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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/387/2020

ATA/315/2020 du 31.03.2020 ( PRISON ) , REJETE

Recours TF déposé le 23.04.2020, rendu le 19.05.2020, IRRECEVABLE, 6B_465/2020
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/387/2020-PRISON ATA/315/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 31 mars 2020

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON



EN FAIT

1. Monsieur A______ est détenu à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 17 septembre 2019. Le terme de l'exécution de sa peine privative de liberté est prévu le 7 août 2020.

2. Un incident l'impliquant est survenu le 19 janvier 2020, lors du service de repas du soir ; un agent de détention a entendu des coups contre la porte de la cellule B______, occupée notamment par M. A______ ; lorsqu'il a ouvert la porte, l'agent de détention a constaté que M. A______ se battait avec l'un de ses co-détenus. Les deux détenus impliqués ont été sortis de la cellule.

3. M. A______ a été entendu par le gardien chef adjoint le 20 janvier 2020 à 7h45. Une sanction de deux jours de cellule forte pour violence physique exercée sur un détenu lui a été signifiée.

4. Son co-détenu s'est vu signifier pour ces faits une sanction de trois jours de cellule forte pour les mêmes motifs.

5. Le rapport du gardien chef adjoint mentionnait que les deux détenus en cause reconnaissaient les faits ; M. A______ était mordu au visage et l'autre détenu était griffé au visage.

6. Suite à cette altercation, les deux protagonistes ont été vus par le service médical de la prison.

Selon le constat de lésions traumatiques du 22 janvier 2020, M. A______ a rapporté que son co-détenu l'avait mordu sans raison car il avait ouvert les rideaux. Il a pu être constaté trois plaies au niveau de la joue droite.

Selon constat de lésions traumatiques du 23 janvier 2020, son co-détenu a rapporté que M. A______ avait ouvert le rideau à deux reprises alors qu'il dormait et s'était ainsi senti dérangé par la lumière. Il admettait l'avoir insulté, puis M. A______ l'avait pris par le cou en essayant de l'étrangler, les autres co-détenus essayant de les retenir, sans succès. Par la suite, lui-même l'avait mordu au visage et M. A______ avait riposté. Il a été notamment constaté sur lui des lésions au niveau du visage, soit des dermabrasions linéaires parallèles au nombre de trois sur la joue droite et des dermabrasions sur l'aile nasale gauche, ainsi que des lésions de la main droite.

7. Il est établi par la procédure que M. A______ avait adressé à la direction de la prison un courrier le 16 janvier 2020, dans lequel il l'informait qu'il était victime « d'usure à répétition depuis plusieurs jours » de la part du même co-détenu, qui l'insultait, ainsi que sa famille ; il ne savait pas combien de temps il allait réussir à ne pas réagir et faisait tout pour éviter les problèmes durant sa détention.

8. a. Par acte déposé à la poste le 29 janvier 2020, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du 20 janvier 2020. Il a expliqué s'être fait mordre par son co-détenu, agression que la direction aurait dû éviter, dans la mesure où il l'avait informée cinq jours avant qu'il était victime de menaces et que la direction de la prison n'avait rien fait. Il ne s'était pas défendu pendant l'agression. La direction avait failli à son devoir d'assurer sa sécurité et il déposait plainte à son encontre.

b. Le 4 février 2020, M. A______ a transmis à la chambre administrative le courrier qu'il avait adressé à la direction de la prison le 16 janvier 2020.

9. Dans ses observations du 9 mars 2020, la prison a conclu au rejet du recours.

Elle a versé à la procédure un rapport du 29 janvier 2020 mentionnant que le chef d'unité avait reçu une lettre de M. A______ lui demandant de changer de cellule, car il y avait une mésentente avec un co-détenu et qu'il faisait l'objet d'insultes. Toutefois, aucun détenu de la même cellule ne lui avait parlé d'un quelconque souci auparavant. N'ayant pas de solution immédiate au vu de la surpopulation carcérale, il n'avait pas pu faire le changement de cellule le jour-même ; la situation ne lui avait pas semblé urgente vu l'absence de menaces corporelles.

Le courrier adressé par l'intéressé à la direction, daté du 16 janvier 2020, n'avait été reçu par cette dernière que le 20 janvier 2020, soit le lendemain de l'altercation.

Lors de l'altercation du 19 janvier 2020, il avait été constaté par l'agent de détention que M. A______ se battait avec l'un de ses co-détenus. Il fallait relever qu'aucun des protagonistes n'avait usé de « l'appel détenu » pour faire appel au personnel pénitentiaire afin de mettre un terme à l'altercation.

Les faits étaient établis par les rapports d'incident des 19 et 29 janvier 2020 qui établissaient que les deux détenus avaient confirmé avoir porté des coups ; d'ailleurs, M. A______ n'avait pas infirmé dans son recours avoir porté des coups à son co-détenu. En se bagarrant avec ce dernier, M. A______ avait violé le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04). Ainsi, la sanction infligée à l'intéressé était justifiée. Enfin, s'agissant du principe de proportionnalité, il n'avait pas été violé au vu des actes de violence commis par les deux co-détenus, avec la précision que l'autre protagoniste s'était vu infliger une sanction de trois jours de cellule forte, en raison de l'atteinte à l'intégrité du recourant qui était plus importante.

10. Dans sa réplique du 14 mars 2020, M. A______ a persisté dans ses conclusions et son argumentation, précisant qu'il n'avait pas donné de coups à son co-détenu.

11. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10)

2) Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

Lorsque la sanction a déjà été exécutée, il convient d'examiner s'il subsiste un intérêt digne de protection à l'admission du recours. Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée. Il est toutefois renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 p. 208).

En l'espèce, le recourant dispose d'un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité d'un placement en cellule forte doit pouvoir faire l'objet d'un contrôle, nonobstant l'absence d'intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée. Dans la mesure où rien dans le dossier ne laisse à penser que le détenu ait quitté l'établissement à ce jour, il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire. Le recours conserve ainsi un intérêt actuel (ATA/1135/2017 du 2 août 2017).

3) Est litigieux le bien-fondé de la sanction de deux jours de cellule-forte.

a. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l'organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50). Les détenus doivent respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l'office pénitentiaire et les ordres du directeur et du personnel pénitentiaire (art. 42 RRIP). Ils doivent en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l'égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il leur est, notamment, interdit, d'une façon générale, de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement (art. 45 let. h RRIP).

b. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP). À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer, notamment, le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé, notamment le gardien chef et le gardien chef adjoint (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

c. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/502/2018 du 22 mai 2018 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers.

d. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public
(ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c).

e. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du 19 septembre 2014 consid. 7b).

f. Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé une sanction de trois jours de cellule forte d'un détenu à la suite de la découverte d'un rasoir modifié en arme lors de la fouille complète d'une cellule (ATA/264/2017 du 7 mars 2017 consid. 5). Ont également été jugées proportionnées des sanctions de cinq jours de cellule forte pour la détention d'un téléphone portable pour un détenu qui avait des antécédents disciplinaires (ATA/183/2013 du 19 mars 2013) et des sanctions d'arrêts de deux, voire trois jours de cellule forte pour des menaces d'intensité diverse (ATA/136/2019 du 12 février 2019) et trouble à l'ordre de l'établissement, refus d'obtempérer et attitude incorrecte envers des tiers, dans un cas où le détenu avait dit « viens là si tu n'as pas peur, t'as qu'à venir » à un codétenu, l'invitant sans équivoque à une confrontation physique (ATA/405/2019 du 9 avril 2019).

4) a. En l'espèce, il n'existe pas d'images de vidéosurveillance dans la mesure où l'altercation s'est produite dans une cellule. Toutefois, l'agent de détention qui est intervenu lors des faits a affirmé qu'il avait surpris les deux codétenus « s'empoigner ». De plus, il est établi par deux constats médicaux, qu'aussi bien le recourant que son codétenu ont été légèrement blessés suite à l'altercation, le premier ayant subi une lésion plus importante ; en particulier, les médecins ont observé sur le co-détenu des dermabrasions sur la joue et le nez, lésions qui ont indubitablement pour cause les agissements du recourant. Compte tenu de la jurisprudence précitée portant sur la valeur probante des constatations figurant dans un rapport établi par des agents assermentés et qu'aucun élément ne permet de remettre en cause la version décrite par le gardien qui est intervenu, la chambre administrative retiendra que la bagarre a mis aux prises les deux détenus, le recourant y ayant pris part, même si son rôle apparait moindre par rapport à celui de son codétenu. Le recourant a ainsi adopté un comportement qui ne peut être considéré uniquement comme de la légitime défense.

Il n'est pas besoin de déterminer qui porte la responsabilité de l'altercation qui a opposé les co-détenus. En effet, le recourant ne devait pas répondre à l'éventuelle provocation et faire courir à chacun le risque d'une bagarre qui aurait pu dégénérer en présence des autres détenus de la cellule. Le contexte d'une prison recommande le strict respect du règlement afin que l'ordre et la sécurité soient assurés au sein de l'établissement. Son co-détenu a été également et plus sévèrement sanctionné.

Il est établi que le recourant a écrit à la direction de la prison pour les alerter sur le climat de tension qui régnait dans la cellule et le comportement menaçant de son co-détenu ; toutefois, ce courrier est parvenu à son destinataire après l'altercation et il n'a pas été possible de changer immédiatement le recourant de cellule vu la surpopulation carcérale de la prison.

Au vu de ces éléments, le recourant a adopté un comportement enfreignant le RRIP, à savoir qu'il a adopté une attitude incorrecte à l'égard d'une autre personne incarcérée (art. 44 RRIP).

b. S'agissant de la proportionnalité et au vu de la jurisprudence susrappelée, il apparait que la sanction prononcée reste dans les limites du pouvoir d'appréciation de la direction de la prison ; de plus, le co-détenu s'est vu, à juste titre, infligé une sanction plus sévère, ce qui démontre que ladite direction a pris en compte les particularités du cas d'espèce.

Dans ces conditions, la direction de la prison n'a ni abusé ni excédé son pouvoir d'appréciation, ni violé le principe de la proportionnalité en prononçant le placement du recourant en cellule forte pour deux jours.

Mal fondé, le recours sera donc rejeté.

5) Au vu de la nature du litige et de son issue, il ne sera pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 janvier 2020 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 20 janvier 2020 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Cuendet, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :