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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1534/2018

ATA/1736/2019 du 03.12.2019 sur JTAPI/40/2019 ( LDTR ) , ADMIS

Descripteurs : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS;POLICE DES CONSTRUCTIONS;BESOIN(EN GÉNÉRAL);DROIT D'ÊTRE ENTENDU;FRACTIONNEMENT;LOGEMENT DE LUXE;EXCÈS ET ABUS DU POUVOIR D'APPRÉCIATION
Normes : Cst.29.al2; LPA.41; LPA.61; LDTR.2.al1; LDTR.1; LDTR.9; ArRLoyers; ArAppart; LDTR.44.al1
Résumé : Recourante qui est propriétaire d'un appartement de dix pièces issu de la réunion de deux appartement de cinq pièces effectuée il y a plus de vingt ans. Malgré la mention au registre foncier visant à ce que la propriétaire de l'appartement doive rétablir la séparation totale entre les deux appartements à l’échéance du délai de vingt ans, le caractère luxueux des appartements qui en serait issu les exclut de la catégorie de logements répondant aux besoins prépondérants de la population que la LDTR entend protéger. Recours admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1534/2018-LDTR ATA/1736/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 décembre 2019

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Lucien Lazzarotto, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OCLPF

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 15 janvier 2019 (JTAPI/40/2019)


EN FAIT

1) Le 17 avril 1996, feu Monsieur B______ a acquis, lors d'une vente immobilière aux enchères, deux lots soumis au régime de la propriété par étages (ci-après : PPE), correspondant aux feuillets nos 1______ et 2______ de la parcelle n° 3______, feuille 4______ de la commune de C______, à l'adresse D______, 1201 Genève.

Il s'agissait de deux appartements de cinq pièces au 5ème étage de l'immeuble précité.

2) Le 18 juillet 1996, Monsieur E______, fils de feu Monsieur B______, a déposé une demande d'autorisation de construire (APA n° 5______) auprès du département des travaux publics et de l'énergie, devenu depuis lors le département du territoire (ci-après : le département).

Cette demande avait pour objet la réunion provisoire des deux appartements de cinq pièces de 178 m2 et de 160 m2 PPE, afin d'obtenir un seul logement familial de 340 m2 (surface brute de plancher [ci-après : SBP]).

Dans le cadre de l'instruction de cette demande, un document établi par le bureau d'architecture 2BM2 (ci-après : 2BM2) intitulé « Descriptif du projet » a été produit. Il était indiqué au chapitre « Réversibilité du projet » que le projet proposé n'excluait aucunement une remise en l'état préexistant des deux appartements. Les liaisons effectuées (ouverture dans le mur côté quai, ainsi qu'à l'arrière de la cage d'escalier) pourraient aisément être refermées.

3) Le 30 septembre 1996, M. E______ a signé un « Engagement » dans lequel il prenait note et acceptait que la renonciation reproduite ci-dessous ferait l'objet d'une inscription au registre foncier (ci-après : RF) :

« La liaison entre les deux appartements de 5 pièces au 5ème étage de l'immeuble sis au D______ est autorisée à titre provisoire à Messieurs B______ et E______, respectivement propriétaire et requérant. Elle est admise jusqu'au départ de M. E______, occupant présumé des deux appartements réunis, mais au plus tard pour une durée de vingt ans à partir de la date de la présente inscription. Aucune garantie n'est donnée quant à son éventuelle prolongation à requérir auprès du département : le propriétaire ou l'ayant droit ne pourra se prévaloir d'aucun droit acquis à ce sujet. Tout propriétaire de l'un ou l'autre des deux appartements a l'obligation, à l'échéance de ce délai, de rétablir la séparation totale entre les deux appartements et d'effectuer les travaux nécessaires à leur utilisation indépendante, ceci à ses frais et de sa propre initiative. Dans le cas où ces conditions ne seraient pas respectées, le département se réserve de considérer la situation ainsi créée comme illicite, avec les conséquences prévues par la loi ».

4) Par décision du 1er octobre 1996, le département a autorisé la réunion de ces deux appartements à titre provisoire.

L'autorisation était expressément subordonnée à l'inscription au registre foncier (ci-après : RF) de la mention suivante :

« La liaison entre les deux appartements de 5 pièces au 5ème étage de l'immeuble sis au D______ est autorisée à titre provisoire à Messieurs B______ et E______, respectivement propriétaire et requérant. Elle est admise jusqu'au départ de M. E______, occupant présumé des deux appartements réunis, mais au plus tard pour une durée de 20 ans à partir de la date de la présente inscription. Aucune garantie n'est donnée quant à son éventuelle prolongation à requérir auprès du département : le propriétaire ou l'ayant droit ne pourra se prévaloir d'aucun droit acquis à ce sujet. Tout propriétaire de l'un ou l'autre des deux appartements a l'obligation, à l'échéance de ce délai, de rétablir la séparation totale entre les deux appartements et d'effectuer les travaux nécessaires à leur utilisation indépendante, ceci à ses frais et de sa propre initiative. Dans le cas où ces conditions ne seraient pas respectées, le département se réserve de considérer la situation ainsi créée comme illicite, avec les conséquences prévues par la loi »

5) Par acte entre vifs inscrit au RF le 31 juillet 2001, feu M. B______ a donné les deux logements susmentionnés (PJ n°6______) à Madame A______, sa fille. L'entrée en possession et la jouissance de l'immeuble devait avoir lieu dès l'inscription de l'acte de donation au RF.

Selon la page 4 de l'acte authentique, « L'immeuble fait l'objet de constats de bail à loyer entre le cédant (Feu Monsieur B______) et deux locataires, dont l'acquéreur (Madame A______) déclare connaître parfaitement les clauses et les conditions, qu'il reprend intégralement, en garantissant que le cédant ne sera pas recherché en raison de l'éventuelle résiliation de ces contrats. Le cédant remettra à l'acquéreur tous les contrats et documents relatifs à la gestion et à l'exploitation de l'immeuble »

Le cédant déclarait qu'à sa connaissance, l'immeuble faisait l'objet notamment d'une mention de précarité (p. 6) inscrite sous « P.j 7______ » du 4 octobre 1996. La valeur brute de l'immeuble était estimée à CHF 3'036'600.- (p. 8).

6) Selon la base de données informatique du registre des habitants, tenue par l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) (registre Calvin), M. E______ a occupé les lots précités à partir du 6 avril 2014.

7) En 2016, M. B______ est décédé.

8) Le 7 décembre 2017, Mme A______, sous la plume de son conseil, a écrit à l'office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) pour l'informer qu'elle avait hérité des deux lots de PPE et qu'elle souhaitait vendre l'appartement réuni d'un seul tenant, étant précisé que l'appartement était actuellement vide, puisque M. E______ n'occupait plus ce logement depuis le mois d'avril 2017.

La typologie de l'appartement, adaptée à un usage unitaire, en faisait un objet d'exception qu'il serait regrettable de diviser. Pour preuve, il existait de nombreux appartements de cinq à six pièces (entre 120 et 170 m2) qui étaient proposés à la vente, alors qu'il n'existait qu'un seul appartement à vendre d'une taille supérieure à 300 m2.

Les objets résultant d'une éventuelle division de l'appartement seraient en tout état hors de portée de la classe moyenne, puisque les prix des transactions intervenues récemment dans cet immeuble se situaient, entre cinq et six millions à la vente et entre CHF 8'000.- à CHF 12'000.- par mois à la location, soit des prix largement supérieurs aux besoins prépondérants de la population.

Au vu du coût des travaux à réaliser, le prix de vente ou de location serait plus élevé.

Les unités d'étages qui composaient cet appartement n'avaient probablement jamais été louées avant leur acquisition par feu M. B______, mais elles étaient, en tout cas, sorties du parc locatif genevois depuis plus de vingt ans et le marché n'était plus celui qu'il était à l'époque, notamment en ce qui concernait le haut de gamme.

Un rétablissement de la situation existante en 1996 aurait pour seul effet d'imposer une importante dépense en pure perte, ainsi que de lourdes nuisances à ses voisins, et ce, sans que la population censée être protégée par la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) n'y trouve le moindre bienfait.

Un refus de donner une suite favorable à sa requête visant à conférer un caractère pérenne à la réunion des deux lots de PPE consacrerait une violation du principe de la proportionnalité, dans chacune de ses composantes, à savoir l'adéquation, la nécessité et l'absence de charges excessives au regard du but visé.

9) Le 16 janvier 2018, le département a répondu que la dérogation accordée par décision du 1er octobre 1996 (APA n° 5______) avait pris fin et qu'il appartenait à Mme A______de respecter l'engagement pris par feu M. B______, engagement qui lui était au demeurant opposable, et de rétablir la situation conformément aux conditions prévues par cette décision.

Les conditions pour une prolongation de l'autorisation du 1er octobre 1996 n'étaient pas réunies. En effet, le logement composé de dix pièces était vide actuellement. Cet objet n'était donc pas destiné à l'usage propre de la propriétaire qui souhaitait vendre ces deux lots d'un seul tenant. En outre, vu la pénurie de logements d'une à sept pièces, l'intérêt public au rétablissement de deux appartements de cinq pièces, répondant aux besoins prépondérants de la population, l'emportait sur l'intérêt privé de Mme A______à vendre un logement de dix pièces d'un seul tenant. Le refus de réunir les logements de façon pérenne respectait ainsi le principe de la proportionnalité.

Enfin, le coût des travaux en vue de la séparation totale entre les deux appartements n'était pas déterminant au regard du principe de la proportionnalité, à moins que Mme A______ ne démontre que ceux-ci seraient économiquement insupportables.

10) Le 9 mars 2018, Mme A______ a informé le département que le coût total de la séparation des lots de PPE était estimé à CHF 737'948.25 toutes taxes comprises (ci-après : TTC), selon un rapport du F______ (ci-après : F______) du 7 janvier 2018.

La surface des deux lots de PPE (178 m2 et 160 m2 PPE), même réduite de 30 % (soit 124 m2 et 112 m2) pour aboutir aux surfaces nettes de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL - I 4 05) excédait largement celle des appartements de cinq ou six pièces au sens de la LDTR.

Les deux objets avaient vocation à sortir du champ d'application de la LDTR, tant par leur prix, que par leur taille, leur typologie ou leur nature générale.

Sur le plan formel, l'engagement de division mentionné au RF n'avait pas été signé par le propriétaire des lots de l'époque, feu M. B______, mais uniquement par M. E______, son fils.

Mme A______ demandait dès lors de notamment constater son droit de maintenir la nouvelle configuration des deux lots de PPE qu'elle possédait dans l'immeuble sis D______, 1201 Genève.

11) Par décision du 27 mars 2018, le département a rejeté la requête de Mme A______ visant à donner à la réunion des logements considérés un caractère pérenne. Celle-ci devait se conformer aux conditions prévues par la décision du département du 1er octobre 1996 et la mention portée au RF à cet effet. Un délai de cent quatre-vingts jours lui était imparti pour rétablir la séparation totale entre les deux appartements et effectuer les travaux nécessaires à leur utilisation indépendante.

Faute d'un nombre de pièces suffisantes, ces logements ne répondaient pas au premier critère cumulatif posé par la jurisprudence pour définir la notion de logement de luxe, à savoir le nombre de pièces minimum de six (cuisine non comprise). Mme A______ relevait d'ailleurs que ces lots de PPE disposaient de cinq pièces chacun. Les logements en question rentraient, par leur genre, dans la catégorie des logements répondant aux besoins prépondérants de la population. Au surplus, la surface de ces appartements et l'impression générale qui se dégageait de leur conception ne donnaient pas non plus une impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire.

La réunion des logements avait été autorisée par le département (décision du 1er octobre 1996 APA n° 5______) à titre exceptionnel (usage exclusif d'un membre de la famille du propriétaire) et pour une durée déterminée (vingt ans à partir du 4 octobre 1996). Cette décision était exécutoire.

Conformément aux conditions prévues par cette décision, la propriétaire actuelle, à savoir Mme A______, aurait dû effectuer les travaux nécessaires à l'utilisation indépendante de ces logements à ses frais et de sa propre initiative, dès l'échéance du délai prévu par ladite autorisation, soit dès le 5 octobre 2016.

Mme A______ n'avait pas démontré en quoi les coûts de travaux seraient économiquement insupportables. Par ailleurs, le maintien de la configuration actuelle de ces logements ne répondait ni à un intérêt public, ni à un intérêt général, mais uniquement à un intérêt privé (convenance personnelle).

Au vu de la pénurie de logements d'une à sept pièces y compris, l'intérêt public au rétablissement de deux appartements de cinq pièces (situation prévalant en 1996) devait l'emporter sur l'intérêt privé de Mme A______à vendre un logement de dix pièces d'un seul tenant.

12) Par acte du 7 mai 2018, Mme A______ a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision précitée, concluant, préalablement, à ce qu'un transport sur place soit ordonné, principalement, à son annulation et à ce qu'elle soit autorisée à maintenir, de façon pérenne, la configuration actuelle de l'appartement qu'elle possédait au 5ème étage de l'immeuble sis D______, 1201 Genève, à savoir la réunion des deux lots de PPE (n°s 12 et 13), « sous suite de frais et dépens ».

Son droit d'être entendue avait été violé, dans la mesure où le département n'avait pas examiné son argument portant sur le fait que les deux lots de PPE sortaient, de par les dimensions de leurs pièces, du cadre des besoins prépondérants de la population.

Le département s'était trompé en appliquant mécaniquement le critère du nombre de pièces suffisant pour arriver à la conclusion que l'appartement ne devait pas être considéré comme luxueux. Les autres caractéristiques du logement luxueux étaient remplies (taille des pièces et impression générale de somptuosité).

Les deux objets en question avaient pour vocation, à l'origine déjà, à sortir du champ d'application de la LDTR, tant par leur nature luxueuse, que par le fait qu'en raison de leur prix, de leur taille et de leur typologie, ils ne répondaient pas aux besoins prépondérants de la population.

Enfin, au vu de la nature (luxueuse), de la situation géographique (D______ avec vue directe sur la rade) et du prix de location (CHF 8'000.- à CHF 10'000.- par mois pour un cinq pièces) ou de vente (cinq à six millions en valeur de marché) des deux lots qui résulteraient de la division litigieuse, les appartements ne seraient pas dans la cible qu'avait eue en vue le législateur en édictant les règles de protection de la LDTR. Dès lors, le rétablissement de la situation d'origine ne répondait ni à un intérêt public, ni à un intérêt d'ordre général. Une telle mesure était propre à lui causer d'importants inconvénients financiers, puisque cela la contraindrait à financer de lourds travaux de rénovation pour un montant total de plus de CHF 700'000.-, travaux qui seraient source de nombreuses nuisances pour le voisinage.

13) Par jugement du 15 janvier 2019 rendu après un double échange d'écritures, le TAPI a rejeté le recours.

Le dossier contenait les éléments suffisants et nécessaires à l'examen des griefs et arguments mis en avant par la recourante, lesquels permettaient de statuer sur le litige, sans qu'il y ait lieu de procéder à un transport sur place ou d'entendre des témoins qui n'étaient pas désignés. De plus, la procédure avait porté sur les points soulevés par la recourante et la décision querellée répondait à tous les griefs soulevés par celle-ci, en particulier aux questions du caractère luxueux de l'appartement, ainsi qu'à la question des coûts relatifs aux travaux afin de procéder à la remise en état des appartements. Par conséquent, le TAPI pouvait renoncer à un transport sur place.

S'agissant d'abord du caractère luxueux des logements en question, la recourante avait acquis par avance d'hoirie de son père, feu M. B______, sous forme de deux lots PPE, deux appartements de cinq pièces chacun. Selon les plans de l'autorisation de construire du 1er octobre 1996, la surface locative était respectivement de 141 m2 pour le premier appartement (n° 7.01) et de 128 m2 pour le second (n° 7.02). Le premier appartement disposait d'un séjour de 36,4 m2, d'une bibliothèque de 26,60 m2, d'une cuisine de 15,40 m2 et de deux chambres respectivement de 9,85 m2 et 19,90 m2. Le second appartement disposait d'un séjour de 27,50 m2 d'une salle à manger de 21 m2, d'une cuisine de 13,55 m2 et de deux chambres respectivement de 13,25 m2 et de 19,70 m2.

Ces deux appartements ne pouvaient ainsi pas être considérés comme inhabituellement grands au sens de la jurisprudence.

La recourante n'avait pas suffisamment démontré en quoi les logements donnaient une impression générale de somptuosité et de confort extraordinaire.

La vue sur la rade de Genève n'était pas suffisante. En outre, les séjours et salles à manger des deux appartements ne possédaient ni balcon ni terrasse, mais disposaient d'une vue sur la rade de Genève. Les autres chambres avaient vue sur la cour intérieure et la rue G______. La hauteur sous plafond ne conférait pas à l'ensemble un sentiment de volume exceptionnel. Ces logements ne bénéficiaient également pas de piscine ou de sauna. Enfin, le bâtiment n'était en lui-même pas doté de caractéristiques exceptionnelles dans son ensemble.

Compte tenu de ces éléments, ces appartements ne pouvaient être qualifiés de logements de luxe.

Par ailleurs, s'agissant des autres griefs soulevés par la recourante, les deux appartements réunis, de cinq pièces chacun, entraient dans la catégorie de logements où sévissait une pénurie. Accorder le caractère pérenne de l'autorisation de réunion d'appartements reviendrait à soustraire pour une durée indéterminée du marché locatif ces deux logements correspondant aux besoins prépondérants de la population.

Quant à la question de la remise en état et de son coût, le document établi par 2BM2 expliquait que les liaisons effectuées pouvaient être aisément refermées.

Il n'existait pas un intérêt privé prépondérant susceptible de justifier, en application du principe de la proportionnalité, le prononcé d'une mesure moins incisive. En effet, au vu de la jurisprudence, l'intérêt privé de la recourante à vendre son logement d'un seul tenant devait céder le pas devant l'intérêt public à la préservation du parc locatif.

Enfin, la décision querellée ne faisait qu'ordonner le respect des conditions de l'autorisation de construire du 1er octobre 1996. Cette autorisation avait été accordée à titre exceptionnel pour les besoins de la famille du propriétaire et pour une durée provisoire maximale de vingt ans. La recourante avait pleinement connaissance de ces conditions et était parfaitement consciente, à tout le moins depuis qu'elle était devenue propriétaire des appartements concernés, qu'elle serait tenue d'effectuer ces travaux dont l'obligation lui incombait en tant que propriétaire.

14) Par acte du 22 février 2019, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant, préalablement, à ce qu'un transport sur place soit ordonné. Principalement, le jugement attaqué et la décision du 27 mars 2018 devaient être annulés. Elle devait ainsi être autorisée à maintenir, de façon pérenne, la configuration actuelle de l'appartement qu'elle possédait au 5ème étage de l'immeuble sis D______, 1201 Genève, à savoir la réunion des deux lots de PPE (n°s 12 et 13), « sous suite de frais et dépens ».

Son droit d'être entendue avait été violé, en ce sens que le TAPI n'avait pas examiné son argument portant sur le fait que, de par les dimensions des pièces, les deux lots de PPE même avant leur réunion sortaient du cadre des besoins prépondérants de la population. Son droit à un jugement motivé avait été violé. En outre, un transport sur place était indispensable afin de déterminer l'existence des différents éléments participant à la qualification typologique du logement litigieux. Quant à l'audition de témoins, l'interdiction du formalisme excessif aurait dû conduire à l'octroi d'un délai pour déposer une liste de témoins.

Mme A______ ne contestait pas que ses lots de PPE étaient composés, à l'origine, de cinq pièces chacun, à savoir : une cuisine, deux chambres, deux pièces de vie (séjour et salle à manger ou séjour et bibliothèque). Toutefois, la taille des pièces en comparaison avec la taille habituelle des pièces retenues par la LDTR permettait de reconsidérer le nombre de pièces retenues par le département et le TAPI. Chaque pièce des lots d'origine, représentait, « grosso modo », deux fois la taille minimum LGL, ce qui empêchait de considérer le nombre de pièces nominal (cinq) de ces appartements comme déterminant. En outre, les lots d'origine étaient déjà dotés de pièces grandes (certaines atteignant pratiquement les 40 m2) en comparaison avec la taille moyenne usuelle des logements. Dans la jurisprudence, la vue exceptionnelle sur la rade et les Alpes était un élément déterminant dans l'appréciation du caractère luxueux du logement. L'immeuble en question était en outre situé dans l'un des quartiers les plus cossus et prisés de la ville.

Les lots de PPE entraient ainsi dans la catégorie des logements luxueux, si bien qu'ils étaient exclus du champ d'application de la LDTR.

Les objets résultant d'une éventuelle division de l'appartement seraient hors de portée de la classe moyenne. Même si Mme A______ décidait de brader ces appartements en les louant CHF 4'000.- ou CHF 5'000.- par mois, ces biens seraient inabordables pour la grande majorité de la population. En outre, les unités d'étage qui composaient l'objet litigieux étaient sorties du parc locatif genevois depuis plus de vingt ans.

Enfin, un rétablissement de la situation d'origine ne répondait ni à un intérêt public, ni à un intérêt général. Cela engendrerait en outre d'importants inconvénients financiers (plus de CHF 700'000.-) et des travaux sources de nuisance pour le voisinage. Le principe de la proportionnalité, dans son aspect de la règle de l'aptitude, était violé.

15) Le 7 mars 2019, le TAPI a produit son dossier sans formuler d'observations.

16) Le 26 mars 2019, le département a conclu au rejet du recours.

Le droit d'être entendue de la recourante n'avait pas été violé. Le TAPI s'était prononcé sur les griefs soulevés, les écartant, étant relevé qu'il n'était pas tenu de motiver en détail chacun de ceux-ci.

Il a repris ses précédents arguments.

17) Le 26 avril 2019, Mme A______ a transmis des pièces relatives au prix de location ou de vente d'appartements sis soit directement dans son immeuble, soit à proximité.

18) Le 29 avril 2019, lors d'un transport sur place, il a été constaté que l'entrée de l'immeuble était soignée avec des boiseries bien entretenues, miroir dans le hall, lustres, etc.

Le hall d'entrée de l'appartement, qui pouvait faire office de salle à manger, avait un sol en bois entouré de dalles en pierre d'une surface d'environ 25 m2. Il était éclairé par une installation plafonnière donnant de la lumière électrique, simulant un puit de lumière. Face à l'entrée, une porte donnait accès aux toilettes « invités » et à un dressing.

À droite de cette porte, donnant sur le lac et éclairé par deux fenêtres, se situait un salon, avec cheminée, d'environ 30 m2, faisant office d'une salle TV, cinéma, bibliothèque, etc.

Depuis l'entrée, sur la gauche, se trouvait une première chambre avec salle de bains, donnant sur l'arrière de l'immeuble. En face de cette porte se trouvait un couloir permettant d'accéder à des pièces donnant à l'arrière de l'immeuble, à savoir en premier lieu à une cuisine avec un îlot central et une table à manger familiale. Le sol était en planelle et en bois. L'équipement était de qualité, en bon état.

Après la cuisine, toujours sur l'arrière, se trouvaient trois chambres d'enfant d'environ 20 m2, les deux premières légèrement plus petites que la troisième. Toutes les pièces à l'arrière disposaient d'une fenêtre, sauf la cuisine qui en avait deux. Au bout du couloir, face à la dernière chambre, se trouvait la salle de bains avec trois lavabos et des toilettes séparées.

Avant les pièces d'eau, un couloir partait à gauche, permettant d'accéder, côté lac, à la suite principale, à savoir une grande chambre à coucher avec deux fenêtres donnant sur le lac et le Mont-Blanc, avec une cheminée, les toilettes, une salle de bains privative avec baignoire et douche et un grand dressing. Ce couloir permettait également de revenir dans le grand salon qui donnait aussi sur la pièce d'entrée, avec trois fenêtres. La pièce disposait d'une hauteur de 2,74 m, étant précisé qu'il y avait un faux plafond, d'une dizaine de centimètres environ, permettant l'installation d'éclairages.

Deux caves, deux garages et deux greniers allaient avec le logement.

Tout le logement était en excellent état d'entretien et était constitué de matériaux et de revêtements de qualité supérieure, manifestement choisis avec soin.

19) Le 14 mai 2019, le département a informé le juge délégué qu'il n'avait pas d'observations à formuler sur le procès-verbal du transport sur place.

20) Le 15 mai 2019, Mme A______ a relevé que le procès-verbal du transport sur place ne comportait pas d'erreurs matérielles mais qu'il y manquait des appréciations qualificatives qui auraient été employées mais non protocolées, telles que « cossu » et que le logement se distinguait des appartements construits ces dernières années.

Mme A______ se réservait le droit de demander l'audition de témoins si le niveau des loyers et des prix de vente annoncé pour l'immeuble litigieux devait être contesté par le département.

Son appartement était étranger à la cible de la LDTR, même s'il ne devait pas être qualifié de luxueux.

21) Le 18 juin 2019, Mme A______ a persisté dans ses conclusions, reprenant et développant ses précédents arguments.

Elle a produit notamment des photographies de son appartement.

22) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Dans le corps de son mémoire de recours, la recourante propose son audition et l'audition de témoins.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (ATF 137 IV 33 consid. 9.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_265/2016 du 23 mai 2016 consid. 5.1 et les arrêts cités).

Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_119/2015 du 16 juin 2015 consid. 2.1).

Cela n'implique pas une audition personnelle de l'intéressé, celui-ci devant simplement disposer d'une occasion de se déterminer sur les éléments propres à influer sur l'issue de la cause (art. 41 LPA ; ATF 140 I 68 consid. 9.6 ; 134 I 140 consid. 5.3).

b. En l'espèce, la chambre de céans dispose d'un dossier complet, lequel comprend notamment les écritures des parties, les pièces produites à leur appui, ainsi que le procès-verbal du transport sur place - mesure d'instruction requise par la recourante qui a été satisfaite. Elle est ainsi en mesure de trancher le litige en connaissance de cause.

Il ne sera dès lors pas donné suite à la mesure d'instruction sollicitée par la recourante.

3) La recourante soutient que le TAPI a violé son droit d'être entendue en n'ayant pas examiné un de ses arguments, en n'ayant pas procédé à l'audition de témoins et en n'ayant pas organisé un transport sur place.

a. Le droit d'être entendu implique également pour l'autorité de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé ou l'intéressée puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 142 II 154 consid. 2.1 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_12/2017 du 23 mars 2018 consid. 3.3.1). Le devoir de motiver sera d'autant plus grand que l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 1573 p. 531).

b. La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_556/2017 du 5 juin 2018 consid. 2.1 ; ATA/820/2018 du 14 août 2018 consid. 3 et les arrêts cités ; Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 526 s. n. 1554 s. ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, ch. 2.2.7.4 p. 322 et 2.3.3.1 p. 362). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception. Elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_556/2017 précité consid. 2.1 ; ATA/1633/2019 du 5 novembre 2019 consid. 5). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/820/2018 précité consid. 3 et les arrêts cités).

c. En l'occurrence, si tant est qu'une violation du droit d'être entendue ait été commise - ce qui ne nécessite pas d'être tranché -, celle-ci a en tout état de cause été réparée par l'organisation du transport sur place diligenté par la chambre de céans, qui dispose du même pouvoir de cognition que le TAPI (art. 61 al. 1 et 2 LPA). S'agissant de l'audition de témoins et comme vu ci-dessus, celle-ci n'était pas nécessaire au vu des pièces figurant au dossier. Enfin, dans la mesure où la recourante reprend par-devant la chambre de céans le même grief qui, selon elle, n'aurait pas été traité par le TAPI, et que celui-ci est traité dans les considérants qui suivent, le présent arrêt vient réparer une éventuelle violation.

Le grief sera écarté.

4) L'objet du litige consiste à déterminer si c'est de manière conforme au droit que le département a refusé d'accorder un caractère pérenne à la réunion des lots nos 7.01 et 7.02 en PPE, sis 23 quai du Mont-Blanc, 1201 Genève.

5) Selon l'art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (al. 1 let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

6) La LDTR s'applique à tout bâtiment situé dans l'une des zones de construction prévues par l'art. 19 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) ou construit au bénéfice d'une norme de l'une des quatre premières zones de construction en vertu des dispositions applicables aux zones de développement (art. 2 al. 1 let. a LDTR), et comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l'habitation (art. 2 al. 1 let. b LDTR).

Cette loi est dès lors applicable à l'immeuble, situé en zone 2, dans lequel est situé l'appartement pour lequel l'autorisation précitée a été refusée.

7) a. La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l'habitat dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1 LDTR). La loi prévoit notamment à cet effet, tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR).

Plus spécifiquement, la LDTR vise à éviter la disparition de logements à usage locatif (arrêt du Tribunal fédéral 1P.406/2005 du 9 janvier 2006 consid. 3 ; ATA/945/2018 du 18 septembre 2018 consid. 3 et les arrêts cités). Sa réglementation correspond à un intérêt public évident selon le Tribunal fédéral (ATF 128 I 206 consid. 5.2.4 ; ATA/307/2017 du 21 mars 2017 consid. 4b).

b. Selon l'art. 9 al. 1 LDTR, une autorisation est nécessaire pour toute transformation ou rénovation. L'autorisation est notamment accordée lorsque l'état du bâtiment comporte un danger pour la sécurité et la santé de ses habitants ou des tiers (let. a), lorsque la réalisation d'opérations d'aménagement ou d'assainissement d'intérêt public le commande (let. b), lorsque les travaux permettent la réalisation de logements supplémentaires (let. c), lorsque les travaux répondent à une nécessité ou qu'ils contribuent au maintien ou au développement du commerce et de l'artisanat, si celui-ci est souhaitable et compatible avec les conditions de vie du quartier (let. d), pour les travaux de rénovation (let. e).

Conformément à l'art. 9 al. 2 LDTR, le département accorde l'autorisation si les logements transformés répondent, quant à leur genre, leur loyer ou leur prix, aux besoins prépondérants de la population. Il tient compte, dans son appréciation, du genre, de la typologie et de la qualité des logements existants (let. a), du prix de revient des logements transformés ou nouvellement créés, notamment dans les combles (let. b), du genre de l'immeuble (let. c), du nombre de pièces et de la surface des appartements ainsi que de la surface des logements nouvellement créés (let. d), des exigences liées à l'objectif de préservation du patrimoine (let. e).

Par besoins prépondérants de la population, il faut entendre les loyers accessibles à la majorité de la population. Au 1er janvier 1999, les loyers correspondant aux besoins prépondérants de la population sont compris entre CHF 2'400.- et CHF 3'225.- la pièce par année. Les loyers répondant aux besoins prépondérants de la population peuvent être révisés tous les deux ans par le Conseil d'État en fonction de l'évolution du revenu brut fiscal médian des contribuables personnes physiques (art. 9 al. 3 LDTR).

Selon l'arrêté relatif à la révision des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population du 24 août 2011 (ArRLoyers - L 5 20.05) entré en vigueur le 26 août 2011, les loyers correspondant aux besoins prépondérants de la population, fondés sur le revenu brut médian des contribuables personnes physiques 2007, sont compris entre CHF 2'536.- et CHF 3'405.- la pièce par année.

c. À teneur de l'arrêté déterminant les catégories de logements où sévit la pénurie en vue de l'application des art. 25 à 39 LDTR, déterminant au moment des faits, comme selon celui actuellement en vigueur du 19 décembre 2018 (ArAppart - L 5 20.03), il y a pénurie dans toutes les catégories d'appartements d'une à sept pièces inclusivement.

d. Lorsque l'état d'une construction, d'une installation ou d'une autre chose n'est pas conforme aux prescriptions de la LCI, le département peut notamment en ordonner la remise en état, la réparation, la modification, la suppression ou la démolition (art. 129 let. e et 130 LCI). Ces dispositions sont applicables par renvoi de l'art. 44 al. 1 LDTR.

e. Selon la doctrine, lorsqu'un bâtiment est soumis à la LDTR, cette loi n'est applicable que si l'appartement considéré entre dans une catégorie de logements en pénurie en cas par exemple d'aliénation des appartements destinés à la location (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation : immeubles de logement et appartements : loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, p. 129).

S'il n'y a pas de pénurie dans la catégorie du logement visé dans un cas d'espèce, la LDTR n'est pas applicable pour l'opération précitée. Par ailleurs, les logements de luxe doivent être exclus du champ d'application de la LDTR pour ce type d'opération. En effet, le silence de la loi quant à cette condition doit être considéré comme une lacune, puisque le législateur avait voulu exclure ces logements du champ d'application spécial de la loi. Au demeurant, les logements de luxe n'entrent pas dans les besoins prépondérants de la population que la LDTR entend protéger (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 130).

Les logements répondant aux besoins prépondérants de la population sont qualifiés suivant leur loyer ou suivant leur genre ou suivant leur loyer et leur genre. Par logements répondant aux besoins prépondérants de la population, il faut entendre les logements dont les loyers sont accessibles à la majorité de la population. Autrement dit, c'est le loyer que la majeure partie de la population est en mesure de payer (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 133 et 134).

Un logement répond aux besoins prépondérants de la population lorsque son loyer est inférieur ou égal au loyer plafond LDTR et que son nombre de pièces correspond à une catégorie de logements en pénurie (cas où les deux conditions alternatives sont réunies), lorsque son loyer est inférieur ou égal au loyer plafond LDTR et que son nombre de pièces ne fait pas partie d'une catégorie en pénurie (cas où seule la condition alternative du loyer est remplie), lorsque son loyer est supérieur au plafond LDTR et que son nombre de pièces entre dans une catégorie en pénurie (cas où seule la condition alternative du genre est remplie) (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 140).

Pour être qualifié de luxueux, le logement doit avoir six pièces au moins cuisine non comprise, c'est-à-dire à Genève sept pièces ou plus, des surfaces inhabituellement grandes, des éléments donnant une impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire. Il s'agit de conditions cumulatives. Exceptionnellement, un logement peut être luxueux même s'il a moins de sept pièces. C'est notamment le cas, si d'un point de vue esthétique et historique, le logement est considéré comme luxueux (il est donc possible de s'écarter de la notion stricte de logement de luxe de droit fédéral et fixer ainsi une notion plus adaptée aux circonstances). Un logement ancien peut être luxueux s'il a été conçu comme tel et qu'il est correctement entretenu (ATA/441/1997 du 5 août 1997 consid. 6) . Un logement peut être luxueux, quel que soit le quartier où il se trouve et même si une partie de l'immeuble comprend des locaux commerciaux de bureaux. Il faut prendre en considération le logement en tant que tel, et non le type ou le style de locataires qui occupent l'immeuble (ATA/214/2003 du 15 avril 2003 consid. 5). Dès lors, un logement peut être luxueux même s'il est mal situé géographiquement, avec une vue et une luminosité ambiante réduites (ATA 89.TP.145 consid. 6d). Par ailleurs, des éléments extérieurs à l'appartement lui-même peuvent lui conférer un caractère luxueux s'ils le valorisent. C'est le cas de la vue sur le jet d'eau et la rade de Genève (ATA/214/2003 précité consid. 5 ; (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 277 et 278).

f. Dans sa jurisprudence, le Tribunal administratif, dont les compétences ont été reprises par la chambre de céans, a retenu le caractère luxueux d'un logement de huit pièces réparties sur 280 m2, dont plusieurs de dimensions importantes et en enfilade, pourvues de boiseries bien entretenues de la fin du 18ème siècle et de plusieurs cheminées de marbre, ainsi que de plafonds particulièrement hauts donnant à l'ensemble un caractère luxueux (ATA/441/1997 du 5 août 1997).

Le Tribunal administratif a également qualifié de luxueux un logement de quatre ou quatre pièces et demie de 120 m2 ayant du parquet et des moulures au plafond, des radiateurs de l'époque de sa construction en 1920, avec un hall d'entrée d'immeuble de qualité, cossu et d'une taille inhabituelle. La présence d'un concierge, le caractère bourgeois de la façade en pierres de taille, les carreaux de faïence sur les balcons, le bâtiment ayant une vue magnifique sur la rade, le Mont-Blanc et les autres montagnes des Alpes étaient autant d'indices déterminants (ATA/229/2002 du 7 mai 2002).

Le Tribunal administratif a toutefois nié le caractère luxueux d'un appartement composé de huit pièces dont la surface brute moyenne de chaque pièce s'élevait à 27,38 m2. Cette surface était importante ; toutefois, le logement ne donnait aucune impression de somptuosité malgré certains atouts (terrasses dont la surface était conséquente, une situation en attique et une vue dégagée). La hauteur des plafonds n'était pas exceptionnelle, son entrée était modeste et l'agencement intérieur était standard. L'escalier, pourvu d'une rampe en bois, était fonctionnel et banal. Les matériaux utilisés pour la serrurerie, les fenêtres et les portes étaient courants. De même en était-il des revêtements de sol : le salon et les couloirs étaient pourvus d'un parquet simple et les chambres d'une moquette ordinaire. Enfin, l'architecture de l'immeuble ne présentait aucune particularité (ATA/859/2010 du 7 décembre 2010).

Le TAPI a également nié le caractère luxueux d'un logement sis dans un immeuble ayant une entrée spacieuse, avec un sol en marbre, un plafond en bois, un lustre, des fauteuils et une table, deux ascenseurs, ainsi qu'une piscine chauffée toute l'année, fermée par des parois vitrées, s'ouvrant sur le jardin privatif de l'immeuble et comprenant toilettes, douches, vestiaires et chaises longues pour les habitants de l'immeuble ; palier boisé du 6ème étage de l'immeuble où se situait l'appartement de quatre pièces d'environ 130 m2, lequel comprenait un living et une cuisine donnant sur un balcon duquel on pouvait voir le sommet du jet d'eau et le parc arborisé bien entretenu de l'immeuble, la cuisine étant entièrement équipée, ainsi qu'un WC visiteur, une douche/lavabo et une salle de bains, ainsi que deux chambres à coucher. La chambre de céans s'était ralliée à cet avis non contesté devant elle (ATA/826/2012 du 11 décembre 2012). Cette jurisprudence a paru sévère pour la doctrine (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 279).

g. En l'espèce, la recourante ne conteste pas que ses lots de PPE étaient composés, à l'origine, de cinq pièces chacun, à savoir : une cuisine, deux chambres, deux pièces de vie (séjour et salle à manger ou séjour et bibliothèque), les deux pièces de vie du « grand » lot étant simplement plus généreuses que celles du « petit » lot.

Dans la mesure où la division des appartements conduirait au rétablissement original en des appartements de cinq pièces, il s'agit dès lors d'appartements pour lesquels sévit une pénurie, selon l'ArAppart.

La recourante a produit plusieurs documents démontrant que les loyers proposés pour le même type d'appartement localisé aux alentours oscillaient entre CHF 4'460.- par mois (appartement de quatre pièces meublé à la rue Jean-Antoine-Gautier, 1201 Genève) et CHF 16'360.- par mois (appartement de neuf pièces au quai du Mont-Blanc, 1201 Genève). Parmi ces documents, figure un contrat de bail portant sur un appartement de cinq pièces au 1er étage sis dans le même immeuble que celui où se situe celui de la recourante. Le loyer proposé est de CHF 6'500.- par mois, hors charges.

En partant du principe que ce dernier montant serait appliqué pour les appartements de la recourante après séparation, les loyers proposés iraient au-delà de ceux qui correspondent aux besoins prépondérants de la population selon l'ArRLoyers. En effet, le loyer se situerait à CHF 15'600.- la pièce par an (CHF 6'500.- x 12 : 5), soit plus de quatre fois le montant maximum de l'ArRLoyers.

Toutefois et contrairement à ce que soutient la recourante, cela ne signifie pas que les appartements issus de la séparation ne répondraient pas aux besoins prépondérants de la population pour ce motif. En effet et comme vu supra, la doctrine retient qu'un logement répond aux besoins prépondérants de la population lorsque le loyer est supérieur au plafond LDTR et que son nombre de pièces entre dans une catégorie en pénurie (cas où seule la condition alternative du genre est remplie). Ainsi et dans la mesure où les appartements de cinq pièces qui seraient issus de la séparation répondent aux besoins prépondérants de la population, compte tenu de leur genre, ils devraient être soumis à la LDTR.

Il convient toutefois d'examiner si les appartements qui seraient issus de la séparation devraient être qualifiés d'appartements de luxe, ce qui exclurait l'application de la LDTR au cas d'espèce.

S'il est vrai que le nombre de pièces des appartements issus de la séparation serait inférieur à sept, l'esthétique, l'historique, ainsi que des éléments extérieurs des appartements peuvent conduire à retenir exceptionnellement le caractère luxueux des appartements.

En l'occurrence et selon le département, la surface locative des appartements à l'époque était respectivement de 141 m2 pour le premier appartement (n° 7.01) et de 128 m2 pour le second (n° 7.02). Le premier appartement disposait d'un séjour de 36,4 m2, d'une bibliothèque de 26,60 m2, d'une cuisine de 15.40 m2 et de deux chambres respectivement de 9,85 m2 et 19,90 m2. Le second appartement disposait d'un séjour de 27,50 m2 d'une salle à manger de 21 m2, d'une cuisine de 13,55 m2 et de deux chambres respectivement de 13,25 m2 et de 19,70 m2. S'il est délicat d'évaluer aujourd'hui la surface des pièces qui seraient issues de la division, rien ne permet de penser qu'elle ne serait pas équivalente à celle connue avant la réunion des deux appartements.

La surface locative de ces deux lots de PPE se rapproche ainsi de celle retenue dans l'ATA/229/2002 précité (quatre ou quatre pièces et demie de 120 m2). En outre, il ressort des photographies produites, du transport sur place ainsi que du rapport du F______ du 7 janvier 2018 que l'entrée de l'immeuble est soignée avec des boiseries bien entretenues. Le hall d'entrée de l'appartement est particulièrement spacieux (25 m2), avec un sol en bois entouré de dalles en pierre. Le sol de l'appartement est choisi avec soin en planelles et en bois exotique. Le caractère spacieux ressort également du salon faisant office d'une salle TV d'environ 30 m2. Deux cheminées dont l'une en marbre se trouvent dans l'appartement. La décoration y est raffinée, constituée de matériaux et de revêtements de qualité supérieure. À titre d'exemple, les revêtements des salles de bain et salles de douche sont constitués de mosaïque de type « pâte de verre » 2 x 2 cm de haute qualité. La hauteur des plafonds peut être qualifiée de haute, puisque le grand salon dispose d'une hauteur d'environ 2,74 m (malgré le faux plafond d'une dizaine de centimètre environ). On y retrouve également des détails de type corniche inversée dans la plupart des pièces de jour. Enfin, l'appartement bénéficie d'une vue directe sur le lac et le Mont-Blanc, étant précisé que les appartements qui seraient issus de la division conserveraient chacun cette vue selon le schéma de la nouvelle typologie.

Compte tenu des caractéristiques des appartements, de leur esthétique et des éléments extérieurs, les appartements qui seraient issus de la division devraient être qualifiés de luxueux.

Par conséquent et conformément à la doctrine, ce type de logement n'entre pas dans la catégorie de logements répondant aux besoins prépondérants de la population que la LDTR entend protéger.

S'agissant de la mention inscrite au RF, il est vrai que la recourante est tenue à son respect, toutefois, ladite mention prévoit également qu'« aucune garantie n'est donnée quant à son éventuelle prolongation, à requérir auprès du département ». Il en découle qu'une prolongation de la réunion des deux appartements de cinq pièces au 5ème étage de l'immeuble sis au D______, 1201 Genève, n'a pas été d'emblée exclue lorsque cette mention a été inscrite au RF.

Au vu de ces éléments, le département a abusé de son pouvoir d'appréciation en rejetant la requête de la recourante.

8) Le jugement querellé n'étant pas conforme au droit, le recours sera admis, ledit jugement et la décision du département du 27 mars 2018 annulés, et la cause renvoyée au département pour qu'il fasse droit à la requête de la recourante visant à ce que lui soit conféré le caractère pérenne de la réunion de ses deux lots de PPE (n°s 12 et 13).

9) Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge de la recourante, qui obtient gain de cause (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure, pour la procédure devant le TAPI et celle devant la chambre de céans, lui sera allouée à concurrence de CHF 1'500.-, à la charge de l'État de Genève (OCLPF) (art. 87 al. 2 LPA). Les frais de transport sur place, à hauteur de CHF 34.60 seront laissés à la charge de l'État de Genève (OCLPF).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 février 2019 par Madame A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 15 janvier 2019 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 15 janvier 2019 ;

annule la décision du département du territoire - office cantonal du logement et de la planification foncière du 27 mars 2018 ;

renvoie la cause au département du territoire - office cantonal du logement et de la planification foncière pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- Madame A______, à la charge de l'État de Genève (office cantonal du logement et de la planification foncière) ;

laisse les frais de transport sur place à hauteur de CHF 34.60 à la charge de l'État de Genève (office cantonal du logement et de la planification foncière) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Lucien Lazzarotto, avocat de Madame A______, au département du territoire - office cantonal du logement et de la planification foncière, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin, Pagan et Verniory, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :