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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4196/2018

ATA/1715/2019 du 26.11.2019 ( PATIEN ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : SANTÉ;PROFESSION SANITAIRE;PATIENT;DROIT DU PATIENT;MÉDECIN;DÉNONCIATION(EN GÉNÉRAL);RETARD INJUSTIFIÉ;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;SECRET PROFESSIONNEL;SAUVEGARDE DU SECRET;JUSTE MOTIF;DOSSIER MÉDICAL;COMMISSION DE SURVEILLANCE;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;INTÉRÊT ACTUEL;DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;PESÉE DES INTÉRÊTS
Normes : LPA.60; LS.87; LS.88; Cst.5.al3; LS.12.al5
Résumé : Irrecevabilité du recours d'un médecin contre la décision de levée de son secret médical prise par la commission du secret professionnel, afin qu'il puisse transmettre le dossier médical d'une patiente décédée, dans le cadre de l'instruction faite par la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients suite à la dénonciation de la sœur de la patiente. Le médecin a demandé à être levé de son secret à plusieurs reprises avant de s'y opposer. Absence d'intérêt digne de protection, faute d'intérêt pratique à agir, le recourant ayant obtenu l'entier de sa demande par la décision. Absence d'intérêt actuel. Au demeurant, droit d'être entendu respecté tant devant la commission de surveillance que devant la chambre administrative et décision motivée, même si sommaire.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4196/2018-PATIEN ATA/1715/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 novembre 2019

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Jacques Roulet, avocat

contre

COMMISSION DU SECRET PROFESSIONNEL



EN FAIT

1) Par courrier du 19 décembre 2015, Madame B______ a saisi la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients (ci-après : la commission de surveillance), à la suite du décès, le ______ 2015, de sa soeur, Madame C______.

Elle s'interrogeait sur la coordination des médecins intervenus dans le suivi médical de sa soeur et reprochait au Docteur A______, administrateur président de D______ SA (ci-après : D______), de ne pas « se poser de questions sur ce qu'entraîn[aient] des visites quotidiennes [à un] patient souffrant d'addiction ».

2) Le 2 février 2016, la commission de surveillance a informé D______ de l'ouverture d'une procédure à son encontre et imparti un délai pour répondre à M. A______, en sa qualité de médecin répondant et d'administrateur président.

La commission de surveillance invitait par ailleurs M. A______ à s'adresser à la commission du secret professionnel s'il estimait qu'il devait être délié de son secret professionnel pour répondre à ses questions.

3) Le 9 février 2016, le précité a demandé à la commission du secret professionnel (ci-après : la commission), de le relever partiellement de son secret médical, dans la stricte mesure nécessaire pour « transmettre ses observations ainsi que les pièces pertinentes, et, le cas échéant, répondre aux questions de la commission de surveillance ».

4) Après avoir entendu le médecin, la commission du secret professionnel l'a relevé de son secret médical, l'autorisant à « transmettre ses observations ainsi que les pièces pertinentes, et le cas échéant de répondre aux questions de la commission de surveillance, en indiquant les éléments pertinents de la prise en charge de feu Mme C______, tels que vous les avez décrits à la commission du secret professionnel ».

La commission estimait que ces éléments étaient « nécessaires » à la commission de surveillance à la suite de la dénonciation susmentionnée. Cela justifiait la levée du secret professionnel et l'emportait sur la protection de la confidentialité relative à feu Mme C______.

5) Le 21 mars 2016, M. A______ a transmis ses observations sur la prise en charge de feu Mme C______.

Ce courrier fournissait un résumé général de la situation ainsi qu'une présentation clinique de la patiente, avant de détailler, du point de vue de son rédacteur, les souffrances, le rôle et les actes de D______ à cet égard. Le courrier abordait les relations de D______ avec les assureurs de la patiente.

6) Le 25 avril 2018, la commission de surveillance a informé M. A______ qu'elle avait repris l'examen du dossier et lui a imparti un délai pour transmettre le dossier médical complet de feu Mme C______. La procédure était par ailleurs étendue à son encontre à titre personnel.

Ce courrier précisait que la commission lui laissait le soin, le cas échéant, de saisir la commission du secret professionnel s'il l'estimait nécessaire.

7) Estimant avoir épuisé le cadre de la levée de son secret médical lors de l'envoi de ses observations en mars 2016, M. A______ s'est adressé le 8 mai 2018 à la commission du secret professionnel, transmettant le courrier de la commission de surveillance.

Sa prise de position de mai 2016 lui semblait suffisamment complète pour que la commission de surveillance puisse apprécier complètement le cas. La dernière intervention s'apparentait à une intervention « inquisitoriale dans la vie d'une patiente décédée, qui ne s'était jamais plainte des interventions de D______, bien au contraire ».

M. A______ estimait que les demandes formulées par la commission de surveillance étaient trop larges et incompatibles avec les droits des patients. Il sollicitait de la commission du secret la précision de sa décision antérieure et la confirmation que celle-ci ne permettait pas d'étendre l'instruction en cours à la remise de l'entier du dossier médical de la patiente, sans que la commission de surveillance ne puisse lui reprocher de ne pas collaborer.

8) Par courrier du 17 mai 2018, la commission du secret professionnel a déclaré la demande irrecevable, l'objet de la procédure ainsi que les parties à
celle-ci étant identiques à ceux de sa décision du 25 février 2016. Au demeurant, cette décision, exécutoire, couvrait déjà le champ des informations sollicitées par la commission de surveillance.

9) Divers échanges s'ensuivirent entre le 25 mai 2018 et le 12 septembre 2018, entre la commission de surveillance et M. A______, ce dernier estimant qu'il n'était pas habilité en raison du secret médical, à transmettre le dossier médical complet de la patiente, tandis que la commission de surveillance alléguait que la production du dossier médical de la patiente était couverte par la levée du secret déjà obtenue par M. A______ le 25 février 2016 et confirmée par le courrier du 17 mai 2018.

Dans son dernier courrier, la commission de surveillance a finalement précisé qu'en cas de refus de transmission du dossier médical, la sous-commission en charge de l'instruction en tirerait les conclusions appropriées au sens de
l'art. 24 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

10) Le 27 septembre 2018, sous la plume de son avocat, M. A______ a transmis le dernier courrier de la commission de surveillance à la commission du secret professionnel. Il demandait à être relevé de son secret professionnel afin de pouvoir transmettre le dossier de la patiente à la commission de surveillance.

11) Lors de son audition devant la commission du secret professionnel le 15 novembre 2018, le médecin précité a cependant indiqué que « de son vivant, aucun patient ne serait d'accord de transmettre à quiconque l'intégralité de son dossier au vu de la gêne, de la honte et de la culpabilité liées à ce type d'addictions multiples ». Sachant que la commission de surveillance avait déjà eu accès aux observations transmises par ses soins en 2016, le dossier médical de D______ concernant la patiente ne devait pas être transmis à la commission de surveillance.

12) Par décision du 15 novembre 2018, la commission du secret professionnel a étendu la levée du secret professionnel à l'intégralité du dossier médical de feu Mme C______. La motivation était identique à celle figurant dans la décision du 25 février 2016.

Les échanges et la procédure devant la commission du secret étaient rappelés, tout comme les motifs permettant de relever le médecin de son secret médical et de l'autoriser à transférer le dossier de la patiente. La levée se justifiait en particulier au regard des besoins de la commission de surveillance saisie d'une dénonciation, qui l'emportaient sur la protection de la confidentialité de feu la patiente.

13) Par acte déposé le 29 novembre 2018 auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. A______ a recouru contre cette décision, concluant à son annulation et subsidiairement au renvoi de la cause à la commission du secret professionnel pour suite d'instruction.

L'extension de la levée du secret médical à l'ensemble du dossier médical sans motivation ni pesée des intérêts violait les art. 87 et 88 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03), ainsi que son droit d'être entendu. La décision était arbitraire.

14) Par courrier du 17 décembre 2018, la commission du secret professionnel a précisé qu'elle n'avait pas d'observations à formuler et s'en rapportait à justice.

15) Dans le délai imparti par la chambre de céans pour répliquer, le recourant a précisé n'avoir pas d'observations à présenter.

16) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté dans le délai légal de dix jours et devant la juridiction compétente pour connaître des décisions de la commission, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 12 al. 5 LS).

2) a. Selon l'art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir non seulement les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a), mais aussi toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b).

b. La jurisprudence a précisé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/577/2014 du 29 juillet 2014 consid. 5a ; ATA/790/2012 du 20 novembre 2012 ; ATA/281/2012 du 8 mai 2012 et les références citées). L'exemple le plus évident concerne la partie à la procédure qui a obtenu le plein de ses conclusions au stade antérieur de la procédure, et n'est dès lors pas lésée par la décision ou le jugement de première instance (ATA/68/2012 du 31 janvier 2012 consid. 2).

c. L'intérêt digne de protection consiste en l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait au recourant, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait (ATF 133 II 249 consid. 1.3.1 ; 131 II 649 consid. 3.1). L'existence d'un intérêt digne de protection présuppose que la situation de fait ou de droit du recourant puisse être influencée par l'annulation ou la modification de la décision attaquée, ce qu'il lui appartient d'établir (ATF 120 Ib 431 consid. 1).

d. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1). L'intérêt invoqué, qui n'est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, mais qui peut être un intérêt de fait, doit se trouver, avec l'objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération (ATF 143 II 512 consid. 5.1). L'intérêt à obtenir un jugement favorable doit être personnel, direct, immédiat et actuel (MGC 1984 I 1604 ss ; 1985 III 4373 ss ; ATA/1059/2015 du 6 octobre 2015 consid. 3a). La condition de l'intérêt actuel fait défaut en particulier lorsque, notamment, la décision attaquée a été exécutée et a sorti tous ses effets (ATF 125 I 394 consid. 4).

e. Il est toutefois renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque cette condition fait obstacle au contrôle de la légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 131 II 361 consid. 1.2).

f. Aux termes de l'art. 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), les organes de l'État et les particuliers doivent agir conformément au principe de la bonne foi. Ce principe exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale. Il leur commande de s'abstenir, dans leurs relations de droit public, de tout comportement contradictoire ou abusif (ATF 136 I 254 consid. 5.2 ; 134 V 306 consid. 4.2). Ne peut ainsi prétendre à être traité conformément aux règles de la bonne foi que celui qui n'a pas lui-même violé ce principe de manière significative. Ainsi, celui qui agit de manière déloyale ou contradictoire ne saurait se prévaloir du principe de la bonne foi (arrêt du Tribunal fédéral 2A.52/2003 du 23 janvier 2004 consid. 5.2, traduit in RDAF 2005 II 109 ss, spéc. 120 ; ATA/1631/2019 du 5 novembre 2019 consid. 2a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 580).

3) En l'espèce, l'intérêt pratique, digne de protection du recourant à l'annulation de la levée du secret fait défaut. Ce dernier s'est, en effet, adressé par écrit à la commission du secret professionnel pour être délié du secret médical, à plusieurs reprises, afin de pouvoir notamment répondre à la commission de surveillance. Il est dès lors contradictoire que le recourant agisse par la suite pour s'opposer à la levée du secret médical, levée qu'il a lui-même sollicitée. Il lui appartenait d'établir que sa situation de fait ou de droit puisse être influencée par l'annulation ou la modification de la décision attaquée (ATF 120 Ib 431 consid. 1). Tel n'a pas été le cas. Ainsi, l'intérêt digne de protection fait en l'espèce défaut.

Par ailleurs, à la lecture de la décision antérieure de la commission du secret et de son courrier du 17 mai 2018, la chambre de céans constate que la transmission du dossier était déjà autorisée. En effet, la commission indiquait déjà le 25 février 2016 avoir « décidé de lever votre secret professionnel ». Le recourant pouvait ainsi « transmettre [ses] observations, ainsi que les pièces pertinentes [...] de la prise en charge de feu Mme C______ ». De même, la commission a précisé au recourant le 17 mai 2018, à la suite de sa demande d'être délié de son secret professionnel afin de pouvoir transmettre le dossier de la patiente que « la décision du 25 février 2016 [couvrait] le champ des informations sollicitées par la Commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients ». Cela confirme qu'il n'existe pas d'intérêt digne de protection à l'annulation de la décision querellée, celle-ci était superflue au regard de la décision antérieure, exécutoire, autorisant déjà la transmission du dossier médical.

Le recourant n'a en outre pas indiqué ce qui motivait son changement d'avis, entre la requête faite sous la plume de son avocat le 27 septembre 2018 et l'audition menée par la commission du secret professionnel le 15 novembre 2018. Une telle attitude est non seulement peu compréhensible mais également contraire au principe de la bonne foi.

Au surplus, le droit d'être entendu du recourant a été respecté tout au long de la procédure devant la commission du secret professionnel. En effet, il a été entendu par celle-ci avant la prise de décision et a pu présenter par écrit les raisons le motivant à obtenir la levée de son secret professionnel et produire des pièces. Il en va de même de la procédure devant la chambre de céans, le recourant ayant eu l'occasion, au cours de la présente procédure, de faire valoir ses arguments et de produire des pièces tant dans son recours qu'au stade de la réplique.

Contrairement à ce qu'indique le recourant, l'autorité intimée a exposé les faits et les motifs sur lesquels elle a fondé sa décision ; le recourant a d'ailleurs saisi cette motivation comme le démontrent les critiques qu'il soulève à l'encontre de celle-ci. La décision litigieuse, bien que succincte, remplit ainsi les exigences légales de motivation.

Au vu de ce qui précède, faute d'intérêt digne de protection à l'admission du recours, ce dernier sera déclaré irrecevable.

4) Un émolument de CHF 1'000.- sera perçu (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 29 novembre 2018 par Monsieur  A______ contre la décision de la commission du secret professionnel du 15 novembre 2018 ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Roulet, avocat du recourant, ainsi qu'à la commission du secret professionnel.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Thélin, Pagan et Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :