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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4306/2019

ATA/57/2020 du 21.01.2020 sur DITAI/591/2019 ( LCR ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4306/2019-LCR ATA/57/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 janvier 2020

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

SERVICE CANTONAL DES VÉHICULES

_________


Recours contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 12 décembre 2019 (DITAI/591/2019)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1962, est titulaire d'un permis de conduire suisse comportant les catégories A, Al, B, BE, BI, C, CE, Cl, CI E, D, DE, Dl, DIE, F, G, M et de l'autorisation de transporter des personnes à titre professionnel 121.

2) Par courrier du 20 août 2019, les Docteurs B______, médecin du travail FMH, et C______, médecin assistante, rattachés au Centre universitaire de médecine générale et santé publique de Lausanne, ont informé le service cantonal des véhicules à Genève (ci-après : le SCV) de leurs doutes sur l'aptitude de M. A______ à la conduite des véhicules des groupes 1 et 2, compte tenu des éléments portés à leur connaissance par les médecins traitants et les spécialistes qui le suivaient, soit notamment des diagnostics d'un syndrome des apnées obstructives du sommeil, d'un syndrome parkinsonien akinéto-rigide et trémulant (traité), doublés d'une consommation d'alcool à risque.

Une évaluation formelle de l'aptitude à la conduite de l'intéressé de niveau 3 leur apparaissait nécessaire, comme le prononcé de mesures de sécurité administratives dans l'attente d'un éclaircissement.

3) Par décision du 12 septembre 2019, entrée en force, le SCV a prononcé à l'encontre de M. A______ le retrait de son permis de conduire suisse à titre préventif, en vertu de l'art. 15d al. 1 let. e de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01).

La levée de la mesure était subordonnée à la présentation d'un certificat médical favorable émanant du Docteur D______, médecin-conseil de niveau 3 auprès du SCV.

4) M. A______ a transmis son permis de conduire au SCV le 23 septembre 2019.

5) Par certificat médical du 27 septembre 2019, le Dr D______ a déclaré M. A______ inapte à la conduite des véhicules des catégories du 1er et 2ème groupes, relevant que l'intéressé souffrait d'une consommation excessive d'alcool, les tests HEMAXIS PEth du 24 septembre 2019 étant très fortement perturbés (consommation excessive d'éthanol pendant les deux à trois semaines précédentes), tout comme celui du marqueur biologique CDT du 3 juin 2019. Une réévaluation de l'aptitude dudit patient serait possible après un suivi en centre spécialisé en addictologie et une abstinence confirmée sur la durée, pas avant une année.

6) Invité à formuler d'éventuelles observations avant le prononcé d'une décision finale, M. A______ a indiqué, par courriers des 7 et 11 octobre 2019, que le rapport médical du Dr D______ était insatisfaisant, n'ayant notamment pas tenu compte du fait que son traitement médical - qu'il détaillait - pouvait avoir un effet sur les valeurs hépatiques. Il sollicitait une analyse complémentaire auprès des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), sur conseil de son médecin traitant, et se tenait à disposition pour de plus amples analyses en cas de besoin. Il n'avait jamais conduit en état d'ébriété, n'avait jamais été contrôlé positivement à l'alcool, dont il faisait une consommation plus que modérée, et n'avait jamais eu d'accident de la circulation.

7) Par décision du 24 octobre 2019, déclarée exécutoire nonobstant recours et prise en application de l'art. 16d LCR, le SCV a retiré le permis de conduire de M. A______ pour une durée indéterminée et subordonné la levée de cette mesure à la présentation d'un certificat médical favorable émanant du Dr D______.

L'autorité avait pris note des observations de l'intéressé et de leurs annexes.

8) Par acte du 22 novembre 2019, M. A______ a recouru contre cette décision par-devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) concluant à son annulation, à la restitution de l'effet suspensif à son recours afin notamment de lui permettre de rechercher un nouvel emploi et à ce qu'une expertise auprès d'une autorité médicale neutre et indépendante de l'administration soit, si nécessaire, ordonnée.

Il ne comprenait pas la décision prise à son encontre, n'ayant jamais été contrôlé à plus de 0.5 % mg/l dans le sang alors qu'il conduisait depuis 1978. Du 1er décembre 1987 au 30 septembre 2019, il avait travaillé comme chauffeur-livreur poids lourds au sein de l'entreprise E______ et, durant ces trente-deux ans, n'avait jamais eu d'accident de la route ni n'avait été contrôlé « positif à l'alcool ». Il était choquant que le médecin du travail, consulté à la demande de son employeur, puisse communiquer sur son état de santé personnel et confidentiel et sur le fait qu'il se retrouve sans emploi, portant ainsi préjudice tant à sa vie privée qu'à sa future carrière professionnelle. L'acharnement du service à son égard le laissait « sans voix », étant rappelé que, durant les années travaillées chez E______, il avait été, comme tous les chauffeurs, soumis à des contrôles internes, pour le dépistage de drogues et d'alcool, au moins quatre fois par année. Ces contrôles sans préavis étaient stricts et il n'avait jamais eu de résultat positif. Il contestait les diverses analyses d'alcoolémie faites depuis juillet 2018. Il avait consulté un médecin du service d'addictologie en alcoolémie au HUG, le 11 novembre 2019, lequel lui avait confirmé qu'il n'avait pas besoin d'un suivi par leurs services. Il ne consommait plus d'alcool depuis le 12 septembre 2019 et n'en ressentait pas le besoin.

9) Le 29 novembre 2019, le SCV a transmis son dossier et sa détermination sur la requête en restitution de l'effet suspensif au recours. Il s'opposait à la restitution immédiate du permis de conduire de l'intéressé, compte tenu des éléments, valeurs et résultats portés à sa connaissance et de la nature même de la décision querellée consistant en une mesure de sécurité. L'intérêt public à la sécurité du trafic et à la protection des usagers de la route devait prévaloir sur l'intérêt privé de M. A______ à recouvrer immédiatement son permis de conduire.

Il ressortait par ailleurs d'autres documents médicaux, notamment de résultats d'examens des 18 juillet 2018, 28 août 2018, 17 octobre 2018, 8 mars 2019 et 3 juin 2019 une valeur du marqueur biologique CDT supérieure à la norme prescrite.

10) Le 9 décembre 2019, l'intéressé a versé les pièces suivantes au dossier :

- la première page d'un compte-rendu d'analyse du 19 novembre 2019 de l'unité de toxicologie et de chimie forensiques (ci-après : UDMPR) des HUG indiquant : « Phosphatidyléthanol non détecté » ;

- un courrier du 1er décembre 2019 adressé au Dr D______ rappelant son parcours, confirmant qu'il ne buvait plus d'alcool depuis le 12 septembre 2019 et sollicitant sa bienveillance afin de lui permettre de récupérer son permis de conduire et rechercher un nouvel emploi ;

- la réponse du Dr D______ du 2 décembre 2019 l'informant qu'il ne pourrait pas le revoir avant un suivi en addictologie, montrant une abstinence à l'alcool prolongée et confirmée dans un temps minimum d'une année. Il lui rappelait pour le surplus qu'il pouvait recourir contre sa décision et être expertisé, à ses frais, auprès d'un médecin de niveau 4 ;

- un courrier explicatif du 9 décembre 2019 adressé au SCV relatif à ces pièces. Son médecin traitant et les deux médecins consultés à l'UDMPR avaient confirmé qu'il n'était pas alcoolique, respectivement qu'il n'avait pas besoin d'être suivi pour une détoxication d'alcool.

11) Par décision du 12 décembre 2019 sur effet suspensif, le TAPI a rejeté la requête en restitution de l'effet suspensif au recours.

M. A______ requérait la restitution immédiate de son permis, ce qui constituerait une anticipation du jugement qu'il espérait obtenir sur le fond et aurait pour conséquence de lui permettre de reprendre immédiatement le volant.

Au vu du dossier et des doutes émis par les médecins et experts quant à son aptitude à la conduite, la pesée des intérêts respectifs en présence, soit l'intérêt public à la sécurité du trafic d'une part, et son intérêt privé à pouvoir continuer à faire usage de son véhicule, penchait clairement en faveur du premier de ces intérêts. L'intéressé se contentait pour sa part de substituer sa propre appréciation à celle des médecins et experts consultés, sans fournir aucun élément concret qui permettrait en particulier de considérer que le certificat du Dr D______ était infondé. Le compte rendu d'analyse du 19 novembre 2019 ne permettait en particulier pas de retenir une abstinence à l'alcool prolongée. Partant, il se justifiait en l'état que l'intéressé demeure à l'écart de la circulation.

La demande de restitution de l'effet suspensif au recours était rejetée.

12) Par acte du 20 décembre 2019, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

Il concluait à la restitution de l'effet suspensif et, subsidiairement et dans la mesure où cela ressortait de la compétence de la chambre de céans, à l'annulation de la décision du SCV du 24 octobre 2019, la restitution de ses permis de conduire pour toutes les catégories, voire qu'il soit ordonné au SCV une expertise par des spécialistes auprès d'une autorité médicale neutre et indépendante de l'administration.

Il avait été licencié de son dernier emploi pendant son absence pour maladie durant l'été 2019. Il lui était difficile, à son âge, de retrouver un travail sans permis de conduire pour le domaine d'activité dans lequel il exerçait sa profession. Il utilisait son véhicule pendant ses loisirs. Le retrait de tous les permis de conduire était disproportionné. De surcroît, la décision se fondait sur l'avis d'un médecin généraliste. Il appartenait à des spécialistes et à des experts en la matière de se prononcer avant qu'une décision soit prise. Dans son cas, l'ordre avait été inversé, à savoir que le SCV avait pris une décision avant que les spécialistes ne soient consultés. De plus, il avait consulté de nombreux médecins, à ses frais, sans qu'aucun ne puisse s'occuper de son dossier : les spécialistes, notamment les médecins du service d'addictologie, ne le considéraient pas comme alcoolique ; ceux du service de médecine légale n'avaient pas reçu son dossier, contrairement à ce que prétendait le médecin généraliste de l'administration qui indiquait le lui avait envoyé ; enfin, les médecins et psychologues du « trafic » ne pouvaient pas s'occuper de son dossier tant que le SCV ne le validait pas, ce que celui-ci ne voulait pas faire tant qu'un recours était pendant. En conséquence, la restitution de l'effet suspensif au recours était nécessaire.

13) Le SCV ayant conclu au rejet du recours sans formuler d'observations, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.


 

EN DROIT

1)La chambre administrative est l'autorité supérieure de recours en matière administrative (art. 132 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire - LOJ - E 2 05).

2) Selon l'art. 132 al. 2 LOJ, le recours est ouvert contre les décisions des juridictions administratives au sens de l'art. 5 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), notamment celles du TAPI (art. 6 let. a LPA). Il doit être interjeté dans le délai légal mentionné à l'art. 62 al. 1 LPA, selon la nature de la décision.

3) a. L'objet du recours est la décision refusant de restituer l'effet suspensif au recours sollicité par le recourant.

Les conclusions en annulation de la décision du SCV du 24 octobre 2019 et en restitution du permis toutes catégories ainsi qu'en expertise auprès d'une « autorité médicale neutre et indépendante de l'administration » sont exorbitantes à l'objet du présent litige et ne sont pas recevables.

b. Il s'agit d'une décision incidente (ATF 134 II 349), contre laquelle le recours doit être interjeté dans les dix jours dès sa notification (art. 62 al. 1 let. b et al. 3 LPA ; ATA/230/2012 du 17 avril 2012 ; ATA/136/2010 du 2 mars 2010).

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue.

4) a. Selon l'art. 57 let. c LPA, sont seules susceptibles de recours les décisions incidentes qui peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

b. Le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée, comme un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a).

En l'espèce, le recourant n'a pas exposé devant la juridiction de céans en quoi il subirait un préjudice irréparable parce qu'il ne peut plus conduire de véhicule jusqu'au jugement définitif sur le fond. Il se contente de soutenir que le retrait de l'effet suspensif au recours est disproportionné et que la décision du SCV se fonde sur l'avis d'un médecin généraliste. Certes, le recourant, âgé de 57 ans, licencié de son emploi cet été, indique chercher du travail dans son domaine de compétence, à savoir comme chauffeur poids-lourds, activité qu'il a exercée pendant trente-deux ans, étant spécialisé dans le transport de matières dangereuses. Il n'est toutefois pas contestable que l'absence de permis de conduire l'entrave. Dans ces conditions la question de l'existence d'un préjudice irréparable souffrira de rester indécise dès lors qu'en tous les cas le recours doit être rejeté compte tenu de ce qui suit.

5)Sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (art. 66 al. 1 LPA).

Lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (art. 66 al. 3 LPA).

6) a. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

b. Pour effectuer la pesée des intérêts en présence, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

c. En l'espèce, l'intérêt du recourant à pouvoir récupérer son permis de conduire est important dès lors que cette décision le prive de pouvoir rechercher un emploi. L'intérêt à la sécurité publique doit toutefois primer l'intérêt particulier de l'intéressé. Il ressort en effet non seulement de l'avis du Dr D______ mais aussi de divers tests médicaux versés au dossier (résultats d'examens des 18 juillet 2018, 28 août 2018, 17 octobre 2018, 8 mars 2019 et 3 juin 2019) une valeur du marqueur biologique CDT supérieure à la norme prescrite. Par ailleurs, l'avis du Dr. D______ rejoint les doutes émis initialement par les Drs B______ et C______. C'est en conséquence à bon droit, au vu de la prépondérance de l'intérêt public précité, que l'autorité intimée a ordonné l'exécution de la décision de retrait de permis de conduire nonobstant recours et que le TAPI a refusé de restituer l'effet suspensif au recours.

7) Vu l'issue du litige, le recourant verra un émolument de CHF 400.- mis à sa charge. Il ne lui sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette en tant qu'il est recevable le recours interjeté le 20 décembre 2019 par Monsieur A______ contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 12 décembre 2019 ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu'il ne lui est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, à l'office cantonal des véhicules, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à l'office fédéral des routes.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Krauskopf, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :