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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1625/2011

ATA/1841/2019 du 20.12.2019 sur JTAPI/1258/2018 ( EXP ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1625/2011-EXP ATA/1841/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 décembre 2019

 

dans la cause

 

Mme A______
M. B______ C______
M. D______ C______
Mme E______ C______
représentés par Me Jean-Daniel Borgeaud, avocat

contre

AÉROPORT INTERNATIONAL DE GENÈVE
représenté par Me Nicolas Wisard, avocat

et

ÉTAT DE GENÈVE
représenté par Me Pierre Martin-Achard, avocat

_________

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 décembre 2018 (JTAPI/1258/2018)


EN FAIT

1) Suite au décès de feu M. F______ C______, Mme G______ C______, Mme A______, MM. H______ et I______ C______ et Mme E______ C______ (ci-après : Mme A______ et consorts) ont acquis, par acte enregistré au Registre foncier le ______ 2012, les parcelles nos 1______, 2______, 3______ et 4______ de la commune de J_______, d'une surface globale de 2'445 m2, sises chemin des K______ ______, au lieu-dit de « L______ ».

2) Ces parcelles, situées à environ 270 mètres de l'extrémité sud-ouest de la piste de l'Aéroport international de Genève (ci-après : AIG), sont affectées d'une charge sonore comprise entre 66 et 67 dB(A) de jour.

3) Par requête du 27 mai 2011, Mme A______ et consorts ont saisi la commission cantonale de conciliation et d'estimation (ci-après : la commission) dont la compétence a ultérieurement été reprise par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), d'une demande d'indemnisation pour expropriation matérielle dirigée contre l'État de Genève et l'AIG, aux termes de laquelle ils ont conclu à ce que l'État de Genève, subsidiairement l'AIG, soit condamné à leur verser à titre d'indemnisation pour expropriation matérielle, en raison de l'atteinte à leur faculté de bâtir du fait des nuisances sonores inhérentes à l'exploitation de l'aéroport, la somme de CHF 1'616'000.-, plus intérêts à 5 % à compter du 1er juin 2001, avec suite de frais et dépens.

Par écriture du 20 juillet 2011, ils ont complété la requête.

4) Lors d'une audience tenue le 17 septembre 2012, le TAPI a procédé à une tentative de conciliation entre les parties. Il a pris acte du fait que celles-ci n'étaient pas parvenues à un accord et qu'ainsi la procédure devait aller de l'avant.

La procédure a ensuite été suspendue par décision du 4 février 2013 puis à nouveau le 23 décembre 2013 et le 7 janvier 2015. L'instruction de la cause a été reprise par décision du 23 novembre 2018.

5) Dans leurs observations du 6 décembre 2018, les requérants se sont référés à l'argumentaire développé devant la chambre administrative dans des procédures « pilotes » relativement à la question de la prescription, soutenant, d'une part, que le dies a quo du délai de prescription n'avait pas commencé à courir, faute de notification personnelle aux propriétaires des restrictions affectant leurs propriétés ou de publication officielle des plans, et, d'autre part, que la durée du délai de prescription dans le domaine de l'expropriation matérielle était de dix ans.

6) Dans leurs observations communes du 6 décembre 2018, l'État de Genève et l'AIG ont conclu à ce que le TAPI constate que la requête était prescrite.

7) Par jugement du 12 décembre 2018, le TAPI a rejeté la requête en indemnisation.

Les parcelles litigieuses étant affectées d'une charge sonore de 66 à
67 dB(A) de jour, le dies a quo du délai de prescription devait donc être fixé en l'espèce au 1er juin 2001, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral ayant retenu un délai de prescription de cinq ans pour faire valoir une indemnité pour expropriation matérielle (arrêts du Tribunal fédéral 1C_460/2014 du 15 juin 2015 et 1C_602/2017, 1C_603/2017, 1C_604/2017, 1C_605/2017, 1C_606/2017 et 1C_607/2017 du 8 octobre 2018 rendus dans six procédures « pilotes »), la prescription était acquise au 1er juin 2006. Mme A______ et consorts n'ayant pas démontré que le délai de prescription aurait été interrompu avant cette date, le délai quinquennal était largement échu au jour de l'introduction de la présente procédure. Partant, les prétentions des requérantes étaient prescrites.

Le dispositif du jugement prévoyait au chiffre 1, le rejet de la requête en indemnisation ; au chiffre 2, le rejet de toutes autres conclusions ; au chiffre 3, la mise à la charge des membres de l'hoirie, pris conjointement et solidairement, d'un émolument de CHF 800.- ; au chiffre 4, la condamnation des membres de l'hoirie, pris conjointement et solidairement, à verser à l'État de Genève et à l'AIG, conjointement et solidairement, une indemnité de CHF 800.- à titre de dépens.

8) Par acte expédié le 1er février 2019 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), Mme A______, M. B______ C______, M. D______ C______ et Mme E______ C______ - donc sans Mme G______ C______ - (ci-après : Mme A______ et consorts) ont formé recours contre ce jugement, concluant à l'annulation des chiffres 3 et 4 du jugement du TAPI, à ce que les frais de la procédure devant le TAPI soient mis à la charge de l'état de Genève et de l'AIG, à la condamnation de l'État de Genève et de l'AIG à verser aux recourants une indemnité de CHF 2'500.- à titre de dépens pour la procédure devant le TAPI ainsi que le versement d'une indemnité de procédure.

C'était par les arrêts rendus par le Tribunal fédéral le 8 octobre 2018 que la prescription avait été fixée clairement à cinq ans. Avant cette date, la jurisprudence n'était pas figée et l'État et l'AIG avaient soutenu d'autres thèses. Le conseil des recourants n'avait eu que peu de temps pour exposer à ses clients les enjeux de la jurisprudence s'agissant de la procédure en cours. L'art. 60 de la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique du 10 juin 1933 (Lex-GE - L 7 05) prévoyait que, sauf abus de l'exproprié, d'une part, les frais de la procédure étaient supportés par l'État et, d'autre part, que l'exproprié avait droit à une indemnité de participation à ses honoraires d'avocat. La prise en compte de cette disposition qui instaurait une répartition des frais et dépens spécifique aux procédures en expropriation avait été omise par le TAPI.

De plus la condamnation d'un citoyen aux dépens en faveur de l'État était contraire à la jurisprudence selon laquelle une entité publique possédant un service juridique était apte à conduire les procédures elle-même.

Le dépôt de la requête en indemnisation avait impliqué non seulement un travail d'identification des caractéristiques de la propriété et des propriétaires, mais surtout d'analyse des délais et fondements d'une prétention en indemnité pour expropriation matérielle.

9) Le 18 février 2019, le TAPI a transmis son dossier, renonçant à formuler des observations.

10) Le 18 mars 2019, Mme A______ et consorts, interpellés sur ce point par la chambre administrative, ont précisé qu'ils s'en rapportaient à justice s'agissant de déterminer si l'omission de faire application de l'art. 60 LEx-GE faite par le TAPI ouvrait la voie du recours ou celui d'une réclamation.

11) Le 18 mars 2019, l'État de Genève et l'AIG se sont déterminés dans une écriture commune. Ils s'en rapportaient à justice s'agissant de la compétence ratione materiae de la chambre administrative et quant à une éventuelle transmission d'office du recours au TAPI. Ils concluaient au rejet du recours ainsi qu'au versement d'une indemnité de procédure.

L'art. 60 LEx-GE ne trouvait application qu'en cas d'expropriation. Si
celle-ci n'était pas admise, les principes découlant de la loi sur la procédure administrative réglaient la prise en charge des frais et dépens.

12) Le 10 avril 2019, Mme A______ et consorts ont répliqué persistant dans les conclusions prises dans leur recours.

Le législateur avait fait un choix de considérer qu'il était légitime qu'un citoyen qui subissait une diminution drastique de la valeur d'un actif immobilier, souvent hypothéqué, souvent le principal élément de sa fortune, saisisse les tribunaux sans encourir de frais, même s'il s'avérait, in fine qu'il n'avait pas droit à une indemnité.

13) Le 16 avril 2019, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1) L'acte intitulé « recours » conteste deux points du dispositif du jugement du TAPI mais pas le rejet de la demande d'indemnisation prononcé en raison de la prescription des prétentions.

Le « recours » est dirigé contre l'émolument mis à la charge de Mme A______ et consorts et contre l'indemnité de procédure en faveur de l'État de Genève et de l'AIG, pris conjointement et solidairement.

2) L'art. 60 LEx-GE, dont se prévalent Mme A______ et consorts pour fonder leur « recours », prévoit que les frais de la procédure sont supportés par l'expropriant et arrêtés dans la décision (al. 1). Toutefois, en cas d'abus de la part de l'exproprié, le tribunal peut, d'office ou à la demande de l'expropriant, mettre une partie ou la totalité des frais à la charge de l'exproprié (al. 2). Le tribunal peut allouer aux expropriés, auxquels la procédure d'expropriation a occasionné des frais (entre autres honoraires d'avocats), une indemnité équitable à titre de dépens, dont le montant est déterminé dans la décision (al. 3).

Les termes d'exproprié et d'expropriant utilisés dans cette disposition légale indiquent sans ambiguïté à qui s'appliquent les mesures prévues.

En l'espèce, Mme A______ et consorts, dont la demande d'indemnisation pour expropriation matérielle dirigée contre l'État de Genève et l'AIG a été rejetée par le jugement du TAPI, ne peuvent donc pas être considérés comme expropriés, au sens de la LEx-GE.

Ce raisonnement est conforté par la jurisprudence du Tribunal fédéral rendue en matière d'expropriation matérielle dans une cause jurassienne, la disposition du droit jurassien applicable ayant une teneur similaire à
l'art. 60 LEx-GE, notamment quant à l'utilisation des termes d'exproprié et d'expropriant. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a retenu que la disposition ne devait pas s'appliquer, en principe, lorsque les prétentions en expropriation matérielle étaient entièrement rejetées mais que dans un tel cas, le principe général, selon lequel celui qui succombe supporte les frais de la procédure, aurait dû être appliqué. Cette interprétation était également retenue par la doctrine au sujet d'une disposition similaire de droit bernois (arrêt du Tribunal fédéral
1C_215/2015 du 7 mars 2016 consid. 5.2 et les références citées).

Il découle de ce qui précède que le jugement querellé n'ayant pas admis les prétentions en indemnisation au titre d'une prétendue expropriation matérielle, l'art. 60 LEx-GE ne peut trouver application, et notamment par renvoi de l'art. 61A LEx-GE, et que ce sont les dispositions ordinaires de la procédure administrative qui s'appliquent.

3) a. L'art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) prévoit que la juridiction administrative qui rend la décision statue sur les frais de procédure et émoluments.

Les frais de procédure, émoluments et indemnité arrêtés par la juridiction administrative peuvent faire l'objet d'une réclamation dans le délai de trente jours dès la notification de la décision (art. 87 al. 4 LPA). La procédure de réclamation a pour effet d'obliger l'autorité qui a rendu la décision administrative attaquée à se prononcer à nouveau sur l'affaire (art. 50 al. 1 LPA).

b. À teneur de l'art. 67 al. 1 LPA, dès le dépôt du recours, le pouvoir de traiter l'affaire qui en est l'objet passe à l'autorité de recours (effet dévolutif du recours). Si l'art. 87 al. 4 LPA prévoit la voie de la réclamation pour contester les frais de procédure, les émoluments et les indemnités arrêtés par la juridiction administrative, selon la jurisprudence de la chambre de céans, l'art. 87 al. 4 LPA ne déroge cependant pas à l'art. 67 LPA lorsque les griefs du recourant ne se limitent pas aux frais de procédure, émoluments et indemnités mais qu'ils portent également sur la validité matérielle de la décision attaquée. Dans ce cas, la chambre de céans est compétente pour statuer sur toutes les questions litigieuses, y compris sur l'émolument et l'indemnité (ATA/649/2012 du 25 septembre 2012).

A contrario, lorsque seuls les frais et émoluments fixés par le TAPI sont critiqués, c'est ce dernier qui est compétent pour statuer par la voie de la réclamation, son jugement pouvant être ensuite porté devant la chambre de céans (ATA/691/2014 du 2 septembre 2014).

En l'espèce, les recourants contestent l'émolument et l'indemnité fixée par le TAPI dans son jugement. Comme vu ci-dessus, ces montants ont été fixés sur la base de l'art. 87 LPA par le TAPI.

En conséquence, l'acte déposé par Mme A______ et consorts doit être qualifié de réclamation dont le TAPI aurait dû être saisi.

4) Le recours adressé à une autorité incompétente est transmis d'office à la juridiction administrative compétente et le recourant en est averti. L'acte est réputé déposé à la date à laquelle il a été adressé à la première autorité (art. 64 al. 2 LPA).

En conséquence, déposé dans le délai prévu à l'art. 87 al. 4 LPA devant une autorité incompétente, l'écriture de Mme A______ et consorts sera transmise d'office au TAPI.

Vu l'issue du litige, il ne sera perçu ni émolument ni alloué d'indemnité (ATA/1523/2019 du 15 octobre 2019 ; ATA/190/2016 du 1er mars 2016).

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 1er février 2019 par Mme A______, MM. H______ et I______ C______ et Mme E______ C______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 décembre 2018 ;

transmet le recours au Tribunal administratif de première instance pour raison de compétence, au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Daniel Borgeaud, avocat de Mme A______, MM. H______ et I______ C______ et Mme E______ C______, à Me Nicolas Wisard, avocat de l'Aéroport international de Genève, et Me Pierre
Martin-Achard, avocat de l'État de Genève, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Pagan et Verniory,
Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Knupfer, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :