Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/492/2018

ATA/1636/2019 du 05.11.2019 sur JTAPI/918/2018 ( ICCIFD ) , REJETE

Recours TF déposé le 13.12.2019, rendu le 28.02.2020, ADMIS
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/492/2018-ICCIFD ATA/1636/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 novembre 2019

4ème section

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Olivier Nicod, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 24 septembre 2018 (JTAPI/918/2018)


EN FAIT

1) A______ (ci-après : A______) est une société anonyme inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) depuis le 16 mars 2000, dont le siège est - depuis le 30 avril 2019 - à B______ dans le canton de Vaud, et était auparavant à D______. Son but statutaire est : détention de participations, activité financière et commerciale.

Monsieur C______, domicilié depuis 2010 à D______, est administrateur et salarié de la société. Il a la signature individuelle et détient 90 % de son capital-actions. A______ détient par ailleurs l'intégralité du capital-actions de la société française D______ (ci-après : D______).

2) À teneur d'une convention de prestations de services conclue le 5 janvier 2009, A______ devait réaliser des prestations commerciales et de gestion financière au profit de D______ en contrepartie d'une redevance.

3) Dans son compte de résultats 2014, A______ a inscrit dans ses charges une provision pour risque et litiges à concurrence de CHF 324'911.75.

4) Donnant suite à deux demandes de renseignements de l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE), A______ a répondu, le 28 septembre 2015, que la provision en question portait sur les impôts que le fisc français avait réclamés en 2014 à M. C______, au titre des revenus réalisés par A______ sur les services rendus à D______. Celui-ci avait contesté ces impôts devant les autorités françaises.

La provision ne concernait pas les impôts français dus le cas échéant par le précité, mais une provision pour risques et litiges supportés par A______. En effet, selon l'art. 155A du Code général des impôts français (ci-après : CGI), A______ était solidairement responsable aux côtés de M. C______ des impôts qui lui étaient réclamés. Elle était exposée à un risque fiscal propre qui justifiait la constitution d'une provision. Les impôts étrangers étaient déductibles en tant que charge justifiée par l'usage commercial, si bien qu'ils pouvaient faire l'objet d'une provision. Dès lors que l'actionnaire ne disposait plus d'actifs localisés en France, ni dans l'Union européenne (ci-après : UE), A______ se trouverait en première ligne au cas où le fisc français entendrait procéder au recouvrement des impôts.

Par ailleurs, si le risque fiscal français devait se réaliser au terme des procédures en cours, A______ serait tenue de rembourser à M. C______ le montant des impôts en question. Il existait ainsi un risque de litige prud'homal entre A______ et son actionnaire.

5) Par bordereaux datés du 11 novembre 2015, l'AFC-GE a taxé A______ pour l'année 2014 en réintégrant dans son bénéfice la provision susmentionnée à concurrence de CHF 320'408.-. Malgré les dispositions du droit français, les redressements opérés auprès de la filiale ne pouvaient en aucun cas être considérés comme des charges justifiées par l'usage commercial en droit suisse.

6) A______ a élevé réclamation par lettre du 11 décembre 2015 en contestant la reprise susmentionnée, renvoyant l'AFC-GE à son courrier du 28 septembre 2015.

Par ailleurs, elle n'avait pas comptabilisé ledit redressement, non encore définitif, comme charge justifiée par l'usage commercial, mais avait uniquement pris en compte, par le biais d'une provision, le risque de redressement. Ladite provision se fondait sur le droit comptable suisse, qui exigeait de provisionner les risques fondés sur le droit fiscal et sur le droit du travail, ce dernier contraignant l'employeur à prendre en charge le dommage subi par son salarié du fait de ses activités. Les redressements concernaient, non pas D______, mais A______ et M. C______.

7) Par décisions du 11 janvier 2018, l'AFC-GE a rejeté la réclamation. La reprise concernait des impôts français réclamés par le fisc de cet État à M. C______ et non à A______, de sorte que ces frais ne pouvaient pas être imputés à cette société.

8) Le 8 février 2018, A______ a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre les décisions sur réclamation précitées, concluant à leur annulation et à la déductibilité de la provision litigieuse.

En 2009, A______ avait effectué des prestations en faveur de D______ à hauteur de EUR 510'173.-, ce qui correspondait à CHF 770'397.45. Cependant, le fisc français avait imputé ces prestations au seul M. C______ et avait initié en 2012 une procédure fiscale sur la base de l'art. 155A CGI, aux fins de réduire le bénéfice de A______ et d'attribuer le revenu à M. C______ ; cette phase non contentieuse s'était achevée le 3 novembre 2014 par le rejet de sa réclamation. Par jugement du 23 janvier 2017, le Tribunal administratif de Grenoble avait confirmé que les sommes versées par D______ à A______, en rémunération des services rendus, étaient taxables entre les mains de M. C______ ; ce dernier avait interjeté appel auprès de la Cour d'appel administrative de Lyon, où l'affaire était encore pendante.

Le supplément d'impôt, notifié en 2014, se montait à EUR 266'474.- et A______ en était solidairement débitrice. La procédure en France était toujours pendante, M. C______ ayant interjeté appel à l'encontre du jugement précité du 23 janvier 2017 devant la Cour administrative d'appel de Lyon. Aucune autorité n'avait constaté l'illicéité du rappel d'impôt, si bien que le risque de condamnation était plus que probable. La solidarité de la recourante reposait sur le fait qu'elle avait bénéficié de la rémunération litigieuse.

L'AFC-GE partait du principe que la procédure française ne concernait que M. C______ et que la recourante n'était pas touchée, si bien que la provision n'était pas admissible. Or, les honoraires litigieux avaient été encaissés par A______, qui les avaient déclarés en 2009 en Suisse, et ils avaient été taxés. En sa qualité de récipiendaire de ces revenus, elle s'exposait, conformément à l'art. 155A al. 3 CGI, à devoir payer l'impôt en qualité de débiteur solidaire, d'autant plus que M. C______ ne disposait d'aucun actif important en France.

Le principe de périodicité avait été respecté. La procédure de redressement fiscal avait commencé en 2012 et la décision finale de taxation française lui avait été notifiée le 31 mars 2014. Son opposition avait été écartée le 3 novembre 2014.

Subsidiairement, la provision était justifiée dès lors qu'elle se fondait sur l'art. 327a de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220). M. C______ avait exercé une activité conforme au droit suisse dans le cadre de son contrat de travail, de sorte que le redressement fiscal imposé par la France devait être considéré comme une charge imposée par l'exécution de son travail que son employeur, à savoir A______, devait lui rembourser.

En annexe, la recourante a produit des pièces relatives à la procédure fiscale française. Selon le jugement du Tribunal administratif de Grenoble et le mémoire de recours déposé auprès de la Cour administrative d'appel de Lyon, par pli du 14 novembre 2012, le fisc français a indiqué à M. C______ que celui-ci était susceptible de faire l'objet de rectifications fondées sur les dispositions de l'art. 155A CGI et l'a invité à produire des justificatifs sur ce point. Le 18 décembre 2012, M. C______ s'est vu adresser une proposition de rectification concluant à l'imposition se fondant sur l'art. 155A CGI pour les montants perçus par A______ au titre des prestations de services qu'il aurait personnellement réalisées en 2009, pour le compte de cette société, au bénéfice de D______. Il a présenté ses observations le 16 février 2013, en concluant au rejet de la proposition en question. Le 18 avril 2013, le fisc a maintenu en totalité les chefs de redressements et les pénalités. Cette position a été confirmée par décision du 22 octobre 2013.

9) Dans sa réponse du 11 mai 2018, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

La provision avait été constituée en prévision d'un risque potentiel, puisque la procédure française avait été intentée à l'encontre de M. C______ et non de A______. Aucune action judiciaire à son encontre n'était pendante en 2014. Elle évoquait conditionnellement le risque d'une action prud'homale.

Il existait par ailleurs la procédure amiable, prévue par l'art. 27 § 1 de la Convention du 9 septembre 1966 entre la Suisse et la France en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscale (avec protocole additionnel ; CDI-F - RS 0.672.934.91), en application de laquelle A______ aurait dû saisir l'autorité compétente, à savoir le Secrétariat d'État aux questions financières internationales.

10) Par jugement du 24 septembre 2018, le TAPI a rejeté le recours.

La question de savoir si la provision se justifiait par l'usage commercial ou si elle pouvait se fonder sur l'art. 327a CO pouvait demeurer ouverte, dès lors que de toute manière, elle enfreignait le principe de périodicité.

C'était en effet le 14 novembre 2012 que le fisc français avait indiqué à M. C______ qu'il était susceptible de faire l'objet de rectifications et l'avait invité à produire des justificatifs sur ce point. Le 18 décembre 2012, il avait adressé à M. C______ une proposition de rectification, et par décision du 18 février 2013, confirmée le 22 février 2014, le fisc avait maintenu en totalité les chefs de redressements et les pénalités.

Ainsi, à supposer qu'existât le risque évoqué par A______ dans ses écritures, à savoir l'obligation d'acquitter les impôts réclamés à M. C______ en vertu de son obligation solidaire découlant de l'art. 155A CGI, ou alors de lui rembourser ces montants, en application l'art. 327a CO, ledit risque était né en 2012 ou au plus tard en 2013. La connaissance de la procédure fiscale française pouvait être imputée à A______, puisque M. C______ était organe de cette société. C'était dès lors en 2012, voire en 2013, mais non en 2014 - année durant laquelle la décision finale de taxation a été notifiée au précité - que A______ aurait dû comptabiliser la provision litigieuse. La constitution de la provision en 2014 devait ainsi être refusée.

11) Par acte posté le 25 octobre 2018, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation et à la déductibilité de la provision litigieuse, « avec suite de frais et dépens ».

Le respect du principe de la périodicité ne pouvait pas être séparé de la question du caractère justifié de la provision, car celle-ci devait être constituée lorsque le risque devenait suffisamment concret.

Le droit comptable imposait de tenir compte de la situation avec prudence et de provisionner le risque dès que celui-ci devenait suffisamment concret. Le TAPI avait implicitement considéré que le risque était suffisamment important en 2012 et 2013 pour constituer une provision pour risque. Dans un rapport de 2014, le Conseil fédéral avait indiqué que si une maison-mère ayant son siège en Suisse détenait une filiale à l'étranger et que suite à un comportement illicite de l'un des membres du groupe, une autorité étrangère procédait à une réduction du bénéfice, alors cela constituait pour la maison-mère une charge justifiée par l'usage commercial et donc déductible.

L'AFC-GE considérait par ailleurs que la procédure française ne concernait que M. C______ et que A______ ne serait pas directement concernée, ce qui était erroné. En effet, les honoraires que les autorités françaises entendaient attribuer directement à M. C______ étaient en réalité des honoraires qui avaient été encaissés par A______, qui les avait déclarés comme revenus en 2009 et sur lesquels elle avait été imposée. En outre, A______ était solidairement responsable avec M. C______ du rappel d'impôt de EUR 266'474.- dû par celui-ci, et encourait donc un risque juridique direct dans le litige. La charge était également justifiée par l'usage commercial en application de l'art. 327a CO.

S'agissant du respect du principe de périodicité, l'AFC-GE lui reprochait d'avoir provisionné le risque trop tôt, alors que le TAPI lui reprochait d'avoir provisionné le risque trop tard. En l'espèce, il était parfaitement justifié d'attendre la décision du 31 mars 2014 pour constituer la provision, car pendant toute la phase non contentieuse, il était raisonnable de penser que l'autorité fiscale française se rendrait aux arguments de M. C______. A______ n'avait obtenu aucun avantage fiscal à comptabiliser la provision en 2014 plutôt qu'en 2012 ou en 2013 ; elle n'avait donc aucun but d'optimisation fiscale. L'application du principe de périodicité visait à empêcher le contribuable de constituer des réserves latentes, or le TAPI refusait la constitution d'une provision pour un risque qui existait toujours au motif qu'elle aurait dû être constituée auparavant, ce qui heurtait le principe de l'imposition selon la capacité contributive.

12) Le 30 novembre 2018, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Les trois conditions pour la déduction fiscale d'une provision, à savoir être dûment comptabilisée, être justifiée par l'usage commercial et porter sur des faits dont l'origine remonte à la période de calcul (principe de périodicité) étant cumulatives, c'était à juste titre que le TAPI s'était contenté d'examiner la question du respect de la périodicité. Le TAPI n'avait de plus pas admis que le risque avait existé en 2012 ou 2013, mais tout au plus émis l'hypothèse.

Le rapport du Conseil fédéral n'était par ailleurs d'aucun secours à A______, dès lors qu'aucune sanction n'avait été arrêtée de manière définitive à ce jour à l'encontre de A______.

13) Le 14 décembre 2018, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 25 janvier 2019 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

14) Aucune des parties ne s'est manifestée.

 

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 145 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) En vertu de l'art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b al. 1). Les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

3) a. Le litige concerne la période fiscale 2014, tant en matière d'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) que d'impôt fédéral direct (ci-après : IFD), de sorte qu'il convient au préalable d'examiner le droit matériel applicable.

b. De jurisprudence constante, les questions de droit matériel sont résolues en fonction du droit en vigueur lors des périodes fiscales litigieuses (ATA/379/2018 du 24 avril 2018 et les références citées).

Le présent litige porte sur les taxations opérées en novembre 2015 concernant la période fiscale 2014. La cause est ainsi régie par le droit en vigueur durant cette période, à savoir respectivement les dispositions de la LIFD et celles de la loi sur l'imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15 ; ATA/1270/2017 du 12 septembre 2017).

c. La question étant traitée de manière semblable en droit fédéral et en droit cantonal, le présent arrêt traite simultanément des deux impôts, comme cela est admis par la jurisprudence (ATF 135 II 260 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_662/2014 du 25 avril 2015 consid. 1 et 2C_394/2013 du 24 octobre 2013 consid. 1.1).

4) L'objet du litige est l'admissibilité, en tant que charges justifiées par l'usage commercial, de la provision de CHF 320'408.- enregistrée dans les comptes 2014 de la recourante.

a. Selon le droit fédéral, l'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net, tel qu'il découle du compte de résultats établi selon les règles du droit commercial (art. 57, 58, al. 1 LIFD ; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 4ème éd., 2012, p. 224).

Tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l'usage commercial sont ajoutés au bénéfice imposable (art. 58 al. 1 let. b LIFD), telle par exemple une provision non justifiée.

L'art. 58 al. 1 let. a LIFD énonce également le principe de l'autorité du bilan commercial (ou principe de déterminance), selon lequel le bilan commercial est déterminant en droit fiscal.

b. Les cantons doivent imposer l'ensemble du bénéfice net dans lequel doivent notamment être inclus les charges non justifiées par l'usage commercial, portées au débit du compte de résultats, ainsi que les produits et les bénéfices en capital, de liquidation et de réévaluation qui n'ont pas été portés au crédit du compte de résultats (art. 24 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 - LHID - RS 642.14).

c. À Genève, le 30 mars 2016 est entrée en vigueur la nouvelle teneur de l'art. 12 LIPM, adoptée le 29 janvier 2016 par le Grand Conseil. La LIPM ne comprend aucune disposition transitoire prévoyant notamment l'application de la nouvelle teneur de son art. 12 aux causes pendantes au moment de son entrée en vigueur. Il sera ainsi fait application des dispositions légales idoines dans leur teneur antérieure aux décisions de taxation en cause (ci-après : aLIPM ; ATA/737/2018 du 10 juillet 2018 consid. 4b et les références citées).

Selon l'art. 12 let. a aLIPM, constitue le bénéfice net imposable celui qui résulte du compte de pertes et profits augmenté de certains prélèvement énoncés aux art. 12 let. b à i aLIPM, ainsi que des produits qui n'ont pas été comptabilisés dans le compte de résultats, y compris les bénéfices en capital, les bénéfices de réévaluation ou de liquidation, ainsi que les montants des réserves et provisions transférées à l'étranger qui avaient été constituées en franchises d'impôt (art. 12 let. j aLIPM). L'art. 12 aLIPM, même rédigé différemment, est de même portée que l'art. 58 al. 1 LIFD (ATA/380/2018 du 24 avril 2018 et les arrêts cités).

d. Selon l'art. 63 al. 1 LIFD, des provisions peuvent être constituées à la charge du compte de résultats pour les engagements de l'exercice dont le montant est encore indéterminé (let. a), les risques de pertes sur des actifs circulants (let. b) et les risques de pertes imminentes durant l'exercice (let. c). En ICC, les provisions justifiées par l'usage commercial sont également admises en déduction du bénéfice (art. 13 let. e aLIPM). L'institution de la provision est notamment utilisée pour réduire le bénéfice de l'exercice en cours si le montant d'une dépense ou d'une perte réelle ou au moins probable n'est pas encore connu, mais ne sera pas réalisé avant une période ultérieure (ATF 141 II 83 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_455/2017 du 17 septembre 2018 consid. 6.2).

Pour être admise, la provision doit être justifiée par l'usage commercial et, conformément au principe de périodicité, porter sur des faits dont l'origine se déroule durant la période de calcul (ATF 137 II 353 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_392/2009 du 23 août 2010 consid. 2.1 ; ATA/532/2013 du 27 août 2013 consid. 3c et 3d). Est justifiée par l'usage commercial toute provision portée au passif du bilan qui exprime le fait que le résultat de l'exercice ne peut pas être tenu pour définitif ; cette correction prévient le risque que le résultat ne soit pas conforme à la réalité et qu'une perte apparaisse ultérieurement, qui existait déjà au moment du bouclement des comptes. Encore faut-il que ce risque de perte soit réel, concret et imminent (arrêts du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1 ; 2C_392/2009 précité consid. 2.3, in RDAF 2011 II 70).

Dans la mesure où une provision ne peut avoir pour objet que des pertes imminentes (art. 63 al. 1 let. c LIFD), les provisions pour des charges futures ainsi que pour risques ou investissements futurs ne sont pas admissibles (arrêts du Tribunal fédéral 2C_478/2011 du 10 novembre 2011 consid. 2.1 ; 2C_581/2010 précité consid. 3.1). Pour être acceptées, les provisions doivent prévenir des pertes imminentes ou parer à des risques menaçants découlant d'engagements ou de charges encourues et non pas couvrir des risques aléatoires (Division Études et supports/AFC, juin 2012, « L'imposition des personnes morales », in Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts CSI, ch. 411.3, p. 56).

Le droit fiscal ne permet pas la constitution par le biais de provisions de réserves latentes, pourtant tolérées en droit commercial (ATF 103 Ib 366 ; Robert DANON, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand de la loi sur l'impôt fédéral direct, 2e éd., 2017, n. 15 ad art. 63 LIFD). En particulier, les provisions constituées en vue d'une utilisation future, notamment pour faire face à des dépenses que l'entreprise devra supporter en raison de son activité à venir constituent des réserves ; en tant que telles, elles font partie du revenu imposable et ne sauraient être déduites de ce dernier avant que la société n'ait à supporter les charges en cause, conformément au principe de périodicité du droit fiscal (arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 précité consid. 3.1 et les arrêts cités). Le droit fiscal n'admet ainsi pas la diminution artificielle du bénéfice par le biais de provisions injustifiées (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1101/2014 du 23 novembre 2015 consid. 3).

e. Deux conditions doivent être réunies pour que les provisions soient admises : les faits qui sont la cause du risque de perte doivent trouver leur origine au cours de l'exercice clos pendant la période de calcul (en d'autres termes, les événements qui sont la cause d'une dépense effective ou vraisemblable dont le montant est indéterminé à la date de clôture du bilan, doivent s'être produits durant l'exercice commercial en cours : arrêts du Tribunal fédéral 2A.90/2001 du 25 janvier 2002 consid. 3.2 = RDAF 2002 II 315 ; 2C_945/2011 du 12 octobre 2012 consid. 2.2) ; et le risque de perte doit être certain ou quasi certain, mais non nécessairement définitif. Par ailleurs, l'appréciation du risque doit être faite en tenant compte de tous les faits connus à la date du bouclement des comptes et non de faits ultérieurs qui viendraient confirmer ou infirmer le montant de la provision (arrêts du Tribunal fédéral 2C_581/2010 précité consid. 3 ; 2C_392/2009 précité consid. 2.1 et les références citées ; ATA/174/2016 du 23 février 2016 et les références citées).

Pour juger de la justification commerciale de la provision, il convient d'examiner la situation concrète de l'entreprise, notamment s'il y a des actions en dommages et intérêts en suspens. Les provisions pour dommages et intérêts sont admises si elles se rapportent à des événements ayant déjà eu lieu et pour lesquels il n'existe pas de couverture d'assurance. Le Tribunal fédéral a jugé qu'un contribuable ne saurait constituer de provisions « pour accidents non liquidés » en l'absence de preuves telles que des échanges de correspondance, ou encore en l'absence d'une indication exacte des faits et des procédures en cours accompagnée du mode de calcul du dommage redouté (arrêt du Tribunal fédéral 2C_394/2013 précité consid. 6.2 ; Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], Commentaire romand - Impôt fédéral direct, 2017, n. 19 ad art. 63 LIFD). Les provisions constituées en prévision de risques potentiels ne sont pas conformes à l'usage commercial. Pour être acceptées, les provisions doivent prévenir des pertes imminentes ou parer à des risques menaçants découlant d'engagements ou de charges encourues et non pas couvrir des risques aléatoires (Division Études et supports/administration fédérale des contributions, juin 2012, L'imposition des personnes morales, in Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts CSI, ch. 411.3, p. 56).

Lorsque des provisions, qui ont été passées en charge du compte de résultats, ne sont pas admissibles, l'autorité fiscale est en droit de procéder à la dissolution de la provision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 précité consid. 3.1). La dissolution d'une provision est susceptible d'intervenir dès qu'elle n'est plus justifiée commercialement, engendrant une correction en défaveur du contribuable (Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], op. cit., 2008, n. 41 et 67 ad art. 58 LIFD).

À titre d'exemple, une « provision pour litiges » n'a pu être admise, car faute d'action judiciaire dirigée à l'encontre de la société contribuable durant les années concernées, il n'existait pas de risque certain ou quasi-certain (ATA/174/2016 précité consid. 6). De même, une provision pour malfaçon inutilisée de 2005 à 2007, puis utilisée dans une faible proportion en 2008 et 2009, ne permettait pas de démontrer un risque de perte certain ou quasi-certain (ATA/659/2015 du 23 juin 2015 consid. 6).

S'agissant du moment où la provision doit être comptabilisée, dans un arrêt, le Tribunal fédéral a constaté que le recourant avait fait face à une plainte pénale déposée contre lui en juin 2007, en raison de son activité de « card sharing » ; des mesures d'instruction avaient été effectuées dès l'automne 2007 par le magistrat en charge du dossier. Le recourant ne niait par ailleurs pas qu'il était conscient que son activité de card sharing était risquée et qu'il était exposé à restitution. Dans ces circonstances, le recourant devait faire apparaître ce risque inhérent dans sa comptabilité par la comptabilisation d'une provision, ce qu'il n'avait jamais fait, ni en 2006, ni postérieurement, et ce alors même qu'il a été confronté concrètement à une plainte pénale et à des conclusions civiles en restitution du gain dès 2007. Faute de comptabilisation, il n'était pas nécessaire de trancher le point de savoir si de telles provisions auraient été admises comme charges justifiées par l'usage commercial pour chacune des périodes fiscales litigieuses (arrêt du Tribunal fédéral 2C_455/2017 précité consid. 6.4) ; mais par les considérations qui précèdent, le Tribunal fédéral semble retenir que c'était lors du dépôt de la plainte, voire au début de l'instruction de celle-ci, qu'une telle comptabilisation eût dû intervenir.

5) a. La maxime inquisitoire est applicable à la détermination de la dette fiscale. L'administration fiscale supporte le fardeau de la preuve de l'existence d'éléments imposables et, selon un principe généralement admis en matière fiscale, il incombe à celui qui prétend à l'existence d'un fait de nature à éteindre ou à diminuer sa dette fiscale d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve (arrêt du Tribunal fédéral 2C_288/2008 du 1er octobre 2008 consid 4.4 ; ATA/761/2013 du 12 novembre 2013). Le montant et la justification commerciale des provisions étant de nature à diminuer la dette fiscale, c'est au contribuable d'en apporter la preuve (arrêt du Tribunal fédéral 2A.71/2006 du 21 juin 2006 consid. 3.3.3 ; arrêt du Tribunal administratif de Bâle-Ville 510 09 13 du 3 juillet 2009 consid. 4c).

b. Il appartient à l'autorité fiscale de démontrer l'existence d'éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation fiscale. S'agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve (ATF 133 II 153 consid. 4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_89/2014 du 26 novembre 2014 consid. 7.2). Ces règles s'appliquent également à la procédure devant les autorités de recours (arrêt du Tribunal fédéral 2C_47/2009 du 26 mai 2009 consid. 5.4 ; ATA/1309/2015 du 8 décembre 2015).

6) Dans le cas d'espèce, le TAPI a exclu la déductibilité de la provision concernée uniquement au regard du principe de périodicité, sans examiner le caractère commercialement justifié de la provision, ce que la recourante conteste. Pourtant, dans la mesure où les conditions d'admission d'une provision sur le plan fiscal sont cumulatives, il était fondé à procéder de la sorte.

Comme le veut la jurisprudence constante rappelée ci-dessus, les événements qui sont à l'origine de la provision doivent s'être produits durant l'exercice commercial en cours, soit en l'occurrence au cours de l'année 2014. En l'espèce, les comportements ayant donné lieu au rappel d'impôt ont eu lieu en 2009 ; et, comme l'ont rappelé les premiers juges, la procédure française en rappel d'impôt s'est ouverte en 2012 et a commencé à être instruite - élément important sinon décisif, comme en témoigne l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_455/2017 cité plus haut - en 2012, voire en 2013. L'année 2014 n'a été marquée que par l'émission de l'avis d'imposition final du 12 mars 2014 et par la procédure - non judiciaire mais bien contentieuse - de réclamation, cette dernière étant rejetée par décision de l'inspecteur du 3 novembre 2014. Quant au jugement de première instance, il a été prononcé en 2017, et l'arrêt d'appel n'a quant à lui pas encore été rendu.

Dans ces circonstances, la conclusion du TAPI, à savoir que la provision aurait dû, pour autant qu'elle fût justifiée par l'usage commercial, être constituée avant 2014, ne prête pas le flanc à la critique.

En outre, s'agissant du caractère commercialement justifié de la provision, il faut, toujours selon la jurisprudence déjà citée, que le risque de perte soit certain ou quasi-certain. Or, s'il n'est pas contesté que la recourante soit, selon la loi française, solidairement débitrice de la somme provisionnée, rien ne permet de retenir que ce serait nécessairement elle qui serait amenée à fournir la prestation pour laquelle M. C______ a été condamné. Tous deux doivent en effet être recherchés en Suisse. M. C______ est la personne qui a fait l'objet de la procédure en rappel d'impôt et rien dans le dossier ne permet par ailleurs de penser qu'il soit insolvable. Dès lors, on ne peut considérer qu'il soit certain ou quasi-certain que ce soit la recourante qui sera amenée - en cas de confirmation du jugement de première instance français par les tribunaux supérieurs - à verser la somme provisionnée dans les comptes 2014.

Il n'appartient pour le surplus pas à la chambre de céans, dans le cadre du présent litige, de se prononcer sur la déductibilité éventuelle de la somme lors d'un exercice ultérieur au cas où elle viendrait effectivement à être payée par la recourante (ATF 143 II 8 consid. 7.7).

Il résulte de ce qui précède que le recours, mal fondé, doit être rejeté.

7) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'200.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 octobre 2018 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 24 septembre 2018 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 1'200.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Olivier Nicod, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :