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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3711/2018

ATA/1616/2019 du 05.11.2019 ( AMENAG ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3711/2018-AMENAG ATA/1616/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 novembre 2019

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Bruno Mégevand, avocat

contre

COMMISSION FONCIÈRE AGRICOLE



EN FAIT

1) Par lettre du 7 juin 2018, Maître Nathalie BEAUD ZURCHER, notaire à Genève, a, pour le compte de M. A______, né en 1977, sollicité de la commission foncière agricole (ci-après : CFA) l'estimation de la valeur de rendement de la parcelle n° 1______, d'une surface de 2'780 m2 - et, à teneur de l'extrait du registre foncier (ci-après : RF) joint, contenant à son extrémité sud-est un bâtiment non classé de plus de 20 m2 -, au chemin B______, en zone agricole, de la commune de C______, dont M. D______, retraité né en 1934, était propriétaire, puis l'autorisation d'acquérir à ladite valeur cette parcelle, en application de l'art. 63 al. 1 let. a de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11) a contrario. M. A______ remplissait les conditions de l'art. 9 al. 1 et 2 LDFR.

Outre la « requête annexée au projet d'opération immobilière en matière agricole » préimprimée et remplie par l'intéressé ou la notaire, était joint un document établi par M. A______ lui-même (ci-après : le dossier d'acquisition) et contenant des photographies.

Il ressortait de ce dernier document et d'autres pièces produites que, le 31 août 1999, M. A______ avait obtenu le certificat de capacité d'horticulteur de plantes en pots et de fleurs coupées à la suite de la réussite de son apprentissage, le 27 juin 2001, le certificat de maturité professionnelle technique, puis, le 15 septembre 2005, le diplôme d'ingénieur HES en agronomie. Il était actuellement inspecteur de la protection des eaux à l'État de Genève, au taux de 100 %, qu'il s'engageait à réduire en cas d'autorisation d'acquérir ladite parcelle.

La parcelle 1______, non cadastrée aux sites pollués, n'était plus exploitée depuis longtemps et ne faisait l'objet d'aucun bail à ferme ; c'était une friche. Elle était idéalement située à 2 minutes de son domicile de E______.

Son but était de rendre cette parcelle cultivable, « dans une démarche durable et dans le respect profond de la terre ». À cette fin, le requérant déposerait notamment une requête d'abattage pour les arbres en bordure du chemin de B______ dont l'emprise empêchait toute exploitation, requérerait des Services industriels de Genève (ci-après : SIG) l'alimentation en eau agricole de la parcelle, procéderait à une remise en état, à une préparation du sol, puis à des plantations (divers fruitiers, crocus à safran, chênes truffiers, projet d'implantation d'une serre tunnel dans un deuxième temps, etc.), enfin à un suivi des cultures et récoltes, avec un financement consistant uniquement en fonds propres.

Une démarche similaire avait été entreprise par ses soins sur la parcelle 2______ de la commune de F______, d'une surface de 1'390 m2 et en zone agricole, qu'il avait acquise en 2015. C'était alors également une friche qui posait quelques problèmes au voisinage du fait de l'absence d'entretien adéquat durant plusieurs années. La mise en culture de cette parcelle avait nécessité un nombre considérable d'heures de travail, avec sa compagne horticultrice travaillant professionnellement à 60 % et leurs deux enfants. Avaient été plantés une trentaine de fruitiers (pomme, poire, prune, mirabelle, cerise, kaki, figue, coing, pêche, etc.) et de petits fruits, fraisiers, crocus à safran, poivre de Sichuan, argousier, kiwi, aronia, plantes aromatiques, etc.

2) Le 14 août 2018, M. A______ a été entendu par la CFA.

À teneur des déclarations de celui-là retranscrites dans le procès-verbal d'audition communiqué le 29 août 2018 à la notaire avec un délai au 14 septembre 2018 pour se déterminer à son sujet, en l'état, la parcelle 1______, en surface d'assolement, en friche, ne l'intéressait pas puisqu'il souhaitait la cultiver. Toutefois, il s'était renseigné auprès de la direction générale de l'agriculture et de la nature (ci-après : la DGAN) sur la possibilité d'abattre des pins d'environ 30 m qui avaient une emprise racinaire énorme, et la réponse avait été positive, sous réserve de replantation. Son objectif était de remettre en culture cette parcelle, soit tout abattre, « peut-être faire une année d'engrais vert », puis effectuer une plantation mixte avec des fruitiers (pommes, poires, prunes, pêches), des noyers et des châtaigniers.

À la question de savoir s'il avait un projet économique, M. A______ a répondu ne pas avoir de « business plan » pour l'achat de ladite parcelle, qu'il financerait en fonds propres. Son projet sur du long terme était bien de produire. Il n'avait pas la volonté de créer une entreprise agricole. Toutefois, s'il pouvait acquérir la parcelle, il réduirait son temps de travail à l'État de Genève à 90 % (il avait reçu un accord de principe). Il ne se rendait pas encore compte, le jour où tout serait abattu, de ce qui l'attendait. Il faudrait effectuer quelques sondages de profil du sol. Son but restait une entreprise familiale, non concurrentielle, mais sa vocation n'était pas de l'ordre du hobby mais bien professionnelle dans la mesure où, s'il réduisait son temps de travail, il espérait que le manque à gagner soit couvert par la production.

Il avait alors une cinquantaine de fruitiers répartis sur la parcelle qu'il possédait à F______, sur la parcelle de son père et en Valais. Il produisait pour la famille et, si la récolte était abondante, il faisait distiller une partie de la récolte.

3) Par écrit du 31 août 2018, la notaire a indiqué s'être entretenue avec M. A______ qui avait confirmé que le procès-verbal reflétait parfaitement ses déclarations du 14 août 2018, et être dans l'attente de la décision relative à l'autorisation d'acquérir la parcelle 1______.

4) Par décision du 11 septembre 2018, notifiée le 21 septembre suivant, la CFA a rejeté la requête de M. A______ en autorisation d'acquérir la
parcelle 1______, propriété de M. D______, avec en outre fixation d'un émolument de CHF 600.-.

M. A______ ne pouvait pas être qualifié d'exploitant à titre personnel au sens de l'art. 9 LDFR, de sorte que l'acquisition lui serait refusée en application de l'art. 63 al. 1 let. a LDFR. Seule une acquisition faite dans le cadre de l'art. 64f (recte : 64 al. 1 let. f) LDFR lui permettrait d'acquérir la parcelle en cause.

5) Par acte expédié le 22 octobre 2018 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. A______ a formé recours contre cette décision, concluant, « avec suite de frais et dépens », à son annulation et, cela fait, principalement à l'autorisation de vente de la parcelle 1______ à lui-même pour un prix correspondant à la valeur de rendement de celle-ci, telle qu'elle aurait été déterminée par la CFA, subsidiairement au retour du dossier à ladite commission pour qu'elle prononce une autorisation de vente.

M. D______ souhaitait vendre son bien-fonds, à un non-agriculteur. La CFA avait imposé la division de la parcelle de manière à ce que l'actuelle parcelle 1______ reste soumise au droit foncier rural. Toutefois, comme le montrait une vue aérienne produite, cette parcelle constituait l'essentiel du jardin attenant à la maison d'habitation (à l'ouest), tel qu'il se présentait entouré d'une haie, et planté d'arbres ornementaux (pin sylvestre, bouleau, frêne, etc.) ; ce jardin était ceint d'une haie, qui le coupait des champs voisins ; une cabane à outils était édifiée à l'angle formé par cette haie, du côté des champs limitrophes.

6) Par courrier du 7 novembre 2018, la CFA a informé la chambre administrative, en réponse à une question de cette dernière, que M. D______ n'était pas partie à la procédure devant elle.

7) Dans sa réponse du 6 février 2019, la CFA a persisté dans sa position exposée dans sa décision querellée.

Le recourant ne produisait aucune pièce permettant de démontrer sa capacité financière en vue de l'achat litigieux et, surtout, quant à sa capacité de poursuivre son activité agricole si les revenus de sa nouvelle activité ne lui permettaient pas de couvrir le manque à gagner lié à la réduction de son taux d'activité de fonctionnaire. Il était douteux que sa situation économique soit suffisante pour garantir une exploitation de la parcelle sur le moyen et long terme. Le risque d'un abandon de l'exploitation était donc important.

8) Dans sa réplique du 22 mars 2019, M. A______ a persisté dans les conclusions de son recours.

L'avis de taxation pour les impôts cantonaux et communaux (ci-après : ICC) 2017 était produit, censé démontrer une situation financière permettant manifestement l'acquisition de la parcelle d'une part, et de réduire de 10 % l'activité professionnelle du recourant sans que cela pose de problème financier d'autre part.

9) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

10) Pour le surplus, les arguments des parties et certains faits seront, en tant que de besoin, repris dans la partie en droit ci-après.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 13 de la loi d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 16 décembre 1993 - LaLDFR - M 1 10 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. En vertu de son art. 1 al. 1, la LDFR a pour but : d'encourager la propriété foncière rurale et en particulier de maintenir des entreprises familiales comme fondement d'une population paysanne forte et d'une agriculture productive, orientée vers une exploitation durable du sol, ainsi que d'améliorer les structures (let. a) ; de renforcer la position de l'exploitant à titre personnel, y compris celle du fermier, en cas d'acquisition d'entreprises et d'immeubles agricoles (let. b) ; de lutter contre les prix surfaits des terrains agricoles (let. c).

b. Aux termes de l'art. 61 LDFR - « principe » pour le chapitre 2 « Acquisition des entreprises et des immeubles agricoles » -, celui qui entend acquérir une entreprise ou un immeuble agricole doit obtenir une autorisation (al. 1). L'autorisation est accordée lorsqu'il n'existe aucun motif de refus (al. 2). Sont des acquisitions, le transfert de la propriété, ainsi que tout autre acte juridique équivalant économiquement à un transfert de la propriété (al. 3).

Est agricole l'immeuble approprié à un usage agricole ou horticole (art. 6
al. 1 LDFR). L'immeuble vise tant les bâtiments que les biens-fonds situés dans la zone agricole (art. 2 al. 1 LaLDFR). Par entreprise agricole, on entend une unité composée d'immeubles, de bâtiments et d'installations agricoles qui sert de base à la production agricole et qui exige, dans les conditions d'exploitation usuelles dans le pays, au moins une unité de main-d'oeuvre standard (ci-après : UMOS). Le Conseil fédéral fixe, conformément au droit agraire, les facteurs et les valeurs servant au calcul de l'UMOS (art. 7 al. 1 LDFR). Aux mêmes conditions, les entreprises d'horticulture productrice sont assimilées à des entreprises agricoles (art. 7 al. 2 LDFR). L'UMOS sert à mesurer la taille d'une exploitation au moyen de facteurs standardisés basés sur des données d'économie du travail (art. 3 al. 1 de l'ordonnance sur la terminologie agricole et la reconnaissance des formes d'exploitation du 7 décembre 1998 - Oterm - RS 910.91). Le canton de Genève a fait usage de la possibilité offerte par l'art. 5 let. a LDFR prévoyant que les entreprises agricoles d'une taille égale ou supérieure à 0,6 UMOS sont soumises aux dispositions sur les entreprises agricoles (art. 3A LaLDFR).

Selon l'art. 63 al. 1 LDFR, intitulé « motifs de refus », l'acquisition d'une entreprise ou d'un immeuble agricole est refusée lorsque : l'acquéreur n'est pas exploitant à titre personnel (let. a) ; le prix convenu est surfait (let. b) ; l'immeuble à acquérir est situé en dehors du rayon d'exploitation de l'entreprise de l'acquéreur, usuel dans la localité (let. d).

c. Conformément à l'art. 9 LDFR - « exploitant à titre personnel » -, est exploitant à titre personnel quiconque cultive lui-même les terres agricoles et, s'il s'agit d'une entreprise agricole, dirige personnellement celle-ci (al. 1). Est capable d'exploiter à titre personnel quiconque a les aptitudes usuellement requises dans l'agriculture de notre pays pour cultiver lui-même les terres agricoles et diriger personnellement une entreprise agricole (al. 2).

L'art. 9 LDFR définit les notions d'exploitant à titre personnel (al. 1) et de capacité d'exploiter à titre personnel (al. 2). Pour répondre à la notion d'exploitant à titre personnel, le requérant doit remplir les conditions posées par ces deux alinéas (arrêt du Tribunal fédéral 5A.20/2004 du 2 novembre 2004, consid. 2.2 ; Eduard HOFER, Commentaire de la loi fédérale sur le droit foncier rural du
4 octobre 1991, Brugg 1998, n. 8 ad art. 9 LDFR). Dans son Message du
19 octobre 1988 à l'appui des projets de la loi fédérale sur le droit foncier rural (FF 1988 III p. 889), le Conseil fédéral a exposé que les deux notions étaient étroitement liées et que rien ne s'opposerait à ce que la capacité d'exploiter soit définie comme un élément de la notion d'exploitant à titre personnel (arrêt du Tribunal fédéral 2C_747/2008 du 5 mars 2009 consid. 3.1 ; ATA/615/2017 du
30 mai 2017 consid. 4a ; ATA/534/2014 du 17 juillet 2014 consid. 5a).

Par cette disposition, la LDFR vise à renforcer la position de l'exploitant à titre personnel, y compris celle du fermier, en cas d'acquisition d'entreprises et d'immeubles agricoles (art. 1 al. 1 let. b LDFR). Elle cherche, dans cette mesure, à exclure du marché foncier tous ceux qui cherchent à acquérir les entreprises et les immeubles agricoles principalement à titre de placement de capitaux ou dans un but de spéculation (arrêt du Tribunal fédéral 5A.20/2004 précité consid. 3.1 ; FF 1988 III p. 906).

Pour ce qui est de l'exploitant à titre personnel, l'art. 9 al. 1 LDFR distingue implicitement entre l'exploitant à titre personnel d'immeubles et d'entreprises agricoles. Dans le premier cas, il suffit que l'exploitant cultive personnellement les terres. Dans le second, il doit encore diriger personnellement l'entité que constitue l'entreprise agricole. Il ne saurait pourtant se contenter de cette activité directrice et doit, très concrètement, y travailler d'une manière substantielle
(ATF 115 II 181 consid. 2a ; 107 II 30 consid. 2). Mais la loi n'exige pas qu'il y consacre tout son temps ; en effet, il est admis qu'un exploitant à titre personnel puisse pratiquer l'agriculture à temps partiel (arrêt du Tribunal fédéral 5C.247/2002 du 22 avril 2003 consid. 3.2). Travailler personnellement la terre signifie accomplir soi-même les travaux inhérents à l'exploitation, en plus de la direction de l'entreprise. En font notamment partie le travail de la terre, les semis, les soins aux cultures et aux récoltes, les soins aux animaux (Eduard HOFER,
op. cit., n. 17 ad art. 9 LDFR). Ceci implique, dans les petites unités, que l'exploitant effectue lui-même la quasi-totalité des travaux des champs et de gestion du bétail ; dans les entreprises plus importantes, il peut bien entendu recourir à du personnel, respectivement à d'autres membres de sa famille. Même dans ce cas, il ne saurait pourtant s'occuper que de la gestion et doit toujours, concrètement, exécuter personnellement les travaux inhérents à une exploitation en plus de la direction de l'entreprise. Pour de nouveaux immeubles qu'il n'exploite pas encore, par exemple en tant que fermier, l'acquéreur doit s'engager à cultiver personnellement les terrains qu'il entend acquérir (Eduard HOFER,
op. cit., n. 26 ad art. 9 LDFR; Yves DONZALLAZ, Traité de droit agraire suisse, 2006, vol. II, n. 3215 ss et n. 3298 ss) ; s'agissant d'un fait futur, il lui suffit de rendre ce comportement simplement vraisemblable, ce qui peut être le cas par la simple mise en évidence de ses attaches actuelles ou passées avec l'agriculture (arrêt du Tribunal fédéral 2C_747/2008 du 5 mars 2009 consid. 3.1).

La capacité d'exploiter à titre personnel suppose que l'intéressé possède la moyenne des qualités tant professionnelles que morales et physiques qui, d'après les usages propres à l'agriculture, sont requises pour exploiter de façon convenable un domaine agricole (ATF 110 II 488 consid. 5 = JdT 1986 I 120 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_747/2008 précité consid. 3.1 ; José-Miguel RUBIDO, L'exercice du droit de préemption immobilier au regard du droit privé, 2012, p. 55). Une telle capacité n'existe, en règle générale, que si l'intéressé a fréquenté une école d'agriculture (FF 1988 III p. 924 et 925 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A.17/2006 du 21 décembre 2006 consid. 2.4.1 ; Yves DONZALLAZ,
op. cit., n. 3215 ss.) ou, suivant les cas, s'il a déjà exploité dans les règles de l'art un immeuble ou une entreprise comparable à celui ou celle qu'il entend acquérir (arrêt du Tribunal fédéral 5A.17/2006 précité consid. 2.4.1 ; 5A.9/2001 du 30 juillet 2001 consid. 2b et 4a). Seul celui qui est au bénéfice d'une formation ou de connaissances pratiques suffisantes, au plus tard au moment où la décision d'autorisation doit être prise, peut se voir octroyer une autorisation d'acquérir (arrêt du Tribunal fédéral 2C_747/2008 précité consid. 3.1 et les références citées).

3) a. En l'espèce, aucune des parties ne soutient que l'exploitation visée pour la parcelle en cause serait celle d'une entreprise agricole au sens de l'art. 7 LDFR, ce à juste titre. Seule l'exploitation de la parcelle comme immeuble agricole au sens de l'art. 6 LDFR entre en ligne de compte. Au demeurant, comme le fait valoir l'intéressé dans sa réplique, les cultures spéciales (art. 15 OTerm) telles qu'il souhaite les effectuer sur la parcelle litigieuse, requerraient 0,323 UMOS par hectare (art. 3 al. 2 let. a ch. 2 OTerm), soit 0,09 UMOS pour la surface de 2'780 m2 (un hectare valant 10'000 m2), ce qui serait très inférieur au 0,6 UMOS au minimum requis pour une entreprise agricole dans le canton de Genève.

En outre, l'intimée ne conteste pas que le recourant a la capacité d'exploiter à titre personnel, au sens art. 9 al. 2 LDFR tel qu'interprété par la jurisprudence précitée, ledit immeuble, ce également à juste titre puisqu'il est titulaire notamment d'un diplôme d'ingénieur HES en agronomie, avec en plus une expérience comme exploitant pour la parcelle 2______ de la commune de F______ depuis environ quatre ans.

b. En revanche, dans sa réponse au recours, la CFA considère qu'il n'a pas les facultés économiques d'exploiter l'immeuble agricole en cause, notamment faute de « business plan » et vu les faits que la reprise dudit immeuble aurait des conséquences financières qui excéderaient à long terme les possibilités de l'intéressé et que l'acquisition de la nouvelle parcelle le ferait disposer d'une surface totale à cultiver de 4'170 m2, importante pour une personne désireuse d'exploiter des parcelles à titre de hobby tout en ayant un poste de travail à 90 %.

c. Contrairement à ce qu'indique le recourant, ses déclarations faites lors de son audition du 14 août 2018 selon le procès-verbal ne prêtent pas à confusion. L'absence de volonté de créer une entreprise agricole peut être comprise en ce sens qu'il n'avait pas l'intention de fonder puis diriger (art. 9 al. 1 LDFR) une entreprise agricole au sens de l'art. 7 LDFR, mais plutôt une entreprise familiale non concurrentielle dans le sens du langage commun, c'est-à-dire en collaboration avec sa compagne, voire leurs deux enfants.

Il ressort clairement de l'ensemble de ces déclarations, dont aucun élément ne permet de douter de la sincérité, que l'intéressé souhaite exploiter personnellement la parcelle en cause, par intérêt pour une telle tâche, sans que cela soit strictement un hobby puisqu'il veut en retirer un revenu et/ou des récoltes couvrant au moins la diminution de salaire découlant de la réduction de son temps de travail. Sous cet angle, l'art. 9 al. 1 LDFR est respecté. Il est au demeurant relevé que même un agriculteur par hobby - ou de loisirs - peut acquérir une parcelle pour autant qu'il soit au bénéfice d'une formation adéquate et qu'il exploite personnellement ledit immeuble (Yves DONZALLAZ, op. cit., n. 3314 ss ; Eduard HOFER, op. cit., n. 23 ad art. 9 LDFR ; aussi arrêt du Tribunal fédéral 5A.9/2001 du 30 juillet 2001 consid. 2c), ce qui est en tout état de cause le cas en l'occurrence.

d. Celui qui entend acquérir un bien agricole doit pouvoir le financer de sorte que l'endettement demeure supportable (ATF 71 II 24 ; Yves DONZALLAZ,
op. cit., n. 3261). À cet effet, une certaine proportion de fonds propres est nécessaire (ibidem), qui peut être relativement modeste en cas de reprise à la valeur de rendement (Eduard HOFER, op. cit., n. 41 ad art. 9 LDFR). Les facultés économiques - ou financières - du requérant doivent donc être prises en compte, et plus les difficultés financières sont importantes, plus les exigences sur ce point doivent être élevées (arrêt du Tribunal fédéral 5C.25/2001 du 8 juin 2001 consid. 4c).

À teneur de l'avis de taxation de l'ICC 2017 produit en réponse au grief de l'intimée selon lequel il ne démontrait pas sa capacité financière en vue de l'achat litigieux et, surtout, quant à sa capacité de poursuivre son activité agricole si les revenus de sa nouvelle activité ne lui permettaient pas de couvrir le manque à gagner lié à la réduction de son taux d'activité de fonctionnaire, le recourant, taxé séparément de sa compagne, disposait alors d'un revenu pris en compte fiscalement de CHF 65'269.- (pour un salaire brut de CHF 107'924.- et d'une fortune retenue fiscalement de CHF 46'541.- (pour notamment une fortune mobilière de CHF 254'003.-, mais avec des dettes hypothécaires de CHF 440'000.- et des dettes chirographaires de l'ordre de CHF 4'500.-).

Le prix pour lequel la parcelle litigieuse serait acquise par l'intéressé correspondrait à la valeur de rendement, au sens de l'art. 10 LDFR, précisé notamment par les art. 1 et 2 de l'ordonnance sur le droit foncier rural du 4 octobre 1993 (ODFR - RS 211.412.110). Dans les années 1990, cette valeur par hectare de terrain non bâti s'élevait en moyenne à CHF 5'500.- environ en région de plaine (Eduard HOFER, op. cit., n. 8 ad art. 10 LDFR). En janvier 2018, le Conseil fédéral a révisé le Guide pour l'estimation de la valeur de rendement agricole. Il n'en demeure pas moins qu'avec le revenu et la fortune du recourant tels que ressortant de son avis de taxation de l'ICC 2017, et même en cas d'augmentation non négligeable du montant moyen en cours dans les années 1990, l'acquisition de la parcelle 1______ par le recourant à la valeur de rendement apparaît possible grâce à ses fonds propres. Au demeurant, même si ces derniers ne suffisaient pas, leur proportion apparaîtrait suffisante.

L'existence d'un « business plan » n'est en tant que tel pas une condition pour l'acquisition d'un immeuble agricole (art. 6 LDFR) requise par les
art. 61 ss LDFR.

La CFA n'indique pas précisément les motifs la conduisant à douter que la capacité économique de l'intéressé serait suffisante pour exploiter la parcelle à moyen et long terme.

Le facteur UMOS s'obtient actuellement en divisant le temps de travail annuel moyen par 2'600 heures (Office fédéral de l'agriculture, site internet officiel concernant les UMOS « https://www.blw.admin.ch/blw/fr/ home/instrumente/grundlagen-und-querschnittsthemen/sak.html » ; Évaluation du système de l'unité de main-d'oeuvre standard UMOS, Rapport du Conseil fédéral du 20 juin 2014 en réponse aux postulats VON SIEBENTHAL [12.3234], BIRRER-HEIMO [12.3242] et Leo MÜLLER [12.3906], p. 8) et non
2'100 heures comme l'indique le recourant.

Ainsi, pour une UMOS revenant à 2'600 heures en moyenne, l'UMOS de 0,09 pour la parcelle considérée correspondrait à 234 heures en moyenne par année, soit, pour cinquante-deux semaines par an, 4h30 par semaine. Ceci équivaudrait à environ une demi-journée de travail sur cinquante jours, donc à un taux de 10 %, comme le préconise l'intéressé qui entendrait réduire son taux d'activité au sein de l'État de Genève de 10 % en cas de délivrance de l'autorisation sollicitée.

À cet égard, rien ne permet de penser qu'une telle réduction du temps de travail, relativement modeste, mettrait en danger la situation financière du recourant et de sa famille.

e. Dans le cas d'immeubles isolés, le danger que l'exploitation à titre personnel ne cesse à plus ou moins brève échéance est plus grand que dans le cas d'entreprises, les hobbies pouvant parfois être de courte durée, de sorte que les exigences en matière d'exploitation à titre personnel doivent être particulièrement élevées dans ce cas (Eduard HOFER, op. cit., n. 46 ad art. 9 LDFR).

Cela étant, l'intimée n'a pas contesté que le recourant exploite déjà, avec succès et motivation, une parcelle à F______, certes deux fois plus petite que celle dont l'acquisition est visée. Aucun élément ne permet de douter de l'intérêt et de la motivation de l'intéressé, expérimenté, pour exploiter la parcelle en cause à moyen et long terme.

En outre, cette parcelle est très proche de son domicile.

Enfin, il n'est pas contesté que la compagne du recourant pourrait aider le cas échéant ce dernier, circonstance qui peut être prise en considération (Eduard HOFER, op. cit., n. 36 ad art. 9 LDFR ; pour l'aide du conjoint : arrêts du Tribunal fédéral 4A_239/2019 du 27 août 2019 consid. 2.2.1.1.1 ; 5A.9/2001 précité ; ATF 110 II 488 = JdT 1986 I 120).

Dans ces circonstances, il ne peut pas être retenu, contrairement à ce que soutient la CFA, que le risque d'un abandon de la parcelle 1______ par le recourant serait important.

f. En définitive, vu l'ensemble des circonstances particulières, dans la mesure où le recourant a rendu vraisemblable qu'il allait exploiter personnellement, le cas échéant avec l'aide de sa compagne, l'immeuble en cause (arrêt du Tribunal fédéral 4A_239/2019 précité consid. 2.2.1.1.1), l'intimée a abusé de son pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA) en refusant de délivrer l'autorisation d'acquérir sollicitée au motif que la condition de l'art. 63 al. 1
let. a LDFR (qui renvoie à l'art. 9 LDFR) ne serait pas remplie.

En conséquence, le recours sera partiellement admis, la décision querellée sera annulée et la cause sera renvoyée à la CFA afin qu'elle examine si les autres conditions légales posées pour l'acquisition en question sont réunies ou non, estime la valeur de rendement de la parcelle en cause, puis rende une nouvelle décision.

4) Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure lui sera allouée à concurrence de CHF 1'500.- (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 octobre 2018 par M. A______ contre la décision de la commission foncière agricole du 11 septembre 2018 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision de la commission foncière agricole du 11 septembre 2018 ;

renvoie la cause à la commission foncière agricole pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à M. A______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à la charge de l'État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Bruno Mégevand, avocat du recourant, à la commission foncière agricole, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Krauskopf,
M. Pagan, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :