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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3940/2018

ATA/1851/2019 du 20.12.2019 sur JTAPI/443/2019 ( ICCIFD ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 22.01.2020, rendu le 06.10.2020, REJETE, 2C_85/2020
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3940/2018-ICCIFD ATA/1851/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 décembre 2019

4ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Nicolas Merlino, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 mai 2019 (JTAPI/443/2019)


EN FAIT

1) Le litige concerne les impôts 2004 à 2014 de Monsieur A______.

2) Ce dernier, né à New York, est ressortissant américain, et exerce la profession de marchand d'art et de diamantaire. Il s'est installé à Genève en 1997 et y vit depuis 2002 au bénéfice d'une autorisation d'établissement.

3) En 2003, il a épousé Madame B______. De cette union est née une fille, C______, le ______ 2004. Les époux se sont séparés en 2005 et ont divorcé à Genève en 2008. Mme B______ a quitté la Suisse en avril 2013 pour New York. Un long litige portant sur la garde et le droit de visite de C______ a opposé ses parents. Celle-ci vit désormais avec son père.

M. A______ a aussi un fils né en 2017, qui vit avec sa mère à Genève.

4) Dans ses déclarations fiscales 2004 à 2014, M. A______ a indiqué être salarié de la société D______ SA, dont le siège se trouve à Genève et dont il possédait l'intégralité du capital-actions. Il a par ailleurs fait état de comptes bancaires détenus auprès de banques suisses et, dès 2010, d'un bien-fonds situé à E______.

5) M. A______ n'ayant pas contesté ses bordereaux de taxation ICC et IFD 2004 à 2011, ceux-ci sont entrés en force.

6) Par pli recommandé du 9 septembre 2014, l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a informé M. A______ de l'ouverture à son encontre d'une procédure en rappel d'impôt, ainsi que d'une procédure en soustraction d'impôt pour les années 2004 à 2012. Pour la période fiscale 2004, elles visaient tant M. A______ que son ex-épouse. Une procédure pénale a par ailleurs été ouverte, pour l'année 2012, pour tentative de soustraction. L'AFC-GE avait constaté que des éléments de fortune et de rendements de fortune n'avaient pas été déclarés.

M. A______ était invité à de transmettre les états financiers relatifs à toutes les sociétés lui appartenant, en particulier D______ Inc., F______ LLC et G______ LLC. Enfin, il était invité à indiquer s'il possédait des immeubles à l'étranger, notamment à H______, en France et, le cas échéant, à fournir toutes informations utiles concernant leur valeur de rendement pour la période 2004.

7) Le 7 novembre 2014, M. A______ a remis à l'AFC-GE les documents demandés.

8) Le 2 septembre 2015, l'AFC-GE a adressé à M. A______ une demande de renseignements portant sur l'inventaire de la succession de son père, Monsieur I______, dont les états financiers et l'acte constitutif du trust (« J______ ») qui détenait les biens immobiliers du contribuable. Il devait également fournir des informations sur sa collection d'oeuvres d'art à la fin des années 2006 à 2011, et des explications au sujet de l'augmentation de sa collection entre 2004 et 2012, sur le bordereau de taxe d'habitation concernant l'immeuble de H______, sur la provenance des fonds ayant permis la création des sociétés G______ LLC et F______ LLC, ainsi que sur le détail de la créance qu'il détenait envers D______ Inc.

9) Le 29 janvier 2016, M. A______ a donné suite à cette demande.

Au décès de son père, il avait hérité d'une collection d'oeuvres d'art, dont l'inventaire figurait en annexe. En outre, le « K______ Trust » (ci-après : K______) bénéficiait des 7/9èmes des avoirs et des revenus du « L______ Trust » (ci-après : L______).

10) Par courrier du 11 novembre 2016, M. A______ a décrit à l'AFC-GE sa structure patrimoniale. Celle-ci se composait de comptes bancaires en Suisse et à l'étranger, de participations - directement ou par l'intermédiaire d'une structure de trust - à des entreprises immobilières américaines fiscalement transparentes, de détentions d'entreprises américaines fiscalement transparentes utilisées à titre de véhicules de détention d'oeuvres d'art et, enfin, de détention d'entreprises suisses ou américaines actives dans le commerce de diamants.

11) Le 15 novembre 2016, M. A______ a été reçu dans les locaux de l'AFC-GE. À teneur du rapport d'entretien - signé uniquement par les collaborateurs du fisc - l'intéressé souhaitait collaborer pleinement en vue de trouver des solutions. Il se sentait toutefois harcelé et envisageait de quitter Genève si la pression fiscale devenait trop importante. Il proposait que les reprises soient effectuées sur trois ans. Un contrôle du fisc américain était en cours. D______ Inc. était taxée en transparence aux États-Unis et avait dès lors déployé une activité sous la forme d'une société de personnes.

Pour l'AFC-GE, les oeuvres d'art détenues par l'intéressé ne constituaient pas une collection artistique exonérée de l'impôt sur la fortune, ne pouvant pas être considérées comme des meubles meublants. Elles se trouvaient aux Ports Francs, et il n'avait pas été établi qu'elles avaient été prêtées à des musées.

12) Le 29 novembre 2016, M. A______ a transmis à l'AFC-GE sa déclaration fiscale américaine 2014.

13) Par pli recommandé du 20 décembre 2016, l'AFC-GE a informé M. A______ de la clôture des procédures de rappel et de soustraction d'impôt pour les années 2004 à 2006 et lui a notifié des bordereaux de rappels d'impôt, ainsi que des bordereaux d'amendes pour les années en question.

Les reprises opérées sur le plan du revenu se rapportaient aux distributions octroyées par les trusts, aux prestations appréciables en argent accordées par la société D______ SA, aux intérêts sur la créance qu'il détenait à l'encontre de D______ Inc., aux rendements provenant de comptes non déclarés et à la valeur locative de l'immeuble de H______. Les reprises effectuées sur le plan de la fortune concernaient ses oeuvres d'art à leur valeur d'acquisition, les parts qu'il détenait dans ses sociétés, les fonds propres des trusts, la créance qu'il détenait à l'encontre de D______ Inc., les comptes bancaires non déclarés et la valeur fiscale de l'immeuble français.

En ne déclarant pas la totalité de ses revenus et de sa fortune, M. A______ avait réduit son assiette imposable et avait commis une faute, qui devait être qualifiée d'intentionnelle. Compte tenu du caractère répétitif des soustractions, du concours d'infractions et de sa bonne collaboration, une amende dont la quotité était fixée à une fois l'impôt éludé lui était infligée.

Le montant des suppléments d'impôt, des intérêts et des amendes totalisait CHF 10'875'541.45, qui se détaillaient comme suit :

Année

Rappel d'imp.

Intérêts

Amende

2004

ICC

1'162'752.75

354'252.00

1'162'752.00

IFD

69'411.50

27'439.70

69'411.00

2005

ICC

1'564'873.55

429'818.60

1'564'873.00

IFD

107'627.60

38'780.30

107'627.00

2006

ICC

1'724'836.20

423'734.75

1'724'836.00

IFD

147'298.45

47'919.05

147'298.00

Total

4'776'800.05

1'321'944.40

4'776'797.00

 

14) Le 23 janvier 2017, M. A______ a élevé réclamation à l'encontre des bordereaux du 20 décembre 2016, concluant à leur annulation et à la poursuite de l'instruction du dossier.

Sa collection d'oeuvres d'art était exonérée de l'impôt sur la fortune. Jusqu'à son divorce, elle se trouvait au domicile familial ; par la suite, il avait dû la déplacer aux Ports Francs en attendant de pouvoir la rassembler à son nouveau domicile. Elle n'avait ainsi jamais perdu la qualification de meubles meublants. Pour le surplus, conformément à la pratique de l'AFC-GE, approuvée par la doctrine, la distribution par un trust de gains en capitaux n'était pas soumise à l'impôt sur le revenu. La Suisse devait reconnaître que les « partnerships » américains étaient exemptés de l'impôt sur la fortune et que, conformément à la jurisprudence, les LLC américaines constituaient des sociétés de personnes.

15) Le 10 février 2017, l'AFC-GE a adressé au contribuable une demande de renseignements concernant les éléments soulevés dans sa réclamation.

16) M. A______ a répondu par pli du 10 mars 2017, complété les 2 et 5 mai, ainsi que 9 juin et 31 octobre 2017.

17) Par pli recommandé du 20 décembre 2017, l'AFC-GE a informé M. A______ de la clôture des procédures de rappel et de soustraction d'impôt pour l'année 2007, et lui a notifié des bordereaux de rappels d'impôt ainsi que des bordereaux d'amendes.

Les reprises concernaient les parts et les rendements du K______, ainsi que les oeuvres d'art situées aux Ports Francs, évaluées à leur valeur d'acquisition. En ne déclarant pas la totalité de ses revenus et de sa fortune, M. A______ avait réduit son assiette imposable. Il avait commis une faute, qui devait être qualifiée d'intentionnelle. Compte tenu du caractère répétitif des soustractions, du concours d'infractions et de sa bonne collaboration, une amende dont la quotité était fixée à une fois l'impôt éludé lui était infligée.

Le montant des suppléments d'impôt, des intérêts et des amendes totalisait CHF 4'868'885.35, qui se détaillaient comme suit :

Rappel d'imp.

Intérêts

Amende

ICC

1'977'883.95

479'041.10

1'977'883.00

IFD

187'178.85

59'720.45

187'178.00

Total

2'165'062.80

538'761.55

2'165'061.00

18) Le 19 janvier 2018, M. A______ a élevé réclamation à l'encontre des bordereaux du 20 décembre 2017, concluant à leur annulation et à la poursuite de l'instruction du dossier.

19) Le 8 octobre 2018, l'AFC-GE a adressé à M. A______ deux demandes de sûretés pour l'ICC et l'IFD 2004 à 2014, totalisant respectivement CHF 37'515'702.80 et CHF 3'028'724.-. Le contribuable n'avait pas déclaré la majeure partie de son revenu et de sa fortune durant plusieurs années. Il disposait de fortes attaches avec les États-Unis en raison de sa nationalité et du fait qu'une partie de sa famille y résidait, et que sa société y exerçait une activité dans le commerce de pierres précieuses, d'objets d'art, avec de nombreux clients américains. Sa fortune considérable se composait enfin essentiellement de liquidités et de biens mobiliers, dont des oeuvres d'art entreposées aux Ports Francs, très aisément transférables.

20) Le lendemain, l'AFC-GE a adressé à l'office des poursuites de Genève deux ordonnances de séquestre fiscal (nos 1______ et 2______) portant sur les montants susmentionnés, en rappelant les cas de séquestre figurant dans la demande de sûretés adressée au contribuable.

21) Le 11 octobre 2018, l'AFC-GE, à la suite de la réclamation du 19 janvier 2018, a envoyé à M. A______ une demande de renseignements portant sur ses avoirs mobiliers et leur rendement en 2007.

22) Le même jour, elle lui a également envoyé une demande de renseignements dans le cadre des procédures de rappel et de soustraction d'impôt 2008 à 2011, de taxation et de tentative de soustraction 2012, ainsi que de taxation 2013 et 2014, rappelant que cette lettre constituait un acte interruptif de la prescription du droit de taxer pour les années 2012 à 2014.

Pour les années 2008 à 2014, M. A______ était invité à produire l'état des titres mentionnant les avoirs mobiliers et leurs rendements, ainsi que les états financiers des « partnerships » détenus par l'intermédiaire de ses structures de trusts.

23) Le 22 octobre 2018, M. A______ a sollicité la reconsidération des décisions de demande de sûretés du 8 octobre précédent. Celles-ci devaient être annulées. Subsidiairement, le montant des sûretés devait être réduit à CHF 7'000'000.-. Plus subsidiairement, il était disposé à verser cette somme à titre d'acomptes.

24) Le 24 octobre 2018, l'AFC-GE a rejeté la demande de reconsidération.

25) Entre le 26 octobre 2018 et le 18 décembre 2018, un échange de lettres et de courriels a eu lieu entre le contribuable et l'AFC-GE, à l'occasion duquel M. A______ a produit des pièces complémentaires.

26) Par deux actes du 9 novembre 2018 (l'un concernant l'ICC et l'autre l'IFD), M. A______ a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) à l'encontre des demandes de sûretés du 8 octobre 2018, concluant à l'annulation de celles-ci, des ordonnances et des avis de séquestre. Il a également sollicité sa comparution personnelle.

Il résidait avec sa fille adolescente âgée de 14 ans, qui avait toujours vécu à Genève et qui y disposait d'un cercle d'amis et de son centre d'intérêts. Sa fille effectuait sa scolarité auprès de l'école internationale de Genève. En 2012, au terme de six ans de procédure judiciaire, il avait obtenu sa garde, parce qu'elle bénéficiait auprès de lui d'un cadre stable et conforme à son bien-être. Il s'était organisé pour pouvoir la prendre en charge, assurer ses activités scolaires et extra-scolaires, et avait renoncé à voyager. Il voyait rarement sa famille américaine, à savoir sa mère et sa soeur. La société D______ SA, dont il était l'unique actionnaire et administrateur, servait une clientèle suisse, principalement les maisons de vente aux enchères genevoises. L'activité déployée au cours de ces vingt dernières années, lui avait permis de se constituer une réputation dans le milieu de la gemmologie à Genève, mais celle-ci était mise en péril par les séquestres.

Il était très impliqué dans la promotion de films portant sur l'histoire et sur les droits de l'homme à Genève et collaborait au Festival international du film sur les droits humains (ci-après : FIFDH).

Il avait retenu des conseils donnés par ses précédents mandataires que sa collection artistique était exonérée de l'impôt sur la fortune et que ses structures immobilières américaines bénéficiaient de l'exemption des immeubles à l'étranger, si bien que ces éléments n'avaient pas à être mentionnés dans ses déclarations fiscales suisses.

Il contestait tant le montant de la créance fiscale que celui de sûretés. L'existence du cas de séquestre invoqué par l'AFC-GE, à savoir une menace pour les droits du fisc, faisait défaut. Il ne suffisait pas qu'il n'ait pas déclaré la totalité de ses revenus et de sa fortune. En effet, il s'était toujours acquitté de l'impôt dû sur la base des estimations effectuées par ses mandataires. De plus, il n'avait jamais dissimulé ses oeuvres d'art et n'avait jamais procédé à des transferts d'actifs à l'étranger ou sur des comptes secrets. Il ne disposait d'aucun intérêt à ne pas payer l'impôt suisse, puisque celui-ci venait en déduction des impôts américains auxquels il était assujetti de manière illimitée au vu de sa nationalité. Il avait toujours coopéré avec l'AFC-GE.

Il n'existait aucun risque de fuite, compte tenu de ses liens familiaux et professionnels avec Genève, de l'absence de liens familiaux notables avec les États-Unis et de l'absence de transferts d'argent vers cet État. Contrairement à ce que soutenait l'AFC-GE, les oeuvres d'art ne pouvaient être transférées facilement, certaines étant particulièrement volumineuses et/ou fragiles. Elles n'étaient pas non plus aisément réalisables, sous peine d'être considérablement dévalorisés et de lui causer un risque financier et de réputation très important. Passionné d'art et grand collectionneur, il n'avait nullement l'intention de vendre ses oeuvres.

En conséquence, les conditions pour prononcer une mesure de sûretés n'étaient pas réalisées.

27) Le 29 novembre 2018, M. A______ a remis à l'AFC-GE des projets de déclarations fiscales 2015 et 2016. Son revenu imposable pour l'ICC et l'IFD 2015 se chiffrait à respectivement CHF 386'146.- (au taux de CHF 5'409'627.-) et à CHF 380'790.- (au taux de CHF 5'422'717.-), pour l'ICC et l'IFD 2016 à CHF 383'318.- (au taux de CHF 7'090'213.-) et à CHF 377'548.- (au taux de CHF 7'103'489.-) respectivement. Pour ces deux périodes fiscales, sa fortune imposable était nulle.

28) Le 18 décembre 2018, l'AFC-GE a informé le contribuable de la clôture de la procédure en rappel et en soustraction d'impôt pour la période 2008 et lui a notifié des bordereaux de rappels d'impôt, ainsi que des bordereaux d'amendes pour soustraction intentionnelle, dont la quotité avait été fixée à une fois l'impôt éludé.

Le montant des suppléments d'impôt, des intérêts et des amendes totalisait CHF 3'335'968.00, qui se détaillait comme suit :

Rappel d'imp.

Intérêts

Amende

ICC

1'390'713.95

321'506.40

1'390'713.00

IFD

116'517.65

0.00

116'517.00

Total

1'507'231.60

321'506.40

1'507'230.00

 

29) Dans sa réponse du 14 janvier 2019, l'AFC-GE a conclu au rejet des recours du 9 novembre 2018 et à la confirmation des demandes de sûretés.

Les droits du fisc étaient menacés pour plusieurs raisons. Durant de nombreuses années, le recourant avait dissimulé l'existence de comptes bancaires, ce qui permettait de penser que d'importants fonds avaient été transférés hors de Suisse. Il n'avait répondu que très partiellement aux demandes de renseignements. Lors de l'entretien du 15 novembre 2016, il avait indiqué qu'il se sentait harcelé et qu'il envisageait de quitter Genève. Il avait vendu son terrain de E______ et ne détenait plus de bien immobilier en Suisse. Sa nationalité américaine lui permettait de travailler aux États-Unis, où il avait vécu et où résidait sa famille proche. Selon les jugements civils, il avait toujours privilégié l'intérêt de sa fille. De nationalité américaine et fréquentant l'école internationale, elle pouvait très bien étudier et s'établir aux États-Unis. La mère de C______, qui vivait à New York, était en outre capable d'éduquer celle-ci.

De plus, de nombreuses sociétés en mains du recourant, telles D______ Inc., actives dans le même domaine qu'D______ SA, étaient domiciliées aux États-Unis, ce qui lui permettait de transférer aisément des fonds à l'étranger. Il y possédait en outre des entreprises immobilières détenues par des structures de trusts. Il avait envoyé des oeuvres d'art à New York et Hong Kong. Son activité cinématographique, de nature internationale, pouvait s'exercer depuis l'étranger.

L'AFC-GE a rappelé les éléments de revenus et de fortune non déclarés et avait estimé les sûretés pour l'IFD et l'ICC 2004 à 2014 à respectivement CHF 3'028'819.64 et à CHF 37'515'879.61. Ces montants étaient basés sur le montant des bordereaux de rappels d'impôt et d'amendes 2004 à 2007. Leur moyenne avait été arrondie à CHF 4'000'000.-. Cette somme avait été diminuée chaque année (à CHF 3'800'000.-, CHF 3'600'000.-, CHF 3'500'000.-, CHF 3'400'000.-, CHF 3'300'000.- et CHF 3'200'000.-) pour tenir compte des intérêts de moins en moins élevés. La répartition entre l'ICC et l'IFD avait été effectuée en appliquant une proportion moyenne pour les années 2004 à 2007. Il en résultait que le montant des sûretés n'apparaissait pas disproportionné.

30) Les parties ont respectivement répliqué et dupliqué, maintenant chacune leurs conclusions.

31) Par jugement du 13 mai 2019, le TAPI a rejeté les recours.

L'existence d'un risque de fuite ne pouvait être retenue. En effet, la déclaration de M. A______ figurant dans le procès-verbal d'entretien du 15 novembre 2016, selon laquelle il envisageait de quitter Genève ne lui était pas opposable, puisqu'il n'avait pas signé ce document, ce d'autant moins qu'il avait toujours nié son intention de quitter la Suisse. Sa nationalité américaine ne suffisait pas non plus, selon la jurisprudence, à retenir un risque de fuite. En outre, il avait des liens affectifs avec la Suisse, étant donné qu'il était père d'un fils âgé de moins de deux ans, de nationalité suisse, et d'une fille adolescente. Bien que cette dernière dispose également du passeport américain et qu'elle suive sa scolarité auprès de l'école internationale de Genève, il y avait lieu de tenir compte du fait qu'un déménagement aux Etats-Unis, serait déstabilisant et porterait donc atteinte à son bien-être. Les liens professionnels de M. A______ avec Genève ne pouvaient non plus être niés, dès lors qu'il était employé par la société D______ SA depuis de nombreuses années.

Cela étant, il y avait lieu de retenir que M. A______ avait, durant de nombreuses années, procédé à une dissimulation systématique de son revenu et de sa fortune durant plusieurs années fiscales, n'ayant pas déclaré des montants de revenu et de fortune très importants et s'exposant ainsi à devoir acquitter des suppléments d'impôt, des intérêts et des amendes très élevés. Ces sommes, uniquement pour l'ICC et l'IFD des années 2004 à 2006, ainsi que 2007 et 2008, se montaient respectivement à CHF 10'875'541.45, CHF 4'868'885.35 et CHF 3'335'968.-. Les droits du fisc étaient dès lors menacés.

Il devait être admis, prima facie, que l'AFC-GE détenait à l'encontre de M. A______ une créance fiscale devant être qualifiée de vraisemblable. Le TAPI constatait ainsi que dans ses déclarations fiscales 2004 à 2014, M. A______ avait seulement déclaré être salarié de la société D______ SA, et fait état de comptes bancaires détenus auprès de banques suisses. Depuis 2010, il était propriétaire d'un immeuble sis à E______. En revanche, au niveau de sa fortune, il n'avait déclaré ni ses oeuvres d'art, ni les parts qu'il détenait dans ses sociétés américaines, ni les fonds propres de ses trusts, ni la créance à l'encontre de D______ Inc., ni l'intégralité de ses comptes bancaires, ni non plus la valeur fiscale de son immeuble à H______. Sur le plan de son revenu, il n'avait mentionné ni les distributions reçues de ses trusts, ni les prestations appréciables en argent accordées par la société D______ Inc., ni les intérêts sur la créance détenue à l'encontre de cette société, ni l'intégralité des rendements provenant de ses comptes bancaires ni, enfin, la valeur locative de son immeuble en France.

Les sûretés déposées par l'AFC-GE, totalisant CHF 40'544'699.25, correspondaient à quelques centaines de francs près à la créance qu'elle estimait détenir à l'encontre de M. A______, soit CHF 40'544'427.-, de sorte que leur montant ne se révélait pas excessif. Par ailleurs, M. A______ ne proposait aucune autre mesure de substitution, telle que la fourniture de cautions ou de garanties bancaires, et il ne pouvait être tenu compte de la proposition formulée dans sa demande de reconsidération du 22 octobre 2018, puisque la somme qu'il indiquait être disposé à verser, à savoir CHF 7'000'000.-, se révélait bien insuffisante pour couvrir sa dette fiscale (comprenant les intérêts moratoires et les amendes). La demande de sûretés était donc proportionnée.

32) Par acte déposé le 14 juin 2019, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation ainsi qu'à celle de six actes en lien avec la demande de sûretés et le séquestre fiscal, dont deux avis émanant de l'office des poursuites du canton de Genève, le tout « avec suite de frais et dépens ».

Il contestait tant le principe et le montant de la créance fiscale que le montant des sûretés. À juste titre, le TAPI avait considéré qu'il n'y avait pas de risque de fuite de sa part, et n'avait pas retenu que sa collection d'oeuvres d'art était aisément réalisable ou transférable.

Pour que des sûretés puissent être prononcées, il ne suffisait pas que des éléments du revenu ou de la fortune n'aient pas été déclarés. Il fallait encore que cette absence de déclaration soit systématique, et aussi que d'autres éléments viennent « colorer » ou aggraver la simple absence de déclaration. Il en allait ainsi de l'ouverture d'une procédure pénale, lorsque le contribuable avait procédé ou tenté de procéder à des transferts d'actifs, lorsque son comportement procédural antérieur faisait craindre que le contribuable empêche la réalisation de la créance du fisc, ou lorsqu'il n'avait pas collaboré dans la procédure de déclaration fiscale, toutes hypothèses qui n'étaient pas réalisées en l'espèce.

Le caractère systématique pouvait être écarté, dans la mesure où les déclarations 2004 et 2005 indiquaient que les éléments américains de celles-ci étaient en cours d'établissement, et qu'ils seraient transmis à l'AFC-GE aussitôt reçus. Or l'AFC-GE ne lui avait pas demandé de renseignements et l'avait taxé sans ces éléments. Son absence de volonté de dissimuler transparaissait également du fait qu'il avait toujours acquitté les impôts et les acomptes taxés par l'AFC-GE. Pour les périodes fiscales 2014 à 2018, il s'était acquitté déjà de plus de CHF 2'700'000.-, ce qui n'était pas l'attitude d'un dissimulateur systématique. Il réitérait que ses oeuvres d'art n'étaient pas facilement transférables ou réalisables. Il n'avait nullement soustrait ou cherché à transférer des actifs à des tiers ou à l'étranger. Il ne faisait pas l'objet de procédures pénales. Il avait enfin parfaitement collaboré à l'établissement de ses déclarations fiscales et avait répondu à toutes les demandes de renseignements de l'AFC-GE.

En définitive, les droits du fisc n'étaient pas menacés, si bien que les conditions d'application des dispositions légales prévoyant la possibilité d'ordonner l'apport de sûretés fiscales n'étaient pas remplies.

33) Le 5 juillet 2019, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Le TAPI avait correctement constaté que, des années durant, M. A______ n'avait déclaré au fisc genevois que le salaire perçu de la société D______ SA et les rendements de ses comptes bancaires suisses, et avait recensé tous les éléments de revenu et de fortune non déclarés, précisant encore que l'intéressé n'avait plus aucun bien immobilier en Suisse. Il y avait donc bien eu dissimulation systématique de son revenu et de sa fortune durant plusieurs exercices, si bien que les droits du fisc étaient menacés.

M. A______ niait le caractère systématique de ses dissimulations en prétendant qu'il n'y avait pas eu de dissimulation du tout, ce qui revenait en réalité à ne pas aborder ledit caractère systématique. En outre, on ne pouvait inférer du fait qu'il s'était acquitté de bordereaux inférieurs à sa réelle facture fiscale une absence de caractère délictuel. De plus, quand bien même le TAPI n'avait pas affirmé le caractère aisément réalisable ou transférable des oeuvres d'art, ce dernier était notoire s'agissant d'objets mobiliers dont la propriété pouvait être transférée par simple transfert de possession. Le caractère systématique, car planifié, transparaissait également par le biais de l'utilisation d'une « structure trustale ».

M. A______ ne contestait, à juste titre, ni la vraisemblance de la créance ni le montant des sûretés demandées. Quant aux prétendus dommages irréparables qu'il alléguait, cet aspect n'était pas pertinent du point de vue des conditions légales pour prononcer une mesure de sûretés. Enfin, à aucun moment de la procédure M. A______ n'avait proposé une garantie bancaire, qui eût permis la levée du séquestre fiscal et lui aurait évité des frais de défense considérables.

34) Le même jour, soit le 5 juillet 2019, l'AFC-GE, statuant sur la réclamation du 23 janvier 2017, a décidé de modifier certaines reprises et donc les taxations, de maintenir les amendes dans leur principe mais de les recalculer selon les taxations rectifiées et d'en modifier la quotité, ainsi que de dégrever les amendes 2004 et 2005, qui étaient prescrites.

Elle a envoyé de nouveaux bordereaux relatifs aux exercices 2004 à 2006 et 2012 à 2014.

35) Le 22 août 2019, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 27 septembre 2019 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

36) Le 19 septembre 2019, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

L'AFC-GE avait passé sous silence des faits pertinents, notamment qu'il avait bel et bien mentionné dans ses déclarations 2004 et 2005 que celles-ci ne comportaient pas certains éléments de revenu ou de fortune aux États-Unis, ce sans susciter de réaction de l'AFC-GE durant plusieurs années. De même, ce n'était pas lui qui avait constitué un trust aux États-Unis, mais son père.

L'AFC-GE passait totalement sou silence l'émission par ses soins des nouveaux bordereaux du 5 juillet 2019, et dont il découlait que le montant total réclamé pour les années 2004 à 2014 (recte : 2004 à 2006 et 2012 à 2014) totalisait finalement moins de CHF 10'000'000.-, soit moins de 25 % des sûretés réclamées. Ceci démontrait que la demande de sûretés constituait en fait une tentative de pression inadmissible sur le contribuable.

37) Le 27 septembre 2019, l'AFC-GE a indiqué ne pas avoir d'observations à formuler, tout en réservant une éventuelle réponse aux observations que déposerait M. A______.

38) Le 18 octobre 2019, l'AFC-GE s'est adressée à la chambre administrative, en indiquant que, parallèlement aux demandes de sûretés, des discussions s'étaient poursuivies entre l'AFC-GE et les mandataires de M. A______ pour trouver une solution transactionnelle pour l'ensemble des périodes litigieuses. Suite à une réunion entre les mandataires et l'AFC-GE le 1er juillet 2019, M. A______ avait indiqué qu'il acceptait une proposition de règlement global faite par l'AFC-GE.

Par décision sur réclamation du 5 juillet 2019, l'AFC-GE avait admis partiellement la réclamation en rectifiant les bordereaux rappels d'impôts 2004 à 2006 et annulant les amendes 2004 et 2005 en raison de la prescription. Les amendes 2006 étaient aussi recalculées en conséquence. L'AFC-GE se référait dans cette décision à l'accord transactionnel conclu le 1er juillet 2019. La décision rectifiait partiellement les taxations sur certains points, à savoir : traitement fiscal des Limited Liability Companies ; déduction des intérêts sur rappel d'impôt ; quotité de l'amende (fixée à 48 % de tous les impôts soustraits) ; valorisation des oeuvres d'art.

Le mandataire avait dans un premier temps déclaré à l'AFC-GE que son client accepterait l'accord et discuté des modalités de règlement. Cependant, ne respectant pas ses engagements et agissant de façon contraire à la bonne foi, il a parallèlement préparé un volumineux recours au TAPI contre la décision du 5 juillet 2019, qu'il avait déposé le dernier jour du délai de recours, soit le 7 août 2019, montrant ainsi que, contrairement à ce qu'il avait prétendu, il n'avait en fait jamais eu l'intention d'accepter l'accord proposé. Le 16 août 2019, le TAPI avait fixé à l'AFC-GE un délai au 16 octobre 2019 pour lui communiquer le dossier fiscal accompagné de ses observations.


L'AFC-GE annonce d'ores et déjà qu'elle conclura dans sa réponse à la reformatio in pejus et au rétablissement des bordereaux de rappel d'impôts et d'amendes pour soustraction notifiés le 20 décembre 2016, l'accord du mois de juillet 2019 n'ayant pas été respecté par le contribuable, ce qui aboutissait aux créances fiscales suivantes :

Année

Impôt

Rappel d'impôt

Amende

2004

ICC

IFD

CHF 1'516'995.30

CHF 96'946.60

Prescrite

Prescrite

2005

ICC

IFD

CHF 1'994'775.45

CHF 146'408.15

Prescrite

Prescrite

2006

ICC

IFD

CHF 2'148'674.90

CHF 195'217.50

CHF 1'724'836.-

CHF 147'298.-

Total

ICC

IFD

CHF 5'660'445.65

CHF 438'572.25

CHF 1'724'836.-

CHF 147'298.-

Les bordereaux des 20 décembre 2017 et 18 décembre 2018 restaient valides pour les exercices 2007 et 2008, ainsi que ceux du 15 février 2019 pour les exercices 2009 à 2011.

S'agissant des années fiscales 2012 à 2014, l'AFC-GE annonçait d'ores et déjà qu'elle conclurait dans sa décision sur réclamation à la reformatio in pejus, l'accord du mois de juillet 2019 n'ayant pas été respecté par le contribuable, ce qui aboutirait aux créances fiscales suivantes :

Année

Impôt

Rappel d'impôt

Amende

2012

ICC

 

IFD

CHF 791'066.95

(987'162.95 - crédit 196'096)

CHF 37'978.25

(54'418 - crédit 16'439.75)

CHF 527'378.-

 

CHF 25'319.-

2013

ICC

 

IFD

CHF 621'884.85

(813232.85 - crédit 191'348)

CHF 3'302.95

(22502.10 - crédit 19'199.15)

CHF 414590.-

 

CHF 2202.-

2014

ICC

 

IFD

CHF 641'882.30

(834'998.30 - crédit 193'116.-)

CHF 11'734.15

(30'933.30 - crédit 19'199.15)

CHF 427'922.-

 

CHF 7'823.-

Total

ICC

IFD

CHF 2'054'834.10

CHF 53'015.35

CHF 1'369'890.-

CHF 35'344.-

Il en résultait que la créance fiscale vis-à-vis de M. A______ nécessitant le versement de sûretés s'élevait désormais pour les années 2004 à 2014 à CHF 1'692'294.40 pour l'IFD et à CHF 26'022'641.30 pour l'ICC L'AFC-GE concluait ainsi à la rectification des demandes de sûretés en ce sens.

39) Le 22 octobre 2019, le juge délégué a transmis l'écriture précitée aux parties. Dans la mesure où elle contenait une rectification, elle était acceptée quand bien même la cause avait été gardée à juger. Un délai au 5 novembre 2019 était imparti à M. A______ pour se déterminer à son sujet, après quoi la cause serait gardée à juger.

40) Le 4 novembre 2019, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

Le comportement de l'AFC-GE, qui commençait par réclamer des sûretés pour plus de CHF 40'000'000.-, taxait ensuite pour les mêmes années à hauteur de CHF 9'832'967.- puis annonçait avoir l'intention de demander une reformatio in pejus de ses propres décisions, espérant que le TAPI les arrête à hauteur de CHF 27'000'000.-, démontrait à la fois une absence totale de sérieux, et que l'AFC-GE n'était pas en mesure de rendre vraisemblable le montant de l'impôt qu'elle réclamait au contribuable.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige concerne une demande de sûretés en matière fiscale, portant sur les exercices 2004 à 2014.

3) En droit fédéral, l'art. 169 al. 1 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) dispose que si le contribuable n'a pas de domicile en Suisse ou que les droits du fisc paraissent menacés, l'administration cantonale de l'impôt fédéral direct peut exiger des sûretés en tout temps, et même avant que le montant d'impôt ne soit fixé par une décision entrée en force. La demande de sûretés indique le montant à garantir; elle est immédiatement exécutoire. Dans la procédure de poursuite, elle produit les mêmes effets qu'un jugement exécutoire.

Selon l'art. 78 de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14), les cantons peuvent disposer que les décisions de sûretés des autorités fiscales cantonales compétentes sont assimilées à des ordonnances de séquestre au sens de l'art. 274 LP ; le séquestre est opéré par l'office des poursuites compétent, et l'opposition à l'ordonnance du séquestre prévue à l'art. 278 LP est irrecevable.

Le pendant cantonal de l'art. 169 al. 1 LIFD est, depuis le 1er janvier 2009, l'art. 38 al. 1 de la loi relative à la perception et aux garanties des impôts des personnes physiques et des personnes morales du 26 juin 2008 (LPGIP - D 3 18), qui prévoit que si le contribuable n'a pas de domicile en Suisse ou que les droits du fisc paraissent menacés, le département peut exiger des sûretés en tout temps et même avant que le montant de l'impôt ne soit fixé par une décision entrée en force ; la demande de sûretés, sommairement motivée, indique le montant à garantir ; elle est immédiatement exécutoire ; dans la procédure de poursuite, elle est assimilée à un jugement exécutoire au sens de l'art. 80 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, du 11 avril 1889 (LP - RS 281.1).

Avant cette date, la demande de sûretés en droit genevois était réglée par l'art. 371A de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre l887 (LCP - D 3 05), qui prévoyait que si le contribuable n'avait pas de domicile en Suisse ou que les droits du fisc paraissaient menacés, le département pouvait : a) arrêter en mains de toutes personnes et tous établissements les fonds et valeurs appartenant ou ayant appartenu au contribuable, tout paiement fait au mépris de ces retenues étant inopposable à l'administration fiscale et engageant la responsabilité de ceux qui l'avaient fait ; b) exiger des sûretés en tout temps et même avant que le montant de l'impôt ne soit fixé par une décision entrée en force. La demande de sûretés indiquait le montant à garantir, et elle était immédiatement exécutoire. Dans la procédure de poursuite, elle produisait les mêmes effets qu'un jugement exécutoire. La demande de sûretés était assimilée à l'ordonnance de séquestre, au sens de l'art. 274 LP. Le séquestre était opéré par l'office des poursuites compétent.

4) a. Selon la jurisprudence, l'autorité fiscale est chargée d'encaisser les impôts dus. En cas de besoin, elle peut exiger des garanties de la part du contribuable, sous la forme notamment d'une demande de sûretés, assimilable à une ordonnance de séquestre ; de par sa nature, la demande de sûretés en matière d'impôt constitue une mesure provisionnelle de droit public, qu'elle règle une situation de façon temporaire en attente d'une décision principale ultérieure ou qu'elle intervienne une fois la décision de taxation entrée en force (ATF 134 II 349 consid. 1). Les sûretés au sens de l'art. 169 LIFD ne constituant qu'une mesure provisionnelle, elles n'ont pas d'influence sur l'existence ni sur le montant de la créance fiscale, et ne préjugent en rien de celle-ci (arrêts du Tribunal fédéral 2C_689/2019 du 15 août 2019 consid. 2.2.7 ; 2C_669/2016 du 8 décembre 2016 consid. 2.3.2).

b. L'art. 169 al. 1 phr. 1 LIFD prévoit trois conditions. L'on doit tout d'abord avoir affaire à un contribuable, c'est-à-dire que la personne physique ou morale en cause doit être assujettie à l'impôt de manière limitée ou illimitée, pour la période concernée et la collectivité publique considérée (art. 5-7 et 50-51 LIFD) ; deuxièmement, la créance fiscale due doit exister et son montant être connu, même si l'autorité fiscale jouit encore d'une certaine marge d'appréciation à cet égard ; et un motif de constitution de sûreté doit être donné (arrêt du Tribunal fédéral 2C_669/2016 du 8 décembre 2016 consid. 2.2).

À ce dernier égard, l'art. 169 al. 1 LIFD prévoit deux hypothèses pouvant donner lieu à des sûretés. L'hypothèse générale est celle dans laquelle le paiement de la créance fiscale apparaît menacé. Dans le cadre de l'hypothèse spéciale, la loi admet également la constitution de sûretés dans les cas où le contribuable n'a pas de domicile en Suisse, ce qui se justifie dans la mesure où une créance de droit public de la Confédération, d'un canton ou d'une commune ne peut donner lieu à une exécution forcée hors de Suisse (arrêts du Tribunal fédéral 2C_543/2018 du 30 octobre 2018 consid. 2 ; 2C_669/2016 précité consid. 2.1).

Pour ce qui est de l'hypothèse générale, il suffit que le recouvrement de la créance fiscale paraisse objectivement « menacé » au regard de l'ensemble des circonstances pour que l'une des conditions posées à l'exigence de sûretés par le fisc soit réunie (arrêts du Tribunal fédéral 2C_115/2017 du 30 mai 2017 consid. 6.2 ; 2A.611/2006 du 18 avril 2007 consid. 4.1).

Une seule déclaration incomplète du revenu ou de la fortune imposable, de même qu'une seule soustraction fiscale ne suffisent pas en tant que telles à retenir la mise en danger des droits du fisc. En revanche, la dissimulation systématique par le contribuable de sa situation de revenu et de fortune, en particulier la mise de côté d'argent liquide pour un montant de plusieurs centaines de milliers de francs permet de conclure à une mise en danger objective des droits du fisc. Parle aussi en faveur d'une telle conclusion le fait que le patrimoine du contribuable soit facilement réalisable ou transférable à l'étranger. Si le simple fait de posséder une nationalité étrangère ne permet pas à lui seul de retenir une mise en danger des droits du fisc, il convient de considérer à cet égard le maintien par le contribuable de relations de famille et d'affaires avec son (autre) pays d'origine (arrêt du Tribunal fédéral 2A.746/2004 du 16 juin 2005 consid. 3.1 et les arrêts cités).

L'art. 169 LIFD n'exige pas que le contribuable ait adopté un comportement ou une manière d'agir spéciale ; il suffit que le paiement de la créance fiscale apparaisse objectivement menacé, sur la base de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. C'est le cas notamment lorsque l'activité soumise à l'impôt permet au contribuable de se soustraire le cas échéant à l'exécution forcée de sa créance par le dessaisissement ou le transfert à l'étranger de valeurs patrimoniales, ou lorsque le contribuable travestit systématiquement sa situation patrimoniale aux autorités de taxation. Pour juger du danger que le contribuable se soustraie à ses obligations fiscales, la facilité de vente et la mobilité des actifs existant revêtent une grande importance. Le comportement passé du contribuable peut aussi constituer un indice de la mise en danger de la créance fiscale, en particulier le dépôt de requêtes dilatoires, la remise de comptes incomplets ou l'absence de transmission des documents requis (arrêt du Tribunal fédéral 2A.237/2006 du 9 janvier 2007 consid. 2.2 et les arrêts cités). La possession de biens immobiliers en Suisse peut conduire à renoncer à des sûretés, pour autant que ceux-ci puissent garantir l'ensemble de la créance présumable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_273/2019 du 16 septembre 2019 consid. 3.1.1).

c. S'agissant de l'existence de la créance fiscale, le niveau de preuve exigé est celui de la simple vraisemblance (« gewisse Wahrscheinlichkeit »), sous la forme d'un examen préjudiciel et prima facie de la situation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_543/2018 précité consid. 2.2 ; 2C_235/2013 du 26 octobre 2013 consid. 1.2 et 2.4 ; ATA/190/2008 du 22 avril 2008 consid. 7 et 9a), la détermination de l'obligation fiscale et la fixation de l'impôt effectivement dû demeurant réservées dans le cadre de la procédure ordinaire concernant l'affaire fiscale elle-même (arrêt du Tribunal fédéral 2A.446/2006 du 9 mars 2007 consid. 4).

De même, le montant présumable de l'impôt, lorsque la créance n'est pas définitive, fait l'objet d'un examen sommaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_468/2011 du 22 décembre 2011 consid. 2.2.3). La loi prévoit expressément qu'il n'y a pas lieu d'attendre une décision entrée en force pour exiger des sûretés ; dès lors, en cas de rappel d'impôt, il convient d'examiner si les reprises effectuées par le fisc - et éventuellement contestées par le contribuable - doivent être tenues pour plausibles (arrêt du Tribunal fédéral 2A.446/2006 précité consid. 5.1), étant précisé qu'elles ne doivent pas être manifestement exagérées (Peter LOCHER, Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, vol. III, 2015, n. 37 ad art. 169 LIFD).

5) En l'espèce, le recourant est bien contribuable genevois. S'agissant ensuite du motif de la constitution des sûretés, il s'agit du cas général, à savoir la mise en danger objective des droits du fisc, dès lors que le recourant a son domicile à Genève depuis 1997.

Le recourant ne peut être suivi lorsqu'il conteste que l'incomplétude de ses déclarations n'a pas eu de caractère systématique. En effet, il a omis, pendant près de dix ans, de mentionner dans ses déclarations un grand nombre d'éléments de fortune et de revenu, qui ont été dûment recensés par le TAPI (pour la fortune : oeuvres d'art, parts détenues dans des sociétés américaines, fonds propres de ses trusts, créance à l'encontre de D______ Inc., certains comptes bancaires, et valeur fiscale de l'immeuble de H______ ; pour le revenu : distributions reçues de trusts, prestations appréciables en argent accordées par la société D______ Inc., intérêts sur la créance détenue à l'encontre de cette société, certains rendements de comptes bancaires et valeur locative de l'immeuble de H______). Le fait qu'il ait annoncé comme manquants certains éléments de revenu et de fortune américains dans ses déclarations 2004 et 2005 est d'autant moins pertinent que le recourant ne prétend pas avoir fait suivre d'effet son annonce de communiquer lesdits éléments à l'AFC-GE dès leur réception.

Le caractère mobile ou aisément transférable du patrimoine du recourant doit aussi être constaté. S'agissant de sa collection d'oeuvres d'art, le mémorandum au sujet de sa collection artistique et scientifique, rédigé le 16 octobre 2018 par ses conseils et joint à son recours, relève uniquement (p. 6, sous « La dimension des oeuvres d'art contemporain ») trois exemples d'oeuvres d'art qui ne seraient pas facilement transportables. On peut ainsi partir de l'idée qu'il s'agit des trois oeuvres les moins faciles à transporter de toute la collection ; or seule la première, à savoir un wagon de chemin de fer 25 mètres de long et de 42 tonnes, semble effectivement difficile à manoeuvrer. Pour un marchand d'art et collectionneur aguerri disposant d'une fortune non négligeable, faire passer la frontière à une sculpture de 4.5 m de circonférence et de 2.75 m de haut, et à plus forte raison à un tableau de 3.75 m X 1.76 m ne poserait en revanche pas de problèmes insurmontables. Dès lors, quand bien même la collection d'art ne pourrait probablement pas être vendue en bloc et à court terme, son déplacement hors de Suisse est globalement aisé, ce qui permet de retenir un danger que le recourant se soustraie à ses obligations fiscales.

Par ailleurs, même si un risque de déplacement de son domicile à l'étranger paraît, comme le TAPI l'a jugé, peu probable vu ses relations personnelles à Genève, le recourant, qui exerce une activité indépendante, ne maintient pas moins des relations économiques relativement étroites avec les États-Unis, par le biais notamment de trusts et de « partnerships » dans des structures immobilières américaines.

Ces différents éléments doivent faire admettre que les droits du fisc sont objectivement en danger, au sens de la jurisprudence. Comme l'a relevé le TAPI, le recourant ne possède au surplus plus aucun bien immobilier en Suisse, qui aurait pu permettre de renoncer à tout ou partie des sûretés.

Reste à examiner - de manière préjudicielle et prima facie - l'existence de la créance fiscale et le caractère non grossièrement inadapté de son montant. Au vu des éléments susmentionnés relatifs au caractère incomplet des déclarations fiscales 2004 à 2014 du recourant, l'existence d'une importante créance fiscale à titre de rappel d'impôts, d'intérêts moratoires et d'amendes pour soustraction apparaît pour le moins vraisemblable. S'agissant du montant de la créance, les revirements de l'administration intimée au cours de l'année 2019 ne permettent plus de retenir comme adéquat le montant de sûretés retenu par le TAPI, à savoir CHF 40'544'699.25. Dans la mesure où l'AFC dit vouloir plaider devant le TAPI le non-respect de l'arrangement du 1er juillet 2019 et demander la reformatio in pejus de ses décisions du 5 juillet 2019, et où les sûretés peuvent en tout temps, selon la jurisprudence fédérale, être supprimées ou modulées en fonction de l'évolution de l'objet du litige puisqu'il s'agit de mesures provisionnelles, la chambre de céans retiendra que les montants de créances fiscales articulés par l'AFC-GE dans ses écritures du 18 octobre 2019, à savoir CHF 1'692'294.40 pour l'IFD et CHF 26'022'641.30 pour l'ICC, seront admis comme étant plausibles dans le cadre de l'examen superficiel qui prévaut à ce stade.

Il s'ensuit que le recours sera partiellement admis sur ce point et dans cette mesure, le jugement du TAPI devant être confirmé pour le surplus.

6) Vu l'issue du litige, un émolument - réduit - de CHF 1'500.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe dans une large mesure (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 1'500.- lui sera allouée, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui de l'AFC-GE (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 juin 2019 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 mai 2019 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 mai 2019 en ce qu'il fixe le montant des sûretés à CHF 40'544'699.25 ;

dit que le montant des sûretés s'élève à CHF 27'714'935.60 ;

confirme le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 mai 2019 pour le surplus ;

met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 1'500.- ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l'État de Genève (administration fiscale cantonale) ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nicolas Merlino, avocat du recourant, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : M. Verniory, président, M. Thélin, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :