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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/394/2019

ATA/1846/2019 du 20.12.2019 ( PRISON ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/394/2019-PRISON ATA/1846/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 décembre 2019

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1993, est détenu depuis le 20 décembre 2018 à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison).

2) Le même jour, soit le 20 décembre 2018, un gardien a rédigé un rapport au sujet de M. A______. Celui-ci se trouvait, à 17h47, dans la cellule d'attente n° 1______, et a appelé le personnel. Le gardien lui ayant répondu, M. A______ avait demandé à voir le service médical immédiatement. Le gardien lui avait indiqué qu'il était en route, et qu'il fallait patienter. Lorsqu'il avait refermé la porte, M. A______ lui avait dit : « va te faire enculer » et l'avait traité de « fils de pute ».

3) À la suite de cet incident, M. A______ a été emmené, à 18h00 et sur décision du gardien-chef adjoint du jour, en cellule forte où il a commencé à purger une sanction disciplinaire.

4) Selon un second rapport du 20 décembre 2018, lors de l'entrée en cellule forte, M. A______ s'était fait remettre matelas et couverture, et il s'était alors dirigé vers les gardiens et avait tenté de sortir de la cellule forte. Les gardiens avaient dû le repousser, et il leur avait dit : « ça ne se passera pas comme ça ».

5) Le 21 décembre 2018, entre 11h00 et 11h30, M. A______ a été vu par un membre du service médical de la prison, qui a préconisé une prise en charge au service des urgences des hôpitaux universitaires des de Genève (ci-après : les urgences).

M. A______ a été transféré aux urgences le jour même à 12h35 et est revenu à la prison à 18h50.

6) M. A______ s'est fait auditionner, le 22 décembre 2018 à 09h05, par le gardien-chef adjoint de l'établissement, qui lui a signifié à 09h10 une sanction de quatre jours de cellule forte pour menaces, injures et attitude incorrecte envers le personnel.

Le rapport du gardien-chef mentionne que l'intéressé n'avait été vu et entendu que ce jour-là, car la veille il était aux urgences.

7) Le 22 décembre 2018, M. A______ a été transféré aux urgences à 19h23 et en est revenu à 22h32.

8) M. A______ est sorti de cellule forte le 24 décembre 2018 à 21h09.

9) Par deux actes postés le 30 janvier 2019, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la sanction précitée, sans prendre de conclusions formelles.

Le personnel de la prison avait transformé à sa guise le motif de la sanction. On l'avait laissé en cellule forte au moins vingt-quatre heures avec du sang sur le front ; le service médical en était témoin. Il avait été sans caleçon sous ses habits durant son séjour en cellule forte. Il n'avait pas eu accès à une brosse à dents ni à du dentifrice, et toute lecture lui avait été refusée. De retour de l'hôpital, un gardien lui avait touché les cheveux pendant tout le trajet entre la cour de la prison et la cellule forte, afin de le pousser à bout.

La cellule forte dans laquelle il avait effectué la sanction n'était dotée ni de table, ni de chaise ou de banc, ce qui contrevenait aux règles pénitentiaires européennes et aux règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus.

10) Dans un complément de recours spontané du 8 février 2019, M. A______ a indiqué qu'il s'était injurié lui-même. Il avait du sang sur le front car il s'était frappé la tête contre la porte. Lorsque les gardiens avaient refermé la porte, il avait commencé à les insulter.

11) Le 7 mars 2019, la prison a conclu au rejet du recours.

La décision reposait sur une base légale, était justifiée par un intérêt public et respectait le principe de la proportionnalité. Les rapports d'incident rédigés par le personnel pénitentiaire étaient très clairs, et n'étaient au final pas contredits par M. A______, qui admettait dans l'un de ses courriers avoir insulté le personnel.

S'agissant du droit d'être entendu, la jurisprudence admettait qu'en cas d'incident nécessitant une sanction et se produisant après les horaires ordinaires d'activité, le droit d'être entendu pouvait être différé. En l'espèce, la notification de la sanction devait se faire le lendemain des incidents au matin, soit le 21 décembre 2018, mais M. A______ avait été conduit au service médical de la prison, puis aux urgences, et en était revenu après lesdits horaires ordinaires d'activité, si bien que la sanction lui avait été notifiée le 22 décembre 2018 à 09h05. Son droit d'être entendu n'avait ainsi pas été violé.

Sur le fond, M. A______ avait contrevenu au règlement de l'établissement en injuriant, menaçant et adoptant une attitude incorrecte envers le personnel pénitentiaire. Une sanction de quatre jours de cellule forte était pleinement justifiée au regard des violations du règlement que l'intéressé avait commises.

12) Le 29 mars 2019, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 12 avril 2019 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

13) Les 2 et 11 avril 2019, M. A______ a persisté dans son recours.

Il aurait pu être entendu le 21 décembre 2018, étant donné qu'il était parti en ambulance de la prison vers 12h50, ce qui n'impliquait pas qu'il était inapte à être informé.

14) La prison ne s'est quant à elle pas manifestée.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ).

2) La sanction ayant déjà été exécutée, il convient d'examiner s'il subsiste un intérêt digne de protection à l'admission du recours (art. 60 al. 1 let. b LPA).

a. Aux termes de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2).

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2). Si l'intérêt actuel fait défaut lors du dépôt du recours, ce dernier est déclaré irrecevable (ATF 139 I 206 consid. 1.1) ; s'il s'éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 137 I 23 consid. 1.3.1).

Il est toutefois renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1).

b. En l'espèce, le recourant dispose d'un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité de la sanction disciplinaire doit pouvoir faire l'objet d'un contrôle en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, nonobstant l'absence d'intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée. En effet, cette situation pourrait encore se présenter (ATA/257/2018 du 20 mars 2018 et la jurisprudence citée), dès lors que l'intimée n'a pas indiqué à la chambre de céans que le recourant aurait quitté la prison à ce jour.

Le recours est donc recevable à tous points de vue.

3) Le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (arrêts du Tribunal fédéral 2C_545/2014 du 9 janvier 2015 consid. 3.1 ; 2D_5/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3), de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 138 I 154 consid. 2.3.3 ; 138 V 125 consid. 2.1 ; 137 II 266 consid. 3.2).

b. La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 138 I 97 consid. 4.16.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; 133 I 201 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_533/2012 du 12 septembre 2013 consid. 2.1 ; ATA/747/2016 du 6 septembre 2016 consid. 4e et la doctrine citée). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 126 I 68 consid. 2 et la jurisprudence citée) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 ; 136 V 117 consid. 4.2.2.2 ; 133 I 201 consid. 2.2 ; ATA/666/2015 du 23 juin 2015 consid. 2b et les arrêts cités). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/453/2017 du 25 avril 2017 consid. 5c ; ATA/747/2016 précité consid. 4e et les références citées).

c. L'art. 47 al. 2 du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04) mentionne que le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu avant le prononcé de la sanction. La jurisprudence de la chambre de céans admet qu'en cas d'incident nécessitant une sanction se produisant après les horaires ordinaires d'activité de la prison, soit après 18h00, l'exercice du droit d'être entendu puisse s'exercer de manière un peu différée, soit en particulier le lendemain matin à la première heure, ceci en raison des besoins du service, notamment dans les cas où l'autorité décisionnaire est le directeur ou un autre membre gradé du personnel, dont le nombre est restreint dès le soir (ATA/1597/2019 du 29 octobre 2019 consid. 2b ; ATA/500/2017 du 2 mai 2017 consid. 6a).

d. Selon la jurisprudence de la chambre de céans, celle-ci, seule autorité de recours au niveau cantonal, connaît des litiges tels que celui d'espèce avec un pouvoir d'examen qui n'est pas limité. Dès lors, une éventuelle violation du droit être entendu peut éventuellement être réparée par l'instruction de la cause qui se déroule devant elle (ATA/1194/2019 du 30 juillet 2019 consid. 3d ; ATA/1060/2018 du 9 octobre 2018 ; ATA/310/2017 du 21 mars 2017).

La violation du droit d'être entendu ne peut toutefois être réparée devant l'instance de recours que si celle-ci dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité dont la décision est contestée (ATF 138 I 97 consid. 4.16.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_780/2016 du 6 février 2017 consid. 3.1) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; ATA/1039/2017 du 30 juin). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/1060/2018 du 9 octobre 2018 consid. 4a ; ATA/1039/2017 du 30 juin 2017 et les arrêts cités).

Enfin, une décision entreprise pour violation du droit d'être entendu n'est en principe pas nulle, mais annulable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; ATA/632/2017 du 6 juin 2017 et les arrêts cités).

4) En l'espèce, la sanction a été prononcée immédiatement après les incidents, qui ont eu lieu le 20 décembre 2018 au soir, mais elle n'a été notifiée, et le recourant entendu à son sujet, que le 22 décembre 2018 à 09h05. L'intimée invoque que le recourant s'est rendu le 21 décembre au matin au service médical de la prison, puis aux urgences, et n'en est revenu qu'après 18h00. Toutefois, comme le recourant le relève pertinemment, il n'a été transféré aux urgences que l'après-midi, et il a été vu par le service médical de la prison, au plus tôt, à 11h00. On ne comprend dès lors pas pourquoi la sanction ne lui a pas été notifiée le 21 décembre 2018 avant 11h00, comme l'exige la jurisprudence citée plus haut.

Il y a ainsi eu violation du droit d'être entendu du recourant. Vu l'importance du droit d'être entendu par rapport à la sanction prononcée, et le fait que le recourant n'a été entendu au sujet de la sanction qu'après l'exécution de plus de la moitié de celle-ci, la violation du droit d'être entendu ne peut être considérée comme ayant été réparée dans le cadre de la présente instance.

Le recours sera ainsi admis.

Dès lors que la sanction a été entièrement exécutée à ce jour, il n'est matériellement plus possible de l'annuler. La chambre de céans se limitera à en constater le caractère illicite (ATA/1454/2019 précité consid. 8f ; ATA/934/2014 du 25 novembre 2014 consid. 6).

5) Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Il ne sera pas non plus alloué d'indemnité de procédure malgré l'issue du litige, le recourant n'y ayant pas conclu et n'ayant pas exposé avoir encouru de frais pour assurer sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 janvier 2019 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 22 décembre 2018 ;

au fond :

l'admet ;

constate le caractère illicite de la décision de la prison de Champ-Dollon du 22 décembre 2018, au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :