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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3654/2019

ATA/332/2020 du 07.04.2020 ( PROF ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3654/2019-PROF ATA/332/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 avril 2020

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE L'EMPLOI ET DE LA SANTÉ

 



EN FAIT

1) La société de sécurité en nom collectif B____________ (ci-après : l'entreprise) a pour but de fournir toute prestation, notamment dans le domaine de l'analyse de profils, de l'analyse criminelle, détective privé, garde du corps et de sécurité, école de détectives privés.

Elle a pour associées Mesdames A______ et C______, toutes deux domiciliées en France.

Mme A______ (ci-après : Mme A______) a été autorisée par le département de la sécurité, devenu depuis lors le département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (ci-après : le département) à exploiter cette entreprise de sécurité du 6 novembre 2012 au 5 novembre 2016.

2) Le 15 juin 2016, Mme A______ a demandé le renouvellement de son autorisation d'exploitation.

3) a. Le 1er juillet 2016, le service des armes, explosifs et autorisations (ci-après : SAEA) de la police genevoise a demandé à l'intéressée de lui transmettre un acte de naissance, l'assurance responsabilité civile (ci-après : RC) de l'entreprise ainsi que la carte d'autorisation originale, à renouveler.

b. Le 17 août 2016, le SAEA a réitéré sa demande, concernant l'acte de naissance de l'intéressée et la production de la carte d'autorisation originale.

c. Le 25 août 2016, le SAEA a accusé réception de l'attestation d'assurance RC. Cependant, la somme assurée devait être de cinq millions de francs suisses.

Un courrier similaire a été adressé à l'intéressée le 1er septembre 2016 ; elle avait fait parvenir une attestation RC qui était imprécise.

4) Le 1er novembre 2016, la demande a été complétée par l'intéressée et le SAEA a pu entreprendre son enquête administrative.

5) Les 11 janvier, 20 et 21 février 2017, Mme A______ et le SAEA ont échangé des courriers. Mme A______ demandait à ce que la carte, renouvelée, lui soit transmise. Le SAEA a répété sa demande d'informations complémentaires afin d'obtenir les renseignements du fichier du traitement des antécédents judiciaires, puis de le transmettre au SAEA avec les éventuelles ordonnances de condamnation mentionnées.

6) Le 19 juin 2018, le SAEA a accusé réception d'un courrier de l'entreprise, datant du 18 juin 2018 et ne figurant pas au dossier. Il lui était demandé de faire parvenir une nouvelle demande concordataire dûment remplie avec tous les documents requis.

Le 17 octobre 2018, le SAEA a à nouveau écrit à l'entreprise. Il avait reçu un courrier le 3 octobre 2018, document ne figurant pas à la procédure. Il était à nouveau demandé à l'entreprise de transmettre la demande concordataire dûment remplie ainsi que les documents usuels.

7) Le 7 mars 2019, un dossier complété a été remis, étant précisé que le casier judiciaire suisse n'a été transmis que le 20 mars 2019.

8) a. Le 5 juin 2019, la brigade des armes, de la sécurité privée et des explosifs a procédé à l'audition de l'intéressée.

Elle n'avait pas exercé la fonction de cheffe d'agence de sécurité depuis qu'elle n'avait plus d'autorisation et du temps avait été nécessaire pour réunir le dossier de prolongation.

Elle exerçait une activité de cheffe d'exploitation d'une entreprise hippique, se trouvant à D______. Elle y gérait l'organisation, la comptabilité, l'entrée et la sortie du personnel, et la gestion du stock, et s'y rendait le week-end.

D'autre part, elle était médecin-psychiatre, exerçant en tant que psychothérapeute, étant souvent sollicitée lors de procédures pénales. Elle travaillait ainsi à E______ deux après-midi par semaine. Les mardi et vendredi, elle venait à Genève où elle travaillait pour l'entreprise. Depuis qu'elle ne pouvait plus exercer en qualité de cheffe d'entreprise, elle avait une activité de détective privée pendant cinq à six heures par semaine. Elle effectuait principalement des enquêtes conjugales. Elle ne demandait pas à ses agents de porter des armes, mais ne leur interdisait pas s'ils étaient titulaires d'une autorisation de port d'armes. La dernière mission de protection rapprochée qu'elle avait effectuée datait de 2015. Elle avait engagé des personnes pour effectuer des missions d'agents de sécurité et de protection rapprochée, qu'elle avait formées si elles n'avaient pas d'expérience dans le domaine. Elle n'avait pas de gros mandats.

À Genève, elle louait un bureau pour un loyer de CHF 1'600.- sans les charges. Lorsqu'elle aurait à nouveau l'autorisation d'exploiter l'entreprise, elle passerait les deux tiers de son temps à Genève, diminuant son taux de travail comme médecin et exerçant accessoirement son travail de détective privé.

b. Au cours de la suite de l'audition, Mme A______ a convenu que les agents de sécurité qu'elle avait engagés n'avaient pas été enregistrés auprès des autorités genevoises. Elle n'avait jamais fait valider par l'autorité le matériel utilisé par les agents de sécurité.

9) Le 12 août 2019, le département de la sécurité, de l'emploi et de la santé
(ci-après : DSES) a informé l'entreprise qu'il considérait qu'elle ne remplissait pas les conditions posées à la délivrance de l'autorisation d'exploiter et qu'il envisageait de rejeter sa demande d'autorisation du 7 mars 2019. De plus, une amende administrative pourrait lui être infligée.

Elle n'avait pas de domicile à Genève et avait varié dans ses déclarations quant au rythme de passage dans cette ville. Elle avait, au cours de son audition, reconnu de nombreuses violations du Concordat sur les entreprises de sécurité et indiqué que certaines démarches étaient trop compliquées pour elle. L'entreprise n'offrait pas les garanties concernant le respect des dispositions régissant l'activité et, de plus, Mme A______ avait des activités annexes incompatibles avec la responsabilité de chef d'une telle entreprise.

10) Par courrier daté du 16 août 2019 et reçu par le DSES le 27 août 2019, Mme A______ a contesté les termes du pli qu'elle venait de recevoir et maintenu sa demande. L'audition du 5 juin 2019 et le procès-verbal tenu n'avaient pas été réguliers dès lors qu'ils ne rappelaient pas les motifs de l'audition et ne mentionnaient pas toutes les questions auxquelles elle avait répondu.

Elle avait sollicité le renouvellement de son autorisation concordataire avant l'arrivée à échéance de la carte d'autorisation dont elle était titulaire.

Il n'y avait pas de base légale, dès lors qu'il n'avait pas de mandat. Elle n'avait pas reconnu fournir des uniformes, dès lors que ses agents ne portaient pas d'uniformes. Elle n'avait pas varié dans les indications données sur ses passages à Genève.

11) Par décision du 3 septembre 2019, reprenant les motifs exposés dans le courrier du 12 août 2019, le DSES a refusé de délivrer à Mme A______ l'autorisation d'exploiter l'entreprise.

12) Par acte mis à la poste le 1er octobre 2019 et reçu par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) le lendemain, Mme A______ a recouru contre la décision précitée, concluant à ce que la chambre administrative sanctionne « l'acte irrégulier du 3 septembre 2019 ». Elle reprenait les éléments exposés lors de l'exercice du droit d'être entendu, lesquels seront repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

13) Le 4 décembre 2019, le département a conclu au rejet du recours. Il avait fondé sa décision sur le dossier complet déposé par la recourante le 7 mars 2019. Lors de son audition, Mme A______ avait admis avoir eu recours à des services d'agents accrédités auprès d'autres entreprises, sans respecter les décisions régissant la sous-traitance. On pouvait comprendre qu'elle avait aussi engagé des personnes sans papier ou sans emploi et sans expérience sans la profession. Elle n'avait jamais fait de démarches pour accréditer ses agents. La formation de ces derniers laissait à désirer. L'ensemble de ces éléments permettait d'admettre qu'elle ne respectait pas la condition d'honorabilité exigée pour disposer de cette autorisation.

De même, l'absence de respect des dispositions concordataires et le fait que la recourante ne les connaissait pas ne permettaient pas d'admettre que le respect du droit était garanti. Au surplus, ces nombreux emplois ne lui permettaient pas d'exercer sa responsabilité avec suffisamment de densité.

14) Le recourante ayant transmis des nouvelles pièces, sans se déterminer, dans le délai qui lui avait été accordé pour exercer son droit à la réplique, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante conteste la forme de l'audition à laquelle elle a été soumise. Elle n'aurait pas été informée de l'autorité qui avait mandaté les auditeurs ; les motifs de l'audition ne lui auraient pas été rappelés et l'intégralité des questions qui lui auraient été posées n'avait pas été protocolée.

L'art. 20 al. 1 LPA prévoit que, pour établir les faits, l'autorité réunit les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires. Elle peut pour ce faire interroger et obtenir des renseignements des parties (art. 20 al. 2 let. b LPA).

L'al. 3 de cette disposition précise que les mesures probatoires effectuées dans le cadre d'une procédure contentieuse font l'objet de procès-verbaux signés par la personne chargée d'instruire le cas échéant par le greffier et, après lecture de leurs dires, par toute personne dont les déclarations ont été recueillies.

En l'espèce, les deux procès-verbaux respectent ces exigences. Chacune des pages porte la signature de la recourante. Les deux procès-verbaux commencent par la mention « je prends note que je suis entendue sur demande du département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (DSES) au sujet de mon honorabilité » et se terminent par l'indication « après lecture, par sa signature, la personne appelée à donner des renseignements confirme la teneur du présent procès-verbal d'audition ».

Dans ces circonstances, les griefs formels développés par la recourante seront écartés.

3) a. Selon l'art. 7 al. 1 let a du concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (CES - I 2 14) une autorisation préalable est nécessaire pour exploiter une entreprise de sécurité ainsi que pour engager du personnel à cet effet. L'autorisation d'exploiter une entreprise n'est délivrée qu'à condition, notamment, que le responsable offre, par ses antécédents, par son caractère et son comportement, toute garantie d'honorabilité concernant la sphère d'activité envisagée (art. 8 al. 1 let. d CES).

L'autorisation d'engager du personnel est accordée, quant à elle, que si l'agent de sécurité ou le chef de succursale répond à un certain nombre de conditions (art. 9 CES).

La commission concordataire concernant les entreprises de sécurité a édicté, le 3 juin 2004, une directive à propos de l'exigence d'honorabilité, disponible à l'adresse internet https://www.ge.ch/document/concordat-entreprises-securite-ses-directives. Pour les infractions qui ne sont pas objectivement graves, l'autorité doit tenir compte des circonstances et du comportement de la personne concernée postérieurement à la condamnation pour procéder à l'évaluation. Selon l'annexe à cette directive, les infractions au CES entrent dans cette catégorie et ne sont pas objectivement graves.

Cette commission a aussi diffusé un vade-mecum afin, notamment lors du renouvellement des autorisations, de préciser les bases nécessaires à l'appréciation des actes répréhensibles commis, des circonstances subjectives et des comportements postérieurs à un acte donné. Selon ce document, lorsque les actes problématiques ont été commis dans les dix ans précédant la requête, il y a lieu de refuser la condition d'honorabilité lorsque deux ou plusieurs actes successifs différents ont été commis dont le dernier date de moins de trois ans et qu'il y a un risque de récidive concret ainsi que lorsque deux ou plusieurs actes successifs de même nature ont été commis dont le dernier dans les cinq ans précédant la requête.

b. L'art. 15A CES institue une obligation de formation des agents d'entreprise de sécurité. L'entreprise doit prodiguer une formation initiale ainsi qu'une formation continue en cours d'emploi et ces formations doivent être certifiées par des tests écrits (al.1). Une directive de la commission concordataire fixe le contenu, les modalités et le contrôle de ces formations (al. 3).

c. Selon l'art. 15B CES, les entreprises de sécurité peuvent sous-traiter des tâches de protection et de surveillance à d'autres entreprises de sécurité (al. 1) pour autant que le mandant y ait donné son autorisation, que le contrat de sous mandat soit passé en la forme écrite et que les entreprises et les agents concernés soient autorisés conformément au CES (al. 2 let a, b et c).

d. L'art. 18 al. 3 CES prévoit que les cartes de visite, le matériel de correspondance et la publicité commerciale de l'entreprise doivent répondre à certaines exigences afin de ne pas faire naître l'idée qu'une fonction officielle est exercée. De même, les uniformes utilisés, le marquage et l'équipement des véhicules doivent être distincts de ceux des polices cantonales et locales (art. 19 CES). L'ensemble de ce matériel doit être soumis pour approbation à l'autorité compétente (art. 20 CES)

e. La recourante a déclaré, lors de son audition, « concernant la protection rapprochée, j'engage des personnes à courte durée, qui ont dans le passé exercé cette fonction ». Elle a précisé qu'elle ne demandait pas à ces agents de porter une arme, mais qu'elle ne les en empêchait pas s'ils le voulaient. Elle engageait des personnes de l'office cantonal de l'emploi pour des durées déterminées, en essayant de reprendre les mêmes collaborateurs. Les agents étaient habillés en noir et ils étaient porteurs d'un badge de l'entreprise, soit une carte avec le nom de l'entreprise et la mention de l'autorisation accordée à la recourante en qualité de cheffe d'entreprise. Elle avait également formé ces personnes, en les recadrant par rapport aux prestations qu'elle souhaitait pour son entreprise. Elle formait, de manière théorique, les agents qui n'avaient jamais exercé la profession et faisait juste une mise au point de ses attentes pour ceux qui avaient de l'expérience. Elle estimait à vingt le nombre de personnes ayant travaillé pour elle en qualité d'agent. Toutes ces personnes étaient accréditées auprès de diverses autres entreprises de la place. Lorsque Mme A______ demandait aux candidats la raison pour laquelle ils postulaient chez elle, dès lors qu'ils avaient un autre employeur, ceux-ci lui répondaient que leur contrat chez l'employeur auprès de qui ils étaient accrédités était arrivé à échéance.

Mme A______ a encore indiqué qu'elle n'avait jamais fait de démarches en vue d'une éventuelle accréditation pour ses agents et qu'elle ne savait pas qu'elle devait les annoncer à l'autorité. Elle n'avait pas pris contact avec les entreprises employant lesdites personnes.

f. Au vu de ses déclarations, il est manifeste que la recourante n'a pas respecté les exigences du concordat s'agissant de la gestion de son personnel. Elle n'a jamais entrepris les démarches nécessaires pour l'engagement du personnel ni celles, cas échéant, pour de la sous-traitance. Elle n'a pas rempli les obligations de formation du personnel que les chefs d'entreprise de sécurité doivent respecter et elle n'a jamais soumis à l'autorité le matériel, même restreint, utilisé par ses agents.

4) Au vu des éléments qui précèdent, l'appréciation de l'autorité intimée selon laquelle la recourante, du fait de son manque de compétences dans la gestion de son entreprise, a commis de nombreuses et réitérées infractions au CES et que dès lors la garantie d'honorabilité nécessaire au renouvellement de l'autorisation d'exploiter une entreprise de sécurité n'est pas assurée, doit être confirmée.

Partant, le recours sera rejeté.

5) Au vu de cette issue, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 1 et al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er octobre 2019 par Madame A______ contre la décision du département de la sécurité, de l'emploi et de la santé du 3 septembre 2019 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Madame A______ un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______, ainsi qu'au département de la sécurité, de l'emploi et de la santé.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Meyer

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :