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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3713/2019

ATA/1641/2019 du 07.11.2019 ( MARPU ) , REFUSE

Parties : MICHEL CONA SA / VILLE DE GENÈVE - DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DE L'AMÉNAGEMENT, ENTREPRISE BELLONI SA
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3713/2019-MARPU ATA/1641/2019

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 7 novembre 2019

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

MICHEL CONA SA
représentée par Me Cédric Berger, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE - DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DE L'AMÉNAGEMENT

et

ENTREPRISE BELLONI SA
représentée par Me Pascal Nicollier, avocat

 



Attendu, en fait, que :

1) Michel Cona SA (ci-après : Michel Cona ou la société) est une société anonyme sise à Genève, dont le but est l'exploitation d'une entreprise de gypserie-peinture, pose de papiers peints, carrelages et décoration ainsi que tous travaux s'y rattachant.

Entreprise Belloni SA (ci-après : Belloni) est une société anonyme sise à Carouge, dont le but est : exploitation d'une entreprise générale dans les domaines de la construction, travaux de fondations, canalisations, béton armé, maçonnerie, travaux de génie civil, travaux publics, ponts, échafaudages et étayages ainsi que travaux spéciaux se rapportant aux travaux de la construction ; exploitation d'une entreprise de gypserie-peinture, cloisons légères, faux-plafonds, travaux de décoration, enduits pelliculaires : études techniques et financières, réalisation de projets dans le domaine de la construction.

2) Le 7 juin 2019, la Ville de Genève (ci-après : la ville) a fait paraître sur le site Internet Simap un appel d'offres en procédure ouverte, soumis aux accords internationaux, pour des travaux de construction. Il s'agissait des travaux de plâtrerie, faux plafonds et peinture pour le bâtiment d'équipements publics (crèche, salle de gymnastique, salle pluridisciplinaire et locaux parascolaires) situé au 21, bd Saint-Georges à Genève.

La date limite pour le dépôt des offres était le 23 juillet 2019 à 11h00. Les consortiums et la sous-traitance étaient admis, les variantes et les offres partielles ne l'étaient pas.

3) Sept offres dont six valables ont été reçues par la ville, dont celles de Belloni, pour CHF 1'075'664.40, et de Michel Cona, pour CHF 988'686.-. Des erreurs de calcul ayant été corrigées pour tous les concurrents, le montant des offres des deux entreprises précitées est passé respectivement à CHF 1'114'173.23 et à CHF 988'319.98.

4) Par décision du 26 septembre 2019, la villa a attribué le marché à Belloni et en a averti Michel Cona.

Il résultait du tableau comparatif joint au courrier de non-adjudication que Michel Cona avait reçu la note de 5/5 au critère 1 (prix, pondéré à 30 %), celle de 3,95 au critère 2 (références, pondéré à 45 %), et celle de 4 au critère 3 (organisation, pondéré à 25 %). Les notes correspondantes de Belloni étaient respectivement de 3,93, 4,65 et 4,75. Au final, Belloni obtenait 446,03 points, contre 427,75 à Michel Cona, qui se classait en deuxième position.

5) Par acte déposé le 7 octobre 2019, Michel Cona a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours, et principalement à l'annulation de la décision attaquée et à l'octroi du marché en cause.

L'appréciation faite par le mandataire de la ville sur le critère des références était insoutenable. La société avait donné cinq références, et les personnes de contact chez chaque maître d'ouvrage lui avaient donné des notes débouchant sur une moyenne de 4,6, alors que la note figurant dans le tableau comparatif des offres était de 3,95. De plus, aucune de ces personnes n'avait fait état d'expériences négatives antérieures. L'autorité adjudicatrice s'était retranchée, lors d'une réunion, derrière l'argument opaque de son pouvoir d'appréciation. Le critère des références était seul responsable de son classement en deuxième position, et était le plus fortement pondéré.

L'autorité adjudicatrice avait violé le principe de l'égalité de traitement, la notation de Michel Cona ayant été revue à la baisse pour pouvoir justifier la première place de Belloni, que l'autorité entendait favoriser dès le départ.

6) Le 25 octobre 2019, la ville a conclu au rejet de la demande d'effet suspensif et au rejet du recours.

Au sein du critère des références, l'évaluation faite avait pondéré l'adéquation des références, tant sur les travaux à réaliser que sur le montant de ceux-ci (sous-critère A), à 9 % (du pourcentage total), tandis que la qualité des références (sous-critère B) représentait 36 %.

Les références données par Michel Cona correspondaient à la nature des travaux visés, mais n'étaient pas dans la cible s'agissant des montants, qui pour quatre des cinq références étaient de nettement moindre ampleur que ceux du marché à attribuer. La note de 3,75/5 lui a ainsi été attribuée pour le sous-critère A.

La qualité des références avait été évaluée sur la base d'entretiens téléphoniques menés par le mandataire de la ville. Des questions ont été posées pour chaque référence sur le respect du planning, la qualité du travail, le suivi des défauts, le suivi financier, la disponibilité de l'entreprise et la participation aux séances de chantier. La note de 4 avait été attribuée aux références 1 et 2 (défauts mineurs dans la bienfacture du travail), celle de 4 à la référence 3 (malgré un retard de deux mois dans la livraison et des défauts, mais avec un suivi de leur réfection correctement assuré, et avec quelques imprévus financiers et un léger manque de disponibilité de l'entreprise), celle de 4,5 à la référence 4 (satisfaction globale du maître d'ouvrage, bien que celui-ci ne se soit pas exprimé spécifiquement sur la qualité du travail fourni), et celle de 3,5 à la référence 5 (non-respect des plannings et reproche de ne pas mettre suffisamment d'équipes en renfort pour avancer les travaux). La note globale au sous-critère B était dès lors de 4.

Vu la pondération des sous-critères A et B, la note totale au critère des références était donc de 3,95, sans que cela soit contraire au droit. Les références de Belloni, dont cinq sur six avaient été évaluées, correspondaient à la nature des travaux souhaités et étaient beaucoup plus dans la cible s'agissant des montants. L'évaluation de la qualité des références avait débouché sur de meilleures notes, étant précisé que l'un des maîtres d'ouvrages n'avait pu être atteint en raison de la période, qui correspondait aux vacances scolaires estivales.

L'effet suspensif constituait l'exception en matière de marchés publics. Michel Cona ne motivait pas réellement pour le surplus en quoi consistait son intérêt privé, ni pourquoi il était prépondérant. Ses griefs étaient au surplus tous infondés. En cas d'octroi de l'effet suspensif, le chantier devrait être arrêté.

7) Le 25 octobre 2019 également, Belloni a conclu au rejet de la demande d'effet suspensif.

Michel Cona se contentait de faire valoir que son intérêt privé était le même que le sien propre, une telle comparaison n'étant pas pertinente, et affirmait de manière péremptoire qu'aucun intérêt public ne commandait que les travaux débutent sans tarder, ce qui était faux au vu notamment de la nature de la construction en cause.

Le recours était mal fondé, ce qui devait conduire au rejet de la demande d'octroi de l'effet suspensif. Les griefs portant sur l'évaluation du critère des références relevaient du procès d'intention, et se contentaient d'opposer l'appréciation faite par d'anciens clients de Michel Cona à celle effectuée par l'autorité adjudicatrice.

8) Sur quoi, la cause a été gardée à juger sur la question de l'effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) Le recours, interjeté en temps utile devant l'autorité compétente, est prima facie recevable de ces points de vue, en application des art. 15 al. 2 de l'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0) et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics (RMP - L 6 05.01). La question globale de la recevabilité du recours sera néanmoins renvoyée à l'arrêt final que rendra la chambre de céans.

2) Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n'a pas d'effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l'autorité de recours peut, d'office ou sur demande, restituer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose.

L'examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l'effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversément, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d'emblée à justifier l'octroi d'une mesure provisoire, mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/864/2019 du 2 mai 2019 consid. 2 ; ATA/446/2017 du 24 avril 2017 consid. 2 ; ATA/62/2017 du 23 janvier 2017 consid. 2 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, 2010, pp. 311-341, p. 317 n. 15).

La restitution de l'effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics, et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu'avec restriction (ATA/864/2019 précité consid. 2 ; ATA/446/2017 précité consid. 2).

3) a. L'AIMP a pour objectif l'ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l'égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l'impartialité de l'adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l'utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment let. a et b AIMP).

b. Le principe de l'égalité de traitement entre soumissionnaires oblige l'autorité adjudicatrice à traiter de manière égale les soumissionnaires tout au long du déroulement formel de la procédure (art. 16 RMP ; ATA/1005/2016 du 29 novembre 2016 consid. 3 ; ATA/51/2015 du 13 janvier 2015 et la jurisprudence citée ; Jean-Baptiste ZUFFEREY/Corinne MAILLARD/Nicolas MICHEL, Droit des marchés publics, 2002, p. 109 ; Benoît BOVAY, La non-discrimination en droit des marchés publics, RDAF 2004 p. 241 ss).

4) a. En procédure administrative genevoise, le recours peut être formé notamment pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. b LPA).

b. Lors de l'examen des offres, l'autorité adjudicatrice examine la conformité des offres au cahier des charges et contrôle leur chiffrage (art. 39 al. 1 RMP). Les erreurs évidentes, telles que les erreurs de calcul et d'écriture, sont corrigées (art. 39 al. 2, 1ère phr. RMP). Selon l'art. 40 RMP, elle peut demander aux soumissionnaires des explications relatives à leur aptitude et à leur offre (al. 1). Les explications sont en principe fournies par écrit ; si elles sont recueillies au cours d'une audition, un procès-verbal est établi et signé par les personnes présentes (al. 2).

5) En l'espèce, la décision de refus d'adjudication contenait le tableau des notes obtenues par la recourante et par l'adjudicataire pour les différents critères. S'agissant de la constatation inexacte des faits pertinents, les explications de la ville au sujet de son évaluation du critère des références apparaissent prima facie pertinentes, ladite évaluation ne semblant de prime abord pas prêter le flanc à la critique.

Quant au grief lié à l'inégalité de traitement, il n'est, prima facie, guère étayé que par un sentiment subjectif des organes de la recourante.

Les chances de succès du recours apparaissent ainsi, à première vue, insuffisantes pour permettre à la chambre de céans d'octroyer l'effet suspensif au recours, si bien que la demande y relative sera rejetée, le sort des frais étant réservé jusqu'à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l'effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n'est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

si elle soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique la présente décision à Me Cédric Berger, avocat de la recourante, à la Ville de Genève - département des constructions et de l'aménagement ainsi qu'à Me Pascal Nicollier, avocat d'Entreprise Belloni SA.

 

La présidente :

 

 

 

F. Krauskopf

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :