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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3572/2019

ATA/448/2020 du 07.05.2020 ( MARPU ) , REJETE

Descripteurs : MARCHÉS PUBLICS;APPEL D'OFFRES(MARCHÉS PUBLICS);PROCÉDURE D'ADJUDICATION;EXCLUSION(EN GÉNÉRAL);SOUMISSIONNAIRE;PRIX;FORMALISME EXCESSIF;POUVOIR D'APPRÉCIATION
Normes : Cst.29; LPA.60.al1; L-AIMP.3.al4; AIMP.18.al2; L-AIMP.3.al3; AIMP.1.al3; RMP.16.al2; RMP.39.al1; RMP.39.al2 1ère ph; RMP.40; RMP.42; RMP.41; RMP.42.al1.letlita
Résumé : Confirmation de l’exclusion d’un soumissionnaire dont l’offre ne respectait pas les exigences des documents d’appel d’offres, dont notamment le cahier de soumission et le cahier des charges. Dès lors que son exclusion est confirmée, son recours contre la décision d’interruption du marché doit être déclaré irrecevable, faute d’intérêt digne de protection.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3572/2019-MARPU ATA/448/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 mai 2020

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Richard Calame, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE - CENTRALE MUNICIPALE D'ACHAT ET D'IMPRESSION
représentée par Me Michel D'Alessandri, avocat



EN FAIT

1.1) Le 2 mai 2019, la Ville de Genève (ci-après : la ville), par l'intermédiaire de la centrale municipale d'achat et d'impression (ci-après : CMAI), a publié sur le site internet « www.simap.ch » un appel d'offres en procédure sélective en deux tours soumis à l'accord GATT/OMC, respectivement aux accords internationaux, pour un marché de services, nommé « AssuranceDommage_A2 », portant sur des prestations d'assurances choses du patrimoine immobilier et mobilier de la ville (exception faite de ses collections et oeuvres d'art), notamment pour les couvertures incendie et dommages naturels, dégâts des eaux, vol avec effraction et détroussement, bris de glace, extended coverage, tous risques, terrorisme, dommages naturels en excédant du pool, choses et frais. Le marché était divisé en trois lots :

-          Le lot n° 1 portait sur la couverture de base pour une première tranche de capacité qui allait du premier franc jusqu'à CHF 100'000'000.- (primary). Les critères d'adjudication étaient le prix (45 %), la qualité technique de l'offre (45 %) et l'équité sociale (10 %) ;

-          Le lot n° 2 complétait la première tranche de capacité, par une couverture jusqu'au montant de CHF 120'000'000.- en excès de
CHF 100'000'000.-. Les critères d'adjudication étaient le prix (60 %), la valeur ajoutée de l'offre (35 %) et l'équité sociale (5 %) ;

-          Le lot n° 3 complétait les deux premières tranches de capacité, par une couverture jusqu'au montant de CHF 150'000'000.- en excès de
CHF 120'000'000.-. Les critères d'adjudication étaient le prix (60 %), la valeur ajoutée de l'offre (35 %) et l'équité sociale (5 %).

Les offres étaient possibles pour tous les lots. Les offres partielles n'étaient pas admises. Étaient notamment considérées comme des offres partielles les offres qui répondaient partiellement aux exigences de l'autorité adjudicatrice. Ne seraient pas considérées comme des offres partielles une capacité de souscription supérieures ou égales à 20 % pour les lots nos 2 et n° 3.

Le cahier de sélection, disponible sur le site internet « www.simap.ch », précisait notamment que le soumissionnaire pouvait choisir de présenter une offre pour un seul lot ou plusieurs lots ou tous les lots (ch. 12.3).

Les demandes de participation au marché devaient être déposées au plus tard le 27 mai 2019 à 16h00.

2) a. Le 6 juin 2019, la ville, toujours par l'intermédiaire de la CMAI, a publié sur le site internet « www.simap.ch » trois appels d'offres, respectivement pour les lots nos 1, 2 et 3.

Sept soumissionnaires ont été invités à soumissionner, parmi lesquels figurait A______ (ci-après : A______).

Le dossier d'appel d'offres comprenait notamment un cahier de soumission, qui définissait les conditions relatives au deuxième tour de l'appel d'offres, le cahier des charges, trois formulaires d'offre A (un pour chacun des lots) et deux formulaires d'offres B (un pour le lot n° 1 ou un pour les lots nos 2 et/ou 3).

b. Selon le cahier de soumission, le marché était divisé en trois lots en fonction des lignes d'assurance (ch. 14.1). Le soumissionnaire pouvait choisir de présenter une offre pour un seul lot ou plusieurs lots ou tous les lots. Toutefois, l'autorité adjudicatrice se réservait la possibilité d'allouer et d'adjuger indépendamment chacun des lots, voire de s'abstenir d'allouer certains lots (ch. 14.4). Le processus d'adjudication était le suivant : évaluation individuelle de chaque offre par lot puis mise en perspective de chaque offre pour déterminer la situation économiquement la plus avantageuse dans l'ensemble du marché (ch. 34.1). Pour l'évaluation individuelle de chaque offre, un classement par lot serait établi en fonction de la note globale pondérée, obtenue en additionnant les notes pondérées de chaque critère. La note pondérée de chaque critère serait obtenue en multipliant la note obtenue par son poids (ch. 34.2).

c. Le cahier des charges précisait notamment que chaque lot, adjugé tout ou en partie, ferait l'objet d'un contrat distinct (ch. 1.2).

3.3) Le 29 août 2019, A______ a déposé une offre globale pour les lots nos 1 à 3 pour un montant total de CHF 1______, lequel comprenait le montant annuel de la prime (CHF 2______) et les taxes cantonales (CHF 3______). Le courrier joint à l'offre précisait qu'A______ ne déposait que pour les trois lots ensemble et que le montant de la prime était également valable pour les trois lots ensemble.

Le formulaire d'offres B pour les lots nos 2 et/ou 3 joint à l'offre contenait une précision selon laquelle la répartition des trois lots distincts était incompatible avec leurs dispositions « d'underwriting », de sorte qu'elle ne déposait que pour les trois lots ensemble.

Le contenu de l'offre d'A______ sera repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit du présent arrêt.

4.4) À teneur du procès-verbal d'ouverture des offres du 2 septembre 2019, quatre soumissionnaires ont déposé une offre en sus d'A______, à savoir :

-          B______, uniquement pour le lot n° 3, pour un montant de CHF 4______ ;

-          C______, pour les lots nos 2 et 3, pour des montants respectifs de CHF 5______ et CHF 6______ ;

-          D______, uniquement pour le lot n° 1, pour un montant de
CHF 7______ ;

-          E______, uniquement pour le lot n° 2, pour un montant de
CHF 8______.

5.5) Par décision du 13 septembre 2019, la ville a informé A______ qu'elle avait écarté son offre en application de l'art. 42 al. 1 let. a du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01) dès lors que celle-ci n'était pas conforme aux exigences de l'appel d'offres. Elle avait déposé une offre globale, respectivement un prix pour les trois lots, alors que les documents d'appel d'offres prévoyaient un processus d'adjudication par lot.

La ville avait par ailleurs décidé, en application de l'art. 47 al. 1 let. c et d RMP, d'interrompre la procédure d'adjudication, laquelle serait renouvelée dans le courant de l'année 2020.

6.6) Par publication du 13 septembre 2019 sur le site internet www.simap.ch , la ville a annoncé l'interruption de la procédure pour justes motifs, qui étaient les suivants :

-          « abandon ou modification importante du projet nécessaire » ;

-          « toutes les offres dépassent le montant du budget prévu ».

7.7) Par courrier du 24 septembre 2019, A______ a sollicité auprès de la ville des explications complémentaires quant aux motifs de son exclusion et de l'interruption de la procédure.

8.8) Le 25 septembre 2019, la ville a indiqué à A______ qu'elle avait formulé un prix global pour les trois lots, sans individualiser le prix par lot. Une telle manière de procéder interdisait toute évaluation individuelle par lot et était de ce fait contraire aux documents de l'appel d'offres. En outre, une modification importante du projet était nécessaire, au vu des offres financières reçues, lesquelles ne correspondaient pas au budget à disposition. Le projet avait été interrompu et les offres n'avaient pas été évaluées. Le marché serait remis en concours courant 2020.

9.9) Par acte mis à la poste le 26 septembre 2019, A______ a interjeté recours par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de la ville du 13 septembre 2019 en concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation, à ce qu'il soit constaté que son offre était économiquement la plus favorable et à ce que le marché querellé, soit les lots n° 1 à 3, lui soit adjugé. Subsidiairement, il devait être ordonné au pouvoir adjudicateur de reprendre la procédure et de procéder à l'évaluation des offres reçues, dont la sienne, et de lui adjuger le marché querellé, soit les lots nos 1 à 3.

Son recours était formé pour défaut de motivation suffisante quant à l'interruption de la procédure d'appel d'offres et absence de motifs pour son exclusion, respectivement violation du principe de la conformité des offres et des procédures d'exclusion et d'interruption.

Le pouvoir adjudicateur avait indiqué deux motifs d'interruption de la procédure de marché public dans son courrier du 25 septembre 2019, soit qu'une modification importante du projet était nécessaire et que les montants des offres ne correspondaient pas au budget à disposition. Or, il n'indiquait pas en quoi consisterait la modification ni à quel titre elle était importante au point de justifier l'abandon de la procédure. Il lui incombait pourtant de prouver l'existence de motifs sérieux et valables pour ce faire. Par ailleurs, le montant du budget prévu ou octroyé pour le marché était en l'état inconnu. Le manque de transparence et d'informations quant aux motifs d'interruption suscitaient des interrogations et le défaut de motivation était patent. Faute de motivation suffisante, la décision devait être annulée.

C'était par ailleurs à tort que le pouvoir adjudicateur avait considéré que son offre n'était pas conforme au cahier des charges. Contrairement à ce qu'avançait le pouvoir adjudicateur, le cahier de soumission ne prévoyait pas un processus d'adjudication nécessairement par lot, mais uniquement qu'il était en droit d'adjuger tout ou partie de l'offre et que le marché était divisé en trois lots. Il était clairement indiqué qu'il pouvait être présenté une offre pour un lot, plusieurs lots ou tous les lots. La description du marché et sa division en trois lots démontraient qu'il s'agissait bien d'un marché dans son ensemble avec l'intention du pouvoir adjudicateur de l'adjuger dans sa globalité, mais pas nécessairement à un seul et même assureur. Les soumissionnaires étaient donc libres de former une offre pour un lot, deux lots ou les trois lots. Elle avait formulé une offre globale ce qui était conforme aux documents d'appel d'offres. Les critères d'adjudication relatifs à la qualité technique, la valeur ajoutée et l'équité sociale étaient évaluables sans difficulté dans son offre, dès lors que les formulaires d'offres avaient été dûment remplis et complétés. S'agissant du critère du prix, la méthode d'évaluation était la même pour les trois lots quand bien même elle opérait une comparaison décomposée par lot. Il revenait au pouvoir adjudicateur d'adopter une méthode d'évaluation adéquate permettant la comparaison des offres soumissionnées. On ne pouvait la sanctionner en raison d'une possible difficulté d'application de la méthode d'évaluation choisie, alors qu'elle avait déposé une offre résolument conforme aux exigences et conditions formulées. Une comparaison des offres était par ailleurs possible sous l'angle du prix. En additionnant les trois meilleures offres pour chacun des lots, on aboutissait à un total de CHF 9______, soit un montant clairement supérieur à son offre globale.

10.10) Dans sa réponse du 28 octobre 2019, la ville a conclu à ce que le recours soit déclaré irrecevable en tant qu'il portait sur la décision d'interruption de la procédure d'appel d'offres et qu'il concluait à ce que l'offre de la recourante soit considérée comme étant économiquement la plus avantageuse et à ce que le marché lui soit adjugé. Le recours devait être rejeté pour le surplus, dans la mesure de sa recevabilité, ses décisions devaient être confirmées et la recourante devait être condamnée en tous les frais et dépens.

La recourante ne disposait d'aucun intérêt digne de protection à recourir contre la décision d'interrompre la procédure. Son exclusion se justifiant, elle ne pouvait tirer aucun avantage réel de la décision d'interruption.

L'offre de la recourante ne respectait pas les exigences des documents d'appel d'offres, dont notamment le cahier de soumission et le cahier des charges, selon lesquels chaque lot devait être individualisé avec un prix distinct. Selon les précisions de celle-ci dans son offre, c'était bien l'incompatibilité de ses dispositions d' « underwriting », et non une incompréhension de sa part, qui l'avait amenée à formuler une offre globale. C'était donc en toute connaissance de la non-conformité de son offre que la recourante avait soumissionné. Celle-ci avait donc été écarté à juste titre.

S'agissant de la décision d'interruption de procédure, elle respectait les exigences légales qui prévoyaient qu'elle devait être sommairement motivée. De plus, les montants des meilleurs prix offerts dépassaient de 32 % le budget octroyé, de sorte qu'une modification importante du projet était nécessaire.

11.11) Dans sa réplique du 10 décembre 2019, A______ a annoncé modifier ses conclusions, dès lors que le pouvoir adjudicateur confirmait ne pas avoir procédé à l'évaluation des offres. Elle concluait ainsi à l'annulation de la décision du
13 septembre 2019, à ce qu'il soit ordonné à la ville de reprendre la procédure d'appel d'offres lancée et à ce qu'il soit procédé à l'évaluation des offres reçues, dont la sienne, et à ce que le marché querellé lui soit adjugé, soit les lots nos 1 à 3, pour un montant de CHF 1______.

Le bienfondé du recours sur le grief de l'exclusion injustifiée de son offre fondait son intérêt, et, partant, sa qualité pour recourir sur le grief de l'interruption de la procédure.

Le cahier de soumission assurait au pouvoir adjudicateur de pouvoir déterminer la situation économiquement la plus avantageuse « dans l'ensemble du marché », non seulement par rapport à un soumissionnaire précis, mais encore par combinaison des différents éléments et offres à évaluer. En l'occurrence, son offre était complète. Son offre se révélait être la plus basse, indépendamment de toute combinaison des prix soumissionnés par ses concurrents. Le fait que la pondération du prix soit différente n'empêchait pas cela. Il était possible d'évaluer chacune des offres concurrentes et d'opposer la meilleure combinaison entre celles-ci et l'offre globale de la recourante.

S'agissant de l'interruption du marché, le pouvoir adjudicateur n'avait pas réservé cette possibilité à l'obtention d'un crédit et les soumissionnaires ne pouvaient pas s'attendre à une interruption de la procédure au motif que les limites d'un budget, qui leur était par ailleurs inconnu, seraient dépassées. La conséquence régulière d'une modification des conditions financières de base n'était, le cas échéant, pas l'interruption de la procédure mais l'absence de conclusion du contrat visé par cette procédure d'adjudication pour sa mise en oeuvre. Le prétendu dépassement de budget n'était par ailleurs pas de 32 % mais de 6, 5 % par rapport au montant de référence évoqué par le pouvoir adjudicateur (CHF 10______). Au vu de ce montant, cela ne justifiait pas une interruption. Le pouvoir adjudicateur ne répondait toujours pas à la question de savoir quels étaient les changements essentiels qu'il devait apporter au projet.

12) Dans sa duplique du 29 janvier 2020, la ville a persisté dans les conclusions de son mémoire de réponse, et dans ses explications relatives à l'exclusion du marché.

Hormis le critère du prix, dont la pondération était différente entre le lot n° 1 et les lots nos 2 et 3, devaient également être pris en compte d'autres critères qui différaient pour le lot n° 1 et pour les lots nos 2 et 3. L'offre globale de la recourante ne permettait pas d'évaluer individuellement chaque lot. L'évaluation de l'offre de la recourante n'était donc pas possible.

13.13) Le 25 février 2020, A______ a notamment relevé qu'il était contesté que la ville puisse prétendre à des dépens.

14.14) Le 28 février 2020, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.1) La décision litigieuse du pouvoir adjudicateur du 13 septembre 2019 porte sur deux aspects, soit l'exclusion de la recourante et l'interruption de la procédure. La recourante interjette recours contre ces deux éléments, lesquels seront examinés successivement.

2.2) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours contre la décision d'exclusion est recevable de ce point de vue (art. 15 al. 1 al. 1bis let. d et al. 2 de l'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi du 12 juin 1997 autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'AIMP ; art. 55 let. c et 56 al. 1 RMP ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

3.3) a. La qualité pour recourir en matière de marchés publics se définit en fonction des critères de l'art. 60 al. 1 let. a et b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), applicable sur renvoi de l'art. 3 al. 4 L-AIMP. Elle appartient aux parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée, chacune de celles-ci devant néanmoins être touchée directement par la décision et avoir un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. Tel est le cas de celle à laquelle la décision attaquée apporte des inconvénients qui pourraient être évités grâce au succès du recours, qu'il s'agisse d'intérêts juridiques ou de simples intérêts de fait (ATA/1019/2018 du 2 octobre 2018 consid. 3a et les références citées).

b. En matière de marchés publics, l'intérêt actuel du soumissionnaire évincé est évident tant que le contrat n'est pas encore conclu entre le pouvoir adjudicateur et l'adjudicataire, car le recours lui permet d'obtenir la correction de la violation commise et la reprise du processus de passation. Mais il y a lieu d'admettre qu'un soumissionnaire évincé a aussi un intérêt actuel au recours lorsque le contrat est déjà conclu avec l'adjudicataire, voire exécuté, car il doit pouvoir obtenir une constatation d'illicéité de la décision pour pouvoir agir en dommages-intérêts (art. 18 al. 2 AIMP ; art. 3 al. 3 L-AIMP ; ATF 137 II 313 consid. 1.2.2 ; ATA/516/2018 du 29 mai 2018 consid. 2b). Il dispose d'un intérêt juridique lorsqu'il avait, avant la conclusion du contrat des chances raisonnables de se voir attribuer le marché en cas d'admission de son recours (ATF 141 II 14 consid. 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_203/2014 du 9 mai 2015
consid. 2.1). Cet intérêt existe notamment lorsque le soumissionnaire évincé avait été classé au deuxième rang derrière l'adjudicataire et qu'il aurait, en cas d'admission de son recours, disposé d'une réelle chance d'obtenir le marché
(ATF 141 II 14 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_39/2014 du 26 juillet 2014 consid. 1.1 et 2C_346/2013 du 20 janvier 2014 consid. 1.4.1).

c. Le cas d'une procédure définitivement interrompue doit être traité par analogie comme un contrat conclu. L'autorité de recours constate l'illicéité de la décision lorsque le recours est fondé. Cette décision ouvre la voie à une demande de dédommagement (ATF 134 II 192 consid. 2.3 = SJ 2009 I 197, p. 203 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_43/2015 du 10 décembre 2015 consid. 1.3.2 ; ATA/437/2019 du 16 avril 2019 consid. 3c ; Dominik KUONEN, Das Einladungsverfahren im öffentlichen Beschaffungsrecht, 2005, p. 209).

d. En l'espèce, en tant que soumissionnaire exclu, la recourante conserverait en principe un intérêt juridique à faire annuler la décision d'exclusion afin d'être réintégrée dans la procédure d'adjudication, son recours lui permettant d'obtenir une éventuelle indemnisation, si la décision d'interruption de la procédure contre laquelle elle forme également recours devait être jugée illicite. Toutefois, à la lecture de ses conclusions, la recourante n'en a pris aucune relative à l'octroi d'une indemnité, de sorte que sa qualité pour recourir contre la décision d'exclusion apparaît douteuse. Cette question souffrira toutefois de demeurer indécise en raison de ce qui suit.

4.4) L'intimée justifie l'exclusion de la recourante de la procédure par le fait que son offre avait été déposée de manière globale, sans distinction de prix pour les différents lots, ce qui était contraire aux documents de l'appel d'offres. L'offre de la recourante ne permettait en particulier pas de procéder à une évaluation individuelle par lot.

5.5) a. L'AIMP poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l'égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l'impartialité de l'adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3
let. c AIMP) et permettre l'utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1
al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés dans toutes les phases de la procédure (art. 16 al. 2 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 - RMP - L 6 05.01).

Comme la chambre administrative l'a rappelé à plusieurs reprises, le droit des marchés publics est formaliste. L'autorité adjudicatrice doit procéder à l'examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme (ATA/1815/2019 du 17 décembre 2019 consid. 3b ; ATA/794/2018 du 7 août 2018 consid. 3b et les références citées), qui permet de protéger notamment le principe d'intangibilité des offres remises et le respect du principe d'égalité de traitement entre soumissionnaires. Ces principes imposent ainsi de n'apprécier les offres que sur la base du dossier remis, un soumissionnaire n'étant pas habilité à modifier la présentation de son offre, à y apporter des compléments ou à transmettre de nouveaux documents après l'échéance du délai (ATA/914/2018 du 11 septembre 2018 consid. 6a ; ATA/150/2018 du 20 février 2018 consid. 3b et les références citées), ce qui découle de l'art. 11 let. c AIMP qui proscrit les négociations entre l'entité adjudicatrice et les soumissionnaires (ATA/616/2018 du 18 juin 2018 consid. 3d).

Lors de l'examen des offres, l'autorité adjudicatrice examine la conformité des offres au cahier des charges et contrôle leur chiffrage (art. 39 al. 1 RMP). Les erreurs évidentes, telles que les erreurs de calcul et d'écriture, sont corrigées
(art. 39 al. 2 1ère phr. RMP). Selon l'art. 40 RMP, elle peut demander aux soumissionnaires des explications relatives à leur aptitude et à leur offre (al. 1). Les explications sont en principe fournies par écrit (al. 2). En présence d'une offre anormalement basse, l'autorité adjudicatrice doit demander au soumissionnaire de justifier ses prix, selon la forme prévue à l'art. 40 al. 2 RMP (art. 41 RMP).

L'art. 42 RMP a trait à l'exclusion de la procédure. Ainsi, l'offre est écartée d'office notamment lorsque le soumissionnaire a rendu une offre tardive, incomplète ou non-conforme aux exigences ou au cahier des charges (al. 1 let. a) ou n'a pas justifié les prix d'une offre anormalement basse, conformément à
l'art. 41 RMP (al. 1 let. e). Les offres écartées ne sont pas évaluées. L'autorité adjudicatrice rend une décision d'exclusion motivée, notifiée par courrier à l'intéressé, avec mention des voies de recours (al. 3).

b. L'interdiction du formalisme excessif, tirée de la garantie à un traitement équitable des administrés énoncée à l'art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), interdit d'exclure une offre présentant une informalité de peu de gravité. C'est dans ce sens que des erreurs évidentes de calcul et d'écriture peuvent être rectifiées (art. 39 al. 2 1ère phr. RMP) et que des explications peuvent être demandées aux soumissionnaires relatives à leurs aptitudes et à leurs offres (art. 40 et 41 RMP).

c. Le principe de la transparence applicable au droit des marchés publics exige tout d'abord que le pouvoir adjudicateur fasse connaître les principales étapes de la procédure et leur contenu et qu'il indique à l'avance aux soumissionnaires potentiels tous les éléments minimaux et utiles leur permettant de déposer une offre valable et correspondant pleinement aux conditions posées (ATF 125 II 86 consid. 7c). Il est essentiel que l'autorité adjudicatrice décrive soigneusement l'objet du marché et les conditions qui lui sont applicables ; cela suppose qu'elle ait procédé à une définition précise de ses besoins. En présence d'un descriptif imprécis, la faculté des entreprises de poser des questions au pouvoir adjudicateur ne constituera en règle générale pas un correctif suffisant (arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud GE.2003.0064 du 29 août 2003 consid. 3a ;
Peter GALLI/André MOSER/Elisabeth LANG/Marc STEINER, Praxis des öffentlichen Beschaffungsrechts, 3ème éd., 2013, p. 175 ss).

d. Le principe d'intangibilité des offres remises et le respect du principe d'égalité de traitement entre soumissionnaires impliquent de ne procéder à ce type de questionnement que de manière restrictive, et seulement lorsque l'offre est, au demeurant, conforme aux conditions de l'appel d'offres. À cet égard, même les auteurs qui préconisent une certaine souplesse dans le traitement des informalités admettent que l'autorité adjudicatrice dispose d'un certain pouvoir d'appréciation quant au degré de sévérité dont elle désire faire preuve dans le traitement des offres, pour autant qu'elle applique la même rigueur, respectivement la même flexibilité, à l'égard des différents soumissionnaires (ATA/149/2018 du 20 février 2018 et les références citées). L'appréciation de la chambre administrative ne peut se substituer à celle de l'autorité adjudicatrice, seul l'abus ou l'excès du pouvoir d'appréciation devant être sanctionné (ATF 130 I 241 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2P.111/2003 du 21 janvier 2004 consid. 3.3 ; 2P.172/2002 du
10 mars 2003 consid. 3.2).

6.6) a. En l'espèce, les documents d'appel d'offres prévoyaient que le marché était divisé en trois lots ayant d'ailleurs fait l'objet de trois publications distinctes sur la plateforme Simap en fonction des lignes d'assurance (cahier de soumission,
ch. 14.1 ; cahier des charges, ch. 1.2). Le cahier de soumission précisait notamment que le soumissionnaire pouvait choisir de présenter une offre pour un seul lot ou plusieurs lots ou tous les lots ; toutefois, l'autorité adjudicatrice se réservait la possibilité d'allouer et d'adjuger indépendamment chacun des lots, voire de s'abstenir d'allouer certains lots (ch. 14.4). Il indiquait encore que le processus d'adjudication était le suivant : évaluation individuelle de chaque offre par lot puis mise en perspective de chaque offre pour déterminer la situation économiquement la plus avantageuse dans l'ensemble du marché (ch. 34.1). Pour l'évaluation individuelle de chaque offre, un classement par lot serait établi en fonction de la note globale pondérée, obtenue en additionnant les notes pondérées de chaque critère. La note pondérée de chaque critère serait obtenue en multipliant la note obtenue par son poids (cahier de sélection, ch. 30.1 ; cahier de soumission, ch. 34.2).

Le cahier de sélection, remis lors du premier tour, et le cahier de soumission exposaient les critères d'adjudication des trois lots, lesquels différaient en fonction des lots, tant au niveau du critère lui-même que de leur pondération (cahier de sélection, ch. 28 ; cahier de soumission, ch. 32.1).

Le cahier des charges précisait encore que chaque lot, adjugé en tout partie, ferait l'objet d'un contrat distinct (ch. 1.2).

Les documents précités indiquaient enfin que les offres partielles, soit celles répondant partiellement aux exigences de l'autorité adjudicatrice, seraient exclues de la procédure (cahier de sélection, ch. 13 ; cahier de soumission, ch. 15).

Il ressort dès lors clairement de la teneur des documents précités que le marché litigieux était subdivisé en trois lots distincts dont les critères d'adjudication différaient (tant au niveau du critère lui-même que de la pondération de chacun d'eux), chacun pouvant par ailleurs être adjugé en tout ou partie à un ou plusieurs soumissionnaires. Dès lors, en présentant une offre globale pour les trois lots, tant au niveau du prix que du montant des primes d'assurance, la recourante n'a pas respecté les exigences de l'appel d'offres en cause. D'une part, elle n'a pas entièrement complété le formulaire d'offre A s'agissant des lots nos 2 et 3, ceux-ci ne contenant pas le montant annuel des primes. D'autre part, en s'abstenant d'individualiser le montant de son offre, elle a rendu impossible l'évaluation individuelle de chaque lot et un classement par lot comme cela était pourtant prévu par le cahier de soumission. La recourante relève qu'il était possible d'évaluer chacune des offres concurrentes et d'opposer la meilleure combinaison entre celles-ci et son offre globale. Or, son raisonnement ne saurait être suivi. D'une part, celui-ci part de la prémisse erronée que toutes les offres devaient être analysées en fonction de la sienne. D'autre part, cette manière de procéder ne permettait en aucun cas de déterminer quel soumissionnaire avait proposé la meilleure offre pour chacun des lots, étant précisé que les autres concurrents avaient tous soumissionné pour un voire deux lots maximum. Enfin, par cette manière de procéder, l'offre de la recourante n'aurait pas non plus permis d'aboutir à la conclusion de trois contrats distincts pour chacun des lots, comme cela était pourtant prévu par le cahier des charges.

La teneur de la précision apportée par la recourante sur le formulaire d'offre B pout les lots nos 2 et/ou 3 - soit que l'incompatibilité de ses « dispositions d'underwriting » avec une répartition en trois lots distincts l'avait amenée à formuler une offre globale semble confirmer qu'elle était consciente de ne pas se conformer en tous points à ce qui était demandé, mais qu'elle souhaitait apporter une justification à sa manière de soumissionner.

C'est par ailleurs à tort que la recourante expose que la description du marché et sa division en trois lots démontraient qu'il s'agissait bien d'un marché dans son ensemble, avec l'intention du pouvoir adjudicateur de l'adjuger dans sa globalité, mais pas nécessairement à un seul et même assureur. Il ressort au contraire du chiffre 14.4 du cahier de soumission que l'autorité adjudicatrice avait expressément réservé la possibilité de s'abstenir d'allouer certains lots.

Par conséquent, c'est à bon droit que l'offre de la recourante a été exclue en application de l'art. 42 al. 1 lit. a RMP.

7.7) La recourante semble par ailleurs critiquer la méthode d'évaluation des offres mise en place par le pouvoir adjudicateur, celle-ci indiquant notamment dans son mémoire de recours qu'il appartenait à ce dernier de choisir une méthode d'évaluation adéquate et qu'elle ne pouvait pas être pénalisée par une possible difficulté d'application de ladite méthode.

Or, le soumissionnaire qui entend contester la définition, la pondération ou le manque de précisions des critères d'adjudication doit le faire, pour des raisons de bonne foi, dans le cadre de l'appel d'offres et non au moment de la décision d'adjudication, sans quoi il est forclos (ATF 130 I 241 consid 4.2 ; ATA/307/2019 du 26 mars 2019 consid. 6b ; ATA/1443/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4e et les références citées).

Ainsi, si la recourante souhaitait contester la méthode d'évaluation des critères d'adjudication, et a fortiori des offres, retenues par le pouvoir adjudicateur, elle aurait dû recourir contre l'appel d'offres. Il n'est plus possible, dans le cadre d'un recours contre une décision d'adjudication ou d'exclusion, de remettre en question les éléments de l'appel d'offres et les options prises dans ce cadre par le pouvoir adjudicateur.

En conséquence, ce grief est ainsi tardif.

Mal fondé, le recours contre la décision d'exclusion sera rejeté.

8.8) Le recours de la recourante porte également sur la décision d'interruption du marché public qu'elle conteste au motif qu'elle serait insuffisamment motivée et qu'elle ne reposerait pas sur de justes motifs.

Il ressort de la jurisprudence précitée que le soumissionnaire peut recourir contre une décision d'interruption du marché et prétendre à un dédommagement. Or, comme susmentionné, la recourante a été exclue à raison du marché litigieux. Dès lors qu'elle ne fait plus partie de la procédure d'adjudication, elle ne pourrait tirer aucun intérêt juridique ou de simple fait quant à l'éventuelle admission de son recours contre la décision d'interruption. Ce dernier doit dès lors être déclaré irrecevable, faute d'intérêt digne de protection.

9.9) La recourante conclut enfin à ce qu'il soit constaté que son offre était économiquement la plus favorable ainsi qu'à l'adjudication du marché litigieux.

Dès lors que la recourante a été exclue du marché, que ledit marché a été interrompu et qu'elle ne bénéficie pas de la qualité pour recourir contre ladite décision, ces conclusions n'ont dès lors plus d'objet.

10.10) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la ville qui y a également conclu mais dispose de son propre service juridique et est donc apte à procéder par elle-même (ATA/1808/2019 du
17 décembre 2019 consid. 11 ; ATA/492/2018 du 22 mai 2018 consid. 18).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 26 septembre 2019 par A______ contre la décision de la Ville de Genève - centrale municipale d'achat et d'impression - du 13 septembre 2019, en tant qu'il concerne la décision d'interruption du marché ;

rejette, en tant qu'il est recevable, le recours interjeté le 26 septembre 2019 par A______ contre la décision ville de Genève - centrale municipale d'achat et d'impression - du 13 septembre 2019, en tant qu'elle concerne la décision d'exclusion ;

met à la charge d'A______ un émolument de
CHF 1'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure à la Ville de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n'est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s'il soulève une question juridique de principe ;

- sinon, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Richard Calame, avocat de la recourante, à
Me Michel D'Alessandri, avocat de la Ville de Genève - centrale municipale d'achat et d'impression -, ainsi qu'à la commission fédérale de la concurrence (COMCO).

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mmes Krauskopf et Cuendet, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Meyer

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :