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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3060/2019

ATA/1814/2019 du 17.12.2019 ( MARPU ) , REJETE

Descripteurs : MARCHÉS PUBLICS;APPEL D'OFFRES(MARCHÉS PUBLICS);CONCURRENCE;ENTENTE SUR LES PRIX;ÉGALITÉ DE TRAITEMENT;SOUMISSIONNAIRE;GROUPE DE SOCIÉTÉS;ENTREPRISE;AUTONOMIE;LÉGALITÉ;INTÉRÊT PUBLIC;PROPORTIONNALITÉ
Normes : AIMP.1.al3; AIMP.11; RMP.17.al2; LCart.2.al1bis
Parties : SECURITAS SA SOCIETE SUISSE DE SURVEILLANCE / COMMUNE DE COLLONGE-BELLERIVE
Résumé : Rejet du recours contre la clause n° 3.9 de l’appel d’offres, préconisée par le guide romand des marchés publics, dans le cadre d’un marché public divisé en deux lots et posant l’obligation de déposer une offre pour chacun des lots et une offre pour l’ensemble du marché. Conditions de la base légale, de l’intérêt public et de la proportionnalité remplies. Ladite clause respecte plusieurs objectifs de l’accord intercantonal en matière de marchés publics (concurrence efficace, égalité de traitement entre soumissionnaires, utilisation parcimonieuse des deniers publics). Elle contribue au caractère complémentaire entre le droit des marchés publics et la LCart, en concrétisant la notion économique de l’entreprise au sens de cette loi fédérale, en particulier l’exigence de l’indépendance économique. Elle suit l’approche de cette loi s’agissant des groupes de sociétés en limitant la possibilité de soumissionner à un marché public aux entreprises économiquement indépendantes les unes des autres. Elle permet ainsi d’éviter le dépôt d’offres concertées (risque concret s’agissant de sociétés appartenant au même groupe et actives dans le même domaine, comme en l’espèce), tout en permettant à ces entreprises d’apporter la preuve de leur indépendance économique.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3060/2019-MARPU ATA/1814/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 décembre 2019

 

dans la cause

 

SECURITAS SA SOCIÉTÉ SUISSE DE SURVEILLANCE
représentée par Me Robert Hensler, avocat

contre

COMMUNE DE COLLONGE-BELLERIVE
représentée par Me François Bellanger, avocat

 



EN FAIT

1) Le 15 août 2019, la commune de Collonge-Bellerive (ci-après : la commune) a fait paraître sur la plateforme www.simap.ch un appel d'offres en procédure ouverte n° 192'081, concernant la surveillance des sites sur la commune. Le marché était divisé en lots soit : le lot n° 1 concernant les prestations physiques (rondes/ouvertures/fermetures de sites) et le lot n° 2 concernant les prestations techniques (vidéosurveillance). Les offres étaient possibles pour tous les lots. Des offres partielles n'étaient pas admises. Des variantes étaient admises. Le début de l'exécution était prévu le 1er janvier 2020 pour une durée de quatre ans, renouvelable chaque année. Le délai de clôture pour le dépôt des offres était fixé au 27 septembre 2019. Le dossier d'appel d'offres pouvait être obtenu sous www.simap.ch.

2) Le dossier d'appel d'offres a été établi sur la base de l'annexe K2 proposée par le Guide romand des marchés publics, dans sa version du 1er octobre 2015, édité par la conférence romande des marchés publics (ci-après : le Guide romand), que la commune a complétée en rappelant les éléments de l'appel d'offres publié et en précisant notamment les points suivants.

La procédure d'appel d'offres était entre autres soumise à l'Accord GATT/OMC du 15 avril 1994 sur les marchés publics (AMP - RS 0.632.231.422), à l'accord bilatéral sur certains aspects relatifs aux marchés publics entre la Suisse et la Communauté européenne, entré en vigueur le 1er juin 2002, à la loi fédérale sur les cartels et autres restrictions à la concurrence du 6 octobre 1995 (loi sur les cartels, LCart - RS 251), à l'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05) et à ses directives d'exécution, ainsi qu'aux loi, ordonnance et règlement cantonaux sur les marchés publics.

Le soumissionnaire devait déposer une offre complète (chiffre 2.3 du dossier d'appel d'offres). Il avait l'obligation de donner une offre pour chacun des lots et une offre pour l'ensemble du marché ; l'adjudicateur se réservait le droit d'adjuger le marché global à un seul soumissionnaire ou d'adjuger par lot ; un soumissionnaire pouvait donc obtenir plusieurs lots, voire la totalité des lots (chiffre 3.18 dudit dossier). Une variante d'offre était admise, mais n'était pas obligatoire, aux conditions énumérées dans le dossier d'appel d'offres (chiffre 3.16 dudit dossier).

Sous la troisième rubrique dudit dossier relative aux conditions de participation, figurait sous chiffre 3.9 une clause intitulée « Nombre d'offres » dont la teneur était la suivante : « Pour un marché déterminé, un mandataire, un bureau, une entreprise ou une société ne peut déposer qu'une offre en qualité de soumissionnaire ou membre associé d'un soumissionnaire, sauf exception prévue dans la publication officielle. Les bureaux ou entreprises portant la même raison sociale et dont l'activité est identique, même issus de cantons différents, ne pourront inscrire qu'un seul bureau, succursale ou filiale. Les bureaux ou entreprises ne portant pas la même raison sociale, mais dont l'activité est identique et dont l'affiliation commerciale, juridique et décisionnelle peut être prouvée, ne pourront inscrire qu'un seul bureau, succursale ou filiale. Dans ce dernier cas, l'adjudicateur peut demander au soumissionnaire concerné des preuves de son indépendance commerciale, juridique et décisionnelle vis-à-vis d'autres soumissionnaires portant ou non la même raison sociale ».

3) Le 26 août 2019, Securitas SA Société suisse de surveillance (ci-après : Securitas SA) a formé recours contre l'appel d'offres, plus particulièrement contre la clause visée sous chiffre 3.9 du dossier d'appel d'offres (ci-après : la clause n° 3.9), auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant principalement à son annulation. Elle sollicitait, à titre préalable, l'octroi de l'effet suspensif et, à titre subsidiaire, l'annulation du critère de participation figurant au chiffre 3.9 du dossier d'appel d'offres.

a. Securitas SA, active dans le domaine de la surveillance, avait son siège social à Berne et était inscrite depuis 1907 au registre du commerce de ce canton. Elle avait plusieurs succursales dont une, portant la même raison sociale et active dans le même domaine, était inscrite au registre du commerce du canton de Genève depuis 1909. Elle faisait partie du Groupe Securitas qui comportait plusieurs sociétés, parmi lesquelles il y avait Securitas SA et Python Sécurité SA.

D'après un communiqué de presse du Groupe Securitas du 3 octobre 2018, annexé au recours, le Groupe Securitas Suisse prenait une participation majoritaire dans la société genevoise, Python Sécurité SA, également active dans le domaine de la surveillance. Cette société-ci était inscrite au registre du commerce du canton de Genève depuis décembre 2002. Le Groupe Securitas était numéro un dans le domaine de la sécurité en Suisse.

b. La clause n° 3.9 violait la liberté économique, ne reposait sur aucune base légale ou réglementaire, ne poursuivait pas d'intérêt public et ne respectait pas le principe de la proportionnalité. Elle devait donc être annulée. Elle empêchait la recourante de soumissionner à un marché public car une société appartenant au même groupe qu'elle (à savoir la société Python Sécurité SA) souhaitait aussi participer audit marché, sans lui donner l'assurance que ce « sacrifice portera[it] ses fruits ». Aucune disposition de l'AMP, de l'AIMP ou du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01) n'autorisait le pouvoir adjudicateur à refuser à des « entreprises affiliées » de soumissionner pour le même marché public. Cet élément n'avait pas de rapport direct avec le marché public en cause, car il ne permettait pas de s'assurer de la qualité de l'offre soumise ni des prestations attendues. Le fait d'écarter d'emblée des entreprises au seul motif qu'elles appartenaient à un même groupe ou qu'elles étaient affiliées, était contraire au but d'utilisation parcimonieuse des deniers publics, voire de celui de l'égalité de traitement. L'utilité d'une telle condition n'était pas établie, la simple affiliation ne constituant en soi pas un indice de pratiques anticoncurrentielles. La LCart visait déjà à réglementer exhaustivement ce type de question et à éviter une éventuelle concertation en amont sur les prix proposés ainsi que toute forme de distorsion de la concurrence sous l'autorité de la commission de la concurrence, étant précisé qu'aucun soupçon de pratique anticoncurrentielle n'était in casu suspecté ni démontré. Le critère de l'affiliation n'était ainsi ni pertinent, ni objectif. De plus, interdire toute affiliation pousserait chaque société intéressée à s'assurer auprès des autres entités d'un groupe qu'aucune autre ne postule à un marché public donné, ce qui avait pour conséquence de restreindre la concurrence et la liberté économique de chaque entité. Cela portait aussi atteinte à la faculté des entreprises de s'organiser comme elles le souhaitaient dans le respect de l'ordre juridique, en particulier celles qui seraient affiliées (société mère-fille, sociétés soeurs ou même de sociétés cousines) alors même qu'elles seraient indépendantes l'une de l'autre. Ladite interdiction était au surplus excessive dans la mesure où la LCart et le droit des marchés publics (à savoir, l'art. 2 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d'Etat à adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 - L-AIMP - L 6 05.0) contenaient déjà des dispositions permettant de lutter contre les distorsions de concurrence et/ou de les sanctionner. Elle n'était par ailleurs pas apte à atteindre l'objectif consistant à lutter contre des pratiques anticoncurrentielles, sauf à postuler que de telles pratiques étaient uniquement le fait d'entreprises affiliées, ce qui n'était notoirement pas le cas. Elle ne contribuait pas à empêcher les pratiques visant à amoindrir voire à supprimer la concurrence.

La clause litigieuse violait le principe de l'égalité de traitement entre soumissionnaires en raison de la distinction injustifiée entre « d'une part les sociétés [appartenant] à un Groupe et port[a]nt la même raison sociale et d'autre part les sociétés affiliées entre elles, mais avec des raisons sociales différentes ». Seules ces dernières bénéficiaient de la possibilité d'apporter la preuve de leur indépendance commerciale, juridique et décisionnelle par rapport à d'autres soumissionnaires, ce qui instaurait une discrimination « envers les sociétés affiliées portant une même raison sociale ». Cette différence de traitement n'était pas admissible « s'agissant dans les deux cas de sociétés affiliées à un même Groupe de sociétés ». La clause litigieuse contrevenait sous cet aspect à la liberté économique de la recourante.

4) Après réception des observations de la commune, la vice-présidente de la chambre administrative a, par décision du 17 septembre 2019, accordé au recours un effet suspensif limité, fait interdiction à la commune de procéder à toute évaluation des offres ainsi que de prendre toute décision d'adjudication, et autorisé la poursuite de la procédure d'appel d'offres pour le surplus.

5) La commune a conclu au rejet du recours.

Le but de la clause litigieuse était d'assurer que chaque soumissionnaire ne puisse présenter qu'une seule offre et de régler la situation des sociétés soumissionnaires appartenant à un groupe de sociétés dans le respect de la concurrence efficace, de l'égalité de traitement entre soumissionnaires et de la prohibition de la discrimination. Elle devait veiller, en vertu de l'art. 17 RMP, à ce que des discussions entre les candidats ne faussent une concurrence efficace, raison pour laquelle elle avait prévu la clause n° 3.9 dans l'appel d'offres. Cette mesure évitait la survenance de ce type de situation ainsi que tout risque d'accords et de pratiques concertés. En l'absence d'une telle clause, une société pourrait présenter une offre pour son compte ainsi qu'une offre différente par le biais d'une autre société dans laquelle elle était majoritaire, et potentiellement fausser la concurrence. Comme le droit de la concurrence considérait que des sociétés d'un même groupe formaient une seule et même entreprise, il était difficile de voir comment de telles sociétés pourraient se faire véritablement concurrence et déterminer leur offre de manière autonome et indépendante du fait de leur lien économique. L'appartenance à un même groupe de sociétés et l'affiliation d'un point de vue commercial, juridique et décisionnel étaient des éléments qui faussaient le processus lié à la prise de risque en lien avec la fixation du prix. Ainsi, la prise de risque de chaque soumissionnaire consistant à opter pour un prix élevé ou un prix bas serait faussée et affecterait la concurrence efficace qui devait être assurée lors de la procédure d'appel d'offres. Par ailleurs, la clause litigieuse n'excluait pas la possibilité pour les soumissionnaires concernés d'apporter la preuve de leur indépendance commerciale, juridique ou décisionnelle. En cas d'indépendance avérée entre deux sociétés d'un même groupe, le dépôt d'une offre par chacune de celles-ci n'était pas « expressément exclu » par la clause litigieuse.

6) La recourante a répliqué en persistant dans ses conclusions de fond.

Elle n'avait aucune participation, et encore moins majoritaire, dans Python Sécurité SA. Cette société et elle étaient indépendantes l'une de l'autre, mais appartenaient au groupe Securitas. Une offre concertée n'était pas une offre d'entités affiliées ; elle ne pouvait émaner que de deux entités juridiquement et économiquement distinctes, étant précisé que dans le cas inverse, il n'y avait pas d'offres concertées. Les offres concertées devaient être qualifiées d'accords sur les prix au sens de l'art. 5 LCart. Comme elle visait à s'appliquer à des entreprises qui étaient affiliées ou membres d'un même groupe, la clause litigieuse ne pouvait pas avoir pour finalité de lutter contre des offres concertées lesquelles étaient « presque toujours » le fait d'entités strictement indépendantes l'une de l'autre sur les plans juridique, économique et décisionnel, et violait donc le principe de la légalité faute de base légale ou réglementaire. Les offres concertées n'étaient néfastes que si elles aboutissaient à une hausse des prix. En écartant d'emblée les offres d'entreprises affiliées ou appartenant au même groupe, la clause litigieuse empêchait une analyse des prix par le pouvoir adjudicateur ainsi que de déterminer la présence éventuelle d'une ou plusieurs offres concertées voire de constater que parmi ces offres se trouverait l'offre économiquement la plus avantageuse, et ce en contradiction avec le principe de l'utilisation parcimonieuse des deniers publics. Ladite clause avait pour effet de « mettre la charrue avant les boeufs » et ne permettait pas d'assurer une concurrence efficace. Même à considérer qu'elle vise cet objectif-ci, en postulant que toute offre reçue d'entreprises affiliées ou appartenant au même groupe devait être écartée, la clause n° 3.9 posait une présomption irréfragable et supprimait toute possibilité de démontrer la justification d'un éventuel accord horizontal, contrairement au système de la LCart. Elle allait beaucoup plus loin que l'art. 5 al. 3 LCart et était ainsi contraire à la LCart. Elle devait être annulée. En outre, le droit des marchés publics prévoyait des moyens suffisants pour se prémunir contre les offres concertées à tous les stades de la procédure, tels que la possibilité d'interrompre la procédure de passation et d'adjuger de gré à gré, l'exclusion de la procédure, le prononcé d'une amende, la révocation d'une adjudication et l'interdiction de participer à un marché public futur pendant cinq ans. L'utilité de la clause litigieuse n'était ainsi pas établie.

7) Le 15 novembre 2019, le juge délégué de la chambre administrative a entendu les parties qui ont confirmé leur position.

La recourante a déclaré avoir une affiliation décisionnelle, juridique et commerciale avec Python Sécurité SA. Le « CEO » du groupe Securitas était également administrateur de Python Sécurité SA, ce qui était attesté par l'organigramme dudit groupe, versé au dossier. Les services juridiques étaient communs dans le groupe. Ces aspects n'avaient jamais été cachés. Les activités de ces deux sociétés étaient identiques.

La commune a indiqué qu'outre la recourante et Python Sécurité SA, seule une troisième société avait déposé une offre dans le cadre du marché public en cause. Comme les deux premières sociétés étaient considérées affiliées, elle était prête à les exclure, dans le respect des conditions des marchés publics et sous le contrôle des tribunaux. Elle a précisé que le but de la clause litigieuse était de faire jouer une vraie concurrence. S'il y avait plusieurs sociétés associées au même groupe, il y avait des risques de biaiser la concurrence. C'était plutôt le fait qu'il pouvait y avoir un arrangement entre les deux entreprises qui feraient une offre en s'étant entendues. Elle craignait les risques d'une possible entente sur les prix.

8) Les parties ont ensuite maintenu leur position.

9) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 15 al. 1, al. 1bis let. a et al. 2 AIMP ; art. 3 al. 1 L-AIMP ; art. 55 let. a et art. 56 al. 1 RMP ; art. 17 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA-GE - E 5 10). Selon la jurisprudence, les documents de l'appel d'offres qui contiennent les conditions fixées par l'adjudicateur pour la qualification des candidats font partie intégrante de l'appel d'offres, de sorte que les éventuels vices les affectant doivent être contestés, sous peine de forclusion, à ce stade déjà de la procédure, dans le délai de dix jours dès leur remise, à l'instar de ce qui est prévu pour recourir contre l'appel d'offres lui-même (ATF 130 I 241 consid. 4.2 ; 125 I 203 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_841/2016 du 25 août 2017 consid. 1.2.2).

2) La qualité pour recourir en matière de marchés publics se définit en fonction des critères de l'art. 60 al. 1 let. a et b LPA, applicable sur renvoi de l'art. 3 al. 4 L-AIMP. Elle appartient aux parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée, chacune de celles-ci devant néanmoins être touchées directement par la décision et avoir un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (ATA/476/2015 du 19 mai 2015 consid. 3c), ce qui présuppose une chance réelle et réaliste d'obtenir le marché (Christophe JÄGER, Ausschluss vom Verfahren - Gründe und der Rechtsschutz, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/ Hubert STOECKLI, Droit des marchés publics, 2014, n° 85, p.355). Tel est le cas de celle à laquelle la décision attaquée apporte des inconvénients qui pourraient être évités grâce au succès du recours, qu'il s'agisse d'intérêts juridiques ou de simples intérêts de fait (ATA/633/2016 du 26 juillet 2016 consid. 4 et les références citées).

La jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la qualité pour recourir contre un appel d'offres considère qu'un soumissionnaire potentiel n'a qualité pour recourir que s'il aurait été en mesure de fournir une offre en rapport avec l'objet du marché. Il appartient donc à l'autorité d'examiner, pour déterminer la qualité pour recourir de ce soumissionnaire potentiel, si la restriction posée à l'objet du marché l'empêchant de soumissionner est ou non admissible (ATF 137 II 313 consid. 3.3, 3.4 et 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_841/2016 précité consid. 4.2). La spécification licite de l'objet du marché devient un point dit doublement pertinent : elle doit être examinée dans le cadre du jugement au fond du litige, mais en même temps elle est importante à titre préjudiciel, pour déterminer qui possède vraiment la qualité pour recourir en fonction du produit qu'il offre (ATF 137 II 313 = JdT 2012 I 20 consid. 3.3.3).

En l'espèce, la question de la licéité de la restriction litigieuse n'a pas à être examinée sous l'angle de la qualité pour recourir. Il découle des écritures des parties ainsi que de leurs déclarations et des documents remis lors de l'audience susmentionnée que tant la recourante que Python Sécurité SA ont déposé une offre concernant le marché public en cause, qu'elles sont actives dans le domaine de la sécurité, objet dudit marché, qu'elles font partie du même groupe et qu'elles sont affiliées du point de vue décisionnel, juridique et commercial. Dans ces circonstances, elles risquent, comme l'a admis la commune lors de ladite audience, de se voir exclure de la procédure de passation dudit marché public sur la base de la clause n° 3.9 qui est contestée par la recourante. Par conséquent, celle-ci dispose d'un intérêt spécial, actuel et concret à obtenir la suppression ou la modification de ladite clause insérée dans le dossier d'appel d'offres. Securitas SA a donc la qualité pour recourir contre cette clause, étant précisé qu'il s'agit du seul élément qu'elle conteste dans l'appel d'offres en cause.

3) Le présent litige porte principalement sur la question de la légalité de la clause n° 3.9, la recourante soutenant qu'elle ne repose sur aucune base légale ou réglementaire. Cette dernière considère également que cette clause ne poursuit aucun intérêt public, en particulier pas celui d'une concurrence efficace, et qu'elle ne respecte pas le principe de la proportionnalité. Les trois conditions d'une restriction à un droit fondamental conformément à l'art. 36 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) n'étant pas remplies, elle estime que la clause litigieuse viole la liberté économique ancrée à l'art. 27 Cst. Elle se plaint également d'une violation du principe d'égalité entre soumissionnaires vu la distinction contenue dans ladite clause.

4) Il convient d'abord d'examiner si la clause n° 3.9 trouve un fondement juridique dans le droit des marchés publics. Il n'est en l'espèce pas contesté qu'il s'agit d'un marché public de services régi par l'AIMP, la L-AIMP et le RMP.

a. Garanti par l'art. 5 al. 1 Cst., le principe de la légalité se compose de celui de la suprématie de la loi, voulant que les autorités sont tenues de respecter l'ensemble des normes juridiques ainsi que la hiérarchie des normes, et de celui de l'exigence d'une base légale, impliquant que les autorités ne peuvent agir que si la loi le leur permet (Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, 2018, vol. I, n. 498 ss).

b. En matière de marchés publics cantonaux et communaux, l'AIMP vise l'ouverture desdits marchés (art. 1 al. 1 AIMP) ainsi que les objectifs suivants (art. 1 al. 3 AIMP) : assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (let. a), garantir l'égalité de traitement à tous les soumissionnaires et assurer l'impartialité de l'adjudication (let. b), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (let. c) et permettre une utilisation parcimonieuse des deniers publics (let. d). Cette disposition se trouve dans la section 1 intitulée « Dispositions générales ». Dans la section 4 régissant la procédure, l'art. 11 AIMP pose sept principes généraux à respecter lors de la passation de marchés, parmi lesquels figurent la non-discrimination et l'égalité de traitement de chaque soumissionnaire (let. a) ainsi que la concurrence efficace (let. b).

Les dispositions d'exécution de l'AIMP sont, dans le canton de Genève, du ressort du Conseil d'État (art. 4 L-AIMP, art. 3 AIMP). Le titre III du RMP contient les dispositions applicables à tous les marchés publics cantonaux ou communaux. En particulier, le chapitre I de ce titre (à savoir les art. 16 ss RMP) développe, sous l'intitulé « Principes généraux », les sept principes généraux posés par l'art. 11 AIMP. Selon l'art. 16 RMP, toute discrimination des candidats ou des soumissionnaires est interdite (al. 1 ab initio). Le principe de l'égalité de traitement doit être garanti à tous les candidats et soumissionnaires et dans toutes les phases de la procédure (al. 2). Quant à la concurrence efficace, elle fait l'objet de l'art. 17 RMP. La libre concurrence doit être garantie pour l'obtention des fournitures et des prestations de construction et de services (art. 17 al. 1 RMP). L'autorité adjudicatrice veille, par des mesures adéquates, notamment celles prévues aux art. 42, 47 et 48 RMP, à ce que des discussions entre les candidats ne faussent pas une concurrence efficace (art. 17 al. 2 RMP).

L'art. 42 RMP règle l'exclusion de la procédure, tandis que les art. 47 et 48 RMP traitent respectivement de l'interruption de la procédure et de la révocation de l'adjudication. Selon l'art. 47 al. 1 RMP, la procédure peut être interrompue pour de justes motifs ou raisons importantes, notamment lorsque l'autorité adjudicatrice a reçu un nombre insuffisant d'offres pour adjuger le marché dans une situation de concurrence efficace (let. a), lorsque les offres ont été concertées (let. b), ou lorsque toutes les offres dépassent le montant du budget prévu ou octroyé pour le marché (let. d). La décision d'interruption indique, le cas échéant, s'il est prévu de renouveler la procédure (art. 47 al. 2 phr. 2 RMP). L'art. 48 RMP dispose que l'adjudication peut être révoquée, sans indemnisation, pour l'un des motifs énoncés à l'art. 42. L'art. 42 RMP distingue les motifs pour lesquels l'offre est écartée d'office (al. 1) de ceux pour lesquels l'autorité adjudicatrice peut écarter l'offre d'un soumissionnaire (al. 2). Les offres écartées ne sont pas évaluées (art. 42 al. 3 phr. 1 RMP). En vertu de l'art. 42 al. 1 RMP, lorsque le soumissionnaire a rendu une offre non-conforme aux exigences ou au cahier des charges (let. a) ou lorsqu'il a conclu un accord qui porte atteinte à une concurrence efficace (let. d), l'offre est écartée d'office.

c. En l'espèce, la question est de savoir si la clause n° 3.9 peut être qualifiée de mesure adéquate au sens de l'art. 17 al. 2 RMP, c'est-à-dire par rapport au but de cette disposition qui vise expressément à éviter que des discussions entre les candidats ne faussent une concurrence efficace. L'examen de cette question se recoupe largement, en raison du contenu de cette norme, avec celui des griefs susmentionnés liés à l'existence d'un intérêt public poursuivi par la clause litigieuse et à la proportionnalité de celle-ci.

Aucune des parties ne remet en cause le fait que l'art. 17 al. 2 RMP concrétise l'objectif du droit des marchés publics cantonaux et communaux ainsi que le principe général de procédure de passation desdits marchés publics, ancrés respectivement aux art. 1 al. 3 let. a et art. 11 let. b AIMP, soit celui de la concurrence efficace. Le but central du droit des marchés publics est le fonctionnement d'une concurrence efficace, garanti par l'ouverture des marchés et en vue d'une utilisation rationnelle des deniers publics (ATF 141 II 353 consid. 8.2.3 ; 125 II 86 consid. 7c).

5) Afin de déterminer si la clause litigieuse peut être une mesure adéquate au sens de l'art 17 al. 2 RMP, il y a lieu de cerner la notion de concurrence efficace. En effet, le but de cette disposition est de veiller, « par des mesures adéquates (...), à ce que des discussions entre les candidats ne faussent pas une concurrence efficace » (art. 17 al. 2 RMP).

a. La concurrence efficace est une notion fondamentale de la LCart (Message du Conseil fédéral concernant la LCart du 23 novembre 1994, ci-après : Message LCart, in FF 1995 I 472 ss, p. 477, p. 513 ss, p. 518 ss, p. 551 ss). Il s'agit, avec l'économie de marché, d'un des principes directeurs de la politique de la concurrence (Message LCart, p. 501 s et 513 ss). La concurrence efficace est le critère central lorsqu'il s'agit d'évaluer les effets d'accords sur la concurrence. Ledit message distingue trois catégories d'atteintes en fonction de leurs effets sur la concurrence : les atteintes légères (non notables), les atteintes notables et la suppression de la concurrence efficace (Message LCart, p. 551 ss).

La LCart trouve son fondement constitutionnel entre autres à l'art. 96 Cst. relatif à la politique en matière de concurrence et à l'art 27 al. 1 Cst. garantissant la liberté économique. La LCart a pour but d'empêcher les conséquences nuisibles d'ordre économique ou social imputables aux cartels et aux autres restrictions à la concurrence et de promouvoir ainsi la concurrence dans l'intérêt d'une économie de marché fondée sur un régime libéral (art. 1 LCart). La réalisation de ce but doit s'accomplir par l'application des règles de fond du chapitre 2 de la LCart (ATF 143 II 297 = JdT 2018 I 3 consid. 4.1).

Les prescriptions cantonale et fédérale des marchés publics poursuivent un objectif de concurrence. En effet, d'une part, elles sont un moyen facilitant une saine utilisation des ressources publiques. D'autre part, elles permettent de prévenir des distorsions de concurrence en garantissant notamment la transparence des procédures qui mènent à l'adjudication par des collectivités publiques de marchés de fournitures, de services et de construction. Ces réglementations combattent essentiellement les entraves de droit public à la libre concurrence. En cela, elles vont au-delà des objectifs de la LCart qui, en matière de soumissions, vise principalement la suppression des entraves privées à la concurrence et n'intervient que marginalement à l'encontre des restrictions de droit public. Les règles sur la passation des marchés publics et la LCart poursuivent donc un but complémentaire (Pierre TERCIER/Vincent MARTENET, in Vincent MARTENET/Christian BOVET/Pierre TERCIER [éd.], Commentaire Romand, Droit de la concurrence, 2ème éd., 2013, n. 183 ad Introduction générale).

b. Parmi les restrictions illicites à la concurrence (section 1 du chapitre 2 de la LCart), figurent les accords illicites (art. 5s LCart) et les pratiques illicites d'entreprises ayant une position dominante (art. 7s LCart). Par entreprises dominant le marché, on entend, selon l'art. 4 al. 2 LCart, une ou plusieurs entreprises qui sont à même, en matière d'offre ou de demande, de se comporter de manière essentiellement indépendante par rapport aux autres participants au marché (concurrents, fournisseurs ou acheteurs).

L'art. 5 LCart distingue deux types de restrictions à la concurrence : les accords qui « affectent de manière notable la concurrence » (art. 5 al. 1 LCart) et les accords qui sont « présumés entraîner la suppression d'une concurrence efficace » (art. 5 al. 3 et al. 4 LCart). Parmi ces derniers, l'art. 5 al. 3 LCart mentionne, s'agissant d'accords réunissant des entreprises effectivement ou potentiellement concurrentes (accords dits horizontaux), trois cas de figure : les accords qui fixent directement ou indirectement des prix (let. a), ceux qui restreignent des quantités de biens ou de services à produire, à acheter ou à fournir (let. b), et ceux qui opèrent une répartition géographique des marchés ou une répartition en fonction des partenaires commerciaux (let. c).

Les accords affectant de manière notable la concurrence sont illicites s'ils ne sont pas justifiés par des motifs d'efficacité économique énumérés à l'art. 5 al. 2 LCart (art. 5 al. 1 LCart). Parmi ces motifs, l'art. 5 al. 2 LCart prévoit, d'une part, que l'accord doit être nécessaire « pour réduire les coûts de production ou de distribution, pour améliorer des produits ou des procédés de fabrication, pour promouvoir la recherche ou la diffusion de connaissances techniques ou professionnelles, ou pour exploiter plus rationnellement des ressources » (let. a) et, d'autre part, que l'accord ne doit en aucune façon permettre aux entreprises concernées de supprimer une concurrence efficace (let. b).

Les accords conduisant à la suppression d'une concurrence efficace sont réputés illicites (art. 5 al. 1 LCart). La justification par des motifs d'efficacité économique est dans ce cas exclue (ATF 143 II 297 = JdT 2018 I 3 consid. 4.1 et les références citées). La suppression de la concurrence efficace peut être soit directement prouvée, soit résulter de l'un des états de fait prévus aux al. 3 et al. 4 de l'art. 5 LCart suivant le type d'accord (vertical ou horizontal). Dans ce deuxième cas de figure, lesdits alinéas prévoient que la suppression de la concurrence efficace est présumée. Cette présomption peut être renversée par la démonstration que, dans le cas concret, une concurrence efficace subsiste malgré l'état de fait visé par la présomption. Ceci se vérifie par une concurrence interne suffisante (la liberté d'action des participants à l'accord en matière de concurrence n'est pas restreinte) ou par une concurrence externe suffisante (la liberté d'action d'un tiers concerné par l'accord n'est pas limitée), selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 143 II 297 = JdT 2018 I 3 consid. 4.1 et les références citées).

Quant aux pratiques illicites d'entreprises ayant une position dominante, l'art. 7 al. 1 LCart considère qu'elles sont réputées illicites lorsque lesdites entreprises abusent de leur position et entravent ainsi l'accès d'autres entreprises à la concurrence ou son exercice, ou désavantagent les partenaires commerciaux. Sont en particulier réputés illicites au sens de l'art. 7 al. 2 LCart : la discrimination de partenaires commerciaux en matière de prix ou d'autres conditions commerciales (let. b), le fait d'imposer des prix ou d'autres conditions commerciales inéquitables (let. c), la sous-enchère en matière de prix ou d'autres conditions commerciales, dirigée contre un concurrent déterminé (let. d).

c. Par accords en matière de concurrence, l'art. 4 al. 1 LCart vise « les conventions avec ou sans force obligatoire ainsi que les pratiques concertées d'entreprises occupant des échelons du marché identiques ou différents, dans la mesure où elles visent ou entraînent une restriction à la concurrence ».

Cette disposition suppose la réalisation de deux conditions : il faut, d'une part, un accord et, d'autre part, que celui-ci vise ou entraîne une restriction à la concurrence (ATF 144 II 246 consid. 6.4). La jurisprudence précise entre autres que l'existence d'un accord, qu'il soit vertical ou horizontal en matière de concurrence, suppose une action collective, consciente et voulue des entreprises participantes. Il faut que l'on puisse discerner une collaboration voulue et consciente de deux ou plusieurs entreprises (ATF 144 II 246 consid. 6.4.1).

Il résulte du concept même d'« accord » que deux entreprises participantes au moins sont nécessaires pour remplir les exigences de la définition contenue à l'art. 4 al. 1 LCart (Marc AMSTUTZ/Blaise CARRON/Mani REINERT, in Vincent MARTENET/Christian BOVET/Pierre TERCIER [éd.], Commentaire Romand, Droit de la concurrence, 2ème éd., 2013, n. 15 ad art. 4 al. 1 LCart). Par restriction à la concurrence, on entend toute atteinte au libre jeu de l'offre et de la demande (Marc AMSTUTZ/Blaise CARRON/Mani REINERT, op. cit., n. 72 ad art. 4 al. 1 LCart). Parmi les restrictions à la concurrence, on distingue les restrictions internes qui concernent les participants à l'accord et les restrictions externes qui entravent des entreprises non parties à l'accord (Marc AMSTUTZ/Blaise CARRON/Mani REINERT, op. cit., n. 74 ad art. 4 al. 1 LCart).

d. Quant à la notion d'entreprise au sens de la LCart, il s'agit de « toute entreprise engagée dans le processus économique qui offre ou acquiert des biens ou des services, indépendamment de son organisation ou de sa forme juridique » (art. 2 al. 1bis LCart).

Cette notion doit être interprétée en fonction des objectifs poursuivis par la LCart. Elle n'est ni celle du Code des obligations, ni celle du registre du commerce. Doit être considéré, selon le Conseil fédéral, comme étant une entreprise « tout acteur qui produit des biens ou des services et participe ainsi de manière indépendante au processus économique » (Message LCart, p. 534). Elle suppose, d'une part, la participation au processus économique et, d'autre part, l'indépendance économique. La notion est ainsi économique et fonctionnelle (Vincent MARTENET/Pierre-Alain KILLIAS, in Vincent MARTENET/Christian BOVET/Pierre TERCIER [éd.], Commentaire Romand, Droit de la concurrence, 2ème éd., 2013, n. 22 ad art. 2 LCart). Peu importe que l'entreprise poursuive ou non un but lucratif. La personnalité juridique n'est pas exigée ; à l'inverse, elle n'est pas suffisante pour que l'acteur soit considéré comme entreprise (Vincent MARTENET/Pierre-Alain KILLIAS, op. cit., n. 23 ad art. 2 LCart). Il faut de surcroît que l'acteur économique intervienne de manière indépendante (Vincent MARTENET/Pierre-Alain KILLIAS, op. cit., n. 24 ad art. 2 LCart).

La notion d'entreprise suppose l'indépendance de celle-ci dans le processus économique. L'indépendance visée ici est économique et non juridique (Vincent MARTENET/Pierre-Alain KILLIAS, op. cit., n. 28 ad art. 2 LCart). L'indépendance économique d'une entreprise dépend toujours des circonstances du cas d'espèce. Elle joue un rôle important lorsque l'on est en présence de sociétés qui font partie d'un même groupe, soit qu'elles appartiennent à une « holding », soit que leur direction est exercée par un « Konzern ». En effet, si l'on parvient à la constatation que les entreprises en cause ne peuvent se comporter de manière indépendante les unes des autres, elles devront être considérées comme ne formant aux yeux de la LCart qu'une seule entreprise. Cela suppose que la société-mère soit en mesure de contrôler ses filiales et qu'elle exerce effectivement ce contrôle. Il en découle les conséquences suivantes, sous réserve de cas particuliers (Vincent MARTENET/Pierre-Alain KILLIAS, op. cit., n. 30 ad art. 2 LCart).

Les accords entre les sociétés du groupe ne pourront être considérés comme des accords en matière de concurrence (« Konzernprivileg »), peu importe que les sociétés occupent des échelons du marché identiques ou différents. À défaut, il suffirait au groupe de fusionner les deux sociétés pour faire disparaître l'accord. Une telle solution représente un coût pour le groupe et restreint la liberté économique de celui-ci, sans motif suffisant. Il n'appartient pas au droit de la concurrence de provoquer de telles restructurations qui ne renforcent aucunement la concurrence. En revanche, l'accord conclu entre une société du groupe et une entreprise tierce peut être considéré comme un accord en matière de concurrence (Vincent MARTENET/Pierre-Alain KILLIAS, op. cit., n. 31 ad art. 2 LCart).

Les entreprises d'un groupe forment un tout lorsqu'il s'agit d'apprécier l'existence ou non d'une position dominante. Il convient dès lors d'additionner les parts de marché des différentes sociétés du groupe actives sur le même marché (Vincent MARTENET/Pierre-Alain KILLIAS, op. cit., n. 32 ad art. 2 LCart). Les fusions ou autres restructurations au sein d'un groupe ne sont pas soumises au contrôle des concentrations (Vincent MARTENET/Pierre-Alain KILLIAS, op. cit., n. 33 ad art. 2 LCart).

La condition d'indépendance a un relief particulier dans les groupes d'entreprises. En principe, le regroupement d'entreprises déjà affiliées (par exemple fusion de filiales ou d'une société mère avec sa fille) ou leur restructuration interne ne devrait pas constituer une opération de concentration ; dans ce type d'opérations en effet, la structure du contrôle n'est en principe pas modifiée. Le pouvoir de décision autonome fait (notamment) généralement défaut lorsque les entreprises dépendent d'un même « holding ». Toutefois, même si les entreprises sont liées entre elles par des liens structurels et juridiques, elles peuvent constituer des entités indépendantes du point de vue économique si elles disposent d'une réelle autonomie d'action sur le marché. La situation pourrait par exemple se produire dans un grand groupe où les activités sont très diversifiées et le pouvoir de décision décentralisé. De telles situations devraient cependant rester exceptionnelles dans la mesure où les restructurations intragroupe n'impliquent pas de changement de la structure du contrôle (Silvio VENTURI/Pascal G. FAVRE, in Vincent MARTENET/Christian BOVET/Pierre TERCIER [éd.], Commentaire Romand, Droit de la concurrence, 2ème éd., 2013, n. 48 et 49 ad art. 4 al. 3 LCart).

e. Selon la doctrine rappelant les lignes directrices pour la lutte contre les soumissions concertées dans les marchés publics de l'OCDE de 2009, une procédure de passation de marchés publics ne peut aboutir à une adjudication à l'offre économiquement la plus avantageuse que si les entreprises se font véritablement concurrence, c'est-à-dire déterminent leurs offres de manière autonome (Evelyne CLERC, in Vincent MARTENET/Christian BOVET/Pierre TERCIER [éd.], Commentaire Romand, Droit de la concurrence, 2ème éd., 2013, n. 54 ad art. 5 LMI). Cette auteure considère que ni la LMP ni l'AIMP ne limitent la possibilité d'exclure des soumissionnaires ayant soumis des offres concertées aux seuls cartels cachés, c'est-à-dire aux cartels dont l'existence n'aurait pas été révélée au pouvoir adjudicateur. Tel ne saurait être non plus l'intention du législateur, car un cartel de soumissions fausse dans tous les cas les résultats d'une procédure de passation de marchés publics, que son existence soit ou non connue du pouvoir adjudicateur. Il est au surplus peu vraisemblable que les entreprises soumissionnaires prennent le risque d'annoncer leur participation à un cartel au pouvoir adjudicateur, car elles s'exposeraient au risque d'une élimination de la procédure de passation de marché en cause et d'une dénonciation du cartel à la commission de la concurrence (Evelyne CLERC, op. cit., n. 54 ad art. 5 LMI).

6) En l'espèce, la clause litigieuse pose la règle « une offre par soumissionnaire » et la spécifie dans deux cas particuliers impliquant des entités exerçant une activité identique. Il s'agit, d'une part, lorsque celles-ci ont la même raison sociale et, d'autre part, lorsqu'elles ont la même affiliation commerciale, juridique et décisionnelle. Ladite clause règle ainsi la situation particulière des sociétés faisant partie d'un même groupe, comme c'est le cas de la recourante et de Python Sécurité SA qui tombent sous le coup du deuxième cas de figure. Cette clause s'inscrit dans un appel d'offres imposant au soumissionnaire de déposer une offre complète, c'est-à-dire une offre pour chacun des lots et une offre pour l'ensemble du marché.

a. En prévoyant qu'en cas d'affiliation commerciale, juridique et décisionnelle de deux ou plusieurs entités, seule l'une d'elles pourra déposer une offre pour un marché déterminé, à moins de démontrer leur indépendance commerciale, juridique et décisionnelle, la clause n° 3.9 - préconisée par le Guide romand - de l'appel d'offres concrétise, pour le marché public en cause, la notion économique de l'entreprise prévue par la LCart et en particulier l'exigence de l'indépendance économique de l'entité souhaitant déposer une offre. Ce faisant, ladite clause adopte le même type d'approche que cette loi fédérale pour les groupes de sociétés, en limitant la possibilité de postuler au marché public aux entreprises économiquement indépendantes les unes des autres.

Cette approche permet d'emblée d'éviter le dépôt d'offres concertées, que ce soit par exemple sur le prix ou sur une répartition des marchés ou en fonction des partenaires commerciaux. Ce genre d'atteinte à la concurrence est présumé illicite de par la loi car elle conduit à la suppression de la concurrence efficace (art. 5 al. 1, 3 et 4 LCart). Le risque de concertation en amont du dépôt de l'offre est, sous réserve de la preuve du contraire, concret pour des sociétés appartenant à un même groupe qui dispose généralement d'une structure décisionnelle commune. Ce type d'entente ne constitue certes pas un accord en matière de concurrence selon la LCart car les deux sociétés sont considérées comme étant une seule entreprise en raison de leur dépendance économique. Cependant, en l'absence d'une règle telle que celle résultant de la clause litigieuse, deux sociétés appartenant au même groupe et de ce fait susceptibles d'être dépendantes l'une de l'autre, pourraient par hypothèse déposer chacune une offre pour le marché public après s'être concertées sur des aspects y relatifs comme par exemple le prix ou les prestations. Certes, comme le soulève la recourante, de telles discussions peuvent également survenir entre des entités économiquement indépendantes et à l'insu des parties impliquées dans un marché public, mais il s'agit alors d'une situation différente appelant la mise en oeuvre d'autres moyens tels que ceux relevés par l'intéressée. La clause n° 3.9 permet d'éviter, lorsque les éléments connus permettent de le déceler, le dépôt d'offres susceptibles d'être concertées, tout en offrant la possibilité aux entités concernées de prouver leur indépendance économique (soit, selon les termes de ladite clause, l'« indépendance commerciale, juridique et décisionnelle »), malgré leur appartenance au même groupe et l'exercice de la même activité, et ainsi de démontrer l'absence de réalisation d'un tel risque de concertation. Il va de soi que la formulation de la dernière phrase de la clause n° 3.9 (à savoir « l'adjudicateur peut demander au soumissionnaire ») n'empêche pas ce dernier de fournir spontanément les preuves de son indépendance économique, en particulier s'il a connaissance - comme en l'espèce - de la participation d'une société du même groupe, afin que son offre puisse être prise en compte de manière à part entière, le cas échéant avec celle de l'autre société appartenant au même groupe dont il serait économiquement indépendant. Ce procédé consistant à partir d'une prémisse dont le contraire peut être démontré correspond au système prévu par la LCart s'agissant notamment des ententes sur les prix en ce sens que la présomption de suppression de concurrence efficace attachée à cet état de fait (art. 5 al. 3 let. a LCart) peut être renversée comme exposé plus haut. Contrairement à ce que semble penser la recourante, la clause litigieuse ne vise pas à réduire le jeu de la concurrence en empêchant des sociétés du même groupe de participer au marché public, mais veille à ce qu'il ne soit pas biaisé par des liens de dépendance économique susceptibles d'exister entre les soumissionnaires.

En suivant l'approche économique de la notion d'entreprise de la LCart, la clause n° 3.9 de l'appel d'offres place tous les candidats au marché public sur pied d'égalité, indépendamment de leur mode d'organisation et/ou de leur structure juridique, l'essentiel étant leur capacité à participer de manière indépendante au processus économique (soit leur indépendance économique). Elle assure ainsi un traitement égalitaire des candidats et veille au dépôt d'offres émanant d'entités disposant d'une réelle autonomie d'action sur le marché, de manière à éviter de quelconques ententes ou discussions entre ces derniers, notamment sur les prix. Cela a pour conséquence de garantir l'exercice d'une concurrence effective entre tous les soumissionnaires et ainsi de permettre une utilisation parcimonieuse des deniers publics, dans le respect des objectifs et principes généraux prévus par l'AIMP, en particulier celui de la concurrence efficace, de l'égalité de traitement et de l'utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3 let. a, b et d et art. 11 let. a et b AIMP), et ce dès le début de la procédure de passation du marché public.

Par ailleurs, en mettant la preuve de l'indépendance économique à la charge des entités d'un même groupe souhaitant participer au marché public, la clause litigieuse assure un fonctionnement optimal de la concurrence, en ce sens qu'il revient aux entités détenant les moyens d'une telle démonstration de les apporter et à l'autorité adjudicatrice de les apprécier. Ce procédé place chaque candidat sur pied d'égalité et permet à l'autorité adjudicatrice de tenir compte des éventuelles spécificités de chaque cas portées à sa connaissance.

Dès lors, en concrétisant la notion économique de l'entreprise de la LCart en droit des marchés publics, la clause litigieuse s'inscrit dans le système décrit
ci-dessus de la LCart, en particulier en ce qui concerne l'approche des sociétés faisant partie d'un même groupe. Elle contribue ainsi au caractère complémentaire de ces deux réglementations. Elle permet, dans le cadre des marchés publics, d'éviter, dès le début de la procédure, d'éventuelles distorsions de la concurrence susceptibles de résulter des liens existants entre les soumissionnaires, comme c'est le cas généralement des sociétés appartenant à un même groupe, sans toutefois les priver de la possibilité de démontrer leur indépendance économique et ainsi de participer au marché public. Il s'agit ainsi d'une mesure adéquate par rapport tant à l'objectif de concurrence efficace qu'à celui d'égalité de traitement entre candidats et soumissionnaires. Elle se trouve dans un rapport tout à fait raisonnable avec la restriction imposée aux sociétés d'un groupe, qui disposent de la possibilité de démontrer leur indépendance économique. En outre, la clause litigieuse est nécessaire à l'exercice d'une concurrence efficace comme préalable à une utilisation rationnelle des ressources publiques, contrairement à ce que semble penser la recourante, à l'instar du droit de la concurrence dont une des fonctions fondamentales est l'optimisation dans l'utilisation des ressources (Marc AMSTUTZ/Blaise CARRON/Mani REINERT, op. cit., n. 75 ad art. 4 al. 1 LCart). Ladite clause permet d'éviter, dans le cadre du marché public, des entraves privées telle que la concertation en amont des offres et ainsi de faciliter le bon déroulement de la procédure de passation du marché public. Par conséquent, la clause litigieuse repose sur une base légale de rang réglementaire, à savoir l'art. 17 al. 2 RMP, qui concrétise l'objectif et le principe général de concurrence efficace (art. 1 al. 3 let. a et art. 11 let. b AIMP). Elle remplit aussi tant la condition de l'intérêt public que celle de la proportionnalité, exigées par l'art. 36 Cst. pour restreindre un droit fondamental.

Il n'y a donc pas lieu d'examiner davantage le grief tiré de la violation éventuelle de la liberté économique de la recourante, étant précisé qu'il est difficile de percevoir en quoi l'exercice d'une concurrence efficace puisse constituer une entrave à la liberté économique de l'intéressée. Le « sacrifice » que représente, selon cette dernière, le fait de ne pas déposer d'offre si le marché public n'est finalement pas attribué à la société de son groupe, doit nécessairement céder le pas, en cas de dépendance économique entre les deux sociétés du groupe, à l'exercice d'une concurrence effective et non biaisée par l'existence de liens étroits entre des soumissionnaires. Un tel sacrifice est en revanche inexistant dans l'hypothèse d'une indépendance économique entre les deux sociétés, dans la mesure où elles pourront alors déposer chacune une offre. Enfin, même à considérer que la clause litigieuse puisse affecter la liberté économique de la recourante, l'éventuelle restriction y relative remplirait les trois conditions posées par l'art. 36 Cst. et serait admissible.

b. Quant à l'argument de la recourante, selon lequel la clause litigieuse instaurerait une inégalité de traitement entre les sociétés appartenant à un groupe (ou sociétés affiliées) qui ont la même raison sociale et celles qui ne l'ont pas au motif que seules ces dernières pourraient démontrer leur indépendance par rapport à d'autres soumissionnaires, il ne peut qu'être rejeté au vu du texte même de la clause litigieuse. D'une part, la dernière phrase de cette clause précise qu'il s'agit de preuves de l'indépendance commerciale, juridique et décisionnelle du soumissionnaire sollicité par l'autorité adjudicatrice « vis-à-vis d'autres soumissionnaires portant ou non la même raison sociale ». D'autre part, le cas des sociétés affiliées est expressément traité dans la troisième phrase de la clause litigieuse qui concerne les « bureaux ou entreprises ne portant pas la même raison sociale ». Quant au cas des « bureaux ou entreprises portant la même raison sociale » traité dans la deuxième phrase de la clause litigieuse, il est différent de celui de la troisième phrase, en raison des règles régissant la formation, l'usage et la protection des raisons sociales, c'est-à-dire des raisons de commerce des sociétés commerciales et des sociétés coopératives (art. 950 ss de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations - RS 220). En particulier, l'art. 956 al. 1 CO dispose que dès que la raison de commerce d'un particulier, d'une société commerciale ou d'une société coopérative a été inscrite sur le registre et publiée dans la Feuille officielle suisse du commerce, l'ayant droit en a l'usage exclusif. Ceci implique l'existence d'un lien étroit entre l'ayant droit de la raison sociale et ceux à qui il autorise de porter cette raison sociale, comme c'est par exemple le cas des succursales dont la raison sociale doit être la même que celle de l'établissement principal en vertu de l'art. 952 al. 1 CO.

Par conséquent, les griefs soulevés par la recourante ne peuvent qu'être écartés pour les raisons susévoquées. Le recours sera donc rejeté. Il reviendra à la recourante de démontrer le cas échéant son indépendance économique (soit son indépendance « commerciale, juridique et décisionnelle » suivant la clause n° 3.9) par rapport à Python Sécurité SA afin que leurs offres respectives puissent être prises en compte lors de l'analyse des offres préalable à l'adjudication. Cette question est exorbitante au présent litige limité à la question de la validité de la clause n° 3.9 de l'appel d'offres, et non à l'application de celle-ci.

7) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la commune de Collonge-Bellerive, conformément à la jurisprudence constante de la chambre administrative, pour une commune de moins de dix mille habitants qui a dû recourir à un mandataire (ATA/1305/2018 du 4 décembre 2018 et les références citées) et qui y a conclu, à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 août 2019 par Securitas SA Société suisse de surveillance contre l'appel d'offres de la commune de Collonge-Bellerive du 15 août 2019 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Securitas SA Société suisse de surveillance un émolument de CHF 1'500.- ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la commune de Collonge-Bellerive, à la charge de Securitas SA société suisse de surveillance ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n'est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s'il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert Hensler, avocat de la recourante, à Me François Bellanger, avocat de la commune, ainsi qu'à la commission de la concurrence (COMCO).

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Krauskopf, M. Pagan, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :