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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/231/2020

ATA/346/2020 du 07.04.2020 sur DITAI/66/2020 ( DOMPU ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/231/2020-DOMPU ATA/346/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 avril 2020

 

dans la cause

 

VILLE DE GENÈVE

contre

M. A______
représenté par Me Michael Lavergnat, avocat

 



EN FAIT

1) M. A______ est administrateur de la société B______ SA (auparavant C______ SA) depuis fin 2004.

B______ SA est notamment propriétaire du café-restaurant D______, à l'adresse ______-______ rue E______ à Genève, ouvert en 1997.

M. A______ est depuis 2017 l'exploitant du D______, aux termes d'une autorisation délivrée le 3 octobre 2017 par le Service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN).

2. M. F______, précédent exploitant du D______, s'était vu délivrer le 6 octobre 2016 par le Service de la sécurité et de l'espace publics de la ville de Genève (ci-après : SEP) une permission valable du 1er mars au 31 octobre pour installer une terrasse d'été divisée en quatre sections de 13.80 m2, respectivement 23.00 m2, 13.89 m2 et 12.50 m2, disposées sur le quai piétonnier E______ longeant le Rhône en regard de différentes vitrines. La permission était reconductible d'année en année, par installation de la terrasse. La permission arrêtait notamment un cadre horaire et rappelait que les chauffages de terrasse étaient interdits, sauf autorisation expresse du service cantonal de l'énergie.

3) Le 6 octobre 2016 toujours, M. F______ s'était également vu délivrer par le SEP une permission à l'année pour installer une terrasse de 12.56m2 contre la façade de la rue du Rhône 7, et deux terrasses de 19.14 m2 et 44.55 m2 sur le quai piétonnier E______ longeant le Rhône, contre la rambarde. La permission était reconductible d'année en année et aucun chauffage ne pouvait être installé sans l'accord du service cantonal de l'énergie.

4) La terrasse à l'année exerçait une emprise sur une longueur de 19.30 m le long du quai piétonnier E______, correspondant à la devanture du D______ côté Rhône, et les terrasses d'été s'ajoutaient de part et d'autre avec une emprise de 9.06 m en aval et 11.40 m en amont.

5) Le 7 novembre 2018, le SEP avait constaté que six tentes bulles en plastique tendu sur armature étaient posées le long du quai E______, contre la rambarde, sur un tapis vert de moquette synthétique. Les tentes avaient été installées sans demande préalable et le tapis vert débordait largement de la limite du périmètre alloué. Des câbles et un coffret électriques étaient installés sans demande préalable et sans certificat de conformité.

6) Le 12 novembre 2018, le SEP avait indiqué à M. F______ (recte : M. A______) étudier la demande de conversion de terrasse d'été en terrasses à l'année.

Le SEP ajoutait avoir constaté la présence de six tentes bulles non autorisées et demandait qu'une demande lui soit soumise avant le 30 novembre 2018 pour pouvoir statuer à leur sujet.

7) Le 23 novembre 2018, M. A______ a indiqué au SEP qu'il ignorait qu'une autorisation était nécessaire pour les tentes bulles. Le règlement disposait que l'exploitant pouvait aménager l'espace de manière à abriter le périmètre du vent, et n'interdisait pas d'installer des tentes amovibles.

Il a expliqué que l'installation était prévue jusqu'au 30 avril et s'inscrivait dans le cadre du festival Geneva Lux 2018-2019. Selon la documentation, le montage des tentes était rapide et aisé.

8) Le 27 novembre 2018, le SEP avait constaté que chacune des six tentes bulles était équipée d'un système d'éclairage colorisé et d'un radiateur électrique. Des narguilés étaient par ailleurs apportés aux clients dans les tentes.

9) Le 22 janvier 2019, la commission des monuments, de la nature et des sites du département du territoire (ci-après : CMNS) avait préavisé défavorablement l'installation des tentes bulles sur une terrasse à l'année, car ces éléments nuisaient fortement par leur aspect, leur matérialité, leur éclairage. En général, le caractère de ces dispositifs ne correspondait pas du tout aux qualités patrimoniales de cet emplacement emblématique dans la ville de Genève, et étaient jugées comme très inappropriées. Leur suppression était demandée. La CMNS signalait également l'inadéquation du revêtement de sol couvrant la surface du quai en pavés. Sa suppression était également demandée afin de laisser apparent sous toute la surface de la terrasse, le revêtement en pavés caractéristique du centre de la ville.

10) Le 5 février 2019, la CMNS demandait, pour le prochain renouvellement, même tacite ou automatique, de la permission d'installer une terrasse à l'année, qu'un projet modifié lui soit soumis pour son approbation, de manière exceptionnelle pour cette terrasse située dans une enclave très délicate du point de vue patrimonial dans le plan de site de la rade.

11) Le 9 mai 2019, le SEP avait constaté que les tentes bulles installées l'hiver avaient été retirées, que la terrasse débordait largement du périmètre autorisé sur toute sa longueur et sur les deux extrémités, que deux coffres étaient posés hors du périmètre autorisé, qu'un meuble de service alimenté en électricité était installé au centre, que deux boules en osier de très grandes dimension faisant office de tables et bancs étaient posées au milieu de la terrasse, et que des parasols arborant une marque de champagne équipaient les tables.

12) Le 8 novembre 2019, M. A______ a sollicité du SEP une autorisation d'installer à l'année, et plus précisément jusqu'au 30 avril 2020, des tentes bulles en PVC translucide 100% recyclable et normalisé M2, arrimées aux pieds des parasols, équipée chacune d'un ruban LED d'éclairage de faible consommation, alimentés depuis le restaurant. Croisement entre le Pavillon de l'Equilibre, la pyramide du Louvre, et dans le prolongement du Geneva Lux Festival, les bulles offraient également une illumination pour l'hiver, tentant de répondre aux attentes de la clientèle et de la population. L'installation des bulles était conforme au règlement de terrasses, qui précisait que l'exploitant pouvait aménager l'espace de manière que le périmètre soit abrité du vent et confortable pour la clientèle.

13) Le 12 novembre 2019, le SEP a constaté que huit tentes bulles étaient installées sur un tapis vert, et débordaient largement, en longueur et en largeur, du périmètre autorisé des surfaces de la terrasse à l'année, le tapis vert encore plus que les tentes. Les tentes étaient toutes équipées d'un radiateur électrique et de tubes ou guirlandes lumineuses, et toutes les tables à l'intérieur étaient munies d'un cendrier.

14) Le 19 novembre 2019, la CMNS a préavisé favorablement la terrasse à l'année côté rue du Rhône, et, pour quai E______, demandé qu'un passage de 2.00 voire 2.40 m soit laissé libre entre la façade et la terrasse, ce qui semblait adéquat s'agissant d'une terrasse de 40 m dont 18 m seulement correspondaient à la façade de l'établissement.

Le même jour, la CMNS a préavisé défavorablement l'installation de tentes bulles sur la terrasse à l'année, pour les motifs développés dans le précédent préavis négatif du 22 janvier 2019.

15) Le 3 décembre 2019, le SEP a refusé d'octroyer la permission sollicitée par M. A______.

Le SEP devait recueillir le préavis de la CMNS. Celui-ci était négatif, de sorte que la permission était refusée.

Le SEP avait par ailleurs appris que les tentes avaient été installées sans autorisation, et enjoignait à M. A______ de les retirer immédiatement de la terrasse, mais au plus tard le 6 décembre 2019.

16) Le 9 décembre 2019, le SEP a constaté que les huit tentes bulles et le tapis vert étaient toujours installés sur le quai, mais qu'il n'y avait plus ni radiateurs électriques ni cendriers, et que des adhésifs portant un pictogramme interdit de fumer étaient apposés sur toutes les tentes.

17) Le 16 décembre 2019, le SEP a constaté que les tentes étaient équipées d'éclairages rouges ou bleus. Il n'y avait toujours ni radiateurs électriques ni cendriers.

18. Le 16 décembre 2019, le SEP a infligé à M. A______ une amende administrative de CHF 1'000.- pour occupation illicite du domaine public.

19. Par acte déposé au greffe du tribunal administratif de première instance
(ci-après : TAPI) le 20 janvier 2020, M. A______ et D______ ont recouru contre les décisions du 3 décembre 2019 refusant la permission et ordonnant l'enlèvement, et du 16 décembre 2019 infligeant l'amende de CHF 1'000.-.

L'exploitation d'une terrasse à Genève en hiver sans abris ni chauffage était tout simplement illusoire, et sans tentes le recourant était dans l'impossibilité d'exploiter sa terrasse en hiver.

La CMNS n'avait aucune compétence pour préaviser une autorisation de terrasse.

Un projet alternatif soumis par le recourant au SEP avait été rejeté le 13 janvier 2020.

Au-delà des tracasseries procédurales, M. A______ peinait à saisir les fondements du préavis de la CMNS et la politique de la Ville en matière de cloisonnement et d'empiètement. Les établissements G______ et H______ possédaient des terrasses entièrement fermées, et les tentes n'étaient pas plus condamnables que les baraques de glaciers de la rade, la grand roue ou encore les baraques à frites. Les tentes bulle avaient trouvé grâce sur les terrasses d'hiver de palaces à Bordeaux, Monaco ou Paris.

L'autorité intimée était de mauvaise foi. Elle connaissait l'état de fait de la procédure depuis le 7 novembre 2018. Des précisions au sujet des tentes bulles avaient été fournies le 23 novembre 2018, et la CMNS avait émis un préavis défavorable le 22 janvier 2019. Le recourant avait par la suite activement relancé la Ville pour discuter d'une autorisation, sans résultat, jusqu'à ce que le sep rejette abruptement la demande et ordonne l'enlèvement des tentes sous deux jours.

La CMNS n'était pas compétente pour préaviser l'installation des tentes bulles car celles-ci ne constituaient pas des constructions, ni des procédés de réclame ni d'éclairage de façade.

Un article de presse laissait par ailleurs entrevoir que le SEP avait fait preuve de partialité en défaveur du recourant.

La décision de refus n'était pas motivée, mais s'appuyait uniquement sur le préavis de la CMNS.

Enfin, si le règlement sur les terrasses restreignait bien la gamme du mobilier, c'était uniquement pour les terrasses d'été. Pour les terrasses d'hiver, seul l'art. 20 était applicable, qui permettait à l'exploitant d'aménager l'espace dévolu pour protéger sa clientèle contre les intempéries.

Les cendriers n'étaient posés que pour permettre à la clientèle de se débarrasser de ses mégots et chewing-gums.

L'égalité de traitement était violée, puisque des containers maritimes étaient par exemple tolérés à la rotonde du Mont-Blanc ou encore un marché de Noël hétéroclite au parc des Bastions. La décision était disproportionnée : l'autorité avait rejeté sans explication un projet alternatif, elle avait intimé un délai de deux jours pour l'enlèvement, et sa mesure contraignait M. A______ à licencier trois employés, tout cela sur la base du simple caprice d'un membre de la CMNS. La décision était même arbitraire.

L'effet suspensif devait être restitué. La décision avait un contenu positif dans la mesure où elle ordonnait le retrait des huit tentes bulles. Dans la pesée des intérêts à accomplir, il fallait tenir compte de l'abstention de l'autorité administrative durant un an, du caractère abrupt de sa décision de refus et des conséquences de celle-ci.

20. Le 31 janvier 2020, le SEP s'est opposé à la restitution de l'effet suspensif.

Une réunion avait eu lieu sur place le 1er mars 2019, après les préavis négatifs de la CMNS des 22 janvier et 5 février 2019, au cours de laquelle il avait été redit à M. A______ que l'installation des tentes était inadéquate.

M. A______ avait répondu le 2 avril 2019, demandant à pouvoir laisser les tentes bulles pour les saisons d'hiver.

Le 4 octobre 2019, le SEP, se référant à l'intention de M. A______ de réinstaller les tentes bulles, avait attiré l'attention de ce dernier sur la demande de la CMNS d'être consultée et lui avait demandé un dossier complet « avant toute installation de bulles transparentes ».

Le SEP avait communiqué à M. A______ les bases légales de l'intervention de la CMNS le 4 novembre 2019.

Alors que la demande était en cours d'instruction, le SEP avait découvert le 12 novembre 2019 que les tentes bulles étaient installées.

Une séance organisée sur place à la demande de M. A______ le 12 décembre 2019 n'avait pas permis de trouver une solution consensuelle.

Le projet alternatif évoqué par M. A______ consistait en quelques ajustements mineurs en échange d'un sursis à l'ordre d'enlèvement. M. A______ indiquait que l'établissement fermerait ensuite pour travaux deux ou trois ans, et qu'aucune autorisation ne serait demandée.

Les tentes étaient toujours en place.

21. Par décision du 4 février 2020, le TAPI a admis la requête de restitution de l'effet suspensif de M. A______.

La décision entreprise était de double nature. Elle avait un contenu négatif en tant qu'elle refusait de délivrer la permission requise, et un contenu positif en ce qu'elle ordonnait le retrait des tentes bulles.

C'était sous l'angle de la restitution de l'effet suspensif que la requête devait être traitée et non sous l'angle des mesures provisionnelles.

L'autorité avait dérogé à la règle générale posée par l'art. 66 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10).

L'intérêt de M. A______ d'exploiter sa terrasse en hiver et de ne pas licencier ses employés était manifestement important.

La question de la non-conformité au droit de l'installation des tentes, invoquée par le SEP, devait précisément être examinée avec le fond du recours, de même que la justification de la remise en état ordonnée par l'autorité.

La restitution de l'effet suspensif ne rendait pas illusoire le contrôle auquel le juge devait procéder, puisque M. A______ entendait installer les tentes bulles également dans le futur.

L'autorité intimée ne pouvait faire valoir d'intérêt public prépondérant au maintien de l'état de fait le temps de la procédure, soit une mise en danger grave et imminente d'intérêts publics importants, alors que les tentes avaient déjà été installées et tolérées la saison précédente.

22. Par acte remis au greffe de la chambre administrative de la cour de justice (ci-après : la chambre administrative) le 17 février 2020, le SEP, soit pour lui la Ville de Genève, a recouru contre la décision du TAPI du 4 février 2020, et conclu à son annulation et à la confirmation du caractère exécutoire nonobstant recours de la décision du SEP du 3 décembre 2019.

Si M. A______ avait observé la procédure d'autorisation, la Ville n'aurait pas été contrainte d'ordonner le retrait immédiat des tentes bulles.

La restitution de l'effet suspensif permettait à M. A______ de continuer à profiter d'une situation illégale qu'il avait volontairement créée. Elle avait de graves conséquences car elle entraînait le maintien, au vu de la population et des professionnels, d'une installation illégale, non conforme et préavisée négativement dans un secteur protégé de l'hypercentre. Elle privait la Ville de la possibilité de faire cesser immédiatement des situations abusives de son domaine public, et encourageait les administrés à procéder à des installations sauvages.

La jurisprudence constante en matière d'établissements publics, applicable par analogie, visait à empêcher qu'un exploitant bénéficie par le biais de mesures provisionnelles d'un régime juridique dont il n'avait pas bénéficié auparavant.

Le refus d'octroi avait un contenu négatif.

Le retrait de l'effet suspensif n'était pas soumis à des conditions restrictives.

L'illicéité de la situation ne résultait pas de la non-conformité des tentes aux prescriptions, mais du fait qu'elles avaient été installées sans autorisation.

Les intérêts publics l'emportaient sur l'intérêt de M. A______ à maintenir les tentes bulles.

23. Le 21 février 2020, le TAPI a indiqué que l'installation des tentes sans permission n'était pas contestée par M. A______, et qu'il n'y avait pas de raison de déroger à la règle de l'art. 66 al. 1 LPA. La Ville elle-même avait admis avoir toléré les tentes le temps d'examiner la demande d'autorisation. Le recours ne pouvait d'emblée être considéré comme dépourvu de toute chance de succès.

24. Le 3 mars 2020, M. A______ a conclu à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours.

La Ville avait laissé faire pensant une année et avait finalement laissé les propos d'un journaliste lui dicter sa politique, et des décisions précipitées.

Le litige portait sur la conformité de la terrasse, non sur son autorisation.

La Ville était engagée dans une procédure de régularisation, et avait attendu le dépôt d'une demande formelle pour la rejeter.

Accorder l'effet suspensif revenait à surseoir à l'exécution d'une décision de remise en état.

Le TAPI avait retenu à bon droit que l'exécution immédiate de la décision pourrait rendre illusoire le contrôle auquel le juge doit procéder, compte tenu que le restaurant fermerait pour travaux. Faute con contrôle par le juge, la Ville conserverait un parfait blanc-seing pour ériger en certitudes ses approximations juridiques.

25. Sur ce la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vues (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) L'objet du recours porte uniquement sur le bien-fondé de la décision du TAPI de restituer l'effet suspensif au recours de M. A______ contre l'injonction d'enlever les tentes bulles.

3) a. Aux termes de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

Aux termes de l'art. 4 al. 2 LPA, sont également considérées comme décisions les décisions incidentes.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1). L'intérêt invoqué, qui n'est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, mais qui peut être un intérêt de fait, doit se trouver, avec l'objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération (ATF 143 II 512 consid. 5.1).

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1).

En matière de décisions incidentes, l'art. 57 let b. LPA dispose que sont susceptibles d'un recours les décisions incidentes si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

Lorsque l'autorité dont la décision est attaquée recourt contre la décision incidente du premier juge, c'est l'intérêt public à l'exécution de sa décision qui réalise la condition du préjudice irréparable (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n° 666).

c. Selon l'art. 56 de la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes - L 1 10), toute utilisation des voies publiques qui excède l'usage commun doit faire l'objet d'une permission ou d'une concession préalable, conformément à la présente loi et aux dispositions de la loi sur le domaine public (al. 1) ; est notamment visé tout empiétement, occupation, travail, installation, dépôt ou saillie sur ou sous la voie publique dont les modalités sont fixées par le règlement d'application (al. 2).

Selon l'art. 57 al. 1 LRoutes, c'est à l'autorité communale qu'il revient d'accorder les permissions s'il s'agit d'une voie communale et à l'autorité cantonale dans tous les autres cas. L'alinéa 3 de la même disposition prévoit que l'autorité compétente peut assortir de conditions et même refuser les permissions d'occupation de la voie publique ou d'exécution de travaux qui peuvent être une cause de gêne ou de danger pour la circulation publique (notamment rues étroites) ainsi que pour tout autre motif d'intérêt général. Il en est de même pour tout objet ou installation sur la voie publique qui, par sa couleur, ses dimensions, son éclairage, sa forme ou le genre de sujets représentés, peut nuire au bon aspect d'une localité, d'un quartier, d'une voie publique, d'un site ou d'un point de vue.

d. En l'espèce, la décision attaquée est une décision incidente.

Il est de la compétence et de la responsabilité de la recourante de veiller que l'usage accru du domaine public par un administré ne mette notamment pas en danger la circulation et la sécurité des usagers du domaine public.

Afin de pouvoir mener à bien cette tâche, la recourante doit pouvoir ordonner au besoin le caractère exécutoire nonobstant recours de ses décisions, en vue de faire rétablir sans délai un état de la voie publique qui lui paraît illicite ou dangereux. La restitution de l'effet suspensif au recours peut ainsi avoir pour effet de maintenir une situation illicite ou dangereuse, et est ainsi de nature à créer à la recourante un préjudice irréparable dans la réalisation des objectifs de sécurité que la loi lui impartit, de sorte que celle-ci poursuit bien un intérêt public et possède partant un intérêt propre et actuel à recourir contre cette décision incidente.

Le recours est donc recevable.

4) La recourante soutient que le TAPI aurait dû traiter la demande de M. A______ sous l'angle des mesures provisionnelles et non sous celui de la restitution de l'effet suspensif.

a. L'effet suspensif a pour but de maintenir le régime juridique prévalant avant une décision contestée (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n° 821).

b. Le régime juridique qui prévalait lorsque la recourante a refusé l'autorisation n'était pas celui d'une autorisation d'installer des tentes bulles -- qui aurait été comprise dans l'autorisation de terrasse à l'année et qui se serait renouvelée automatiquement d'une année à l'autre par l'exercice de son droit par l'attributaire -- mais de l'absence d'autorisation d'installer les tentes bulles.

c. L'intimé explique certes avoir ignoré que l'installation des tentes bulles nécessitait une autorisation. Il expose avoir cru de bonne foi que les dispositifs de protection contre le vent ordinairement permis sur une terrasse incluaient les tentes bulles.

L'intimé ne peut être suivi. À ce stade et sans préjuger sur le fond, les tentes bulles constituent en effet des structures particulières et volumineuses, en forme de demi-sphères en plastique posées sur des arceaux et pouvant accueillir les consommateurs dans un espace presque entièrement clos. À première vue, telle structure fermée se rapproche plus d'une véranda (« galerie vitrée contre une maison » -- Petit Robert, éd. 2017) que d'une terrasse (« emplacement sur le trottoir où l'on dispose des tables et des chaises pour les consommateurs, devant un café, un restaurant. » -- ibid.), laquelle est par principe en plein air. À première vue, un espace clos pourrait certes être disposé sur une terrasse ou en terrasse, mais ne saurait en tout cas être conçu de bonne foi comme étant compris dans le concept de terrasse. Pas plus les tentes bulles ne sauraient-elles, prima facie, être assimilées à des parasols, fréquents sur les terrasses et assimilés à ces dernières, lesquels sont constamment amovibles et déployables, et ont pour fonction principale de protéger du soleil, accessoirement de la pluie, mais non du froid et des intempéries hivernales.

L'intimé explique encore qu'il avait installé les mêmes tentes bulles l'hiver précédent et avait demandé au SEP une permission, sans toutefois obtenir de réponse.

Cet argument est dépourvu de portée. Le SEP instruisait la demande de permission au début de l'année 2019, la CMNS avait préavisé négativement l'octroi de la permission en janvier puis en février 2019, et le SEP avait indiqué à l'intimé le 1er mars que l'installation des tentes était inadéquate. Le SEP avait encore rappelé le 4 octobre 2019 à l'intimé que les tentes ne pouvaient être installées sans permission préalable. L'intimé ne pouvait donc inférer de bonne foi de l'attitude de l'autorité qu'elle autorisait par son silence l'installation des bulles.

Quant au fait que la recourante n'a finalement pas répondu à la première demande de permission, il peut s'expliquer par le fait que l'échéance de la période d'installation prévue (avril 2019) approchait alors que l'instruction était en cours, et que le démontage des tentes avait par la suite rendu la demande de permission sans objet. L'intimé ne pouvait en tout cas en inférer de bonne foi que la permission lui était acquise.

Le fait que la recourante n'a pas ordonné l'enlèvement des tentes durant l'hiver 2018-2019 ne saurait, pareillement, être compris de bonne foi comme une tolérance. L'instruction de la première demande était en effet en cours, et l'échéance de la période d'installation prévue était proche. L'autorité avait réaffirmé début mars 2019 que l'installation était inadéquate.

L'intimé ne pouvait donc à aucun moment croire de bonne foi qu'il était au bénéfice d'une autorisation, ni même d'une tolérance. Au contraire, il connaissait les préavis défavorables de la CMNS, il avait été averti de ne pas installer les tentes sans autorisation, et le SEP, après avoir constaté la mise en place sans autorisation, a précisément refusé la permission le 3 décembre 2019.

d. La situation juridique prévalant lors du refus du 3 décembre 2019 et ultérieurement lors du recours de la Ville de Genève était donc celle de l'absence de toute autorisation, et partant d'une installation illicite.

5) La décision attaquée retient d'abord que la décision du SEM est de double nature : négative dans son refus de la permission et positive dans son injonction de retirer les tentes bulles. Elle procède ensuite à une pesée des intérêts qui la conduit à restituer l'effet suspensif au recours de M. A______.

a. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision (GRODECKI/JORDAN, op. cit., n° 847).

b. En l'espèce, la décision de refus de permission -- qui est l'objet principal de la présente procédure -- constitue en effet une décision négative, comme l'a relevé le TAPI. La restitution de l'effet suspensif au recours contre cette décision aurait pour effet de faire obtenir à l'intimé la permission qu'il sollicite avant même l'examen du fond, soit des conditions de son octroi, et c'est à bon droit que la décision attaquée l'a exclu.

L'injonction de retrait des tentes bulles constitue une décision positive, ou formatrice. Elle a pour objectif le rétablissement de la situation préexistant à l'installation des tentes bulles, en l'absence d'autorisation. Déclarée exécutoire nonobstant recours, elle poursuit un intérêt public, et même un objectif de police s'agissant de la sécurité et de l'usage du domaine public.

La décision de restituer l'effet suspensif au recours contre cette injonction ne peut avoir pour objectif et pour effet que de préserver la situation juridique antérieure.

Or la situation juridique antérieure était l'absence d'autorisation, et l'impossibilité objective pour l'intimé de croire de bonne foi qu'il pouvait alors installer les tentes bulles. Il ne peut, en d'autres termes, être considéré prima facie que l'intimé pouvait avoir le droit d'installer les tentes bulles au moment où il les a disposées -- et ceci indépendamment de toute considération sur le bien-fondé du recours contre le refus ultérieur de permission.

Ainsi la restitution de l'effet suspensif a-t-elle pour effet, dans le cas d'espèce, non pas de rétablir la situation juridique antérieure, mais au contraire de consacrer une situation illicite et de conférer matériellement à l'intimé la permission qu'il sollicite avant même l'examen du fond de son recours contre le refus -- ce qui revient par ailleurs à accorder l'effet suspensif au recours contre le refus de permission.

c. Le maintien d'une situation illicite ne peut être invoqué à l'appui de la restitution de l'effet suspensif au recours, et il n'y avait ainsi pas lieu, dans ces circonstances, de procéder à une pesée d'intérêts.

On peut toutefois observer que les inconvénients liés à l'enlèvement étaient de peu de poids selon l'intimé lui-même, qui a expliqué que les tentes pouvaient être montées et démontées aisément, en une heure environ. Quant à la préservation de l'emploi directement lié à l'exploitation d'une installation illicite, elle ne saurait être prise en compte.

Par comparaison, l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit, garantissant le mouvement et la sécurité des usagers du domaine public dans l'attente d'une décision définitive sur la demande de permission, apparaît en l'espèce prépondérant.

d. C'est ainsi à tort que la décision attaquée a restitué l'effet suspensif au recours contre l'injonction de démonter les tentes bulles.

Le recours sera admis et la décision restituant l'effet suspensif sera annulée.

6) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de l'intimé, qui a conclu au rejet du recours et qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) ; la Ville de Genève n'ayant pas pris de conclusions sur ce point, aucune indemnité ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 janvier 2020 par la Ville de Genève, agissant pour le service de la sécurité et de l'espace publics, contre la décision du tribunal administratif de première instance du 4 février 2020;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du tribunal administratif de première instance du 4 février 2020 restituant l'effet suspensif au recours formé par M. A______ ;

met à la charge de M. A______ un émolument de procédure de CHF 1'000.- ;

dit qu'aucune indemnité de procédure n'est allouée ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à la Ville de Genève ainsi qu'à Me Michael Lavergnat, avocat de M. A______.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Verniory et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. Cardinaux

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :