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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1364/2019

ATA/284/2020 du 10.03.2020 ( PRISON ) , REJETE

Descripteurs : ACTE DE RECOURS;CONCLUSIONS;QUALITÉ POUR RECOURIR;INTÉRÊT ACTUEL;ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE;MESURE DISCIPLINAIRE;DÉTENU;CELLULE;AUTORISATION DE TRAVAIL;RAPPORT(EXPOSÉ);GARDIEN DE PRISON;SERMENT;FORCE PROBANTE;PROPORTIONNALITÉ
Normes : LPA.60.al1.letb; LPA.61.al2; LPA.65; RRIP.42; RRIP.44; RRIP.45.leth; RRIP.47.al1; RRIP.47.al2; RRIP.47.al3; RRIP.47.al7; Cst.5.al2
Résumé : Rejet du recours d’un détenu ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire sous la forme d’un placement en cellule forte et d’une suppression du travail, en l’absence d’élément permettant de s’écarter des rapports établis par des gardiens de prison assermentés. Respect du principe de proportionnalité de la sanction infligée.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1364/2019-PRISON ATA/284/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 mars 2020

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le ______ 2018.

2) Du ______ au ______ 2019, M. A______ a occupé le poste de B______ et signé la convention d'occupation y relative.

3) a. Le 11 mars 2019, la direction de la prison (ci-après : la direction) a infligé à M. A______ une sanction disciplinaire, déclarée exécutoire nonobstant recours, sous la forme d'un placement en cellule forte durant deux jours pour trouble à l'ordre de l'établissement et refus d'obtempérer. Cette sanction a été exécutée du 10 au 12 mars 2019.

b. Selon le rapport établi le 10 mars 2019, le même jour, M. A______ avait demandé à voir le service médical, abusant à plusieurs reprises de « l'appel détenu », puis refusant de parler aux agents et à l'infirmière de garde. M. A______ s'était alors entaillé le poignet et n'avait pas voulu se rendre au service médical. Les gardiens l'y avaient toutefois emmené et, une fois sur place, M. A______ avait refusé de se déshabiller en vue de sa fouille, qui avait dû avoir lieu sous la contrainte. Entendu par la direction, il avait reconnu les faits qui lui étaient reprochés.

4) a. Le 29 mars 2019, la direction a infligé à M. A______ une sanction disciplinaire, déclarée exécutoire nonobstant recours, sous la forme d'un placement en cellule forte durant trois jours et d'une suppression du travail, avec possibilité de réinscription, pour attitude incorrecte envers le personnel. Cette sanction, qui a été exécutée du 28 au 31 mars 2019, a été notifiée le 29 mars 2019 à 9h35 à l'intéressé, après que ce dernier eut été entendu le même jour à 9h30 par le directeur adjoint de la prison.

b. Selon le rapport établi le 28 mars 2019, le même jour, lors du service du dîner, vers 17h10, M. A______ avait pris deux oranges au lieu d'une. Interrogé par un agent de détention au sujet de son comportement, M. A______ lui avait répondu « si tu t'intéresses à ton boulot tu saurais ». L'agent avait répété sa question, ce qui avait énervé M. A______, lequel avait vociféré « tu as un problème avec moi, tu n'as pas de respect », puis « enlève ton uniforme on verra, tu ne sais pas qui je suis ». Un agent avait raccompagné M. A______ dans sa cellule, lequel lui avait encore dit « je vais écrire de toute façon, tu vas voir ». Vers 18h10, au vu de son comportement, M. A______ avait été conduit en cellule forte.

5) Le 2 avril 2019, M. A______ s'est réinscrit sur la liste d'attente pour obtenir une place de travail.

6) Par courrier expédié le 4 avril 2019, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la sanction du 29 mars 2019, qui était selon lui injuste.

Alors qu'il était B______, il n'avait jamais adopté de comportement déplacé envers un gardien. Le 10 mars 2019, un agent de détention l'avait humilié, en le traitant de « délinquant », de « sale nègre » et de « bouffon », ce qui l'avait conduit à s'entailler les veines dans sa cellule puis à être placé en cellule forte en raison de son refus d'obtempérer. Le 28 mars 2019, le même gardien l'avait empêché d'apporter une orange au détenu avec qui il partageait sa cellule, lequel n'arrivait pas à se déplacer en raison d'une hernie, alors qu'il procédait de la sorte chaque soir, ce qui lui avait valu un séjour au cachot et la suppression de tout travail dont le revenu servait à l'entretien de sa famille.

7) Le 15 mai 2019, la prison a conclu au rejet du recours.

Lors du dîner du 28 mars 2019, M. A______ avait adopté un comportement irrespectueux à l'encontre d'un agent de détention, à qui il n'avait jamais fait part du fait que la deuxième orange était destinée à son codétenu, lequel avait d'ailleurs pris seul son plateau repas. Le comportement de M. A______ était constitutif d'une violation du règlement de la prison ainsi que de la convention d'occupation, l'intéressé n'ignorant pas qu'il risquait de perdre la possibilité de travailler en relation avec de tels faits. L'autonomie dont bénéficiait M. A______ en tant que B______ requérait de sa part d'adopter un comportement irréprochable à l'égard du personnel et des autres détenus, ce qui n'avait pas été le cas. Il ne démontrait pas non plus que la sanction était injustifiée et tentait vainement d'expliquer que celle-ci était le fait de l'acharnement d'un agent de détention, alors que les auteurs des rapports des 11 et 29 mars 2019 n'étaient pas identiques. Le comportement de M. A______ justifiait ainsi le prononcé d'une sanction pour garantir le bon fonctionnement de l'établissement, la décision étant conforme au principe de la proportionnalité tant dans sa nature que dans sa quotité.

8) Le 27 mai 2019, le juge délégué a accordé aux parties un délai au 21 juin 2019 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

9) Les parties ne s'étant pas manifestées à l'issue du délai imparti, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E ; art. 60 al. 1 du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 - RRIP - F 1 50.045 10).

2) a. Selon l'art. 65 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (al. 2).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d'une certaine souplesse s'agissant de la manière par laquelle sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu'elles ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est, en soi, pas un motif d'irrecevabilité, pour autant que l'autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/97/2020 du 28 janvier 2020 consid. 2b et les références citées).

b. En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles en annulation de la décision qu'il a contestée, à savoir la sanction du 29 mars 2019. L'on comprend toutefois de ses écritures qu'en critiquant son caractère « injuste », il conclut implicitement à son annulation, de sorte que le recours est également recevable de ce point de vue.

3) a. Aux termes de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée, ce qui suppose l'existence d'un intérêt actuel. L'existence de celui-ci s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATA/60/2020 du 21 janvier 2020 consid. 2b et 2c et les références citées). En matière de sanctions disciplinaires, la chambre administrative fait en principe abstraction de l'exigence de l'intérêt actuel lorsque le recourant se trouve encore en détention au moment du prononcé de l'arrêt, faute de quoi une telle mesure échapperait systématiquement à son contrôle étant donné la brièveté de la sanction (ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 4a et la référence citée).

b. En l'espèce, bien que la sanction litigieuse ait été exécutée, tant s'agissant du placement en cellule forte que de la suppression du travail, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celles-ci, dès lors qu'il ne ressort pas du dossier que sa peine aurait pris fin. Le recours est ainsi recevable.

4) a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le RRIP, dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, notamment, d'une façon générale, de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement (art. 45 let. h RRIP).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer, notamment, la privation de travail (let. f) et le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (art. 47 al. 7 RRIP). Ces sanctions peuvent être cumulées (art. 47 al. 4 RRIP).

d. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/219/2020 précité consid. 6d et la référence citée).

e. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation, le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limitant à l'excès ou l'abus de ce pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/97/2020 précité consid. 4f et les références citées).

f. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/97/2020 précité consid. 4d et les références citées).

5) a. En l'espèce, les faits reprochés au recourant ressortent du rapport établi le 28 mars 2019. Ainsi, le même jour, lors du dîner, celui-ci s'était montré irrespectueux envers un agent de détention en vociférant, à la question de savoir pour quelle raison il avait pris deux oranges, « si tu t'intéresses à ton boulot tu saurais », puis « tu as un problème avec moi, tu n'as pas de respect », « enlève ton uniforme on verra, tu ne sais pas qui je suis » et, enfin, « je vais écrire de toute façon, tu vas voir ». Il ne ressort pas du dossier que le recourant aurait indiqué vouloir prendre une orange pour son codétenu, aucun des gardiens présents n'ayant constaté que ce dernier aurait eu des problèmes à se déplacer, comme le retient le rapport susmentionné, établi de manière circonstanciée par des agents assermentés, qui a une pleine valeur probante. Rien n'indique du reste que l'agent en cause ait été le même que celui intervenu lors des événements du 10 mars 2019, ce qu'a expliqué de manière convaincante l'autorité intimée.

En se montrant irrespectueux envers le personnel à plusieurs reprises, le recourant a ainsi troublé l'ordre et la tranquillité de l'établissement, violant ses obligations de détenu, telles que figurant aux art. 42 ss RRIP, en particulier aux art. 44 et 45 let. h RRIP. Il s'ensuit que l'autorité intimée était fondée à sanctionner le recourant en relation avec ces faits.

b. Reste à déterminer si les sanctions disciplinaires infligées sont conformes au principe de la proportionnalité.

S'il est vrai que le placement en cellule forte constitue la sanction la plus sévère mentionnée à l'art. 47 al. 3 RRIP, il n'en demeure pas moins que le recourant, à teneur du dossier, a fait l'objet d'une précédente sanction depuis son incarcération, pour un comportement similaire, qui est ainsi restée de peu d'effet s'agissant de son attitude envers le personnel. L'autorité intimée était dès lors fondée à faire preuve de plus de sévérité en lui infligeant une telle sanction, dont la quotité se situe au demeurant en bas de la fourchette, puisqu'un placement en cellule forte peut être prononcé pour dix jours au plus. Elle pouvait également, à teneur de l'art. 47 al. 4 RRIP, assortir cette mesure d'une privation de travail. Comme elle l'a expliqué, en tant que B______, le comportement du recourant devait être exemplaire, notamment à l'égard du personnel, ce qui n'a pas été le cas.

La sanction litigieuse respecte ainsi le principe de la proportionnalité, de sorte qu'elle sera confirmée.

c. Par ailleurs, rien n'indique que la procédure n'aurait pas été respectée, ce que le recourant n'allègue au demeurant pas, puisque ce dernier a été entendu (art. 47 al. 2 RRIP), étant précisé que, conformément à la jurisprudence constante de la chambre de céans, en cas d'incident nécessitant une sanction se produisant après les horaires ordinaires d'activité de la prison, l'exercice du droit d'être entendu peut être différé au lendemain matin, en raison des besoins du service (ATA/1846/2019 du 20 décembre 2019 consid. 3c et les références citées). La sanction a en outre été rendue par la direction, à savoir l'autorité compétente visée à l'art. 47 al. 3 RRIP.

d. En tous points mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté.

6) Au vu de la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ni alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 avril 2019 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 29 mars 2019 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

 

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Verniory et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :