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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1133/2020

ATA/527/2020 du 26.05.2020 sur JTAPI/286/2020 ( LVD ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1133/2020-LVD ATA/527/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 mai 2020

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Enis Daci, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

et

Madame A______
représentée par Me Véra Coignard-Drai, avocate

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 avril 2020 (JTAPI/286/2020)


EN FAIT

1) Par décision du 12 avril 2020, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de quinze jours, soit jusqu'au 27 avril à 19h00, à l'encontre de Monsieur A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de son épouse, Madame A______, située chemin B______ 12______ C______, et de la contacter ou de s'en approcher.

Selon cette décision, M. A______ était présumé avoir injurié son épouse, en la menaçant de « lui casser la gueule » et de ne lui avoir apporté aucune aide financière, obligeant cette dernière à demander de l'aide à sa famille vivant au Kosovo. S'agissant de violences précédentes, Mme A______ avait reçu, en date du 25 mars 2020 [recte : 2019], quatre coups de poing au visage par son mari à la suite d'un conflit.

Il ressortait du rapport de renseignement du 12 avril 2020 que Mme A______ avait appelé la police vers 13h00, et elle l'attendait en pleurs au pied de l'immeuble. Elle leur avait expliqué que son mari s'était énervé contre elle parce qu'elle n'avait pas fait la vaisselle, il l'avait menacée de lui « casser la gueule » et il l'avait insultée en la traitant de « pute », « connasse », « salope », « je nique ta mère ». C'était une excuse suffisante pour lui pour commencer un conflit, voire de la violenter. L'expérience avait montré qu'il fallait qu'elle se taise avant qu'il n'emploie la violence physique. C'était pour cela qu'elle était allée se réfugier dans sa chambre. Après un moment, elle s'était habillée, était sortie et avait appelé la police en bas de l'immeuble. Elle restait souvent dans sa chambre car avec lui, c'était une dictature. Elle souhaitait déposer plainte.

Il ressort encore de cette décision que Mme A______ avait autorisé la police à enregistrer sur une clef USB une séquence vidéo qu'elle avait filmée dans laquelle elle subissait des violences de la part de M. A______ en octobre 2019. La clef USB était annexée au rapport. Mme A______ a expliqué à la police à cet égard qu'elle s'apprêtait à ranger les habits dans l'armoire de la chambre, qu'elle avait pris la clef car elle ne voulait pas que son mari le fasse lui-même n'importe comment et qu'on pouvait constater que si elle ne faisait pas comme il voulait, il pouvait être violent à son égard.

Lors de son audition au poste de police, M. A______ avait reconnu avoir traité son épouse de « clocharde » et lui avait dit « d'aller se faire foutre ». Il ne l'avait par contre jamais menacée de lui « casser la gueule ». En 2014, il avait été diagnostiqué avec un cancer, le mariage n'avait pas bien démarré car tous les problèmes étaient tombés en même temps. Son épouse ne s'occupait pas de lui. Dès le début, elle se fâchait sans raison et s'enfermait dans la chambre, et ce pendant plusieurs mois. Lui dormait sur le canapé. En septembre 2015, il avait réussi à lui trouver un travail à l'aéroport mais elle dépensait son salaire en habits, ne payait ni le loyer ni la nourriture pour le ménage ni ses impôts. Depuis octobre ou novembre 2018, elle ne lui adressait plus la parole, elle ne lui demandait jamais comment il allait malgré sa maladie et la chimiothérapie qu'il avait terminée en mai 2019. En mars 2019, il l'avait effectivement insultée pour qu'elle cesse de faire autant de bruit. Il venait de terminer la chimiothérapie et souhaitait dormir car il était fatigué. Elle l'avait insultée en retour et il l'avait ensuite poussée. Elle lui avait jeté une corbeille remplie de fruits à la tête. Il s'était retourné et l'avait frappée. Elle l'avait dénoncé à la police et depuis, il ne lui adressait plus la parole. La dispute de ce jour avait commencé du fait qu'elle avait remarqué qu'il avait fermé l'armoire d'habits de la chambre et qu'il avait gardé la clef sur lui. Elle l'avait traité de clochard, avait commencé à retourner l'appartement pour retrouver la clef. Les seuls mots qu'il lui avait adressés étaient pour répondre à ses propres insultes, soit « clocharde, va te faire foutre ».

Lors de son audition, Mme A______ a quant à elle contesté que son mari l'ait traitée de « clocharde ». Les deux fois précédentes, quand il avait été violent à son égard, cela s'était passé exactement de la même manière. Le 25 mars 2019, elle avait certes jeté par terre une corbeille à fruits après qu'il l'eut frappée, mais elle n'avait jamais visé sa tête. Elle était allée à la police ce jour-là après qu'il l'eut frappée au visage deux fois. Elle avait porté plainte pour ces faits. En octobre 2019, il lui avait donné des coups et lui avait serré le cou. Depuis, elle avait pris la décision d'entamer une procédure de divorce et était allée au centre pour victimes d'infractions où elle s'était fait conseiller. Il n'avait pas supporté qu'il la dénonce à la police, si bien qu'il dormait depuis dans le canapé du salon. Quand elle se trouvait dans la cuisine, il la poussait en passant en lui donnant un coup de coude. Il n'arrêtait pas de lui dire qu'elle était « chez lui ». Il n'achetait de la nourriture que pour lui, elle mangeait dans sa chambre. Il ne lui donnait pas d'argent. Après avoir épuisé ses économies, elle avait demandé de l'argent à sa soeur qui habitait au Kosovo car après 2019, elle ne touchait plus le chômage. Son avocate avait déjà déposé plainte contre lui pour les violences physiques, psychiques et économiques.

Elle a ajouté qu'ils s'étaient connus en 2011 au Kosovo, et qu'elle l'avait rejoint à Genève en 2014. Il était malade, son traitement était lourd. Ils avaient eu des problèmes de couple « normaux », mais à partir de 2019 il avait changé radicalement : il voyageait tout le temps et était parti un mois sans donner de nouvelles. Elle s'était retrouvée seule sans argent à Genève. Elle avait quant à elle travaillé à Genève durant deux ans, et avait dernièrement effectué un stage rémunéré qui déboucherait sur un probable contrat. Son mari l'insultait chaque jour. Si elle le réveillait alors qu'il dormait sur le canapé du salon, il s'énervait. Elle n'avait quant à elle jamais frappé ou insulté son mari. Elle a indiqué souhaiter une mesure d'éloignement car elle avait peur pour sa vie, elle ne savait pas si elle allait se réveiller le matin. Elle ne s'était jamais rendue chez le médecin et elle n'avait pas de photographie de ses lésions. Jusqu'à ce jour, elle avait essayé de gérer la situation et les excès de violence de son mari. Elle voulait sauver leur mariage mais se rendait compte qu'elle n'y arriverait pas.

2) M. A______ a fait immédiatement opposition à la décision du commissaire de police du 12 avril 2020, soit à 18h59.

3) Par courriel du 13 avril 2020 à 09h54, le commissaire de police a transmis au Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) cette opposition ainsi que son dossier.

4) Par courriel du 14 avril 2020, suite à la demande du TAPI, le commissaire de police lui a transmis une copie de l'enregistrement se trouvant sur la clef USB demeurée dans le dossier original resté en mains du commissaire de police en raison de la situation sanitaire actuelle. On peut voir sur cet enregistrement les époux se disputer dans la chambre à coucher, parlant en albanais, et qu'à un moment, M.  A______ tire violemment son épouse par le col de son pull et la pousse contre le canapé.

5) À l'audience du 15 avril 2020 devant le TAPI, M. A______ a confirmé son opposition à la mesure d'éloignement en question. L'avocate de Mme A______ a conclu à la confirmation de la mesure et a demandé la prolongation de la mesure pour une durée de trente jours. Elle a produit un bordereau de pièces comportant la requête de mesure protectrices de l'union conjugale du 6 mars 2020 ainsi que les pièces qui y étaient annexées, dont notamment une plainte pénale déposée le 2 mars 2020. Elle a précisé que cette procédure pénale était actuellement en cours. Elle n'avait pas déposé de mesures superprovisionnelles car les chances étaient généralement très minces. En revanche, elle avait déposé des mesures provisionnelles et espérait recevoir très prochainement une convocation.

Mme A______ a confirmé les déclarations qu'elle avait faites le 12 avril 2020 à la police. Sur demande du TAPI, elle a précisé que les faits relatifs aux coups de poing au visage énoncés dans la décision querellée dataient de mars 2019 et non de mars 2020, contrairement à ce qui y était indiqué par erreur. Elle s'était rendue auprès de la police pour ces faits mais n'avait pas déposé plainte car c'était la première fois que son mari s'en prenait à elle physiquement et elle avait mis cela sur le compte des médicaments qu'il prenait à l'époque. M. A______ a contesté les faits reprochés : il l'avait bien frappée, mais à une reprise parce qu'elle lui avait jeté une corbeille de fruits au visage.

S'agissant de la vidéo prise en octobre 2019, Mme A______ l'a montrée à son mari depuis son téléphone portable et sur demande du TAPI, a traduit les propos tenus par son mari dans cette vidéo comme suit : « Tu es une pute, tu es une salope, je vais te casser la tête, tu es chez moi, c'est ma maison ici ». Il lui ordonnait également d'ouvrir l'armoire. Elle a exposé avoir enregistré cette vidéo parce que la dispute avait commencé dans la cuisine où il l'avait poussée et que l'on y voyait également qu'il la tirait par son pull et lui serrait fort le cou en la poussant. M. A______ a confirmé l'avoir insultée et poussée, mais a nié le reste des comportements décrits. Il a précisé qu'il lui avait demandé la clef de l'armoire et elle avait refusé de la lui donner. Il avait voulu essayer d'ouvrir l'armoire avec un tournevis, il avait des habits lui appartenant dans cette armoire, mais elle avait finalement ouvert l'armoire. Il a rajouté qu'il était d'accord de divorcer mais pas de quitter le logement. Depuis la mesure d'éloignement, il logeait dans sa voiture et se lavait chez des amis. Il n'avait pas pris contact avec l'une des institutions habilitées en entretien socio-thérapeutique. C'était le lundi de Pâques et il n'était pas bien mais il allait le faire.

Mme A______ a exposé pour sa part ne jamais avoir insulté ou menacé son mari. Elle a rajouté ne plus travailler depuis trois ans. Elle avait bénéficié du chômage jusqu'à mars 2019. Elle avait travaillé à l'aéroport comme vendeuse depuis septembre 2015. Elle avait trouvé un stage rémunéré comme secrétaire médicale mais vu la situation sanitaire, le cabinet avait fermé. Peut-être que ce stage pourrait aboutir à un contrat à durée indéterminée mais elle recherchait un emploi. C'était sa famille qui lui envoyait de l'argent et des amis aussi. M. A______ a confirmé ne pas contribuer actuellement à son entretien. Lorsqu'elle travaillait, elle n'avait jamais apporté un centime pour l'entretien du ménage. Il lui avait alors expliqué qu'elle n'aurait rien non plus de sa part. Mme A______ a répondu que lorsqu'elle travaillait à l'aéroport, elle gagnait en moyenne CHF 2'500.- par mois. Elle avait en réalité acheté la nourriture pour la maison et la plupart des meubles de l'appartement. Quand elle était arrivée en Suisse, elle avait dû payer elle-même ses assurances maladies dès lors que son mari avait des dettes. Elle avait également économisé pour suivre une formation à temps partiel de niveau master à Lausanne en parallèle à son emploi mais elle n'avait pas réussi l'examen. M. A______ a contesté qu'elle avait contribué au ménage et payé des meubles et il ne comprenait pas où était passé l'argent qu'elle gagnait.

Le conseil de Mme A______ a plaidé. M. A______ a quant à lui exposé qu'il n'était pas d'accord avec cette mesure d'éloignement. Premièrement, lors des événements reprochés, il n'avait pas menacé son épouse ni élevé la voix mais avait simplement répondu à son insulte où elle l'avait traité de "clochard". Il contestait donc qu'il y ait eu violence. Deuxièmement, il avait des problèmes de santé et ne comprenait pas qu'on puisse le laisser vivre dehors. Il s'est également opposé à la demande de prolongation de la mesure. Il contestait qu'il y ait une montée de la violence. Depuis les faits évoqués précédemment, il n'y avait pas eu d'autres faits de violence. Il avait frappé son épouse une seule fois en huit ans et c'était parce qu'elle lui avait jeté une corbeille derrière la tête. Il a précisé qu'il avait subi une opération en avril 2015 et de la chimiothérapie pendant une année. Son épouse ne lui avait jamais demandé comment il allait ni ne l'avait assisté. Elle ne lui avait pas adressé la parole pendant trois mois, épisodes qui étaient fréquents depuis leur mariage. Elle ne lui avait jamais tendu la main pour l'aider à se déplacer lorsqu'il était malade et il devait se rouler par terre. Mme A______ a contesté ceci : elle avait toujours été là pour lui que ce soit à l'hôpital ou à leur domicile. Il n'avait par ailleurs jamais été dans l'état de devoir se rouler par terre. Il conduisait et sortait avec des amis.

La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition formée par M. A______ et à la confirmation de la mesure. S'agissant de la demande de prolongation, elle s'en rapportait à justice.

6) Par jugement du 16 avril 2020, le TAPI a rejeté l'opposition et admis partiellement la demande de prolongation présentée par Mme A______, prolongeant la mesure d'éloignement pour une durée de quinze jours, soit jusqu'au 12 mai 2020 à 19h00, sous la menace des peines prévues à l'art. 292 CP. Il a en outre dit qu'un éventuel recours n'aurait pas d'effet suspensif.

Les faits dont Mme A______ se plaignait d'avoir été victime le 12 avril 2020 correspondaient à la notion de violences domestiques au sens de la LVD. Au vu des antécédents de violence, de la situation visiblement conflictuelle dans laquelle les époux se trouvaient et le sentiment de peur qu'avait exprimé Mme A______ à la police, la décision contestée apparaissait justifiée. Si M. A______ avait fait part de ses problèmes de santé en audience, ceux-ci n'étaient pas démontrés, et aucune mesure moins incisive n'était envisageable pour atteindre le but fixé par la LVD.

Concernant la demande de prolongation, il y avait tout lieu de penser que de nouveaux actes de violence, qu'elle soit physique ou psychique, pourraient se reproduire puisqu'à teneur du dossier, de tels actes s'étaient déjà produits dans un passé proche, comme on pouvait le voir sur la vidéo prise par Mme A______ en octobre 2019. Dès lors, afin de prévenir de nouvelles violences et de permettre au couple de sortir de ce climat de tension, qui serait exacerbé par le confinement en lien avec la crise sanitaire en cours, la demande de prolongation était admise, mais uniquement pour une durée de quinze jours, en l'état utile, nécessaire et proportionnée.

7) Par acte posté le 24 avril 2020, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours et, principalement, à l'annulation du jugement attaqué et de la décision du commissaire de police du 12 avril 2020.

Il était assistant social auprès de l'Hospice général, et avait connu son épouse au Kosovo en 2011. Dès l'arrivée de son épouse en Suisse, il avait pourvu à l'entretien de celle-ci, qui gardait la quasi-intégralité de ses revenus pour elle, et qui s'était montrée totalement indifférente à ses graves problèmes de santé. Il avait en effet été frappé par un cancer, qui s'était aggravé au début de l'année 2020. Il était du reste en arrêt de travail à 100 %, et joignait un certificat médical à ce propos. Son médecin avait indiqué qu'il n'était pas admissible médicalement qu'il ne puisse pas rester dans son appartement.

Il contestait totalement avoir commis des violences ou proféré des menaces ou des injures à l'encontre de son épouse le 12 avril 2020.

L'ordre d'éloignement mettait concrètement en péril sa santé, en particulier au vu de la menace sanitaire en cours liée au coronavirus. Le risque d'atteinte à l'intégrité physique de son épouse était inexistant. Les accusations à son encontre avaient varié quant à la nature des violences alléguées, ce qui permettait de douter fortement de leur fondement. Le 12 avril 2020, sa femme l'avait traité de « clochard », grave insulte en albanais, et il avait simplement répondu « le clochard nique ta mère ». Quant au 25 mars 2019, il avait certes asséné un coup avec la main ouverte sur la tête de son épouse, ce qu'il regrettait, mais qui était un cas tout à fait isolé, et consécutif au fait que son épouse avait jeté sur lui une corbeille de fruits.

8) Le 28 avril 2020, le commissaire de police a conclu au rejet de la demande d'effet suspensif et du recours.

Un climat de fortes violences psychiques perdurait en tout état dans le couple A______, et des actes violents avaient eu lieu à tout le moins le 25 mars 2019. Le prononcé d'une mesure fondée sur la LVD était ainsi propre à éviter la réitération de tels actes, dans le but de protéger la personnalité des intéressés, et indispensable en l'espèce, la complète séparation des époux étant nécessaire à ces fins.

9) Le 4 mai 2020, Mme A______ a conclu au rejet de la demande d'effet suspensif et à ce que le recours soit déclaré sans objet.

Elle avait contribué à l'entretien du ménage et avait toujours été présente pour son époux, que ce soit à l'hôpital ou au domicile.

Lors de son audition au poste de police le 12 avril 2020, son mari avait reconnu l'avoir traitée de « clocharde » et lui avoir dit d'« aller se faire foutre ». Elle avait fait appel à la police car il lui avait en outre dit qu'il allait lui « casser la gueule ».

Le jugement attaqué était fondé, dans la mesure où l'on était en présence de violences domestiques au sens de la loi. L'éloignement de M. A______ était justifié au vu de la situation conflictuelle vécue par les époux et le sentiment de peur qu'elle ressentait. M. A______ disposait d'un bon revenu qui lui permettait de se loger pendant qu'il devait rester éloigné du domicile conjugal.

Cela étant, le recours devait être déclaré sans objet vu l'ordonnance du Tribunal de première instance rendue 1er mai 2020 lui attribuant la jouissance exclusive du domicile conjugal.

10) a. Lors de l'audience de comparution personnelle des parties qui s'est tenue le 7 mai 2020, la représentante du commissaire de police a indiqué que ce dernier n'allait pas demander la prolongation de la mesure, qui s'achevait le 12 mai 2020. Elle a confirmé que M. A______ avait, lors de l'audience devant le TAPI, donné son accord à ce que cette vidéo soit visionnée. Mme A______ avait ainsi présenté son téléphone portable à la présidente, et M. A______ aurait pu la visionner, mais il n'avait pas voulu tourner la tête. En revanche, le son était enclenché, et il n'avait pas objecté à la traduction faite librement par son épouse.

b. M. A______ a déclaré qu'il dormait toujours chez le frère d'un ami. Par rapport à son état de santé et à la nécessité de demeurer chez lui, il était une personne à risque dans le cadre de la pandémie en cours, et il valait mieux qu'il soit chez lui plutôt que dans la rue. Un entretien sociothérapeutique avait eu lieu, en l'occurrence par téléphone au vu de la situation sanitaire. Il s'était bien passé, et cela lui avait fait du bien de parler de sa situation.

Il s'en rapportait à justice sur la conclusion en radiation du rôle. Cela étant, la vidéo produite dans la présente procédure était constitutive d'une infraction pénale contre le domaine privé, et procédait d'une mise en scène, puisque le moment capté ne constituait qu'une petite partie de la scène, qui était ainsi tronquée. De plus, lors de l'audience devant le TAPI, Madame A______ avait effectué une fausse traduction, constitutive d'une induction de la justice en erreur au sens de l'art. 304 CP. Dans ces circonstances, et alors que Madame A______ pouvait déposer une demande de mesures superprovisionnelles avant le dépôt du présent recours, elle devait être condamnée aux frais de la procédure ainsi qu'à une indemnité de procédure.

c. Mme A______ a déclaré avoir déposé une plainte pénale, et le 6 mars 2020 une requête de mesures protectrices de l'union conjugale, avec une demande de mesures provisionnelles. Elle n'avait pas fait de demande de mesures superprovisionnelles car elle espérait être convoquée à bref délai. Mais la crise sanitaire était intervenue, si bien que le TPI avait fixé une audience au 14 mai 2020 seulement. Dans ces conditions, elle avait alors demandé des mesures superprovisionnelles le 30 avril 2020, lesquelles avaient été accordées partiellement le 1er mai 2020 (des conclusions en entretien ayant également été présentées). On pouvait donc constater qu'il n'y avait pas d'abus procédural de sa part, et elle concluait ainsi, en sus de la radiation du recours du rôle, à ne pas devoir verser d'indemnité de procédure.

d. À l'issue de l'audience, les parties ont consenti à ce que la cause soit gardée à juger, et de même jugée rapidement.

EN DROIT

1) En vertu de l'art. 8 LVD (principe), la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes (al. 1) ; une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de : a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ; b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes (al. 2) ; la mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (al. 3).

Aux termes de l'art. 11 LVD (opposition et prolongation), la personne éloignée peut s'opposer à la mesure d'éloignement dans un délai de six jours dès sa notification, par simple déclaration écrite adressée au TAPI ; l'opposition n'a pas d'effet suspensif (al. 1) ; toute personne directement touchée par la mesure d'éloignement a le droit d'en solliciter la prolongation auprès du TAPI, au plus tard quatre jours avant l'expiration de la mesure ; la prolongation est prononcée pour trente jours au plus ; depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (al. 2) ; le TAPI dispose pour statuer d'un délai de quatre jours dès réception de l'opposition ; en cas de demande de prolongation, il statue avant l'expiration de la mesure ; son pouvoir d'examen s'étend à l'opportunité ; s'il n'a pas statué à l'échéance du délai, la mesure cesse de déployer ses effets (al. 3).

2) La chambre administrative, autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative, est compétente pour connaître du recours
(art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ -
E 2 05).

3) Selon le jugement querellé, le délai de recours est de 30 jours en application de la règle générale de l'art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), qui dispose que le délai de recours est de trente jours s'il s'agit d'une décision finale ou d'une décision en matière de compétence.

Au regard de la brièveté des délais fixés par l'art. 11 LVD, il peut paraître insolite que le délai de recours devant la chambre administrative soit de trente jours. Néanmoins, aucune disposition légale ne permet de retenir qu'un délai plus court s'appliquerait.

Quoi qu'il en soit, en l'occurrence, le recours n'est en tout état de cause pas tardif, puisque formé dans le délai indiqué par le jugement attaqué, conformément aux art. 17 al. 3 et 62 al. 2 LPA.

4) a. À teneur de l'art. 60 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a) et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b).

La chambre administrative a déjà jugé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/577/2014 du 29 juillet 2014 consid. 5a ; ATA/790/2012 du 20 novembre 2012 ; ATA/281/2012 du 8 mai 2012 ; ATA/5/2009 du 13 janvier 2009 et les références citées).

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39
consid. 2 c/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002 consid. 3 ; ATA/307/2013 du 14 mai 2013 ; ATA/759/2012 du 6 novembre 2012 ; ATA/188/2011 du 22 mars 2011).

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23
consid. 1.3 ; 135 I 79 consid. 1 ; 128 II 34 consid. 1b ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_892/2011 du 17 mars 2012 consid. 1.2 et 2C_811/2011 du 5 janvier 2012 consid. 1 ; ATA/245/2012 du 24 avril 2012). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1). Si l'intérêt actuel fait défaut lors du dépôt du recours, ce dernier est déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 ; ATA/192/2009 du 21 avril 2009) ; s'il s'éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_194/2011 du 8 février 2012 consid. 2.2 ; ATA/195/2007 du 24 avril 2007 consid. 3 et 4) ou déclaré irrecevable (ATF 118 Ia 46 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.3 ; ATA/514/2009 du
13 octobre 2009 ; ATA/195/2007 du 24 avril 2007 ; ATA/640/2005 du
27 septembre 2005 ; ATA/552/2005 du 16 août 2005).

c. Il est toutefois renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 131 II 361
consid. 1.2 ; 128 II 34 consid. 1b ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_34/2009 du
20 avril 2009 consid. 3 ; ATA/418/2012 du 3 juillet 2012 consid. 2d ; ATA/365/2009 du 28 juillet 2009). L'obligation d'entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobstant l'absence d'un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de créer une voie de recours non prévue par le droit cantonal (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 128 II 34 consid. 1b ; ATA/759/2012 du
6 novembre 2012). Il faut en particulier un intérêt public - voire privé - justifiant que la question litigieuse soit tranchée, en raison de l'importance de celle-ci
(ATF 135 I 79 consid. 1.1 ; 131 II 361 consid. 1.2 ; 128 II 34 consid. 1b ; 127 I 164 consid. 1a).

5) En l'espèce, nonobstant le fait que la mesure d'éloignement litigieuse a cessé et a été remplacée par une mesure d'éloignement prononcée par le TPI dans le cadre de la procédure de mesures protectrices de l'union conjugale, les questions litigieuses revêtent dans le présent cas une certaine importance, et il ne peut en l'état pas être exclu qu'une procédure administrative au sens de la LVD soit ultérieurement à nouveau intentée par l'une des parties.

Partant, le recourant garde un intérêt personnel digne de protection à ce que le dispositif du jugement attaqué soit annulé, de sorte que, sous cet angle également, le recours est recevable.

6) La LVD a été adoptée notamment pour régler les situations dans lesquelles une intervention instantanée est nécessaire, avant le prononcé de mesures superprovisionnelles en matière matrimoniale ou protectrices de l'union conjugale, et alors que l'art. 28b du Code civil suisse du 10 décembre 1907
(CC - RS 210) n'existait pas encore (MGC 2004-2005/IV A 2128 ss).

7) La prolongation de la mesure d'éloignement litigieuse ayant pris fin le
12 mai 2020, la chambre de céans ne sera pas habilitée à examiner ci-après si cette mesure se justifie à la date du prononcé de son arrêt, mais seulement si le TAPI était fondé à la prendre sur la base des éléments de fait qu'il avait à disposition au 16 avril 2020.

Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le pouvoir d'examen de la chambre de céans se limite à la violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ainsi qu'à la constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents
(let. b). Elle ne peut ainsi pas revoir l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), ce qui n'est pas le cas en l'occurrence.

8) En l'espèce, les déclarations de l'intimée au sujet des événements du 12 avril 2020 sont circonstanciées et globalement crédibles. Elle avait du reste déjà dénoncé des faits de violence en mars 2019, renonçant néanmoins à déposer plainte pénale ; à cet égard, la vidéo remise à la police et visionnée - avec l'accord du recourant - en audience, ne fait qu'étayer la propension du recourant à s'adresser à son épouse et à la traiter avec rudesse, et conserve cette valeur d'indice quand bien même elle ne reflète pas le déroulement intégral des faits remontant au 25 mars 2019 (sur lesquels la mesure ne se fonde d'ailleurs pas).

Au surplus, même en prenant en compte les déclarations du recourant, il est indéniable qu'il régnait au sein du couple un climat délétère, empreint de violence, à tout le moins verbale.

Il existait ainsi, à la date du jugement querellé, des indices sérieux de commission par le recourant d'actes de violence à l'encontre de son épouse.

9) Au vu de ce qui précède, le TAPI était fondé à retenir un risque de réitération d'actes de violence domestique.

10) Quant à la proportionnalité de la mesure, notamment en lien avec l'état de santé du recourant, on doit retenir qu'aucune autre mesure administrative n'entrait en ligne de compte pour parvenir au même résultat. Par ailleurs, comme le recourant l'a du reste admis en audience, il n'avait pas besoin, pour garantir sa santé, de se trouver nécessairement dans son logement, mais simplement de ne pas se retrouver à la rue. Or le recourant n'allègue ni à plus forte raison ne démontre avoir été dans l'incapacité financière de trouver un logement alternatif. Il a du reste trouvé une personne ayant accepté de le loger pendant le temps de la mesure.

11) Ainsi, le jugement querellé étant conforme au droit, le recours sera rejeté.

Le prononcé du présent arrêt ainsi que la venue à échéance de la mesure contestée le 12 mai 2020 rendent sans objet la requête de restitution de l'effet suspensif au recours.

12) Au regard des circonstances particulières du présent cas, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA), malgré l'issue du recours. Vu cette dernière, une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée à Mme A______, à la charge du recourant (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 avril 2020 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 avril 2020 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Madame A______ une indemnité de CHF 500.-, à la charge de Monsieur A______ ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Enis Daci, avocat du recourant, à Me Véra Coignard-Drai, avocate de Madame A______, au commissaire de police ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Verniory et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Ravier

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :