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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1425/2019

ATA/239/2020 du 03.03.2020 ( DIV ) , REJETE

Recours TF déposé le 05.05.2020, rendu le 17.11.2020, REJETE, 5A_341/2020
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1425/2019-DIV ATA/239/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 mars 2020

 

dans la cause

 

Madame et Monsieur A______
représentés par Me Diane Broto, avocate

contre

SERVICE D'AUTORISATION ET DE SURVEILLANCE DES LIEUX DE PLACEMENT



EN FAIT

1) Madame A______, née B______ le ______1971, et son mari, Monsieur A______, né le ______1952, tous deux de nationalités suisse et marocaine, sont domiciliés à Genève où ils se sont mariés en août 2006. M. A______ a deux enfants majeurs nés, d'une précédente union, en 1981 et 1984.

2) D'après une ordonnance d'un tribunal marocain du 24 octobre 2016, Mme A______, sous son nom de jeune fille, et M. A______ ont, avec une adresse au Maroc et la seule mention de leur nationalité marocaine, déposé une demande visant à recueillir l'enfant abandonné C______, né E______ à Tanger le ______2016 de sa mère F______ et de son père présumé « G______ ». Sur la base de plusieurs pièces, notamment d'un jugement marocain du 7 avril 2016 déclarant ledit enfant comme étant un enfant abandonné, ce tribunal a ordonné l'attribution de la kafala de cet enfant aux intéressés et la désignation de ceux-ci en tant que tuteurs dudit enfant jusqu'à sa majorité légale, sans mentionner ni le domicile suisse desdits époux ni leur nationalité suisse.

Le jugement marocain du 7 avril 2016 précité faisait référence à un rapport de police du 17 février 2016, selon lequel « l'enfant faisant l'objet d'une déclaration d'abandon [était] le fruit d'une relation illégale entre sa mère Mme F______ et un père inconnu ».

3) En janvier 2017, M. A______ s'est adressé par téléphone au service d'autorisation et de surveillance des lieux de placement (ci-après : SASLP), rattaché à l'office de l'enfance et de la jeunesse (ci-après : OEJ) du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP ou le département) pour l'informer que son épouse et lui avaient recueilli l'enfant C______, né le ______2016 au Maroc, en kafala dans ce pays et qu'ils souhaitaient l'accueillir en vue de son adoption.

4) Par courrier du 12 janvier 2017, le SASLP a invité les intéressés à un rendez-vous au sujet de leur projet d'adoption de l'enfant C______, originaire du Maroc, afin de les renseigner sur les démarches à entreprendre impérativement avant d'accueillir un enfant. En tant qu'autorité centrale cantonale genevoise en matière d'adoption, le SASLP était l'autorité habilitée à autoriser les requérants domiciliés à Genève. Il les informait qu'ils devaient être au bénéfice d'une autorisation émise par leur autorité avant qu'un enfant ne leur soit confié.

5) Dans une lettre du 16 février 2017, les époux A______ ont expliqué leur situation personnelle au SASLP et leur décision de procéder à une « adoption pleine et entière » dans leur pays d'origine, le Maroc, dès 2015. Ils souhaitaient réaliser leur désir d'enfant dans leur couple ainsi que venir en aide à un enfant n'ayant pas la chance d'avoir deux parents aimants et disponibles pour l'accompagner dans son parcours de vie. Le ______2016, ils avaient appris la naissance de C______, abandonné par sa mère et de père inconnu, et avaient entrepris les démarches pour « officialiser cette adoption au Maroc ». Leur couple vivait depuis lors séparé, son épouse et l'enfant C______ vivant à Rabat la plupart du temps, dans l'attente des documents suisses. Mme A______ revenait seule quelques jours en Suisse tous les deux mois.

6) Le 21 février 2017, les époux A______ ont eu un entretien avec le SASLP. Ils informaient ce dernier qu'ils avaient indiqué, dans le cadre de la kafala, une adresse au Maroc. Il ne s'agissait pas d'une kafala internationale. Le SASLP leur a communiqué les éléments suivants. Une adoption n'était pas possible avec le Maroc. Du point de vue du droit suisse, l'époux ne remplissait pas la condition d'âge exigeant une différence d'âge maximale de 45 ans. Dans le cadre d'une demande d'autorisation en vue d'un accueil avec hébergement, les conditions d'âge concernant une kafala ne seraient pas non plus remplies et, dans tous les cas, l'autorité centrale marocaine devait faire une demande formelle à la Suisse.

7) D'après une ordonnance d'un tribunal marocain du 22 mai 2018, Mme A______, sous son nom de jeune fille, et M. A______ ont, avec une adresse au Maroc, déposé une nouvelle demande visant à obtenir « la kafala de l'enfant D______ fille de G______ », née le ______2017, pour en assumer sa garde, l'élever et subvenir à tous ses besoins. Sur la base notamment d'un jugement marocain du 9 octobre 2017 indiquant que l'enfant D______ était une enfant abandonnée, non produit dans le cadre de la présente procédure de recours, ce tribunal a confié la kafala de ladite enfant aux intéressés afin qu'ils en assument sa garde, veillent sur elle et subviennent à tous ses besoins et l'entretiennent à certaines conditions précisées dans ladite ordonnance. Lesdits époux étaient désignés « tuteurs datifs de l'enfant pris en charge ».

8) À la suite de la visite de M. A______ qui apportait de nouveaux éléments sur le projet d'adoption du couple, le SASLP a, par courrier du 24 septembre 2018, invité les intéressés à un nouveau rendez-vous, fixé pour le 2 octobre 2018, au sujet de leur projet d'adoption des enfants C______ et D______. Ils étaient priés d'apporter tous les documents en leur possession au sujet des enfants.

9) Après cet entretien, le SASLP a reçu, en novembre 2018, une requête des époux pour l'accueil de l'enfant D______.

10) À une date non précisée, les intéressés ont rempli trois formulaires distincts - dans leur version mise à jour le 30 août 2018 - au sujet des deux enfants susmentionnés. Ces formulaires concernaient l'engagement de prise en charge financière d'un mineur, une annexe à la requête d'autorisation pour l'accueil d'un enfant connu et la requête d'autorisation pour l'accueil familial d'enfants avec hébergement. Aucune indication au sujet des parents desdits enfants ne figurait dans la rubrique correspondante d'un de ces formulaires. Les époux déclaraient, pour chaque enfant, avoir précédemment déjà déposé une requête pour l'accueil d'enfants en vue d'adoption à Genève.

11) Le 6 mars 2019, le SASLP, agissant au nom de l'OEJ en tant qu'autorité centrale cantonale en matière d'adoption, a refusé la demande visant l'ouverture d'une procédure en vue de la délivrance d'un agrément en vue d'adoption et d'une autorisation d'accueil en vue de placement dans le cadre d'une kafala.

En sus du dépassement par les intéressés de la différence d'âge maximale prévue par le droit suisse, ceux-ci seraient déjà relativement âgés lors de la période d'adolescence. Cette dernière constituait une phase particulièrement délicate pour les enfants adoptés, durant laquelle ils étaient fragilisés par les blessures liées à l'abandon vécues par le passé. Cette phase pouvait ainsi être très exigeante pour des parents adoptifs, lesquels devaient, dans l'intérêt de l'enfant, être en mesure d'y faire face, ce qui était nécessairement plus difficile pour des personnes âgées de plus de 65 ans et de 80 ans. Le Maroc ne reconnaissait pas la possibilité d'adopter un enfant, son ordre juridique prononçant uniquement des kafala, de sorte que l'autorité centrale cantonale ne pouvait délivrer d'agrément en vue d'adoption pour des enfants venant du Maroc. S'agissant de la Convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, conclue à La Haye le 19 octobre 1996 (CLaH96 - RS 0.211.231.011), elle prévoyait une procédure à son art. 33 qui n'avait pas été suivie en l'espèce, l'autorité marocaine n'étant pas informée de la résidence suisse des intéressés. La kafala s'apparentait en Suisse à un placement de l'enfant dans une famille nourricière. Or, les conditions liées à l'âge évoquées en lien avec l'adoption restaient les mêmes dans le cadre d'un placement nourricier, puisque les intéressés seraient seuls à s'engager et à prendre en charge à long terme l'enfant. A priori, il ne pourrait pas préaviser positivement une décision de placement au vu des conditions d'accueil des intéressés (situation matérielle, retraite de M. A______, placement prévu à long terme l'enfant n'ayant pas d'autres parents en Suisse).

Les requérants étaient au courant des conditions juridiques requises et de la procédure à suivre en 2017 déjà, ce qui ne les avait pas empêchés de recueillir un autre enfant postérieurement. Ils n'avaient pas respecté les conditions requises par le droit suisse. La kafala ne saurait être utilisée pour contourner les règles marocaines interdisant l'adoption.

Un recours pouvait être formé dans les trente jours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Ce refus était également communiqué pour information à l'autorité centrale fédérale en matière d'adoption et à l'office cantonal de la population et des migrations
(ci-après : OCPM).

12) Les époux ont recouru en temps utile contre ce refus auprès de la chambre administrative en concluant principalement à son annulation et à ce qu'ils soient autorisés à adopter « C______ et D______ ». Ils ont subsidiairement conclu à ce que l'accueil en vue de placement dans le cadre d'une kafala desdits enfants soit autorisé, plus subsidiairement au renvoi de la cause au SASLP pour réexamen et nouvelle décision.

Le bien-être des deux enfants, d'ores et déjà placés sous leur responsabilité, commandait que leur rôle de parents adoptifs et/ou nourriciers soit reconnu en Suisse. Les enfants étaient à leur charge depuis leur naissance.

13) Dans le délai octroyé pour compléter leur recours, les époux ont exposé leur situation personnelle ainsi que leur souhait d'avoir des enfants. L'intéressée n'exerçait aucune activité professionnelle, s'occupant des enfants au Maroc. Aide comptable de formation, elle comptait exercer cette activité dès son retour en Suisse. L'intéressé était retraité du secteur horloger. Il exerçait une activité accessoire auprès du Tribunal des prud'hommes. Ils étaient tous deux dans un bon état de santé.

Inscrits au Maroc auprès de différentes institutions d'accueil d'enfants abandonnés, ils avaient été informés, le jour de la naissance respective de C______ puis de D______, par la crèche de l'hôpital de deux villes marocaines qu'un petit garçon, respectivement une petite fille, chacun abandonné par sa mère et de père inconnu, venait de naître. Ces deux enfants leur avaient été confiés dès leurs premiers jours, situation ayant ensuite fait l'objet des décisions des tribunaux marocains évoquées plus haut, qui leur avaient accordé la kafala sur C______ et D______ respectivement en octobre 2016 et en mai 2018. Ces derniers n'avaient ainsi pas connu d'autre foyer que celui des époux A______. Vu l'enquête poussée effectuée par les autorités marocaines dans le cadre des deux procédures de kafala, il n'était pas vraisemblable que ces dernières ne fussent pas informées que les intéressés résidaient en Suisse, ce d'autant plus qu'elles connaissaient leur double nationalité et avaient reçu des attestations de revenus de l'employeur suisse de l'époux lors des enquêtes. Après l'officialisation de la kafala sur l'enfant C______, les intéressés s'étaient adressés à l'ambassade de Suisse au Maroc afin de faire reconnaître la kafala par les autorités compétentes pour pouvoir s'établir avec l'enfant à Genève, et avaient ainsi été dirigés vers le SASLP.

Ils reprochaient au SASLP d'avoir mal appliqué le droit tant s'agissant de l'adoption que du placement nourricier, en particulier sur la question du bien des deux enfants, et d'avoir violé le principe de la proportionnalité. La décision litigieuse ne pouvait se limiter à « une simple et froide analyse juridique » mais devait prendre en compte les éléments factuels pertinents spécifiques à chaque cas en procédant à un examen approfondi du dossier. L'autorité intimée n'invoquait que des restrictions d'âge prévues par l'art. 5 al. 4 de l'ordonnance sur l'adoption du 29 juin 2011 (OAdo - RS 211.221.36) et l'art. 264d du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) et une éventuelle mauvaise application de l'art. 33 CLaH96. Elle retenait à tort les mêmes restrictions d'âge pour le cas de placements nourriciers et perdait de vue que toutes ces dispositions étaient tempérées par le critère du bien de l'enfant. La limite d'âge n'était pas un critère absolu et connaissait des exceptions lorsque le bien de l'enfant le commandait, notamment lorsque les parents adoptifs avaient déjà établi des liens étroits avec les enfants. Il en allait de même s'agissant du respect de la procédure prévue à l'art. 33 CLaH96, le but idéal de cette convention étant l'intérêt supérieur du bien de l'enfant. Le SASLP était tombé dans l'arbitraire car il n'avait pas examiné les faits pertinents.

La décision litigieuse était en fait « contre-productive » sous l'angle du bien des deux enfants et ne changerait rien à la situation juridique marocaine, les deux décisions marocaines étant en force et les deux enfants sous leur responsabilité depuis leur naissance en application du droit marocain. Le refus querellé aurait pour seuls effets potentiels, soit de contraindre les époux à continuer à vivre séparés, soit de les obliger à remettre les enfants à la responsabilité des autorités marocaines. Même dans les cas d'adoptions « sauvages », l'intérêt de l'enfant devait primer, y compris lorsque des personnes avaient accueilli un enfant sans y être autorisées si le bien de l'enfant le commandait. Il devait en aller de même lorsque l'enfant vivait depuis longtemps auprès de ces personnes et qu'un nouveau placement ne serait pas conforme à son intérêt. C______ et D______ n'avaient jamais connu d'autres foyers et arrivaient à un âge où un second abandon serait inscrit dans leur mémoire et péjorerait de manière très négative leur bon développement, en particulier au vu des conditions catastrophiques des enfants placés dans les centres d'accueil marocains. À titre de mesure moins incisive et dans le cadre de son large pouvoir d'appréciation en matière de placements nourriciers, l'autorité intimée pourrait rendre une décision favorable assortie de contrôles périodiques pour s'assurer du bien-être des enfants puisqu'elle serait l'autorité compétente selon la CLaH96 lorsque ces derniers seraient devenus résidents suisses. Ainsi, la décision litigieuse était non seulement arbitraire mais n'était en outre pas de nature à atteindre l'objectif de la loi. L'intérêt des deux enfants commandait la délivrance de l'autorisation pour leur adoption au sens des art. 4 ss OAdo, soit en pratique l'octroi de l'agrément et de l'autorisation de placement en vue d'adoption ainsi que l'envoi d'un préavis positif à l'OCPM. Subsidiairement, dans l'hypothèse où la kafala devait être assimilée à un placement nourricier, un tel placement des deux enfants auprès des époux devait être autorisé en vertu des art. 4 ss de l'ordonnance sur le placement d'enfants du 19 octobre 1977 (OPE - RS 211.222.338), soit en pratique l'octroi d'une autorisation et l'envoi d'un préavis à l'OCPM.

14) Le SASLP a conclu au rejet du recours et produit la directive de l'autorité centrale fédérale en matière d'adoptions internationales du 3 octobre 2012 relative aux agréments en vue de l'accueil d'enfants du Maroc (ci-après : la directive CH 2012), un document relatif à un questionnaire sur le fonctionnement pratique de la CLaH96 concernant le Maroc (ci-après : le questionnaire CLaH96 du Maroc) et un document de l'Ambassade de Suisse au Maroc relatif à la délivrance d'un visa pour un enfant placé en famille d'accueil en Suisse (kafala), non daté (ci-après : l'information « visa » relative au Maroc).

Les intéressés avaient été dûment informés qu'ils devaient passer par les autorités marocaines et que celles-ci devaient suivre la procédure prévue par la CLaH96. Or, ils avaient fait fi de ces explications en recueillant, après l'entretien avec le SASLP du 21 février 2017, l'enfant D______ sans que la procédure prévue par cette convention internationale ne soit, à nouveau, suivie. De plus, à cette date-ci, ils savaient que leur projet d'adoption ne pourrait pas être poursuivi en Suisse vu le non-respect des conditions légales, en particulier s'agissant de la différence d'âge maximale. Ils avaient en toute connaissance de cause gardé l'enfant C______ et décidé de se voir confier un autre enfant. Dans ces circonstances, il était abusif d'utiliser, dans la présente procédure, l'argument selon lequel des liens d'attachement se seraient établis afin de contourner les exigences légales. Il était inadmissible de violer consciemment la loi et de placer l'administration devant un fait accompli en arguant de l'intérêt de l'enfant. Cela ouvrirait la porte à des abus que les conventions internationales avaient pour but d'empêcher. En outre, les parents biologiques des deux enfants n'avaient pas donné leur consentement ni pour une kafala, ni pour une adoption, de sorte que la condition de l'art. 265a CC n'était pas remplie. La pratique du SASLP se fondait sur le principe de la légalité et le principe de l'égalité de traitement. Par ailleurs, il n'était pas contesté que les intéressés pourraient vivre avec les enfants au Maroc ; selon le droit marocain, ils en avaient la garde. La référence évoquée par les intéressés aux adoptions « sauvages » concernait des enfants se trouvant sur territoire suisse, ce qui n'était pas le cas de C______ et D______.

Sous l'angle d'un placement nourricier au sens de l'OPE, les mêmes arguments entraient en considération et conduisaient d'emblée le SASLP à refuser l'entrée en matière s'il disposait d'éléments suffisants ne permettant pas de garantir le bien-être de l'enfant. Vu que les enfants ne semblaient pas avoir d'autres responsables légaux, il s'agirait d'un accueil à long terme. Les enfants étaient âgés de 2 et 3 ans pour un couple âgé de 47 et 66 ans. La situation matérielle des époux était très limitée. L'époux était à la retraite et n'avait pas été confronté à la prise en charge de ces deux enfants sans l'aide d'une famille élargie ; il aurait 80 ans à l'adolescence des enfants, ce qui pouvait représenter une situation à risque. L'épouse souhaitait reprendre un travail dès son retour à Genève pour compléter les revenus d'une famille de quatre personnes. Elle ne pourrait pas leur offrir les mêmes soins qu'ils recevaient au Maroc auprès de la communauté familiale. Dans l'hypothèse où le SASLP était contraint d'entrer en matière sur un accueil, les intéressés devraient suivre la procédure d'évaluation habituelle d'une famille d'accueil avec hébergement, soit un examen des capacités éducatives, de la situation financière et matérielle, conditions de logement, de la disponibilité, du réseau etc. en application de la directive en vigueur. En outre, la procédure prévue à l'art. 33 CLaH96 devrait être respectée et suivie par le Maroc.

15) Dans leur réplique, les intéressés ont relevé que l'épouse passait l'essentiel de son temps au Maroc avec les deux enfants, alors que le mari était contraint à « d'incessants aller-retours » entre la Suisse et le Maroc. Ils s'occupaient seuls des deux enfants. S'ils avaient indifféremment parlé d'adoption et de placement, c'était parce que l'institution de la kafala n'avait pas d'équivalent en Suisse.

L'intérêt supérieur des enfants, qui leur étaient confiés depuis plusieurs années, imposait de donner suite à leur requête. L'intéressée vivait temporairement au Maroc, pendant la durée de la procédure, afin de prendre soin des enfants ; elle n'avait pas l'intention de s'y établir. Si celle-ci venait à reprendre une activité professionnelle, son mari s'occuperait des enfants.

Le respect de l'art. 33 CLaH96 demandé par le SASLP impliquait de reprendre l'entier de la procédure de kafala, alors que deux décisions marocaines étaient en force, et pourrait conduire les intéressés à devoir confier les enfants aux autorités marocaines pendant la durée de cette nouvelle procédure. Cela serait très douloureux et contraire à l'intérêt des enfants qui, n'étant pas frère et soeur de sang, avaient été élevés ensemble et avaient développé des liens fraternels, en sus de l'attachement envers les époux A______. De toute manière, il serait inutile d'entreprendre une nouvelle procédure marocaine, dès lors qu'il était « évident (...) que le SASLP ne préaviserait pas favorablement un accueil, conduisant [les époux A______] à devoir abandonner les enfants [C______ et D______] ». La présente espèce était exceptionnelle, de sorte qu'elle ne devait pas conduire à faire jurisprudence pour l'ensemble des cas de kafala.

16) Interpellé sur la question de la compétence matérielle de la chambre de céans, le SASLP a exposé que celle-ci résultait du fait que le recours était dirigé contre une décision rendue par une autorité administrative.

17) Les recourants ont expliqué qu'ils ne sollicitaient pas le prononcé de l'adoption, mais qu'ils contestaient le refus de l'autorisation d'adoption, respectivement de placement nourricier.

18) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté dans les 30 jours suivant la notification de la décision du SASLP.

Selon l'art. 86 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), le Tribunal civil de première instance est compétent pour connaître de « tous les actes de la juridiction civile contentieuse ou non contentieuse que la loi n'attribue pas à une autre autorité judiciaire ou administrative ». Aux termes de l'art. 132 al. 1 LOJ, la chambre administrative est, quant à elle, l'autorité supérieure ordinaire de recours « en matière administrative » (art. 132 al. 1 LOJ). Elle revoit le bien-fondé de décisions émanant d'autorités administratives « fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal » (art. 4 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10, applicable par renvoi de l'art. 132 al. 2 LOJ).

La décision querellée est fondée exclusivement sur le droit privé fédéral, y compris la CLaH96. À défaut d'une norme d'attribution de compétence en sa faveur, il est ainsi douteux que la chambre de céans soit compétente pour connaître du présent litige. Cette question souffrira toutefois de rester indécise au vu de ce qui suit.

2) Le présent litige porte sur le refus du SASLP d'ouvrir une procédure en vue de la délivrance d'un agrément et d'une autorisation en vue d'adoption ainsi que d'une autorisation d'accueil en vue de placement dans le cadre d'une kafala.

a. Quiconque réside habituellement en Suisse et veut accueillir un enfant en vue de son adoption ou adopter un enfant à l'étranger doit obtenir une autorisation de l'autorité cantonale (art. 4 OAdo). L'autorité cantonale certifie par voie de décision - dite agrément - l'aptitude des requérants lorsque les conditions visées à l'art. 5 OAdo sont remplies (art. 6 al. 1 OAdo). L'autorisation d'accueillir un enfant défini peut être octroyée par l'autorité cantonale aux conditions posées à l'art. 7 OAdo (art. 7 al. 1 in fine OAdo). Lorsqu'un enfant est placé en vue de son adoption, une autorité cantonale unique est compétente (art. 316 al. 1bis CC). Dans le canton de Genève, l'autorité cantonale compétente au sens de l'art. 316 al. 1bis CC est le DIP (art. 33 de la loi sur l'enfance et la jeunesse du 1er mars 2018 - LEJ - J 6 01 ; art. 233 al. 2 de la loi d'application du code civil suisse et d'autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 - LaCC - E 1 05). L'art. 1 al. 1 du règlement sur l'accueil et le placement d'enfants hors du foyer familial du 5 septembre 2007 (RAPEF - J 6 25.01) prévoit que l'OEJ exerce les compétences attribuées au DIP par « la loi sur l'accueil et le placement d'enfants hors du foyer familial, du 27 janvier 1989 » qui a été abrogée depuis le 19 mai 2018 par l'entrée en vigueur de la LEJ.

L'autorité cantonale examine l'aptitude des futurs parents adoptifs dans la perspective du bien de l'enfant qu'ils souhaitent accueillir et en fonction de ses besoins (art. 5 al. 1 OAdo). L'art. 5 al. 2 OAdo énumère les conditions en matière d'aptitude. L'art. 5 al. 4 OAdo précise que les futurs parents adoptifs ne peuvent pas être déclarés aptes si la différence d'âge entre eux et l'enfant qu'ils souhaitent accueillir dépasse quarante-cinq ans (phr. 1). Ils peuvent toutefois l'être exceptionnellement, notamment s'ils ont déjà établi des liens étroits avec l'enfant (phr. 2). La teneur de cette disposition se retrouve à l'art. 264d CC, dont l'al. 1 dispose que la différence d'âge entre l'enfant et le ou les adoptants ne peut pas être inférieure à seize ans ni supérieure à quarante-cinq ans. Selon l'art. 264d
al. 2 CC, des exceptions sont possibles si le bien de l'enfant le commande (phr. 1). Le ou les adoptants doivent motiver la demande de dérogation (phr. 2). En outre, l'art. 3 OAdo dispose que l'adoption et l'accueil d'enfants en vue de l'adoption ne peuvent avoir lieu que si l'ensemble des circonstances laisse prévoir qu'ils serviront le bien de l'enfant.

b. Il y a lieu de préciser que malgré le caractère international de la demande litigieuse, la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale conclue à La Haye le 29 mai 1993 (CLaH - RS 0.211.221.311), entrée en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 2003, n'est pas applicable in casu, le Maroc ne l'ayant pas signée. En revanche, entre en ligne de compte la CLaH96. Cette convention est entrée en vigueur pour la Suisse le 1er juillet 2009 et pour le Maroc le 1er décembre 2002.

Selon l'art. 1 al. 1 CLaH96, cette convention a notamment pour objet de déterminer l'État dont les autorités ont compétence pour prendre des mesures tendant à la protection de la personne ou des biens de l'enfant (let. a), d'assurer la reconnaissance et l'exécution des mesures de protection dans tous les États contractants (let. d), d'établir entre les autorités des États contractants la coopération nécessaire à la réalisation des objectifs de la Convention (let. e). La CLaH96 s'applique aux enfants à partir de leur naissance et jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de 18 ans (art. 2 CLaH96). Selon l'art. 3 CLaH96, les mesures prévues à l'art. 1 de cette convention peuvent porter notamment sur le placement de l'enfant dans une famille d'accueil ou dans un établissement, ou son recueil légal par « kafala » ou par une institution analogue (let. e), la supervision par les autorités publiques des soins dispensés à l'enfant par toute personne ayant la charge de cet enfant (let. f). Sont exclus, en vertu de l'art. 4 CLaH96, du domaine de cette convention : l'établissement et la contestation de la filiation (let. a), la décision sur l'adoption et les mesures qui la préparent ainsi que l'annulation et la révocation de l'adoption (let. b).

Conformément à l'art. 5 al. 1 CLaH96, les autorités, tant judiciaires qu'administratives, de l'État contractant de la résidence habituelle de l'enfant sont compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens. Dans l'exercice de la compétence qui leur est attribuée par les dispositions du chapitre II, les autorités des États contractants appliquent leur loi (art. 15 al. 1 CLaH96). Selon l'art. 23 al. 1 CLaH96, les mesures prises par les autorités d'un Etat contractant sont reconnues de plein droit dans les autres États contractants. L'art. 23 al. 2 CLaH96 prévoit toutefois que la reconnaissance peut être refusée notamment si la procédure prévue à l'art. 33 n'a pas été respectée (let. f).

À teneur de l'art. 33 al. 1 CLaH96, lorsque l'autorité compétente en vertu des art. 5 à 10 envisage le placement de l'enfant dans une famille d'accueil ou dans un établissement, ou son recueil légal par « kafala » ou par une institution analogue, et que ce placement ou ce recueil aura lieu dans un autre État contractant, elle consulte au préalable l'Autorité centrale ou une autre autorité compétente de ce dernier État. Elle lui communique à cet effet un rapport sur l'enfant et les motifs de sa proposition sur le placement ou le recueil. L'art. 33 al. 2 CLaH96 précise que la décision sur le placement ou le recueil ne peut être prise dans l'État requérant que si l'Autorité centrale ou une autre autorité compétente de l'État requis a approuvé ce placement ou ce recueil, compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant.

c. Sous l'angle du placement d'enfant au sens de l'OPE (soit hors du foyer familial), le principe est de le soumettre à autorisation et à surveillance (art. 1
al. 1 OPE). Le placement d'enfants auprès de parents nourriciers est soumis à l'autorisation et à la surveillance de l'autorité tutélaire ou d'un autre office du domicile des parents nourriciers, désigné par le droit cantonal (art. 316 al. 1 CC). Toute personne qui accueille un enfant chez elle doit être titulaire d'une autorisation de l'autorité (art. 4 al. 1 OPE) : lorsque l'enfant est placé pendant plus d'un mois contre rémunération (let. a) ; ou lorsque l'enfant est placé pendant plus de trois mois sans rémunération (let. b). Les parents nourriciers doivent requérir l'autorisation avant d'accueillir l'enfant (art. 8 al. 1 OPE). Dans le canton de Genève, l'autorité cantonale compétente au sens de l'art. 316 al. 1 CC est le DIP (art. 32 let. a LEJ ; art. 233 al. 1 LaCC), soit pour lui l'OEJ (art. 1 al. 1 RAPEF).

Un enfant de nationalité étrangère qui a vécu jusqu'alors à l'étranger ne peut être placé en Suisse chez des parents nourriciers qui n'ont pas l'intention de l'adopter que s'il existe un motif important (art. 6 al. 1 OPE). Le premier critère à considérer lors de l'octroi ou du retrait d'une autorisation et dans l'exercice de la surveillance est le bien de l'enfant (art. 1a al. 1 OPE). L'autorisation ne peut être délivrée que si les qualités personnelles, les aptitudes éducatives, l'état de santé des parents nourriciers et des autres personnes vivant dans leur ménage, et les conditions de logement offrent toute garantie que l'enfant placé bénéficiera de soins, d'une éducation et d'une formation adéquats et que le bien-être des autres enfants vivant dans la famille sera sauvegardé (art. 5 al. 1 OPE).

d. Dans la directive CH 2012, il est indiqué que, selon une circulaire du Ministère marocain de la justice, une « kafala » en faveur d'un enfant marocain ne devrait plus être accordée qu'aux demandeurs qui résident habituellement sur le territoire marocain. Il n'est pas possible, selon ladite directive, de prévoir si les juges respecteront les consignes ministérielles et gèleront toutes les demandes provenant de la Suisse. Il est toutefois à prévoir que les procureurs - qui représentent les enfants à placer dans les procédures judiciaires marocaines - utiliseront tous les moyens de recours à leur disposition. La directive CH 2012 invite, jusqu'à nouvel avis, à ne plus octroyer d'agrément au sens de
l'art. 6 OAdo pour l'accueil d'enfants marocains en Suisse tant que l'évolution de la situation au Maroc ne sera pas connue.

Dans le questionnaire CLaH96 du Maroc, il est indiqué qu'une circulaire, émise en octobre 2016 et communiquée aux autorités judiciaires marocaines, recommande aux tribunaux compétents d'appliquer l'art. 33 CLaH96, au motif que les jugements de la « kafala » étaient émis avant que l'autorité requise approuve le déplacement de l'enfant.

L'information « visa » relative au Maroc précise que, pour qu'un visa pour un enfant placé en famille d'accueil en Suisse (« kafala ») puisse être délivré, il est nécessaire que la procédure prévue à l'art. 33 CLaH96 soit suivie. Celle-ci est décrite dans ce document qui indique les pièces nécessaires audit visa. Avant que le tribunal marocain puisse décider de la « kafala » et du placement de l'enfant à l'étranger, il doit au préalable consulter le service cantonal compétent et lui communiquer un rapport sur l'enfant concerné et les motifs du placement.

e. Selon la jurisprudence, dès lors que la décision d'octroyer un agrément suppose une pesée d'intérêts de la part de l'autorité cantonale, le Tribunal fédéral fait preuve de retenue en revoyant sa décision ; il n'a en effet pas à substituer sa propre appréciation du bien de l'enfant à celle de l'autorité cantonale, mais doit uniquement examiner si des circonstances pertinentes n'ont pas été prises en considération ou, à l'inverse, si des éléments déterminants ont été omis (arrêts du Tribunal fédéral 5A_343/2019 du 4 octobre 2019 consid. 4.3 et les arrêts cités ; 5A_207/2012 du 25 avril 2012 consid. 4.1.2).

En matière d'adoption, le Tribunal fédéral considère que la condition primordiale est le bien de l'enfant et qu'elle n'est pas facile à vérifier. L'autorité doit rechercher si l'adoption est véritablement propre à assurer le meilleur développement possible de la personnalité de l'enfant et à améliorer sa situation. Cette question doit être examinée à tous les points de vue (affectif, intellectuel, physique), en se gardant d'attribuer une importance excessive au facteur matériel (arrêt du Tribunal fédéral 5A_207/2012 précité consid. 4.1.3 et les références citées).

S'agissant de l'art. 5 al. 1 OPE, le Tribunal fédéral estime que l'examen des conditions de cette disposition doit s'opérer à la lumière du bien de l'enfant, comme en matière d'autorisation de placement en vue d'adoption. Le Tribunal fédéral n'a pas à substituer sa propre appréciation du bien de l'enfant à celle de l'autorité cantonale et des enquêteurs, mais uniquement à examiner si des circonstances pertinentes n'ont pas été prises en considération ou, à l'inverse, si des éléments déterminants ont été omis (arrêt du Tribunal fédéral 5A_66/2009 du 6 avril 2009 consid. 3.2).

Quant à la différence d'âge entre l'enfant et la personne souhaitant devenir parent nourricier au sens de l'OPE, le Tribunal fédéral a déjà admis, dans une affaire genevoise fondée sur l'ancienne teneur de cette ordonnance, qu'il n'était pas dans l'intérêt de l'enfant, née en 2008, d'être élevée par une femme, née en 1947, qui, lorsque l'enfant serait en âge de scolarité, serait elle-même à la retraite, respectivement aurait 75 ans quand l'enfant serait adolescente, et ce même si le demi-frère de celle-ci, né en 1999, avait été adopté, en 2003, par cette femme et son mari, né en 1946. La problématique liée à l'âge de cette dernière était d'autant plus importante que la demande d'autorisation visait un placement de longue durée. Le Tribunal fédéral a constaté que cette femme ne pourrait pas obtenir le placement de l'enfant en vue de son adoption compte tenu de son âge. Il avait déjà eu l'occasion de juger qu'une différence d'âge de quarante-cinq ans était trop importante (arrêt du Tribunal fédéral 5A_66/2009 précité consid. 3.3.1 et les arrêts cités illustrant des situations similaires). Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a considéré que l'intéressée ne saurait, sans que sa requête ne confine à l'abus de droit, contourner l'impossibilité d'accueillir l'enfant en vue d'une adoption, en sollicitant un placement nourricier qui visait en réalité une adoption de fait (arrêt du Tribunal fédéral 5A_66/2009 précité consid. 3.3.1).

3) En l'espèce, les intéressés demandent à accueillir à Genève les enfants C______ et D______, d'origine marocaine, afin de s'en occuper sur le long terme. Ils souhaitent principalement les adopter et, si cette voie n'est pas admise, les accueillir dans le cadre d'un placement nourricier au sens de l'OPE. Ils invoquent à cet effet les décisions de kafala susmentionnées.

Il n'est pas contesté que les autorités marocaines ayant rendu ces décisions n'ont pas suivi la procédure prévue à l'art. 33 CLaH96. S'agissant de la question de savoir si ces autorités ont ou non été informées par les recourants du fait que leur domicile se trouvait en Suisse, elle n'est in casu pas déterminante. Ni le domicile suisse des époux, ni la compétence des autorités marocaines - fondée sur la résidence habituelle des enfants située au Maroc - ne sont remis en cause. Dans ces circonstances, la reconnaissance des décisions marocaines est régie par l'art. 23 CLaH96, dont l'al. 2 prévoit que la reconnaissance peut être refusée si la procédure prévue à l'art. 33 CLaH96 n'a pas été respectée. Ainsi, pour ce seul motif déjà et indépendamment de la réalisation des conditions prévues par le droit suisse, la décision litigieuse ne peut qu'être confirmée.

En effet, selon l'art. 33 al. 2 CLaH96, la décision sur le placement ou le recueil légal par kafala ne peut être prise dans l'État requérant - soit ici le Maroc - que si l'autorité centrale ou une autre autorité compétente de l'État requis - soit ici les autorités suisses, en particulier le SASLP - a approuvé ce placement ou ce recueil, compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant. Le non-respect de l'art. 33 CLaH96 dans le cadre des kafalas concernant les enfants C______ et D______ a pour effet que la reconnaissance en Suisse de ces décisions marocaines peut être refusée par le SASLP, autorité compétente au regard du droit suisse dans cette matière, que ce soit sous l'angle de l'adoption ou du placement nourricier. Les intéressés ne peuvent donc se prévaloir des deux kafalas. À cela s'ajoute que la CLaH régissant les adoptions internationales, notamment leur reconnaissance dans un autre État, n'a pas été signée par le Maroc et ne trouve donc pas application. La question de la qualification de la kafala sous cet angle peut donc rester indécise.

Du point de vue du droit suisse, d'une part, l'exigence du consentement des parents des enfants au sens de l'art. 265a CC n'est pas remplie, étant précisé qu'il n'est pas contesté que l'identité de la mère respective des enfants est connue. D'autre part, le refus querellé repose, que ce soit au regard de l'OAdo ou de l'OPE, sur la différence d'âge entre les enfants et les recourants. Contrairement à ce que soutiennent ceux-ci, le fait que la différence d'âge ne figure pas expressément dans les conditions posées par l'art. 5 OPE ne signifie pas, comme cela ressort clairement de la jurisprudence susmentionnée, qu'elle ne puisse pas constituer un élément suffisant pour s'opposer à une demande fondée sur l'OPE, dans la mesure où la demande vise un placement de longue durée et, selon les dires des recourants, une adoption de fait. Au regard de la jurisprudence précitée, l'exigence du respect de la condition posée par l'art. 5 al. 4 OAdo relative à la différence d'âge - nécessaire à l'obtention d'un agrément en vue d'adoption - ne saurait être contournée par une demande fondée sur l'OPE, lorsque l'objectif des requérants est d'adopter les enfants et de les accueillir chez eux de manière définitive et durable, comme c'est le cas dans la présente affaire. Dès lors, cette condition est déterminante tant s'agissant de l'agrément et de l'autorisation en vue d'adoption que concernant l'autorisation en vue d'un placement nourricier au sens de l'OPE, et peut être examinée en une fois sur ces deux volets.

Comme l'a indiqué le SASLP aux époux lors de leur première entrevue le 21 février 2017, l'époux, né en 1952, ne remplit pas la condition légale exigeant une différence d'âge maximale de 45 ans avec les enfants, nés respectivement en ______2016 et en ______2017. Il en va de même de l'épouse, née en ______1971, avec l'enfant D______ née en ______2017. Ainsi, dans la mesure où l'un des époux, voire les deux époux, ne remplissent pas la condition précitée d'âge, seule reste à examiner la question de savoir s'ils peuvent se prévaloir de l'exception à cette condition, prévue à l'art. 5 al. 4 phr. 2 OAdo et à l'art. 264d al. 2 CC, étant précisé que le critère essentiel est, dans les deux cas, le bien de l'enfant (art. 3 OAdo et art. 264d al. 2 phr. 1 CC).

Afin de bénéficier de ladite exception, les intéressés invoquent le fait que l'épouse s'occupe des enfants depuis leur naissance au Maroc, que ceux-ci n'ont pas connu d'autre foyer que celui qu'ils leur offrent dans ce pays et qu'ils ont développé entre eux une relation de frère et soeur, de sorte que le bien des enfants commande de les laisser continuer à vivre ensemble auprès des recourants. Cette argumentation repose sur un contexte purement interne, les faits invoqués s'étant déroulés sur le seul territoire marocain, avec des ressortissants marocains et des décisions prises par les autorités de ce pays, sans aucun rapport avec la Suisse, malgré le domicile et la nationalité suisse desdits époux. Ce n'est qu'après s'être vu confier l'enfant C______ quelques jours après sa naissance en ______2016 et avoir obtenu une décision de kafala le concernant en octobre 2016 que les intéressés ont sollicité l'intervention des autorités suisses et ont invoqué, dès janvier 2017, devant le SASLP leur domicile en Suisse et leur volonté d'y vivre avec les enfants recueillis au Maroc dans le cadre des kafalas susmentionnées. Ils ont alors été informés des exigences découlant du droit suisse et savaient, au plus tard à partir de leur entretien du 21 février 2017 avec le SASLP, qu'ils ne remplissaient pas les conditions du droit suisse pour accueillir C______ chez eux à Genève, celui-ci ayant alors à peine un an et D______ n'étant pas encore née. Or, les époux ont poursuivi leur projet personnel sans égard au droit suisse et ont obtenu au Maroc, dans des conditions similaires à celles de C______, la garde d de D______, puis la décision de kafala concernant celle-ci en mai 2018. Ainsi, les intéressés ont laissé le temps s'écouler entre février 2017 et septembre 2018, sans se préoccuper des conséquences des exigences du droit suisse sur la vie des deux enfants. Ils n'ont pas non plus veillé à tenir le SASLP informé de leurs démarches ultérieures au Maroc, ni à se conformer aux exigences applicables en Suisse, telles que celles découlant de l'art. 33 CLaH96 ou des réglementations suisses susévoquées.

Dans ces circonstances, comme le relève le SASLP et à l'instar de l'arrêt du Tribunal fédéral 5A_66/2009 précité, il n'est pas admissible, au regard notamment du principe de la bonne foi et de l'égalité de traitement par rapport à des personnes soucieuses de respecter les règles applicables en Suisse, de laisser des personnes ignorer - qui plus est, sciemment - le droit suisse pendant une certaine durée, le temps de tisser des liens affectifs étroits avec les enfants, puis de leur permettre d'invoquer ces mêmes relations - développées sans égard aux exigences applicables en Suisse et aux indications émanant d'autorités suisses compétentes - pour bénéficier de l'exception accordée par le droit suisse. Les exigences du droit suisse ne s'appliquent pas selon le bon vouloir de chacun, en particulier dans un domaine aussi sensible que celui de la prise en charge d'enfants mineurs, mais doivent être respectées par tous, l'intérêt de l'enfant primant et ne se confondant pas nécessairement avec celui des adultes souhaitant avoir des enfants.

Comme le rappelle la CLaH, non applicable au Maroc mais en vigueur en Suisse depuis 2003, chaque État devrait prendre, par priorité, des mesures appropriées pour permettre le maintien de l'enfant dans sa famille d'origine (préambule de la CLaH, 2ème paragraphe). Cette même convention souligne aussi la nécessité de prévoir des mesures pour garantir que les adoptions internationales aient lieu dans l'intérêt supérieur de l'enfant et le respect de ses droits fondamentaux, ainsi que pour prévenir l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfants (préambule de la CLaH, 4ème paragraphe), tout en reconnaissant l'avantage que peut présenter l'adoption internationale, soit celui de donner une famille permanente à l'enfant pour lequel une famille appropriée ne peut être trouvée dans son État d'origine (préambule de la CLaH, 3ème paragraphe).

En l'espèce, les recourants sont des ressortissants suisses et marocains, domiciliés en Suisse. Il leur incombait, afin de s'assurer de pouvoir faire venir en Suisse les enfants d'origine marocaine dont ils souhaitaient s'occuper, de se renseigner auprès des autorités suisses avant d'entreprendre des démarches au Maroc et de veiller à ce que celles-ci se fassent dans le respect des exigences conventionnelles et légales applicables en Suisse, ce d'autant plus qu'ils avaient l'intention de s'occuper des enfants sur le long terme. Il ne leur est d'aucune utilité d'invoquer l'art. 15 al. 3 CLaH96, selon lequel, en cas de changement de la résidence habituelle de l'enfant dans un autre État contractant, la loi de cet autre État régit, à partir du moment où le changement est survenu, les conditions d'application des mesures prises dans l'État de l'ancienne résidence habituelle. En effet, les enfants résident au Maroc et les intéressés souhaitent bénéficier en Suisse d'actes décidés au Maroc, sans égard au droit suisse ni au respect de la procédure prévue à l'art. 33 CLaH96, et ce malgré le caractère international de la demande qu'ils formulent auprès du SASLP.

Par conséquent, en refusant de faire bénéficier les époux d'une exception reposant sur des faits survenus parce que les intéressés ont fait fi des exigences découlant du droit suisse ainsi que de la CLaH96, le SASLP n'a pas commis d'abus ni d'excès de son pouvoir d'appréciation, mais a veillé à faire respecter le droit applicable en Suisse, qu'il s'agisse du droit suisse susmentionné ou des conventions internationales que la Suisse s'est engagée à respecter. N'ayant eux-mêmes pas veillé à toutes les conséquences que leurs actes étaient susceptibles d'avoir sur le bien des enfants recueillis, les intéressés sont mal venus d'émettre après coup une telle critique à l'égard du SASLP. L'approche de celui-ci visant à s'assurer de la conformité des actes individuels à la loi permet de faire respecter celle-ci et ainsi de faire primer le bien de l'enfant en toute circonstance, indépendamment des agissements d'adultes motivés par d'éventuels autres intérêts pour aussi légitimes qu'ils puissent être.

Au vu de l'ensemble de ces circonstances, le refus litigieux du SASLP doit être confirmé. Le recours sera donc rejeté.

4) Dans la mesure où les intéressés plaident au bénéfice de l'assistance juridique, aucun émolument ne sera mis à leur charge malgré l'issue du litige (art. 87 al. 1 LPA ; art. 13 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu qu'ils succombent, aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, en tant qu'il est recevable, le recours interjeté le 8 avril 2019 par Madame et Monsieur A______ contre le refus du service d'autorisation et de surveillance des lieux de placement du 6 mars 2019 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément à l'art. 72 al. 1 et al. 2 let. b ch. 6 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière civile ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Diane Broto, avocate des époux A______, au service d'autorisation et de surveillance des lieux de placement ainsi qu'à l'autorité centrale fédérale en matière d'adoption.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mmes Krauskopf et Cuendet, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :