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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3624/2019

ATA/1823/2019 du 17.12.2019 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3624/2019-EXPLOI ATA/1823/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 décembre 2019

2ème section

 

dans la cause

Monsieur A______
représenté par Me Malek Adjadj, avocat

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL



EN FAIT

1) Monsieur A______ exploite B______
(ci-après : B______), une entreprise individuelle. À teneur du registre du commerce genevois, elle est active dans le domaine « ingénieurs, conseils ».

2) Le 8 avril 2019, l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) a ouvert une procédure administrative à l'encontre de M. A______ afin de contrôler le respect au sein de son entreprise des exigences légales en matière de protection de la santé, « un certain nombre d'éléments se rapportant à la santé au travail » ayant été portés à sa connaissance.

3) Le 10 mai 2019, les représentants de l'OCIRT ont effectué un contrôle dans les locaux de B______. M. A______ a été entendu à cette occasion.

4) À la suite de ce contrôle, l'OCIRT a adressé à ce dernier, le 31 mai 2019, une demande de mise en conformité.

Les mesures à prendre concernaient les éléments lacunaires constatés par l'OCIRT à la suite de son contrôle. Il s'agissait ainsi notamment de remédier à l'enregistrement inadéquat de la durée du travail, aux défaillances en matière de prévention des atteintes à l'intégrité personnelle et aux aspects relatifs à l'organisation du travail favorisant le surmenage du personnel. Diverses mesures étaient à mettre en oeuvre.

Il s'agissait de protéger la santé physique et psychique des collaborateurs, de mettre en place et de soumettre à l'OCIRT un système d'enregistrement de la durée du temps de travail, de mettre en place un suivi des heures supplémentaires et d'autres indicateurs d'alerte de risque de surmenage au travail, de formaliser les décisions et actions planifiées lors des réunions d'équipes et de formaliser l'organisation des équipes en charge de projets en précisant le rôle de chacun. Il convenait encore d'élaborer le cahier des charges relatif à l'ensemble des fonctions au sein de la société, de mettre en place un dispositif de personne de confiance hors hiérarchie, d'élaborer une directive de protection de l'intégrité personnelle et de mettre en place des formations pour les collaborateurs en matière de protection de la santé et de la sécurité au travail.

5) Par courriers des 20 et 28 juin 2019, M. A______ a sollicité l'accès au dossier administratif de son entreprise individuelle.

6) Le 8 juillet 2019, l'OCIRT l'a autorisé à consulter les pièces du dossier dans ses locaux.

7) Après avoir consulté le dossier, par le biais de son mandataire, l'intéressé a considéré que certains documents manquaient au dossier consulté. Par courriers des 19 et 29 juillet 2019, il a demandé l'accès complet au dossier.

8) Le 6 août 2019, l'OCIRT a confirmé avoir mis toutes les pièces du dossier ayant été utilisées pour formuler la demande de mise en conformité du 31 mai 2019 à disposition de M. A______, à l'exception du rapport de visite du 10 mai 2019, écarté par erreur de la consultation, ainsi que des notes internes et une dénonciation. Le rapport était joint au courrier, dans son intégralité.

9) Par courriers des 7 et 20 août 2019, M. A______ a réitéré sa demande d'avoir un accès complet au dossier, incluant les notes internes et la dénonciation.

10) Le 19 septembre 2019, l'OCIRT a rendu une décision refusant l'accès complet au dossier administratif de l'entreprise, s'agissant de courriels contenant l'identité du dénonciateur, en application des art. 45 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10) et 15 let. c de la Convention no 81 de l'Organisation internationale du travail sur l'inspection du travail du 11 juillet 1947 (ci-après : convention OIT).

Les notes internes n'étaient pas consultables, le droit d'accès ne s'étendant pas à celles-ci. Le caviardage de certains passages de la dénonciation n'était pas suffisant pour « anonymiser » le document, l'office ne pouvant donner un accès même limité, au contenu de l'échange sans divulguer l'identité du dénonciateur.

Toutes les pièces du dossier administratif de l'entreprise ayant servi à motiver la demande de mise en conformité du 31 mai 2019 avaient été mises à disposition de l'entreprise pour consultation et complétées par courrier du 6 août 2019. La dénonciation n'avait pas été utilisée pour fonder la demande de mise en conformité, et le droit d'être entendu de l'entreprise était ainsi pleinement respecté.

11) Par acte expédié le 30 septembre 2019, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant à l'annulation de la décision précitée et à l'octroi d'un accès libre et illimité au dossier complet de l'OCIRT. Subsidiairement, il convenait de renvoyer la cause à l'OCIRT et d'ordonner un accès libre et illimité au dossier complet.

Son droit d'être entendu avait été violé, dès lors que l'autorité ne lui avait pas donné accès au dossier complet. L'OCIRT avait utilisé dans sa décision des faits ressortant de la dénonciation, sans pour autant lui communiquer par écrit le contenu essentiel de celle-ci et lui donner l'occasion de s'exprimer. Il avait pourtant fait preuve d'une collaboration exemplaire à l'égard de l'OCIRT.

12) L'OCIRT a conclu au rejet du recours.

La protection des dénonciateurs était prévue par l'art. 15 de la convention OIT et par l'art. 54 de la loi fédérale sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce du 13 mars 1964 (LTr - RS 822.11), tel que le précisait le commentaire du secrétariat d'État à l'économie (ci-après : SECO). Elle était aussi garantie par l'art. 45 LPA. En outre, le principe de la proportionnalité était applicable en l'espèce. L'OCIRT n'avait pas utilisé le contenu de la dénonciation pour fonder la demande de mise en conformité du 31 mai 2019. La dénonciation n'avait servi qu'à initier un contrôle afin de vérifier le respect par le recourant de ses obligations légales découlant de la LTr. Seuls les constats réalisés lors du contrôle du 10 mai 2019 dans les locaux du recourant et les déclarations de ce dernier avaient permis d'établir l'existence de lacunes dans l'organisation interne en matière de protection de la santé des travailleurs.

L'OCIRT devait être en mesure de garantir l'anonymat des tiers dans l'exercice de son activité étatique, dans la mesure où les informations recueillies par ce biais lui servaient à initier des contrôles pour s'assurer du respect des règles en matière de protection de la santé au travail. Le document contenait trop d'informations sur l'identité du dénonciateur pour être anonymisé et transmis sous une forme caviardée. Aucune mesure moins incisive n'était envisageable, justifiant ainsi que la pièce ne soit pas portée à la connaissance du recourant.

13) Dans sa réplique, le recourant a persisté dans les conclusions.

La dénonciation avait fondé l'ouverture d'une procédure à son encontre, dont découlait la décision de mise en conformité du 31 mai 2019. Certains éléments de la demande de mise en conformité ne ressortaient pas du rapport de visite du 10 mai 2019. L'OCIRT aurait dû résumer le contenu de la dénonciation, ce qu'il n'avait pas fait. En outre, l'autorité intimée n'avait pas respecté l'élection de domicile en l'étude du mandataire du recourant, violant son droit d'être entendu, même si l'autorité intimée avait spontanément prolongé le délai au 31 décembre 2019, lorsque cette erreur avait été portée à sa connaissance. Il faisait ainsi l'objet de représailles de la part de l'OCIRT.

14) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) Le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu, particulièrement de la possibilité de consulter certaines pièces du dossier et d'obtenir copie de la dénonciation.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 138 I 154 consid. 2.3.3 ; 138 V 125 consid. 2.1 ; 137 II 266 consid. 3.2).

b. Les parties et leurs mandataires sont admis à consulter au siège de l'autorité les pièces du dossier destinées à servir de fondement à la décision (art. 44 al. 1 LPA). L'autorité peut interdire la consultation du dossier ou d'une partie de celui-ci si l'intérêt public ou des intérêts privés prépondérants l'exigent, le refus d'autoriser la consultation des pièces ne pouvant s'étendre toutefois qu'aux pièces qu'il y a lieu de garder secrètes (art. 45 al. 1 et 2 LPA). La décision par laquelle la consultation d'une pièce est refusée peut faire l'objet d'un recours immédiat (art. 45 al. 4 LPA).

c. Il n'existe pas en la matière de norme spécifique et concrète garantissant l'anonymat, et seule est interdite l'instruction d'une dénonciation anonyme (art. 10A LPA). Le Tribunal fédéral a précisé que l'intérêt de la personne dénoncée à connaître l'identité de ses dénonciateurs peut se voir limité par les intérêts publics de l'État ou les intérêts légitimes du tiers dénonciateur. Toutefois, il ne peut être accepté un intérêt général pour garantir la confidentialité de tout informateur ; il convient de se déterminer par une pesée des intérêts en examinant les intérêts du dénoncé et du dénonciateur (ATF 129 I 249 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_609/2015 du 5 novembre 2015 consid. 4.1 ; Stéphane GRODECKI /Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, LPA/GE et lois spéciales, 2017, p. 149 n. 567).

3) a. L'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation constituent des violations du droit, qui peuvent être revues par les autorités de recours (art. 61 al. 1 let. a LPA). Cela signifie qu'une autorité judiciaire de recours qui contrôle la conformité au droit d'une décision vérifiera si l'administration a, dans l'exercice du pouvoir d'appréciation que lui confère la loi, respecté le principe de la proportionnalité et les autres principes constitutionnels tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'égalité, la bonne foi, mais s'abstiendra d'examiner si les choix faits à l'intérieur de la marge de manoeuvre laissée par ces principes sont « opportuns » ou non. L'autorité commet un abus de son pouvoir d'appréciation, tout en respectant les conditions et les limites légales, si elle ne se fonde pas sur des motifs sérieux et objectifs, se laisse guider par des éléments non pertinents ou étrangers au but des règles ou viole des principes généraux précités (ATA/15/2019 du 8 janvier 2019 et les références citées).

b. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé - de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

4) À teneur de l'art. 54 LTr, l'autorité compétente est tenue d'examiner les dénonciations pour inobservation de la loi, d'une ordonnance ou d'une décision, et, lorsqu'une dénonciation se révèle fondée, de procéder conformément aux art. 51 à 53 LTr (al. 1). Si, en cas de dénonciation, l'autorité n'intervient pas ou ne prend que des mesures insuffisantes, l'autorité supérieure peut être saisie (al. 2).

5) En l'espèce, les informations figurant dans la dénonciation n'ont pas été utilisées par l'autorité intimée dans sa décision de mise en conformité du 31 mai 2019. La dénonciation n'a servi qu'à initier un contrôle permettant de vérifier le respect par l'entreprise du recourant de ses obligations légales découlant de la loi sur le travail.

Il s'est avéré que ces prescriptions n'étaient pas respectées. Par conséquent, une demande de mise en conformité a été faite au recourant, uniquement sur la base des faits relevés dans le cadre du contrôle effectué le 10 mai 2019 au sein de l'entreprise.

Le recourant ne peut être suivi lorsqu'il estime que des informations relatives à l'un de ses employés ont été fournies par le dénonciateur et utilisées par l'autorité dans le cadre de la demande de mise en conformité. En particulier, l'élément mentionné par le recourant comme ressortant de la dénonciation est en réalité issu du rapport d'inspection du 13 mai 2019. Celui-ci précise que, « Monsieur B______ nous rapporte que l'un de ses employés, ayant été en arrêt pour maladie pendant quelques mois, s'était suicidé la veille de reprise de travail ». Partant, cette information n'a pas été communiquée dans le cadre de la dénonciation, mais bien par le recourant lui-même. Enfin, l'information selon laquelle l'incapacité de travail de cet employé avait été prolongée n'a pas été transmise à l'autorité intimée, malgré l'obligation de collaboration incombant au recourant.

L'autorité était fondée à ne pas autoriser la consultation du document querellé, les informations y figurant n'ayant pas été utilisées par l'autorité dans le cadre de la demande de mise en conformité du 31 mai 2019. Il ne s'agit pas de pièces essentielles, la lecture de la demande de mise en conformité mettant en évidence que l'autorité ne s'est pas fondée sur celle-ci pour rendre sa décision. Le droit d'être entendu du recourant n'a donc pas été violé à cet égard.

L'autorité intimée n'a pas violé le principe de la proportionnalité en ne transmettant pas de copie caviardée de la dénonciation. En effet, un caviardage n'était pas envisageable au vu des données contenues dans le document, l'ensemble devant être dans un tel cas caviardé. Aucune mesure moins incisive n'était ainsi disponible, étant rappelé au surplus que les éléments de la dénonciation n'ont pas fondé la demande de mise en conformité du 31 mai 2019, mais seulement l'ouverture d'une procédure administrative. Si aucun manquement n'avait été constaté à l'occasion de l'inspection par l'OCIRT, aucune décision de mise en conformité n'aurait été prise à l'encontre du recourant.

Enfin, si les informations figurant dans la dénonciation avaient été utilisées directement dans la décision de mise en conformité, tant l'intérêt privé du tiers dénonciateur que l'intérêt public de l'autorité s'opposaient à l'intérêt privé du recourant à la consultation de ce document. L'OCIRT a correctement procédé à la pesée des intérêts en refusant l'accès à cette pièce. L'intérêt privé du tiers dénonciateur prime l'intérêt du recourant à cette divulgation dès lors que son contenu n'a pas servi à fonder la demande de mise en conformité précitée. En outre, le recourant n'a pas démontré quel était son intérêt à obtenir copie de la dénonciation ni que celui-ci primerait tant l'intérêt public que l'intérêt privé du dénonciateur. La chambre de céans ne considère pas que celui-là soit déterminant, la dénonciation n'ayant eu pour effet que d'entraîner l'ouverture d'une procédure administrative. C'est l'inspection de son entreprise qui a révélé des carences violant les prescriptions du droit du travail dans l'organisation de celle-ci et entraînant la demande de mise en conformité subséquente. L'office doit en outre être à même de garantir l'anonymat des tiers dans l'exercice de son activité étatique. En effet, les informations recueillies par ce biais lui permettent d'initier des contrôles visant à s'assurer du respect des règles en matière de protection de la santé au travail, nécessaires du point de vue de l'intérêt public.

Au demeurant, les accusations de représailles de la part de l'OCIRT, évoquées par le recourant à son encontre, ne sont pas fondées, l'autorité intimée ayant transmis par courrier le rapport d'inspection retiré par erreur du dossier administratif et spontanément prolongé le délai imparti au recourant pour se mettre en conformité.

Au vu de ce qui précède, le recours est entièrement mal fondé et doit être rejeté.

6) Un émolument de procédure de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 2 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 septembre 2019 par Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail du 19 septembre 2019 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Malek Adjadj, avocat du recourant, ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, Mmes Payot Zen-Ruffinen et Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :