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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4556/2019

ATA/312/2020 du 31.03.2020 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4556/2019-PRISON ATA/312/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 31 mars 2020

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE FERMÉ CURABILIS

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ est incarcéré depuis le 21 décembre 2009. Il a été condamné à une peine privative de liberté de deux ans, sous déduction de trois cent nonante-cinq jours de détention avant jugement, dont l'exécution est actuellement suspendue au profit d'une mesure institutionnelle.

Il est détenu dans l'établissement pénitentiaire fermé Curabilis (ci-après : Curabilis) depuis le 10 janvier 2017. Depuis cette date, il a fait l'objet de quinze sanctions disciplinaires.

2) Par décision du 6 décembre 2019, M. A______ s'est vu infliger une sanction d'un jour d'arrêt disciplinaire au motif de mise en danger d'autrui ou à l'institution et comportement inadéquat. Il avait provoqué un départ de feu dans sa poubelle de cellule.

Vers 11h20, un agent de détention s'était rendu dans la cellule de M. A______ en compagnie d'une infirmière pour en contrôler l'état. Une odeur de papier brûlé provenait de ladite cellule et était sentie dans le couloir. Après ouverture de la porte, l'agent présent avait constaté que l'odeur était plus intense et avait fait remarquer à M. A______ que cela sentait le papier brûlé et qu'il ne devait pas le fumer. M. A______ avait nié les faits. L'agent de détention avait perçu de la fumée provenant de la poubelle et trouvé un papier fumant à l'intérieur. M. A______ était allé derechef chercher un verre d'eau afin d'éteindre la poubelle. Il avait persisté à nier.

La cellule avait été fouillée et le briquet de M. A______ lui avait été retiré.

Le même jour, vers 11h50, le médecin de l'unité avait examiné le détenu et déclaré qu'il n'était pas en décompensation aigue.

Auditionné vers 14h35, M. A______ n'avait fait aucune déclaration écrite ni ne s'était exprimé. Aucun procès-verbal n'avait été établi.

Une décision d'un jour d'arrêt disciplinaire, sans sursis, pour mise en danger d'autrui et de l'institution lui avait été infligée.

3) Par acte du 7 décembre 2019, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de sanction précitée.

Les infirmiers devaient arrêter de gérer son tabac. Il avait été mis au cachot pour une inattention. Il avait vidé son cendrier dans la poubelle et des papiers avaient pris feu. Le feu s'était déclaré au bout de vingt secondes. Il était allé chercher un verre d'eau et avait éteint. Il voulait garder ses briquets en cellule.

Il n'était pas normal que l'on ne puisse pas fumer au cachot. Cela était autorisé à Bochuz.

Il évoquait son parcours scolaire et son QI de plus de 130.

4) Curabilis a conclu au rejet du recours.

5) Le détenu n'ayant pas répliqué dans le délai qui lui avait été imparti, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA à- E 5 10 ; art. 74 al. 1 du règlement de l'établissement de Curabilis du 26 mars 2014 - RCurabilis - F 1 50.15).

2) a. Selon l'art. 65 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (al. 2).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d'une certaine souplesse s'agissant de la manière par laquelle sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu'elles ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est, en soi, pas un motif d'irrecevabilité, pour autant que l'autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/821/2018 du 14 août 2018 consid. 2 ; ATA/1243/2017 du 29 août 2017 consid. 2a).

b. En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles en annulation de la décision de sanction du 6 décembre 2019. L'on comprend toutefois de ses écrits qu'il en conteste le bien-fondé. Le recours est ainsi recevable sur ce point aussi.

3) a. La sanction ayant déjà été exécutée, il convient d'examiner s'il subsiste un intérêt digne de protection à l'admission du recours (art. 60 let. b LPA).

Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée. Il est toutefois renoncé à l'exigence d'un tel intérêt, notamment, lorsque cette condition fait obstacle au contrôle de la légalité d'un acte qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi à la censure de l'autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; 138 II 42 consid. 1).

b. En l'occurrence, le recourant dispose d'un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui, quand bien même elle a déjà été exécutée. Sa légalité doit, en effet, pouvoir faire l'objet d'un contrôle. Dans la mesure où l'exécution de la peine privative de liberté de deux ans, sous déduction de trois cent nonante-cinq jours de détention avant jugement, est actuellement suspendue au profit d'une mesure institutionnelle, il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire. Le recours conserve ainsi un intérêt actuel (ATA/731/2018 du 10 juillet 2018 consid. 2 ; ATA/1135/2017 du 2 août 2017).

4) Il convient donc d'examiner le bien-fondé de la sanction infligée.

a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, notamment aux détenus. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n'ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l'auteur (ATA/310/2017 du 21 mars 2017 consid. 5a ; ATA/245/2017 du 28 février 2017 consid. 5b et les références citées).

Sur un plan strictement médical, on admettra l'existence d'une irresponsabilité au sens de l'art. 19 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) en cas de psychose particulière, schizophrénie ou attente psychologique affective grave. Quant aux effets de l'irresponsabilité, on doit admettre que le délinquant déclaré irresponsable est inapte à toute faute. L'irresponsabilité déploie ainsi intégralement ses effets sur la culpabilité et sur la sanction (Laurent MOREILLON, in Robert ROTH/Laurent MOREILLON, Commentaire romand du code pénal I, 2009, p. 204).

c. La personne détenue a l'obligation de respecter les dispositions du RCurabilis, les directives du directeur général de l'office cantonal de la détention, du directeur de Curabilis, du personnel pénitentiaire, ainsi que les instructions du personnel médico-soignant (art. 67 RCurabilis). La personne détenue doit observer une attitude correcte à l'égard des différents personnels, des autres personnes détenues et des tiers (art. 68 RCurabilis). Sont en particulier interdits les mises en danger d'autrui ou de l'institution (art. 69 al. 1 let. e RCurabilis).

d. Si une personne détenue enfreint le RCurabilis, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 70 al. 1 RCurabilis). Il est tenu compte de l'état de santé de la personne détenue au moment de l'infraction disciplinaire (art. 70 al. 2 RCurabilis). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (art. 70 al. 3 RCurabilis). La violation du droit d'être entendu ne peut être réparée devant l'instance de recours que si celle-ci dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité dont la décision est contestée (ATF 138 I 97 consid. 4.16.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2).

e. Aux termes de l'art. 70 RCurabilis, les sanctions sont l'avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximale de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let. b.), l'amende jusqu'à CHF 1'000.- (let. c) et les arrêts pour une durée maximale de dix jours (let. d ; al. 4). Ces sanctions peuvent être cumulées (al. 5) ; l'exécution de la sanction peut être prononcée avec un sursis ou un sursis partiel de six mois au maximum (al. 6), qui peut être révoqué lorsque la personne détenue fait l'objet d'une nouvelle sanction durant le délai d'épreuve (al. 7) ; après son prononcé, la sanction peut être suspendue ou la personne détenue en être dispensée pour justes motifs ou en opportunité (al. 8).

f. Le directeur de Curabilis et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer les sanctions (art. 71 al. 1 RCurabilis). Le directeur de Curabilis peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l'art. 70 al.  4  RCurabilis à d'autres membres du personnel gradé de l'établissement, tel un agent pénitentiaire ayant le grade de sous-chef (ATA/266/2018 du 20 mars 2018 consid. 7).

g. De jurisprudence constante, la chambre administrative accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/731/2018 précité consid. 5d ; ATA/73/2017 du 31 janvier 2017 consid. 7), sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Les agents de détention étant également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/731/2018 précité consid. 5d ; ATA/266/2018 précité consid. 6).

h. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/888/2015 du 19 septembre 2014 consid. 7b ; ATA/946/2014 du 2 décembre 2014 consid. 16).

5) En l'espèce, la sanction a été prononcée par un sous-chef, lequel est compétent, s'agissant d'une sanction d'un jour d'arrêt disciplinaire (art. 71
al. 1 RCurabilis).

Le détenu conteste avoir « fumé du papier en combustion ». Il ressort toutefois du rapport des agents assermentés que l'un de ceux-ci a senti l'odeur du papier en plein combustion dans le couloir, que l'odeur s'est intensifiée à l'ouverture de la porte de la cellule du recourant et qu'un bout de papier en plein combustion a été extrait par ledit gardien de la poubelle de la cellule.

Provoquer un départ de feu dans la poubelle d'une cellule est une mise en danger d'autrui et de l'institution, et un comportement inadéquat. La faute est en conséquence établie.

6) Reste à examiner si la sanction prononcée respecte le principe de la proportionnalité.

a. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

b. En l'espèce, le départ d'un feu dans un établissement pénitentiaire est d'une gravité certaine pour la sécurité du détenu concerné et de toutes les autres personnes se trouvant dans l'établissement, détenues ou non. La sanction d'un jour de cellule forte apparaît proportionnée.

Par ailleurs, la sanction s'inscrit dans un contexte de nombreux antécédents. La description faite par l'autorité intimée des autres sanctions indique par ailleurs que l'établissement nuance son choix de sanctions en fonction de la gravité, optant parfois pour le sursis, et modulant la peine allant de l'amende de CHF 10.-, à la suppression de multimédias ou d'espace détente, voire dans les cas graves des arrêts disciplinaires.

Le recours sera rejeté.

7) Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 décembre 2019 par Monsieur A______ contre contre la décision de l'établissement pénitentiaire fermé Curabilis du 6 décembre 2019   ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à l'établissement pénitentiaire fermé Curabilis.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :