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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/960/2019

ATA/1621/2019 du 05.11.2019 ( FPUBL ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : RAPPORTS DE SERVICE DE DROIT PUBLIC;DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE;RÉSILIATION;STATUT;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;POUVOIR D'APPRÉCIATION;RÉINTÉGRATION PROFESSIONNELLE;MOTIF;PROPORTIONNALITÉ;RENTE-PONT;ÉVALUATION DE L'INCAPACITÉ DE TRAVAIL;MÉDECIN-CONSEIL
Normes : LPAC.21.al3; LPAC.22; LPAC.26; LPAC.31; LPAC.31.al4; RPAC.5; RPAC.20; RPAC.22.al1; RPAC.54
Résumé : Décision de licenciement pour motif fondé d'une fonctionnaire, en raison de son incapacité de travail considérée comme durable, la rendant inapte à exercer sa fonction. Aucun préavis médical n'est venu étayé la décision du département, alors même que le médecin-conseil avait précisé qu'il ne pouvait être établi en l'état si elle était apte ou non à reprendre son poste. Absence de motif fondé en raison du fait que l'incapacité complète et durable de la travailleuse n'a pas été établie par un préavis du médecin-conseil. La procédure de l'art. 26 al. 3 LPAC n'a pas été respectée. Indemnité de 9 mois allouée, la question de la réintégration ne se posant pas. Recours partiellement admis.
En fait
En droit

république et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/960/2019-FPUBL ATA/1621/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 novembre 2019

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Éric Maugué, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE L'EMPLOI ET DE LA SANTÉ



EN FAIT

1) Le 22 janvier 2008, Madame A______, née le ______1957, a été engagée par l'État de Genève en qualité de secrétaire 2, avec effet au 1er février 2008, pour une activité à 100 % auprès de l'ancien département de l'économie et de la santé.

2) Le 7 avril 2009, la collaboratrice a été victime d'un accident sur son lieu de travail. À compter de cette date, elle a été en incapacité totale de travailler.

3) Le 1er février 2010, elle a été nommée fonctionnaire.

4) Le 9 juin 2011, dans un courrier adressé au médecin-conseil de l'État de Genève, le médecin-traitant de la recourante, le Docteur B______, a notamment considéré que la situation n'évoluait plus. Il s'agissait d'une épaule gelée bilatérale. Le pronostic était mauvais.

5) Il en allait de même le 29 novembre 2011, le Dr B______ estimant que la situation restait stationnaire, avec une limitation fonctionnelle inchangée aux épaules et la persistance de douleurs. L'employeur de la collaboratrice souhaitait une reprise au minimum à 50 %, ce que le médecin ne préconisait pas.

6) En raison de son incapacité de travail complète, puis partielle, la collaboratrice a reçu des prestations de l'assurance-accident jusqu'au 9 mai 2012.

L'assurance-invalidité (ci-après : AI) a accordé des prestations sous forme de rente complète entre avril 2010 et avril 2012, de demi-rente de mai 2012 à septembre 2014 et de quart de rente d'octobre 2014 à avril 2015. Le droit aux prestations était limité au 30 avril 2015.

7) Le 1er juillet 2014, la collaboratrice a été transférée de la direction générale de l'action sociale à l'office cantonal de l'emploi (ci-après : OCE), au sein du département devenu depuis celui de la sécurité, de l'emploi et de la santé (ci-après : le département), dans une classe de traitement inférieure.

8) Le 23 juin 2016, Mme A______ a été informée que son droit au traitement était adapté, à compter du 1er juillet 2016, à son taux de travail (60 %), diminué en raison de ses nombreuses absences pour raisons de santé.

9) Le 11 avril 2017, l'intéressée a été avisée qu'elle occupait désormais la fonction de commise administrative depuis le 1er avril 2017.

10) En 2017, la collaboratrice s'est trouvée durant quatorze jours en incapacité de travail en raison d'une intervention chirurgicale.

11) Depuis le 6 avril 2018, Mme A______ s'est trouvée et se trouve toujours en incapacité totale de travail.

12) Le 11 septembre 2018, la collaboratrice a rencontré le Docteur C______ du service de santé du personnel de l'État de Genève (ci-après : le SSPE). À cette date, ce dernier estimait que l'absence de la collaboratrice devait encore durer quatre à cinq mois.

L'avis médical précisait qu'il était impossible pour le Dr C______ de se prononcer alors sur la reprise de la collaboratrice à son poste habituel.

La collaboratrice était convoquée pour un nouvel examen après trois mois. En vue de la reprise, étaient considérés comme sans objet à ce stade les « limitations fonctionnelles à observer et précisions sur la capacité résiduelle [de travail] » ainsi que « les aménagements à entrevoir de l'activité et/ou ergonomiques »

13) Le 7 janvier 2019, la collaboratrice a été convoquée à un entretien prévu le 17 janvier suivant par la direction de l'OCE. Le but de cet entretien était de l'entendre au sujet de son incapacité à exercer ses activités pour des raisons de santé. Il était précisé que cette incapacité était susceptible de conduire à la résiliation des rapports de service pour motif fondé au sens des art. 21 al. 3 et 22 let. c de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05).

14) Le 11 janvier 2019, le conseil de la collaboratrice a indiqué à l'OCE que sa mandante était toujours en complète incapacité de travail. Son état de santé n'était pas stabilisé. Il lui avait conseillé de ne pas donner suite à cette convocation.

15) Le 18 janvier 2019, la direction générale de l'OCE a transmis à la collaboratrice le compte rendu de l'entretien réalisé en son absence. L'OCE envisageait de résilier les rapports de service pour motif fondé au sens des art. 21 al. 3 et 22 let. c LPAC.

Elle comptabilisait 501 jours civils d'absence pour incapacité de travail sur une période de 1'095 jours civils. Son état de santé ne lui permettait plus de remplir les devoirs de sa fonction dans quelque poste que ce soit. Un délai de sept jours lui était accordé pour présenter ses observations.

16) Le 22 janvier 2019, Mme A______ a contesté la durée du délai accordé. Les conditions d'une résiliation des rapports de service n'étaient pas réunies.

17) Par courrier du 25 janvier 2019, la direction générale de l'OCE a maintenu le délai fixé à sept jours, considérant que le compte rendu communiqué ne concernait pas un entretien de service.

18) Le 31 janvier 2019, la collaboratrice a fait valoir que le procédé utilisé par l'OCE n'était pas conforme à la LPAC. En effet, en aucun cas un licenciement pour motif fondé au sens des art. 21 al. 3 et 22 let. c LPAC ne pouvait intervenir en l'état. Si l'OCE estimait qu'elle était inapte à remplir ses devoirs de fonctions en raison de son état de santé, ce qui était contesté, il était tenu de suivre la procédure expressément prévue à l'art. 26 LPAC. Les conditions de mise en oeuvre de cette procédure n'étaient pas réalisées.

19) Le 7 février 2019, le conseiller d'État en charge du département a résilié les rapports de service de Mme A______ pour motif fondé, soit la disparition durable d'un motif d'engagement, avec effet au 31 mai 2019 (art. 21 al. 3, 22 lit. c et 20 al. 3 LPAC).

Elle totalisait 501 jours d'absence pour incapacité de travail durant les trois dernières années. Elle avait en effet été absente du 17 juin 2015 au 17 juin 2016 à 40 %, puis du 17 octobre 2017 au 1er novembre 2017 à 100 %, puis du 16 janvier 2018 au 21 janvier 2018 à 100 %, du 14 mars 2018 au 16 mars 2018 à 100 % et finalement du 6 avril 2018 au 31 janvier 2019, à 100 %.

Une procédure de reclassement (selon l'art. 21 al. 3 LPAC) n'avait pas été ouverte en sa faveur puisqu'elle n'était pas apte médicalement à reprendre un emploi. Le département citait à cet égard la jurisprudence de la chambre administrative, qui retenait que l'autorité administrative était dispensée dans un tel cas de l'obligation d'ouvrir une procédure de reclassement.

Il était manifeste que son état de santé ne lui permettait plus d'exercer une quelconque activité professionnelle, de sorte que la disparition durable d'un motif d'engagement était établie.

La décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

20) Par acte expédié le 11 mars 2019, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à la restitution de l'effet suspensif, à la constatation que les rapports de service se poursuivaient durant la procédure, à l'annulation de la décision précitée, à sa réintégration, ainsi qu'à la reprise du paiement de son salaire à compter du 1er juin 2019. Subsidiairement, si la réintégration était refusée, il convenait de condamner le département au paiement d'une indemnité correspondant à vingt-quatre mois de son traitement brut, soit CHF 102'174.-.

a. La décision lui occasionnait un dommage irréparable du point de vue de son droit à la retraite, respectivement à la faculté de bénéficier d'une éventuelle rente-pont AVS. Si l'effet suspensif n'était pas restitué, elle devait prendre des mesures sur lesquelles elle ne pouvait plus revenir, conditionnant ses moyens financiers pour le restant de son existence.

b. La décision entreprise ne se fondait sur aucun avis médical au sens de l'art. 26 al. 3 LPAC, qui constatait que la recourante n'était pas à même de remplir les devoirs de sa fonction. Elle n'était donc pas fondée à cet égard. L'art. 5 du règlement d'application de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01) n'avait pas non plus été respecté. Le département ne pouvait pas déduire, sans avis médical, qu'elle était inapte à remplir les devoirs de sa fonction.

L'amalgame fait entre les périodes durant lesquelles elle avait bénéficié de prestations de l'assurance-accident, respectivement de l'assurance-invalidité et sa récente incapacité de travail relevait de la mauvaise foi.

c. La décision de résiliation des rapports de service ne reposait pas sur un motif fondé. Il n'était nullement établi qu'elle n'était pas apte à exercer une activité professionnelle. En outre, l'incapacité de remplir les devoirs de fonction pour des raisons de santé ne constituait pas un motif fondé au sens des art. 21 al. 3 et 22 let. c LPAC. La décision était contraire au droit.

21) Le département a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif.

La restitution de l'effet suspensif revenait à admettre le droit de la recourante à demeurer provisoirement fonctionnaire de l'État de Genève et à continuer à percevoir son traitement, ce qui correspondait à ce qu'elle demandait au fond, ce qui était prohibé. L'intérêt privé de la recourante devait céder le pas à l'intérêt public à la préservation des finances de l'intimé, aucun élément du dossier ne permettant de retenir qu'elle pouvait rembourser les traitements perçus en cas de confirmation de la décision querellée.

22) Dans sa réplique sur effet suspensif, Mme A______ a relevé que son licenciement la conduisait à devoir émarger au service des prestations complémentaires. Un effet suspensif limité dans le temps ou consistant à maintenir les rapports de service sans traitement de sorte qu'elle puisse prendre sa retraite dans des conditions moins dramatiques sur le plan financier pouvait être envisagé selon le principe de la proportionnalité. Elle sollicitait la convocation d'une séance de conciliation conformément à l'art. 65A LPA, à bref délai, avant la fin de ses rapports de service qui intervenait le 31 mai 2019.

23) Dans un courrier adressé à la chambre de céans le 9 avril 2019, Mme A______ s'est référée à l'arrêt ATA/348/2019 rendu par la chambre administrative le 2 avril 2019, dont il ressortait que la règle spécifique de l'art. 26 al. 3 LPAC devait être respectée en cas de licenciement d'un fonctionnaire lié à son état de santé, quel que soit le fondement légal de la procédure de licenciement choisi par l'employeur public.

Son licenciement était ainsi manifestement infondé.

24) Le 15 avril 2019, le département a persisté dans ses conclusions sur effet suspensif, la réplique de la recourante n'appelant pas de remarques particulières. L'intérêt privé de Mme A______ devait céder le pas à l'intérêt public à la préservation des finances de l'intimé. Le département n'était pas opposé à une demande de conciliation, en soulignant que ses représentants n'étaient pas disponibles avant le 29 avril 2019 et en relevant que la recourante n'avait jamais fait état de son intention de demander une retraite anticipée.

Une nouvelle procédure de reclassement concernant la recourante aurait été vaine, Mme A______ ayant déjà bénéficié d'une première procédure de reclassement en 2013, à la suite de ses absences entre mai 2008 et juin 2013. Celle-ci avait échoué, puisque la recourante totalisait désormais 1'352 jours d'absence, depuis son reclassement au sein de l'OCE.

25) Lors de l'audience de comparution personnelle et de tentative de conciliation du 13 mai 2019, les parties sont parvenues à un accord.

Aux termes de celui-ci, les parties étaient, notamment, d'accord que moyennant le versement d'une rente-pont à compter du 1er juin 2019, l'objet soit limité à la seule question de savoir si la résiliation était conforme au droit et, en cas de réponse négative, au fait que seul entrait en ligne de compte le versement d'une indemnité conformément à l'art. 31 al. 4 LPAC, à l'exclusion de toute réintégration.

Les parties ont précisé qu'elles ne voyaient pas d'objection à ce que le juge délégué, qui avait conduit l'audience de conciliation, continue à instruire la cause.

26) À compter du 1er juin 2019, la collaboratrice a perçu une rente-pont AVS.

27) Dans ses observations au fond, le département a conclu au rejet du recours.

La disparition durable d'un motif d'engagement au sens de l'art. 22 let. c LPAC constituait le motif de la résiliation du contrat de travail. La recourante était toujours en incapacité de travail, sans qu'une reprise à court ou moyen terme soit envisageable. Celle-ci n'avait jamais fait état d'une possibilité ou volonté de reprendre son activité professionnelle. Le licenciement n'avait pas été notifié en temps inopportun et était valable. La recourante avait été suivie régulièrement par le SSPE. La procédure de reclassement n'avait pas été mise en place, car elle avait déjà bénéficié d'une telle procédure en 2013-2014.

La recourante n'avait pas déposé de demande auprès de l'office de l'assurance-invalidité (ci-après : office AI). Dès lors, la jurisprudence précitée de la chambre administrative n'était pas applicable. En raison de l'accord intervenu en audience, les conclusions relatives à l'octroi d'une indemnité de vingt-quatre mois de salaire au sens de l'art. 31 LPAC étaient caduques.

28) Dans sa réplique sur le fond, la recourante a relevé que son état de santé n'était pas stabilisé. Le département avait spéculé en vain sur l'évolution de sa capacité de travail si son activité professionnelle s'était poursuivie.

La procédure de l'art. 26 LPAC aurait dû être suivie par le département. L'argument selon lequel l'ATA/348/2019 précité ne s'appliquait pas à son cas puisqu'aucune demande auprès de l'assurance-invalidité n'avait été déposée ne s'expliquait pas. Elle n'avait pas formulé une telle demande, car son incapacité de travail n'était pas durable.

29) La cause a été gardée à juger le 8 juillet 2019.

30) Le 10 juillet 2019, le département a transmis pour information à la chambre de céans son courrier du 2 juillet 2019 adressé à la recourante, indiquant que, citant l'accord intervenu le 13 mai 2019, la « démission [de la recourante] pour le 31 mai 2019 » était acceptée.

31) Le 16 juillet 2019, la recourante a exercé son droit à la réplique quand bien même la cause avait déjà été gardée à juger en raison du « contenu scandaleux » de la communication du 10 juillet 2019. L'OCE faisait preuve de mauvaise foi crasse en prétendant qu'elle avait démissionné avec effet au 31 mai 2019. Une telle manoeuvre confinait à la témérité dès lors que la solution trouvée en audience diminuait le dommage encouru par la résiliation des rapports de service intervenue de manière contraire au droit. Le département l'avait d'ailleurs parfaitement compris puisqu'il sollicitait que la solution trouvée en audience soit prise en compte dans la fixation de l'indemnité sanctionnant cette résiliation.

32) Ce courrier a été transmis par la chambre de céans au département, et il a été rappelé aux parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Les parties se sont mises d'accord, lors de l'audience du 13 mai 2019, que seule demeurait litigieuse la question de savoir si la résiliation était conforme au droit et, qu'en cas de réponse négative, seul entrait en ligne de compte le versement d'une indemnité conformément à l'art. 31 al. 4 LPAC, à l'exclusion de toute réintégration.

L'objet du litige est donc limité à ces deux points, étant relevé que l'accord précité a rendu sans objet les conclusions sur effet suspensif.

2) a. À teneur de l'art. 21 al. 3 LPAC, l'autorité peut résilier les rapports de service du fonctionnaire pour un motif fondé. Elle motive sa décision. Elle est tenue, préalablement à la résiliation, de proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnelle et de rechercher si un autre poste au sein de l'administration cantonale correspond aux capacités de l'intéressé. Les modalités sont fixées par règlement.

b. L'art. 22 LPAC prévoit qu'il y a motif fondé lorsque la continuation des rapports de service n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration, soit notamment en raison de la disparition durable d'un motif d'engagement (let. c).

c. L'intérêt public au bon fonctionnement de l'administration cantonale, déterminant en la matière, sert de base à la notion de motif fondé, lequel est un élément objectif indépendant de la faute du membre du personnel. La résiliation pour motif fondé, qui est une mesure administrative, ne vise pas à punir mais à adapter la composition de la fonction publique dans un service déterminé aux exigences relatives au bon fonctionnement dudit service (ATA/348/2019 du 2 avril 2019 ; ATA/1471/2017 du 14 novembre 2017 ; ATA/674/2017 du 20 juin 2017).

d. Le législateur, considérant que l'état de santé fait partie des conditions d'engagement (art. 5 RPAC et 26 LPAC), a estimé que si une absence pour cause de maladie ou d'accident perdure sans qu'un remède y soit apporté ou ne puisse y être apporté, le motif fondé de la disparition durable d'un motif d'engagement est acquis (MGC - 2005-2006/XI A 10437).

S'agissant de l'état de santé, l'art. 5 al. 1 RPAC dispose que le membre du personnel doit jouir d'un état de santé lui permettant de remplir les devoirs de sa fonction. Il peut en tout temps être soumis à un examen médical pratiqué sous la responsabilité du service de santé du personnel de l'État (art. 5 al. 2 RPAC). À la suite d'un examen médical, le service de santé du personnel de l'État émet un préavis médical spécifiant, s'il y a lieu, les limitations fonctionnelles (art. 5 al. 3 RPAC).

e. En cas d'absence pour cause de maladie ou d'accident attestée par certificat médical, le traitement est remplacé par une indemnité pour incapacité de travail (art. 54 al. 1 RPAC). Selon l'art. 54 al. 3 RPAC, lorsqu'une absence a dépassé 45 jours ininterrompus pour des raisons médicales, la hiérarchie signale le cas au médecin-conseil de l'État. Ce dernier peut prendre contact avec le médecin traitant du membre du personnel et décide de toutes mesures pour respecter tant la mission du médecin traitant que l'intérêt de l'État. Le médecin-conseil de l'État établit une attestation d'aptitude, d'aptitude sous conditions ou d'inaptitude à occuper la fonction. Il précise les contre-indications qui justifient son attestation.

f. Le rôle du médecin-conseil consiste à aborder la question de l'aptitude au travail sous un angle plus large qu'un médecin psychiatre par exemple, puisque son examen peut porter sur tous les aspects médicaux en lien avec le cas qui lui est soumis (ATA/348/2019 du 2 avril 2019 consid. 4b ; ATA/1327/2018 du 11 décembre 2018 consid. 3b), en connaissance des besoins et risques concrets afférents aux fonctions concernées, et que les différents paramètres qu'il prend en considération ne sont pas nécessairement de nature à changer au cours du temps (ATA/876/2016 du 18 octobre 2016 consid. 7c).

3) a. Selon l'art. 26 LPAC, intitulé « Invalidité », le Conseil d'État peut mettre fin aux rapports de service lorsqu'un fonctionnaire n'est plus en mesure, pour des raisons de santé ou d'invalidité, de remplir les devoirs de sa fonction (al. 1). Il ne peut être mis fin aux rapports de service que s'il s'est avéré impossible de reclasser l'intéressé dans l'administration, au sein des services centraux et des greffes du pouvoir judiciaire ou dans l'établissement (al. 2).

b. L'incapacité de remplir les devoirs de service, à moins qu'elle ne soit reconnue d'un commun accord par le Conseil d'État, la caisse de prévoyance et l'intéressé, doit être constatée à la suite d'un examen médical approfondi pratiqué par le médecin-conseil de l'État en collaboration avec le médecin de la caisse de prévoyance et le ou les médecins traitants (art. 26 al. 3 LPAC).

c. L'ATA/348/2019 du 2 avril 2019 a examiné en détail la question de l'articulation entre les art. 21 al. 3, 22 let. c et 26 LPAC. Il ressort de cet arrêt de principe qu'au vu en particulier de la systématique du chapitre II de la LPAC consacré à la fin des rapports de service, du caractère particulier et ancien de la règle contenue à l'art. 26 al. 3 LPAC, et du fait que la ratio legis de l'art. 26 LPAC vise à assurer un lien entre la perte du salaire due à une atteinte à la santé du fonctionnaire et les prestations de la caisse de pension, la règle spécifique de l'art. 26 al. 3 LPAC doit être respectée en cas de licenciement d'un fonctionnaire lié à son état de santé. Cette obligation doit être respectée quel que soit le fondement légal de la procédure de licenciement choisie par l'employeur public. Ainsi, à moins d'un accord au sens de l'art. 26 al. 3 in fine LPAC, l'incapacité durable de travailler du fonctionnaire, dont la résiliation des rapports de service pour ce motif est envisagée, doit résulter d'un examen médical approfondi pratiqué par le médecin-conseil de l'autorité publique concernée, celui-ci devant s'entourer des avis du médecin-conseil de la caisse de prévoyance et du ou des médecins traitants, et ce, déjà au stade de la procédure envisageant le licenciement. Une telle approche, conforme à la ratio legis de l'art. 26 LPAC, permet d'assurer, le plus tôt possible, un traitement global et cohérent de la situation médicale du fonctionnaire concerné dont les droits, que ce soit à l'égard de l'employeur ou de la caisse de prévoyance, sont ainsi, sous réserve d'une évolution de son état de santé, préservés. Dès lors, le médecin-conseil de la caisse de prévoyance doit, en sus des médecins traitants, être contacté par le médecin-conseil de l'autorité publique envisageant la résiliation des rapports de service d'un fonctionnaire pour des raisons de santé (ATA/348/2019 précité).

d. Les rapports de service étant soumis au droit public, la résiliation est en outre assujettie au respect des principes constitutionnels, en particulier ceux de la légalité, l'égalité de traitement, la proportionnalité et l'interdiction de l'arbitraire (ATA/347/2016 du 26 août 2016 consid. 5e ; ATA/1343/2015 du 15 décembre 2015 consid. 8).

4) En l'espèce, les parties divergent quant à l'appréciation de l'état de santé de l'intéressée, en particulier sur la question de savoir si elle dispose d'une capacité résiduelle de travail. La fonctionnaire rappelle que son état de santé n'était pas stabilisé au moment de la résiliation de rapports de service, ce que le
médecin-conseil de l'État a par ailleurs constaté dans son avis médical du 11 septembre 2018, précisant que celle-ci serait encore absente « 4 ou 5 mois » et qu'il ne pouvait en l'état se prononcer sur la reprise de son poste habituel par la recourante.

L'OCE n'a pas attendu l'issue de cette période ni même un nouvel avis médical en résiliant au mois de février suivant les rapports de service, sans se baser sur un quelconque avis médical. Aucun préavis médical du SSPE attestant ou non de la possibilité pour la recourante de reprendre son activité professionnelle ne figure au dossier. Dès lors, les compétences professionnelles de la direction de l'OCE n'étant pas médicales, il lui appartenait de s'assurer, en s'adressant aux professionnels formés à cet effet, que la recourante n'était effectivement plus apte à exercer sa fonction au sein de l'État de Genève.

Ainsi, malgré l'absence de la recourante depuis le 6 avril 2018, l'autorité intimée n'était pas fondée à considérer, sans préavis médical, que l'état de santé de la recourante ne lui permettait plus d'exercer sa fonction de commise-administrative et que la disparition de ce motif d'engagement était durable.

Par ailleurs, les absences précédentes de la recourante concernaient notamment des périodes où elle a bénéficié de prestations de l'assurance-accident (jusqu'en avril 2012) et de l'assurance-invalidité (jusqu'en avril 2015). L'employeur ne pouvait cependant se prévaloir de ces éléments, pour justifier la résiliation des rapports de service. En effet, les décisions rendues par les assureurs sociaux, plusieurs années avant la résiliation, ne sauraient démontrer la disparition durable d'un motif d'engagement, étant relevé qu'au moment de son licenciement, la recourante ne percevait aucune prestation d'assurance sociale et ce depuis le mois d'avril 2015 à tout le moins.

Par conséquent, au regard des art. 21 al. 3 et 22 let. c LPAC, la décision de résiliation des rapports de service de la recourante ne repose pas sur un motif fondé, à savoir son incapacité complète et durable de travailler établie par les préavis constants du médecin conseil de l'autorité intimée. Le motif à l'origine de la décision de résiliation litigieuse ne peut, en l'espèce, être considéré comme établi, de sorte que la décision litigieuse ne repose pas sur un motif fondé dûment constaté.

5) La recourante étant au bénéfice d'une rente-pont AVS depuis le 1er juin 2019, la question de sa réintégration ne se pose plus. Les parties sont d'ailleurs convenues que si la résiliation des rapports de service était jugée non conforme au droit, seul devait encore être examiné l'éventuel versement d'une indemnité, conformément à l'art. 31 al. 4 LPAC.

6) a. Selon l'art. 31 LPAC, tout membre du personnel dont les rapports de service ont été résiliés peut recourir à la chambre administrative pour violation de la loi (al. 1). Si la chambre administrative retient que la résiliation des rapports de service ne repose pas sur un motif fondé, elle ordonne à l'autorité compétente la réintégration (al. 2). Si la chambre administrative retient que la résiliation des rapports de service est contraire au droit, elle peut proposer à l'autorité compétente la réintégration (al. 3). En cas de décision négative de celle-ci ou de refus du recourant, la chambre administrative fixe une indemnité dont le montant ne peut être inférieur à un mois et supérieur à vingt-quatre mois du dernier traitement brut à l'exclusion de tout autre élément de rémunération ; concernant un employé, l'indemnité ne peut être supérieure à six mois (al. 4).

b. Selon la jurisprudence de la chambre administrative rendue en matière de fixation d'une indemnité en cas de licenciement d'agents publics, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce, et de les apprécier sans donner une portée automatiquement prépondérante à certains aspects, comme le fait d'avoir ou non retrouvé un emploi en cours de procédure (ATA/274/2015 du 17 mars 2015 consid. 9b ; ATA/744/2014 du 23 septembre 2014 consid. 4b et les références citées). Cette jurisprudence a été confirmée par le Tribunal fédéral (arrêts du Tribunal fédéral 8C_472/2014 du 3 septembre 2015 consid. 11.2 ; 8C_421/2014 du 17 août 2015 consid. 3.4.2 ; 8C_436/2014 et 8C_437/2014 du 16 juillet 2015 consid. 9.2 ; ATA/347/2016 du 26 avril 2016).

c. À titre d'exemple, la chambre de céans a fixé à trois mois de traitement l'indemnité due à un fonctionnaire que l'entité publique refusait de réintégrer, dont le droit d'être entendu avait été violé durant la procédure de licenciement et dont les rapports de service avaient duré plus de onze ans (ATA/112/2019 du 5 février 2019 consid. 4h).

Dans un autre cas d'espèce où l'employeur avait omis de tenter un reclassement, l'indemnité a été fixée à neuf mois de traitement, compte tenu de la durée de près de vingt ans des rapports de service, des compétences professionnelles reconnues de l'intéressé dont le travail était unanimement salué, de son âge (60 ans) au moment de la résiliation et du peu d'égard pour sa personnalité avec lequel la procédure de licenciement avait été menée (ATA/1195/2017 du 22 août 2017 consid. 16e).

d. La chambre administrative a pour pratique de fixer l'indemnité pour refus de réintégration à un certain nombre de mois du dernier traitement brut de l'employé, conformément à l'art. 31 al. 4 LPAC. De plus, l'indemnité fondée sur cette disposition comprend le treizième salaire au prorata du nombre de mois fixés et n'est pas soumise à la déduction des cotisations sociales (ATA/1579/2019 du 29 octobre 2019 consid. 14 d et les références citées). En l'absence de conclusion sur ce point, les intérêts moratoires n'y sont pas additionnés (art. 69 al. 1 LPA ; ATA/273/2015 du 17 mars 2015 ; ATA/193/2014 du 1er avril 2014).

7) En l'espèce, la décision de résiliation des rapports de service ne repose pas sur un motif fondé dûment constaté.

Contrairement à ce qu'allègue l'autorité intimée, le versement d'une rente-pont AVS n'empêche pas qu'une indemnité pour résiliation ne reposant pas sur un motif fondé entre en ligne de compte. D'une part, aucune base légale ne s'y oppose. D'autre part, l'assertion de l'autorité se heurte au principe de la bonne foi. En effet, il ne ressort nullement du procès-verbal de l'audience du 13 mai 2019 que le versement de la rente-pont AVS aurait mis un terme au litige. Au contraire, les parties se sont accordées sur le fait que ce versement limitait l'objet du litige à la question du bienfondé de la résiliation des rapports de service et, si celui-ci faisait défaut, à la fixation d'une indemnité conformément à l'art. 31 al. 4 LPAC.

Il n'en demeure pas moins qu'il sera tenu compte, dans la fixation de cette indemnité, du fait que la recourante perçoit une rente-pont AVS depuis le 1er juin 2019, soit depuis la date à laquelle l'autorité intimée a mis fin à ses rapports de service.

L'employeur n'a formulé aucun grief quant à la qualité des prestations de recourante. Cette dernière a travaillé pour l'État de Genève depuis 2008 et, pour l'OCE en particulier, depuis 2013. La relation de travail a été rompue quelques mois avant que l'intéressée puisse prétendre à une rente-pont AVS, dans la précipitation, sans que le médecin-conseil rende un avis attestant que la recourante était totalement incapable d'exercer une activité professionnelle au sein de l'État de Genève et alors même que ce dernier devait la revoir dans le mois suivant la résiliation des rapports de service. La recourante a été licenciée à 61 ans, à la suite d'une incapacité de travail.

Le médecin-conseil de la caisse de prévoyance de l'État n'a pas été consulté, pas plus que le médecin-traitant de la recourante avant la prise de la décision querellée. La recourante bénéficie d'une rente-pont AVS depuis le mois de juin 2019.

En conséquence, compte tenu de ce qui précède et principalement du fait que la recourante était active depuis dix ans au sein de l'État de Genève, que ses prestations n'étaient pas contestées dans la décision litigieuse, que l'employeur a agi dans la précipitation, sans avis du médecin-conseil attestant du fait que la recourante était inapte à exercer sa fonction, qu'elle était toujours en incapacité de travail au moment de la résiliation querellée, mais aussi du fait que la recourante bénéfice d'une rente-pont AVS depuis le 1er juin 2019, l'indemnité, conformément à la pratique de la chambre de céans, sera arrêtée à neuf mois du dernier traitement mensuel brut de la recourante au sens de l'art. 2 de la loi concernant le traitement et les diverses prestations alloués aux membres du personnel de l'État et des établissements hospitaliers du 21 décembre 1973 (LTrait - B 5 15).

L'indemnité est ainsi fixée, au sens de l'art. 31 al. 4 LPAC, à neuf mois du dernier traitement brut de la recourante au sens de l'art. 2 LTtrait, à l'exclusion de tout autre élément de rémunération et sans intérêt moratoire, en l'absence de conclusions dans ce sens.

8) Aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la recourante à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 mars 2019 par Madame A______ contre la décision du département de la sécurité, de l'emploi et de la santé du 7 février 2019 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision du 7 février 2019 ;

constate que le licenciement de Madame A______ ne repose pas sur un motif fondé ;

fixe l'indemnité due à Madame A______ par l'État de Genève à neuf mois de son dernier traitement mensuel brut ;

condamne en tant que de besoin l'État de Genève à verser ce montant ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de CHF 1'000.- à Madame A______ à la charge de l'État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 1113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Éric Maugué, avocat de la recourante, ainsi qu'au département de la sécurité, de l'emploi et de la santé.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Krauskopf, M. Verniory et Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Marmy

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :