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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4482/2019

ATA/248/2020 du 03.03.2020 ( AIDSO ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4482/2019-AIDSO ATA/248/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 mars 2020

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Pierre Gabus, avocat

contre

HOSPICE GÉNÉRAL



EN FAIT

1) Monsieur A______, ressortissant français né en 1970, est arrivé à Genève en 2010.

Il a bénéficié de prestations d'aide financière de l'Hospice général (ci-après : l'hospice) à compter du 1er mars 2011.

2) Selon un rapport de terrain dressé par le service des enquêtes de l'hospice, daté du 22 août 2019, M. A______ avait quitté la Suisse.

La chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) avait rejeté le recours de l'intéressé contre une décision de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM - ATA/63/2018 du 23 janvier 2018). M. A______ avait été renvoyé de force en France, le 10 juillet 2019. Il ne bénéficiait plus d'une attestation ou d'une autorisation de séjour.

3) Par décision du 4 septembre 2019, remise en main propre, l'hospice a décidé de mettre un terme aux prestations d'aide financière qui lui étaient accordées. L'intéressé avait quitté la Suisse et avait omis d'en informer l'hospice.

Dite décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

4) Le 4 octobre 2019, M. A______ a saisi l'hospice d'une opposition à la décision précitée, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif.

Il était erroné de prétendre qu'il n'avait plus sa résidence effective à Genève. Il habitait dans son appartement, au chemin de la B______, dans lequel il recevait toutes les décisions judiciaires et officielles. Il ne s'était jamais constitué de domicile en France, malgré la décision de renvoi prononcée.

Le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après : TPAE) avait ordonné, le 24 septembre 2019, son placement à des fins d'assistance, et confirmé son hospitalisation non volontaire à l'hôpital psychiatrique de Belle-Idée.

L'intéressé avait sollicité de l'OCPM la reconsidération de la décision de renvoi ainsi que la délivrance d'une autorisation de séjour pour traitement médical.

Une procédure était en cours par-devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, l'intéressé requérant des prestations de l'assurance-invalidité. Cette juridiction entendait ordonner une expertise multidisciplinaire, en médecine interne, cardiologie, psychiatrie et neurologie.

5) Par décision sur opposition, sur effet suspensif, du 4 novembre 2019, le directeur de l'hospice a refusé de restituer l'effet suspensif au recours. Dès lors qu'une personne avait fait l'objet d'une décision de renvoi, exécutoire, elle n'avait plus le droit à des prestations d'aide financière exceptionnelles. Il pouvait éventuellement bénéficier de prestations d'aide d'urgence, lesquelles ne pouvaient consister qu'en paiement d'un loyer, et cela pour autant qu'il bénéficie d'un document de contrôle émis par l'OCPM.

6) Le 2 décembre 2019, le Ministère public a rendu une ordonnance de classement, dans laquelle il indiquait que M. A______ était domicilié en France. Selon cette dernière, le prévenu avait quitté la Suisse et aucune mesure ne pourrait être prononcée à son encontre.

7) Le 5 décembre 2019, M. A______ a saisi la chambre administrative d'un recours contre la décision du 4 novembre 2019, avec demande de restitution de l'effet suspensif. Il demandait préalablement à ce qu'il soit entendu, puis, principalement, à ce qu'il soit mis au bénéfice de l'aide financière de l'hospice, subsidiairement, en limitant cette intervention jusqu'à droit jugé sur sa demande d'assurance-invalidité.

Il souffrait de graves problèmes de santé, ainsi que de troubles psychiques qui l'avaient rendu totalement incapable de discernement, ainsi que l'avait constaté le Tribunal d'application des peines et mesures dans un jugement du 12 septembre 2019 ainsi que le TPAE, dans un jugement du 24 septembre 2019.

Malgré le refus de renouveler l'autorisation de séjour prononcé par l'OCPM ainsi que la décision de renvoi du recourant, ce dernier avait toujours résidé à Genève où il suivait un traitement médical.

Le placement de l'intéressé à des fins d'assistance à l'hôpital de Belle-Idée avait été confirmé par un arrêt de la chambre de surveillance de la Cour de justice du 4 octobre 2019.

L'OCPM n'avait, en l'état, pas traité la demande de reconsidération, ou de délivrance d'une autorisation de séjour pour traitement médical. Il s'était limité à considérer que ces demandes étaient sans objet, vu l'exécution du renvoi.

Sans aide financière, M. A______ ne pouvait verser son loyer ni subvenir à ses besoins vitaux et sociaux, à tout le moins tant qu'il ne recevait pas des prestations de l'assurance-invalidité. Il avait d'ailleurs reçu, le 15 octobre 2019, un avis comminatoire afin qu'il verse son loyer dans les trente jours, à défaut de quoi son bail serait résilié.

L'intéressé devait être mis au bénéfice d'une aide financière ordinaire, dont il remplissait les conditions. Subsidiairement, une aide exceptionnelle devait lui être versée.

Sans aide financière, il serait mis dans une position difficilement réparable, surtout si l'on tenait compte de ses graves problèmes de santé.

8) Le 16 décembre 2019, l'hospice a conclu au rejet du recours, reprenant et développant les éléments ressortant de sa décision sur opposition.

9) Le 6 janvier 2020, M. A______ a exercé son droit à la réplique. L'hospice ne contestait pas le fait que l'intéressé était toujours domicilié à Genève. Certes, son bail avait été résilié le 31 décembre 2017. Cette résiliation faisait l'objet d'une contestation et il occupait toujours son logement.

L'intéressé avait fait l'objet d'une ordonnance pénale le 2 décembre 2019, à laquelle il avait fait opposition.

10) Les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle le 24 février 2020.

Le conseil du recourant a indiqué que l'OCPM avait été saisi d'une demande de reconsidération de la décision refusant un titre de séjour à l'intéressé, laquelle était en cours d'instruction.

Le placement de l'intéressé à des fins d'assistance à l'hôpital de Belle-Idée était toujours en vigueur, mais il n'était pas effectif car M. A______ ne restait pas dans cet hôpital.

Le recourant était régulièrement arrêté par la police et déféré devant le Ministère public, lequel prononçait des ordonnances pénales pour infraction à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20). Le conseil du recourant y faisait opposition lorsqu'il en avait connaissance, en se fondant sur l'irresponsabilité reconnue de son mandant.

Concernant la procédure de l'assurance-invalidité, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice avait ordonné une expertise.

Concernant le logement du recourant, le congé notifié avait été confirmé, mais aucun délai de départ n'avait été fixé et l'intéressé y résidait encore.

M. A______ a indiqué qu'il avait pris des contacts pour essayer de régler les plaintes de ses voisins. Il dormait parfois en France, soit chez un ami, soit à « l'Escale ». Il n'avait pas d'argent et volait des fruits et des légumes pour se nourrir. Les interventions du centre ambulatoire de psychiatrie et de psychothérapie intégrée (CAPPI) et du Tribunal des mesures de contrainte étaient terminées et il était à la recherche d'un psychiatre en ville.

Il a, au surplus, tenu d'autres propos qui n'ont pas pu être protocolés, car ils n'avaient pas de sens ou de rapport avec la procédure. L'intéressé semblait quelque peu dans son propre monde lorsqu'il les a prononcés.

11) Au terme de l'audience, la cause a été gardée à juger sans autre acte d'instruction, tant sur effet suspensif qu'au fond, avec l'accord des parties.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Aux termes de l'art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté, et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. Ce droit à des conditions minimales d'existence fonde une prétention des justiciables à des prestations positives de l'Etat, visant à la satisfaction de leurs besoins élémentaires en nourriture, habillement, logement et soins médicaux de base (ATF 131 I 166 consid. 3.1 p. 172 et 130 I 71 consid. 4.1 p. 74).

3) a. La loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04) a pour but de prévenir l'exclusion sociale et d'aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1). Ont droit aux prestations d'aide financière les personnes dont le revenu mensuel déterminant n'atteint pas le montant destiné à la couverture des besoins de base et dont la fortune ne dépasse pas les limites fixées par règlement du Conseil d'État (art. 21 al. 1 LIASI). Pour une personne majeure, cette limite est de CHF 4'000.- (art. 1 al. 1 let. a du règlement d'exécution de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 - RIASI - J 4 04.01).

b. À teneur de l'art. 11 al. 1 LIASI, ont droit à des prestations d'aide financière prévues par cette loi, les personnes qui : ont leur domicile et leur résidence effective sur le territoire du canton de Genève (let. a), ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien (let. b) et répondent aux autres conditions de la loi (let. c).

Il s'agit de l'aide financière ordinaire. Les trois conditions à remplir sont cumulatives. La condition du domicile et de la résidence effective sur le territoire du canton de Genève est une condition cumulative qui a pour effet que des prestations d'aide financière complète ne sont accordées qu'aux personnes autorisées à séjourner dans le canton de Genève, soit aux personnes d'origine genevoise, aux confédérés et aux étrangers bénéficiant d'un titre de séjour (ATA/1662/2019 du 12 novembre 2019 consid. 6a ; ATA/817/2019 du 25 avril 2019 consid. 3b).

La notion de domicile est, en droit suisse, celle des art. 23 et 24 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), soit le lieu où une personne réside avec l'intention de s'y établir (art. 23 al. 1 in initio CC). La notion de domicile contient deux éléments : d'une part, la résidence, soit un séjour d'une certaine durée dans un endroit donné et la création en ce lieu de rapports assez étroits et, d'autre part, l'intention de se fixer pour une certaine durée au lieu de sa résidence qui doit être reconnaissable pour les tiers et donc ressortir de circonstances extérieures et objectives. Cette intention implique la volonté manifestée de faire d'un lieu le centre de ses relations personnelles et professionnelles. Le domicile d'une personne se trouve ainsi au lieu avec lequel elle a les relations les plus étroites, compte tenu de l'ensemble des circonstances. Le lieu où les papiers d'identité ont été déposés ou celui figurant dans des documents administratifs, comme des attestations de la police des étrangers, des autorités fiscales ou des assurances sociales constituent des indices qui ne sauraient toutefois l'emporter sur le lieu où se focalise un maximum d'éléments concernant la vie personnelle, sociale et professionnelle de l'intéressé (ATF 141 V 530 consid. 5.2 ; 136 II 405 consid. 4.3 ; 134 V 236 consid. 2.1). Ce n'est pas la durée du séjour à cet endroit qui est décisive, mais bien la perspective d'une telle durée (arrêts du Tribunal fédéral 5A.398/2007 du 28 avril 2008 consid. 3.2 ; 5A.34/2004 du 22 avril 2005 consid. 3.2). Du point de vue subjectif, ce n'est pas la volonté interne de la personne concernée qui importe, mais les circonstances reconnaissables pour des tiers, qui permettent de déduire qu'elle a cette volonté (ATF 137 II 122 consid. 3.6 = JdT 2011 IV 372 ; 133 V 309 consid. 3.1 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 5A.398/2007 précité consid. 3.2).

c. Le Conseil d'État dispose de la compétence de fixer par règlement les conditions d'octroi d'une aide financière exceptionnelle en faveur des personnes ne pouvant recevoir les ordinaires, notamment les personnes étrangères sans autorisation de séjour (art. 11 al. 4 let. e).

d. Selon l'art. 17 al. 1 RIASI, les personnes étrangères ne bénéficiant pas d'une autorisation de séjour peuvent recevoir une aide financière exceptionnelle pour autant que, cumulativement, elles se soient annoncées à l'OCPM et qu'elles aient obtenu de cette administration une attestation les autorisant à séjourner pendant le temps nécessaire au traitement de leur demande.

e. Si l'intéressé fait l'objet d'une décision de renvoi, il peut recevoir une aide financière tant que ladite décision n'est pas exécutoire (art. 17 al. 3 RIASI).

f. La jurisprudence a précisé que les personnes faisant l'objet d'une décision de renvoi exécutoire devaient pouvoir bénéficier des prestations d'aide d'urgence énumérées aux art. 24 et 29 ss RIASI, soit des prestations fournies en règle générale en nature (ATA/1602/2017 du 12 décembre 2017 et les références citées). Une nouvelle demande d'autorisation de séjour ou une requête de reconsidération faisant suite à une décision de renvoi de Suisse exécutoire et définitive ne confère aucun droit de séjourner en Suisse, de sorte qu'elle ne peut fonder une demande d'assistance plus importante que l'aide d'urgence (ATA/480/2014 du 24 juin 2014 consid. 10).

4) En l'espèce, il est établi que le recourant ne dispose d'aucun droit de séjour en Suisse et qu'il fait l'objet d'une décision de renvoi définitive et exécutoire. Le dépôt d'une demande de reconsidération à l'OCPM ne modifie en rien cette constatation.

L'existence d'une procédure en cours en matière d'assurances sociales, visant à obtenir une rente de l'assurance-invalidité, n'a pas non plus d'influence sur le constat qui précède, une telle procédure pouvant parfaitement être menée depuis l'étranger, surtout par une personne provenant d'un pays - tel la France - lié à la Suisse par une convention de sécurité sociale.

De plus, l'existence des mesures de protection ordonnées par le TPAE était déjà connue à l'époque de la procédure concernant la prolongation de l'autorisation de séjour devant la chambre administrative lors du prononcé de l'arrêt du 23 janvier 2018. L'existence de cette mesure, laquelle n'est manifestement suivie d'aucune exécution, ne permet pas de faire reconnaître un droit de séjour en Suisse au vu des éléments rappelés ci-dessus.

5) Le prononcé du présent arrêt rend la demande de restitution de l'effet suspensif sans objet.

6) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté. Aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant, lequel bénéficie de l'assistance juridique et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 1 et al. 2 LPA)

* * * * *

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 décembre 2019 par Monsieur A______ contre la décision de l'Hospice général du 4 novembre 2019 ;

 

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre Gabus, avocat du recourant, ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :