet portait par ailleurs indéniablement atteinte aux buts poursuivis par la loi sur la protection générale des rives du lac du 4 décembre 1992 (LPRLac - L 4 10). Enfin, le chantier nuirait tant au caractère et à l'intérêt du quartier qu'à celui du site naturel et du point de vue accessible au public que représentaient le bas de la rampe de Vésenaz et le quai de Cologny.

6) Le département a indiqué que la requête de restitution d'effet suspensif était dépourvue d'objet mais qu'il appuyait en revanche la requête de levée de l'effet suspensif formulée par les SIG en raison de l'intérêt public prépondérant que représentait le projet GeniLac.

7) Le 10 février 2020, les SIG ont conclu au rejet de la requête formulée par la recourante, sous suite de « frais et dépens ». Préalablement, ils ont conclu au retrait de l'effet suspensif du recours.

À leur connaissance, le projet GeniLac n'avait pas fait l'objet d'une loi spéciale du Grand Conseil le décrétant d'utilité publique. Dans la mesure où le recours avait effet suspensif, ils en demandaient le retrait du fait d'une lésion grave de leurs intérêts. L'effet suspensif au recours impliquerait des retards importants vis-à-vis de ses clients, publics et privés. Ce retard engendrerait des pénalités et la nécessité d'aménagements techniques subsidiaires qui causeraient un préjudice financier total de CHF 7'000'000.-. Par ailleurs, les SIG effectuaient actuellement des travaux sur le site de la station de pompage du Vengeron, autorisée par la DD n° 110'263/1, et, dans le cadre de ces travaux, le quai de Cologny était désigné pour l'acheminement des conduites jusqu'au site. Cette installation était nécessaire pour garantir la bonne exécution de la DD n° 110'263/1. Il était crucial pour la politique énergétique genevoise que le projet GeniLac se concrétise le plus vite possible. Dans un contexte où l'urgence climatique avait été déclarée, ce projet permettrait de réduire de 5'300 tonnes de CO2 par année dans un premier temps, puis de 70'000 tonnes d'ici 2035. La recourante n'avait aucun intérêt prépondérant à obtenir le maintien de l'effet suspensif. En effet, la protection de la végétation des rives du lac avait déjà été prise en compte par les différentes instances consultatives spécialisées qui avaient rendus des préavis favorables. Les SIG s'engageaient à respecter les conditions fixées par les préavis. Les inconvénients dus au chantier étaient de nature provisoire et seraient éliminés à la fin du chantier. Enfin, le recours était manifestement mal fondé, voire irrecevable puisque l'emplacement des installations de chantier sur le quai de Cologny était déjà fixé dans la DD n° 110'263/1 et que toutes les problématiques liées à l'environnement avaient été traitées par le service de l'environnement et des risques majeurs (ci-après : SERMA) dans le cadre de cette autorisation.

8) Le 18 février 2020, le DT s'est déterminé sur la requête de retrait de l'effet suspensif, confirmant qu'il approuvait cette requête.

9) Dans sa réponse du 21 février 2020, la commune s'y est quant à elle opposée.

Le dommage financier allégué par les SIG n'était qu'une estimation, appuyée par aucune preuve. Bien qu'en valeur absolue ce dommage semblait important, il ne représentait qu'une infime portion du chiffre d'affaires des intimés. Tous les inconvénients découlant de la durée de la procédure, qu'ils soient financiers, techniques ou d'ordre public, étaient imputables au manque de diligence des SIG, qui auraient dû anticiper une opposition au projet et déposer une demande plus tôt. La soi-disant urgence du projet ne justifiait pas une absence totale de contrôle judiciaire de l'installation, sachant que l'ensemble du projet n'était pas mis en péril pas l'effet suspensif mais uniquement retardé. D'autres emplacements étaient envisageables pour le même projet mais n'avaient pas été étudiés par les SIG. GeniLac était un projet de longue haleine et l'urgence écologique du projet ne se chiffrait pas en mois, cette dernière pouvant souffrir de la durée nécessaire à un contrôle judiciaire.

Le retrait de l'effet suspensif se heurtait à des intérêts publics et privés prépondérants. La parcelle choisie abritait une végétation protégée par le droit fédéral, ce qui n'avait pas empêché les SIG de ne proposer aucun site alternatif, alors qu'une grande partie des rives du lac n'était pourtant pas située en zone protégée. L'installation allait perturber un axe de circulation majeur déjà saturé aux heures de pointe, que ce soit au niveau des installations même, qui allaient empiéter sur le trottoir et la piste cyclable, ou les déplacements des camions apportant notamment des tuyaux sur le chantier.

Le recours n'était pas manifestement mal fondé ou dénué de chances de succès. La DD n° 110'263/1 ne prévoyait pas le projet litigieux dès lors que, si tel était le cas, les SIG n'auraient pas eu besoin de déposer une seconde demande d'autorisation, d'autant plus qu'elles n'avaient pas le même objet. Il s'agissait donc de deux autorisations distinctes, le sort de l'une ne dépendant pas du sort de l'autre, quand bien même un refus de l'autorisation litigieuse entraînerait un certain retard sur la réalisation du projet GeniLac.

10) Par décision du 27 février 2020, le TAPI a rejeté la requête tendant au retrait de l'effet suspensif au recours (DITAI/117/2020).

Le projet en cause n'avait pas fait l'objet d'une loi spéciale du Grand Conseil le décrétant d'utilité publique, de sorte que la requête de restitution de l'effet suspensif formulée par la recourante était sans objet (art. 148 LCI). Par voie de conséquence, le recours bénéficiait de l'effet suspensif automatique en vertu de l'art. 66 al. 1 LPA. Les SIG sollicitaient le retrait de l'effet suspensif au recours, invoquant une lésion grave de leurs intérêts sur le plan financier, technique et de politique énergétique, ainsi qu'une absence d'intérêts prépondérants opposés.

En l'état du dossier, les pertes financières potentielles des SIG dues au simple retard du projet n'étaient appuyées par aucune pièce. Par ailleurs, il était difficile d'imaginer que dans le cadre d'un projet d'une telle envergure, avec tant de paramètres à coordonner, un certain retard n'ait pas été envisagé et pris en compte dans le plan financier, surtout qu'une opposition à une autorisation de construire ne constituait pas un contretemps imprévisible. De même, ces pertes financières pouvaient paraître importantes en valeur absolue mais devaient être replacées à l'échelle du projet, et en l'absence d'une telle échelle, il n'était pas possible d'admettre qu'elles constituaient une lésion grave des intérêts des SIG. Pour ce qui était des inconvénients techniques et de politique publique, ils ne justifiaient pas le retrait de l'effet suspensif au recours, qui devait rester la règle, sachant que la recourante invoquait également des intérêts de nature publique et que son recours n'apparaissait pas comme dénué de toute chance de succès. Dès lors, et sur la base des éléments portés à sa connaissance, les intérêts des intimés n'étaient pas gravement menacés au sens de la loi.

Enfin, au vu du caractère temporaire de l'installation et des travaux, l'absence d'effet suspensif aurait pour effet de priver la recourante de tout contrôle judiciaire de l'autorisation de construire contestée car cela rendrait illusoire le contrôle auquel le juge devait procéder, ce qui n'était pas le but recherché par cette disposition.

11) Par acte du 9 mars 2020, les SIG ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du TAPI du 27 février 2020. Ils l'ont complété après en avoir obtenu l'autorisation. Ils ont conclu à son annulation et au retrait de l'effet suspensif au recours formé le 28 janvier 2020 par la commune de Cologny. Subsidiairement, la décision du TAPI devait être annulée et la cause renvoyée au TAPI pour nouvelle décision retirant l'effet suspensif au recours.

a. Les SIG avaient déjà mis en exploitation deux réseaux thermiques par Hydrothermie, soit le réseau GeniLac Nations (ci-après : GLN) et GeniLac Centre-ville (ou urbain (ci-après : GLU). Les réseaux GLN et GLU étaient alimentés par la station de pompage de Barton.

L'autorisation querellée s'inscrivait dans le cadre du développement du réseau GeniLac Aéroport (ci-après : GLA) pour permettre le raccordement de l'aéroport de Genève, du quartier de l'Étang, des communes de Vernier, Meyrin, Grand-Saconnex, Prégny-Chambésy et Bellevue, d'une part. D'autre part, l'extension du réseau GeniLac comportait un renforcement des capacités de GLU pour desservir la rive gauche, notamment au profit des quartiers de la Jonction, du projet « Praille-Acacias-Vernets » (ci-après : PAV) et des Hôpitaux universitaires de Genève.

Appuyé dès le début par l'office cantonal de l'énergie et ancré dans la planification directrice, sectorielle et localisée, le réseau GeniLac avait été intégré au développement de nouveaux quartiers et de rénovations ou requalifications des bâtiments et installations dans un très large périmètre. Entre 2015 et 2019, les SIG avaient été amenés à contractualiser des livraisons d'énergie (chaud et froid) par le réseau GeniLac à quarante et un acteurs différents, propriétaires privés ou collectivités institutions publiques.

L'autorisation n° DD 110'263/1 n'avait pas fait l'objet d'un recours. Elle mentionnait que le chantier impliquerait une base opérationnelle sur la rive opposée, à savoir sur le quai de Cologny. L'autorisation de construire présentement litigieuse n'était que complémentaire à la précédente et temporaire pour une durée maximale de vingt-quatre mois. Selon les études, les installations visées par l'autorisation de construire ne pouvaient prendre place que sur le quai de Cologny. Les autres sites alternatifs étudiés avaient dû être écartés. Un retard lié à la procédure aurait des conséquences sur l'avancement du chantier, reporterait la mise en exploitation de GeniLac et impliquerait d'importantes conséquences financières pour les SIG.

b. Le site litigieux devait servir à assembler, avant de noyer, des conduites de diamètre de 1,4 à 1,9 m, d'une longueur d'environ 6 m. Des tronçons de 90 m devaient être constitués avant d'être déplacés jusqu'à l'aplomb de leur emplacement, puis positionnés par une intervention en plongée. L'assemblage d'un tronçon de 90 m nécessitait six jours de travail et la pose sur site une demi-journée. L'installation du chantier comprenait une zone à terre et une structure sur le lac, permettant la mise à l'eau des tronçons assemblés. Les installations à terre étaient constituées d'une zone pour l'assemblage des tronçons, l'espace nécessaire à la pose de la grue, une zone de stockage et des containers de chantier. Un espace résiduel était laissé aux piétons et aux cyclistes. La bande cyclable ne subissait aucun empiétement. La longueur concernée serait d'environ 150 m et la surface de 1'200 m2. La structure d'assemblage et de mise à l'eau située sur le lac aurait une surface totale de 1'300 m2. La surface du fond du lac effectivement touchée était de 20 m2, correspondant aux forages pour les pieux de soutien. La surface à terre ne présentait aucun intérêt naturel particulier et l'installation sur le lac n'impliquerait aucune perte de luminosité pour la flore lacustre. Compte tenu des contraintes techniques, le site d'assemblage devait présenter plusieurs caractéristiques. Le site visé par l'autorisation de construire présentait toutes les qualités requises. D'autres sites alternatifs avaient été étudiés et écartés à l'instar de l'utilisation du site du Vengeron ou d'autres sites potentiels mentionnés dans le rapport de Implenia du 16 septembre 2019.

Selon les résultats de l'étude préliminaire de localisation et de morphologie des aménagements lacustres (ELPMAL) réalisés en 2014, préalablement au développement du projet de plage publique des Eaux-Vives, le site de Cologny n'avait pas un renouvellement suffisant de l'eau pour prévoir un aménagement de baignade de grande ampleur, mais se prêtait aux activités des entreprises lacustres. L'étude de courantologie réalisée pour cette étude avait montré que ledit site bénéficiait d'une protection efficace contre les vagues de bise.

c. Le maintien de l'effet suspensif au recours de la commune entraînerait nécessairement le report de la mise en exploitation de la station de pompage (ci-après : STAP) du Vengeron, de la nouvelle partie du réseau GeniLac desservant le réseau « GLA », bloquerait également le développement des réseaux desservant le secteur « GLU », faute de débit suffisant à partir de la station de pompage actuelle (station « Barton »). Il empêcherait la transition énergétique de quartiers entiers jusqu'à ce que le recours soit tranché au fond, ce qui se quantifiait en milliers de tonnes de CO2 et de kWh d'électricité, cela alors même que le canton avait reconnu l'état d'urgence climatique. La mise en service en réseau GLA était prévue pour août 2022, date pour laquelle les contrats avaient déjà été conclus avec les utilisateurs, notamment l'aéroport de Genève. Les travaux de pose des conduites sous-lacustres devaient démarrer au plus tard en mai 2020. À défaut, le calendrier prévu ne pourrait pas être tenu.

Le report de la mise en exploitation de la STAP du Vengeron impliquerait l'impossibilité de mise en exploitation des installations de chauffage ou refroidissement fonctionnant sur la livraison d'eau du lac. Les conséquences porteraient également sur les quartiers reliés à GLN ou à GLU. La production énergétique thermique devrait être assurée par des moyens classiques reposant sur des énergies fossiles, soit par maintien des installations existantes, soit par la mise en place d'installations provisoires pour permettre la mise en exploitation des quartiers, tels que le quartier de l'Étang, le quartier des Vernets ou certaines organisations internationales du secteur des Nations. Le report de la mise en exploitation de la STAP du Vengeron impliquerait des milliers de tonnes de CO2 qui ne seraient pas économisés, à savoir deux mille nonante et une tonnes en 2023, deux mille sept cent trente-huit en 2024, trois mille deux cent nonante-trois en 2025. Le retard dans la mise en exploitation de la STAP du Vengeron perturberait la mise en oeuvre des projets des maîtres d'ouvrages privés et publics qui comptent sur GeniLac.

La pesée des intérêts devait tenir compte des intérêts publics de la politique énergétique et de la préservation du climat, tous deux objets de mandats constitutionnels à Genève.

Le report de la mise en exploitation de la STAP du Vengeron aurait des conséquences financières chiffrables en millions de francs pour les SIG. Les postes du dommage consisteraient en des surcoûts liés à la réorganisation du chantier ainsi que les pénalités des entreprises mandatées pour la réalisation des conduites GeniLac ; des surcoûts tenant aux investissements et frais d'exploitation additionnels à engager par les SIG pour respecter ses engagements contractuels de fourniture d'énergie à l'égard de ses clients ; les pénalités contractuelles dues à certains clients en raison du retard de livraison d'énergie dans la qualité contractuellement prévue ; les pertes de revenus liées à la mise en service retardée des livraisons d'énergie tirée de GeniLac.

Les SIG produisaient, à titre exemplatif, une analyse détaillée de la situation concernant la fourniture GeniLac pour le quartier du PAV. À l'exception de la version fournie à la chambre de céans, la pièce était partiellement caviardée.

12) Le DT a conclu à l'admission du recours. La décision querellée n'examinait pas ou peu l'intérêt que revêtait l'installation autorisée. Il s'agissait d'une solution thermique innovante, 100 % renouvelable, qui utilisait l'eau du lac pour rafraîchir et chauffer les bâtiments. Ce réseau induirait la diminution des consommations électriques dues au besoin de rafraîchissement, la réduction de la consommation d'énergies fossiles pour les quartiers existants et la diminution des émissions de CO2. De surcroît, le réseau correspondait aux objectifs posés, entre autres, par le plan directeur cantonal 2030 (fiche D02). Par ailleurs, il ressortait clairement des préavis des instances consultées que les aspects environnementaux et de mobilité avaient été pris en compte et ne s'opposaient pas à l'installation projetée.

C'était à tort que le TAPI avait considéré qu'il n'était pas démontré que la mesure prononcée créerait au maître de l'ouvrage un dommage. Le projet était d'envergure et impliquait de nombreux intervenants. Il était notoire que tout retard dans les travaux de construction était susceptible d'avoir un impact financier.

L'installation était enfin réversible.

13) Le 4 mai 2020, la commune a conclu à l'irrecevabilité du recours formé par les SIG, subsidiairement à son rejet.

Les SIG n'avaient pas un intérêt digne de protection à ce que leurs clients réduisent leur émission de CO2. Ils ne pouvaient prétendre que la non-diminution des émissions de CO2 de leurs clients serait de nature à causer un préjudice irréparable pertinent. S'agissant du préjudice financier, il était hautement vraisemblable que les contrats conclus avec les clients contiennent une clause suspensive relative à l'obtention de toutes les autorisations de construire nécessaires à la réalisation du projet. Les SIG n'ayant pas prouvé le préjudice irréparable, le recours était irrecevable.

Subsidiairement, les conditions de retrait de l'effet suspensif n'étaient pas remplies. Il n'était pas question d'écarter une mise en danger grave et imminente d'intérêt public important. Les SIG devaient assumer les conséquences de leur inaction, respectivement de leur action tardive pour n'avoir pas déposé plus tôt l'autorisation de construire querellée. Par ailleurs, l'autorisation de construire prohibait l'installation des éléments de chantier ayant un impact sur les macrophytes durant la période de prolifération de cette dernière, soit entre les mois d'avril et de novembre. Enfin, tous les avantages et inconvénients des sites raisonnablement envisageables à l'intérieur de la zone à bâtir n'avaient pas été suffisamment étudiés, en violation de l'art. 24 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700).

14) Dans leur réplique, les SIG ont persisté dans leurs conclusions. Les pertes d'exploitation ne pourraient être compensées ultérieurement. Les tonnes de CO2 qui n'auraient pas pu être économisées représentaient un dommage environnemental et climatique définitif et strictement irréparable. La commune ne serait pas privée de tout contrôle juridictionnel. Les SIG ne s'opposaient pas à la poursuite de la procédure au fond si la commune souhaitait avoir une décision de principe sur l'usage de ces zones. La commune avait par ailleurs d'ores et déjà recouru auprès du TAPI contre cinq autorisations de construire relatives à des installations d'entreprises lacustres situées à la Belote.

15) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) a. La chambre administrative est l'autorité de recours contre les jugements et décisions du TAPI (art. 132 al. 1 et 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

b. La décision du TAPI du 27 février 2020 de rejeter la requête des SIG en retrait de l'effet suspensif au recours interjeté par la commune contre l'autorisation de construire DD' n° 110'263-2 est une décision incidente.

Le délai de recours contre une telle décision est de dix jours
(art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

c. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue.

2) Le présent recours porte sur le bien-fondé de la décision du TAPI de refuser de retirer l'effet suspensif au recours pendant la procédure par-devant le TAPI.

3) Le recours contre une décision incidente n'est ouvert que si ladite décision, à supposer qu'elle soit exécutée, cause un préjudice irréparable à son destinataire. Il est également ouvert si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).

L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un préjudice est irréparable au sens de cette disposition lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée, comme un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure (ATF 135 II 30 ; 134 II 137 ; 127 II 132 consid. 2a ; ATA/1187/2015 du 3 novembre 2015 consid. 2c). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas, en soi, un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 II 629 consid. 2.3.1 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1 ; 127 I 92 consid. 1c ; 126 I 97 consid. 1b).

En l'espèce, l'admission du recours ne mettrait pas fin au litige, lequel porte, à teneur des conclusions prises par la commune, sur la validité de l'autorisation de construire n° DD 110'263-2. La seconde hypothèse visée par l'art. 57 let. c LPA n'est ainsi pas réalisée.

Déterminer si la décision litigieuse est susceptible de causer un préjudice irréparable aux SIG souffrira de rester indécise compte tenu de ce qui suit.

4) Sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (art. 66 al. 1 LPA).

L'art. 148 LCI constitue une disposition légale contraire. Il prévoit que le recours dirigé contre une autorisation définitive concernant un ouvrage déclaré d'utilité publique par le Grand Conseil n'a pas d'effet suspensif, à moins qu'il ne soit restitué sur requête du recourant.

L'art. 148 LCI constituant une exception au régime général expressément voulue par le législateur, il n'y a en principe pas lieu de s'écarter de cette volonté (ATA/687/2011 du 8 novembre 2011 concernant toutefois l'exception prévue par l'art. 146 al. 2 LCI).

En l'espèce, les parties ne contestent pas que l'ouvrage concerné n'a pas été déclaré d'utilité publique.

Le recours a en conséquence, par principe, effet suspensif.

5) a. Lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (art. 66 al. 2 LPA).

Selon la jurisprudence, il y a lieu d'effectuer une pesée entre les intérêts public et privé en jeu, étant précisé que l'autorité peut aussi tenir compte des chances de succès du recours (ATA/962/2016 du 14 novembre 2016 ; ATA/192/2014 du 31 mars 2014 ; ATA/650/2011 du 17 octobre 2011 consid. 2).

L'autorité de recours dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. Pour effectuer la pesée des intérêts en présence, elle n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les références citées ; ATA/962/2016 précité ; ATA/192/2014 précité ; ATA/190/2013 du 22 mars 2013 consid. 4).

L'effet suspensif vise à maintenir une situation déterminée et non pas à créer un état qui serait celui découlant du jugement au fond, dans l'hypothèse où le recourant obtiendrait gain de cause, la décision sur effet suspensif ne devant pas préjuger de l'issue du litige en vidant celui-ci de tout objet (ATA/962/2016 précité ; ATA/192/2014 précité ; ATA/650/2011 précité consid. 2 ; Fritz GYGI, Beiträge zum Verfassungs und Verwaltungsrecht, 1986, p. 481) en créant une situation de fait quasi irréversible (arrêt du Tribunal fédéral 2C_356/2007 du 18 septembre 2007).

Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

De façon générale, en matière de constructions, l'octroi ou la restitution de l'effet suspensif est considéré comme de règle, puisqu'à défaut, les travaux prévus - ou autres démolitions et abattages - seraient généralement avancés, voire achevés au moment de la prise de décision par l'autorité judiciaire, et priveraient dans de nombreux cas ladite décision de tout objet, emportant également un préjudice irréparable pour le recourant (ATA/614/2014 du 31 juillet 2014 ; ATA/192/2014 du 31 mars 2014). La préférence est donc normalement donnée au maintien de l'état de faits prévalant avant le litige (ATA/474/2020 du 19 mai 2020 ; ATA/614/2014 du 31 juillet 2014 et les arrêts cités).

b. En l'espèce, il existe un intérêt public très important à la réduction de la consommation d'énergies fossiles et à la diminution des émanations en CO2. Une limitation des coûts à charge des SIG pour tout retard dans l'exécution des travaux, voire clauses pénales avec des clients constitue aussi un intérêt public et privé important. Conformément toutefois à la jurisprudence précitée, les retards éventuels ou les coûts engendrés par la procédure sont des circonstances qui sont écartées, lors d'un recours contre une décision sur effet suspensif, au stade de l'examen de la recevabilité déjà. En conséquence, a fortiori, ni les arguments en lien avec le retard que prendra le chantier ni les surcoûts financiers induits par la procédure en cours ne sont déterminants lors de l'analyse du bien-fondé de la décision du TAPI.

Le principe légal veut qu'un recours ait effet suspensif. Ce principe est d'autant plus fondé en matière de constructions conformément à la jurisprudence précitée.

Certes, la construction querellée n'est que temporaire et limitée à vingt-quatre mois. Cet argument n'emporte toutefois pas conviction. Il s'agit d'un chantier d'envergure, tant sur l'espace nécessaire au sol que sur le lac. Il est prévu pour durer deux ans, et touche un site protégé par la LPRLac.

Les arguments avancés par la commune, même si les préavis sont favorables, doivent pouvoir faire l'objet d'un contrôle juridictionnel avant la mise en oeuvre, voire l'achèvement, des travaux litigieux, ce d'autant plus pour un chantier de cette importance.

Certes, l'autorisation litigieuse fait suite à celle portant sur la STAP elle-même, mentionnant un point d'arrivée sur le quai de Cologny et contre laquelle ladite commune n'a pas interjeté recours. L'articulation avec la première autorisation n'est toutefois, prima facie, pas claire, notamment quant à savoir quelles parcelles précisément étaient comprises dans la première autorisation de construire et quel chantier aurait été prévu, voire autorisé.

L'intérêt public au contrôle juridictionnel prime ainsi les autres intérêts évoqués. Les conclusions du département, conformes à celles des SIG, ne permettent pas non plus d'inverser le principe légal selon lequel le recours a effet suspensif, ni la jurisprudence qui renforce encore ce principe en matière de constructions.

Compte tenu du pouvoir d'appréciation du TAPI, et de l'absence d'intérêts à une exécution immédiate de la décision au détriment d'un contrôle juridictionnel, c'est à bon droit que le TAPI a rejeté la requête des SIG pour des motifs que la chambre de céans fait siens.

Il conviendra toutefois que le présent dossier soit traité rapidement compte tenu de l'importance des intérêts publics concernés.

6) Vu l'issue du recours, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de CHF 1'000.- sera allouée à la commune qui y a conclu, a dû recourir aux services d'un mandataire et qui compte moins de dix mille habitants de sorte qu'elle n'est pas tenue de disposer d'un service juridique (ATA/413/2013 du 2 juillet 2013 consid. 9). L'indemnité sera mise à la charge des SIG (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette en tant qu'il est recevable le recours interjeté le 9 mars 2020 par les services industriels de Genève (SIG) contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 février 2020 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la commune de Cologny à la charge des services industriels de Genève (SIG) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nicolas Wisard, avocat des recourants, à Me Xavier Latour, avocat de la commune, au département du territoire - oac ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

P. Hugi

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :