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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3177/2018

ATA/1619/2019 du 05.11.2019 ( FPUBL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3177/2018-FPUBL ATA/1619/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 novembre 2019

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Mes Serge Fasel et Alexis Dubois-Ferrière, avocats

contre

CONSEIL D'ÉTAT

 



EN FAIT

1) Afin de protéger la sphère privée du recourant ainsi que des différentes personnes intervenues durant la procédure, les faits seront succinctement résumés comme suit :

2) En fin d'année 2017, Madame B______, ancienne élève du collège C______ (ci-après : le collège) où enseignait M. A______, nommé fonctionnaire, a dénoncé au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP) le comportement de celui-ci à son égard, qui avait été son maître durant trois ans. En 2013, après l'obtention de son diplôme de maturité (ci-après : le diplôme), l'intéressé lui avait envoyé, pendant deux mois, des messages de type « SMS/WhatsApp » à connotation sexuelle.

3) En décembre 2017, le directeur du collège a convoqué M. A______ a un entretien de service en relation avec ces faits, ainsi que d'autres qui avaient été portés à sa connaissance par la mère d'une ancienne élève, dont l'amie, Madame D______, alors qu'elle était l'élève de M. A______ en 2014-2015, avait également reçu des messages de même type de sa part ainsi qu'une vidéo le représentant nu sous la douche. Lors de l'entretien de service, M. A______ a reconnu ces deux complexes de faits.

4) Le lendemain de cet entretien, Madame E______ s'est ouverte au DIP au sujet du comportement adopté par M. A______ à son égard en 2015-2016 alors qu'elle n'était plus son élève mais restait scolarisée au collège, l'intéressé lui ayant envoyé des messages à connotation sexuelle.

5) S'en est ensuivie l'ouverture d'une procédure et d'une enquête administrative à l'encontre de Monsieur A______, lequel a fait l'objet d'une suspension provisoire avec suppression de toute prestation à la charge de l'État.

6) Lors de l'enquête administrative, plusieurs témoins ont été entendus, dont Mmes B______, D______ et E______, qui ont confirmé leurs précédents propos. Également entendu, M. A______ a admis avoir envoyé des messages à connotation sexuelle et/ou d'ordre intime aux jeunes femmes concernées.

7) Par arrêté du 25 juillet 2018, déclaré exécutoire nonobstant recours, le Conseil d'État a prononcé, en relation avec ces faits, la révocation de M. A______ avec effet immédiat, rétroactivement au jour de l'ouverture de l'enquête administrative à son encontre.

8) M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation et ne sollicitant l'administration d'aucune preuve.

9) Les griefs des parties et les motifs de la décision entreprise sont repris dans la partie en droit ci-après.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 65 al. 1 du règlement fixant le statut des membres du corps enseignant primaire, secondaire et tertiaire ne relevant pas des hautes écoles du 12 juin 2002 - RStCE - B 5 10.04).

2) Le litige porte sur la conformité au droit de l'arrêté du Conseil d'État du 25 juillet 2018 révoquant le recourant avec effet rétroactif au 7 février 2018, date de l'ouverture de l'enquête administrative à son encontre.

3) Le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA), ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. b LPA). Les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

4) a. Le fonctionnaire n'entretient pas seulement avec l'État qui l'a engagé et le rétribue les rapports d'un employé avec un employeur, mais, dans l'exercice du pouvoir public, il est tenu d'accomplir sa tâche de manière à contribuer au bon fonctionnement de l'administration et d'éviter ce qui pourrait nuire à la confiance que le public doit pouvoir lui accorder. Il lui incombe en particulier un devoir de fidélité qui s'exprime par une obligation de dignité. Cette obligation couvre tout ce qui est requis pour la correcte exécution de ses tâches (ATA/605/2011 du 27 septembre 2011 consid. 7 et les références citées).

b. À Genève, ces principes figurent notamment dans la législation applicable aux enseignants de la fonction publique (art. 1 al. 4 de la loi sur l'instruction publique du 17 septembre 2015 - LIP - C 1 10). À teneur de l'art. 123 LIP, les membres du personnel enseignant doivent observer dans leur attitude la dignité qui correspond aux missions, notamment d'éducation et d'instruction qui leur incombe (al. 1) ; ils sont tenus au respect de l'intérêt de l'État et doivent s'abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice (al. 2). Cette règle est reprise à l'art. 20 RStCE, qui prévoit qu'ils doivent observer dans leur attitude la dignité qui correspond aux responsabilités leur incombant, tandis que l'art. 21 RStCE rappelle qu'ils se doivent de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (al. 1), de même qu'assumer personnellement leur travail, ainsi que s'abstenir de toute occupation étrangère au service pendant les heures de travail (al. 3). Selon l'art. 13 al. 1 du règlement de l'enseignement secondaire II et tertiaire B du 29 juin 2016 (REST - C 1 10.31), le maître participe à l'instruction et à l'action éducative des élèves. Par ailleurs, l'art. 114 al. 1 LIP prévoit que, dans le cadre scolaire, chaque élève a droit à une protection particulière de son intégrité physique et psychique et au respect de sa dignité.

c. Le devoir de fidélité d'un enseignant ne s'arrête pas au comportement qu'il doit adopter à l'école, mais également à celui qu'il doit observer en dehors de celle-ci. En tant que membre du corps enseignant secondaire, il est chargé d'une mission d'éducation dont les objectifs sont énoncés aux art. 10 et 16 LIP. Son rôle est ainsi de contribuer au développement intellectuel, manuel et artistique des élèves, à leur éducation physique mais aussi à leur formation morale à une période sensible où les élèves passent de l'adolescence à l'état de jeune adulte. Dans ce cadre, l'enseignant constitue, à l'égard des étudiants, à la fois une référence et une image qui doivent être préservées. Il lui appartient donc, dès qu'il se trouve hors de sa sphère privée, d'adopter en tout temps un comportement auquel ceux-ci puissent s'identifier. À défaut, il détruirait la confiance que la collectivité - et en particulier les parents et les élèves - ont placée en lui. Ce devoir de fidélité embrasse l'ensemble des devoirs qui lui incombent dans l'exercice de ses activités professionnelles et extra-professionnelles. Dès que ses actes sont susceptibles d'interagir avec sa fonction d'éducateur, le devoir de fidélité impose à l'enseignant la circonspection et une obligation de renoncer, sauf à prendre le risque de violer ses obligations (ATA/585/2015 du 9 juin 2015 consid. 11 ; ATA/605/2011 précité consid. 8 et les références citées).

5) a. En vertu de l'art. 142 al. 1 LIP, les membres du personnel enseignant qui enfreignent leurs devoirs de service ou de fonction, soit intentionnellement, soit par négligence, peuvent faire l'objet des sanctions suivantes dans l'ordre croissant de gravité : prononcé par le supérieur hiérarchique, en accord avec la hiérarchie, le blâme (let. a) ; prononcées par le conseiller d'État en charge du département (let. b), la suspension d'augmentation de traitement pendant une durée déterminée (ch. 1) ou la réduction du traitement à l'intérieur de la classe de fonction (ch. 2) ; prononcés par le Conseil d'État à l'encontre d'un membre du personnel nommé (let. c), le transfert dans un autre emploi avec le traitement afférent à la nouvelle fonction, pour autant que le membre du personnel dispose des qualifications professionnelles et personnelles requises pour occuper le nouveau poste (ch. 1), ou la révocation, notamment en cas de violations incompatibles avec la mission éducative (ch. 2). Lorsqu'il prononce la révocation, le Conseil d'État peut stipuler que celle-ci déploie un effet immédiat si l'intérêt public le commande (al. 2).

b. Les rapports de service étant soumis au droit public, l'autorité qui inflige une sanction disciplinaire doit respecter les principes constitutionnels, en particulier ceux de la légalité, de l'égalité de traitement, de la proportionnalité et de l'interdiction de l'arbitraire. Ainsi, le choix de la nature et de la quotité de la sanction doit être approprié au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d'intérêt public recherchés. À cet égard, l'autorité doit tenir compte en premier lieu d'éléments objectifs, à savoir des conséquences que la faute a entraînées pour le bon fonctionnement de la profession en cause, et de facteurs subjectifs, tels que la gravité de la faute, ainsi que les mobiles et les antécédents de l'intéressé (ATA/1287/2019 du 27 août 2019 consid. 9a et les références citées). Elle doit tenir compte de l'intérêt de l'intéressé à poursuivre l'exercice de son métier, mais aussi veiller à l'intérêt public, en particulier la protection des élèves et le respect des valeurs pédagogiques de l'enseignement à Genève (ATA/605/2011 précité consid. 11 et les références citées).

c. La révocation disciplinaire, qui est la sanction la plus lourde prévue par la loi, implique une faute grave, soit une violation particulièrement grave d'un devoir de service (ATA/1287/2019 précité consid. 9b et les références citées). Cette mesure revêt l'aspect d'une peine et a un caractère plus ou moins infamant. Elle s'impose surtout dans les cas où le comportement de l'agent démontre qu'il n'est plus digne de rester en fonction (arrêt du Tribunal fédéral 8C_324/2017 du 22 février 2018 consid. 5.2.2 ; ATA/1476/2019 du 8 octobre 2019 consid. 7c).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, parmi les motifs propres à justifier une révocation disciplinaire, on peut mentionner, à titre d'exemple, la violation du secret de fonction dans un domaine sensible, l'abus des pouvoirs de la fonction, l'indication fausse des heures de travail ou des irrégularités dans le cadre de l'enregistrement du temps de travail, l'alcoolisme ou encore le vol (arrêt du Tribunal fédéral 8C_203/2010 du 1er mars 2011 consid. 3.5 et les références citées).

La chambre de céans a notamment confirmé la révocation : d'un huissier-chef ayant transmis des documents à des tiers non autorisés, omis de cadrer une subordonnée et adopté d'autres problèmes comportementaux (ATA/1287/2019 précité) ; d'un intervenant en protection de l'enfant ayant entretenu une relation intime avec la mère des enfants dont il était en charge (ATA/913/2019 du 21 mai 2019, actuellement pendant devant le Tribunal fédéral) ; d'un employé administratif au sein de la police ayant fait usage des outils informatiques mis à sa disposition pour son employeur pour satisfaire sa curiosité personnelle et transmettre des données confidentielles à des tiers (ATA/56/2019 du 22 janvier 2019, actuellement pendant devant le Tribunal fédéral) ; d'un fonctionnaire ayant dérobé de la nourriture dans les cuisines d'un établissement hospitalier (ATA/118/2016 du 9 février 2016) ; d'un policier ayant frappé un citoyen lors de son audition, alors que ce dernier était menotté et maîtrisé (ATA/446/2013 du 30 juillet 2013, confirmé par le Tribunal fédéral) ; d'un fonctionnaire ayant insulté, menacé et empoigné un collègue dans un cadre professionnel (ATA/531/2011 du 30 août 2011) ; d'un fonctionnaire ayant notamment entretenu des relations intimes avec des fonctionnaires du service (ATA/39/2010 du 26 janvier 2010, confirmé par le Tribunal fédéral) ; d'un fonctionnaire ayant fréquemment et régulièrement consulté des sites érotiques et pornographiques depuis son poste de travail, malgré une mise en garde préalable et nonobstant la qualité du travail accompli (ATA/618/2010 du 7 septembre 2010). Elle a également confirmé la révocation d'un enseignant qui avait ramené une prostituée à l'hôtel où logeaient ses élèves, lors d'un voyage de classe, organisé sur son lieu de travail et pendant ses heures de service une rencontre à caractère sexuel avec un jeune homme dont il n'avait pas vérifié l'âge réel et dont il ignorait l'activité, puis menacé ce dernier (ATA/605/2011 précité).

La chambre administrative a toutefois annulé la révocation en l'absence de violation des devoirs de service d'un fonctionnaire, pour lequel l'autorité d'engagement n'a pas pu établir qu'il s'était rendu coupable de faux, seul fait à la base de la décision (ATA/911/2015 du 8 septembre 2015), ou dans le cas d'une fonctionnaire au motif que l'autorité avait renoncé à statuer sur le plan disciplinaire pendant plus d'une année, laissant l'intéressée dans l'incertitude sur sa situation, ce qui allait à l'encontre des principes du droit disciplinaire (ATA/1235/2018 du 20 novembre 2018, confirmé par le Tribunal fédéral).

6) a. La procédure disciplinaire est régie aux art. 143 ss LIP. Avant le prononcé des mesures disciplinaires de la compétence du Conseil d'État, celui-ci a l'obligation d'ordonner l'ouverture d'une enquête administrative (art. 143 al. 2 LIP), dans le cadre de laquelle le fonctionnaire mis en cause doit pouvoir s'exprimer dans les trente jours suivant la communication du rapport (art. 143 al. 5 LIP).

b. L'art. 144 LIP prévoit en outre que dans l'attente du résultat d'une enquête administrative, le Conseil d'État peut suspendre provisoirement le membre du personnel auquel une faute, de nature à compromettre la confiance ou l'autorité qu'implique l'exercice de sa fonction, est reprochée (al. 1). La suspension provisoire peut entraîner la suppression de toute prestation à la charge de l'État (al. 3). À l'issue de l'enquête administrative, il est veillé à ce que l'intéressé ne subisse aucun préjudice réel ou autre que celui qui découle de la décision finale. La révocation pour violation des devoirs de service ou de fonction peut cependant agir rétroactivement au jour d'ouverture de l'enquête administrative (al. 4).

c. La responsabilité disciplinaire se prescrit par un an après la découverte de la violation des devoirs de service ou de fonction et en tout cas par cinq ans après la dernière violation. La prescription est suspendue, le cas échéant, pendant la durée de l'enquête administrative (art. 143 al. 7 LIP).

7) En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation, le pouvoir d'examen de la chambre de céans se limitant à l'excès ou à l'abus de celui-ci (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1287/2019 précité consid. 10a et les références citées).

8) En l'espèce, la décision de révocation, notifiée le 25 juillet 2018, soit moins d'un an après la découverte des faits, lesquels remontent à l'été 2013 et se sont prolongés jusqu'à l'année scolaire 2015-2016, respecte le délai de prescription, ce qui n'est du reste pas contesté.

Les dispositions procédurales prévues à l'art. 143 LIP ont également été respectées, dès lors qu'une enquête administrative a été ordonnée et que le recourant a pu s'exprimer par écrit sur le rapport d'enquête. L'enquêtrice a aussi entendu plusieurs témoins ainsi que le recourant, les parties ayant pu se déterminer tout au long de la procédure et verser au dossier toutes les pièces utiles, ce qui ressort du rapport d'enquête. En outre, rien n'indique l'existence d'un vice procédural en lien avec la prise de la décision litigieuse, qui contient un examen détaillé en fait et en droit de la cause, dans le cadre de laquelle trois départements ont été désignés co-rapporteurs, comme l'a indiqué l'intimé dans ses écritures.

Par ailleurs, malgré la demande du juge délégué, le recourant n'a pas sollicité son audition, étant précisé qu'en cas de sanction disciplinaire, la LIP ne prévoit pas de comparution personnelle des parties d'entrée de cause, contrairement à l'art. 32 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05).

9) Le recourant conteste l'existence d'une violation de ses devoirs de services en lien avec les messages envoyés à Mmes D______, E______ et B______, indiquant en substance que son comportement avait eu lieu dans un cadre privé et qu'il était librement consenti.

Il ressort du dossier que le recourant a envoyé un certain nombre de messages à connotation sexuelle aux trois jeunes femmes susmentionnées qui étaient, s'agissant des deux premières, alors scolarisées au collège et, pour la dernière, son ancienne élève, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté. Dès l'entretien de service, le recourant a ainsi admis avoir envoyé des messages intimes à Mme D______, laquelle répétait l'année de maturité et était son élève. Celle-ci a expliqué que le recourant avait commencé à lui envoyer des messages d'encouragement, qui s'étaient transformés en compliments sur son physique puis étaient devenus plus explicites, à connotation sexuelle. Il lui avait également envoyé une vidéo sur laquelle il se touchait le sexe, nu sous la douche, ce que le recourant ne conteste d'ailleurs pas. Ces déclarations ont été corroborées par Mme F______, l'amie de Mme D______, qui lui avait montré et parlé de ces messages et de cette vidéo. Entendu par l'enquêtrice, le recourant a également admis avoir envoyé des messages d'ordre intime à Mme E______, qui, bien qu'encore scolarisée au collège et répétant l'année de maturité, n'était alors plus son élève, la complimentant sur son physique et lui posant des questions d'ordre intime sur ses relations amoureuses. Lors de son audition, Mme E______ a précisé que le recourant lui avait d'abord envoyé des messages d'encouragement, qui avaient pris une tournure plus ambiguë par la suite, l'intéressé l'ayant complimenté sur son physique et lui ayant posé des questions sur ses relations avec des hommes plus âgés. S'agissant de Mme B______, le recourant a admis, dès l'entretien de service, lui avoir envoyé des messages à caractère sexuel après l'obtention de sa maturité, ces échanges ayant perduré tout l'été, ce que la jeune femme a confirmé.

Un tel comportement constitue sans conteste une violation du devoir de fidélité de l'enseignant, tel que rappelé par la jurisprudence, et dépasse le cadre de sa mission d'éducation. Le recourant ne saurait être suivi lorsqu'il allègue que ces messages étaient effectués dans un cadre privé, le soir et le week-end, s'agissant de Mmes D______ et E______. Il perd de vue que le devoir de fidélité de l'enseignant ne s'arrête pas au comportement qu'il doit adopter à l'école, mais se rapporte également à celui qu'il doit observer en dehors de celle-ci, sous peine de le vider de toute substance.

Il importe ainsi peu que les messages envoyés aux intéressées l'aient été en dehors des heures de travail et de cours ou que Mme E______ n'ait plus été son élève à ce moment-là, dès lors que cette dernière l'avait précédemment été, qu'elle le croisait quotidiennement au sein du collège, où elle était encore scolarisée, et qu'il continuait d'être une figure de référence pour elle. Il en va de même pour Mme B______, à l'égard de laquelle le comportement du recourant s'est modifié à peine sa maturité obtenue et s'est poursuivi durant l'été, après qu'il eut été son enseignant durant trois ans. L'intéressée a du reste expliqué qu'elle le percevait encore comme tel, raison pour laquelle elle avait ressenti un certain malaise lorsqu'elle avait reçu de sa part des messages à connotation sexuelle. Mmes D______ et E______ ont également évoqué l'existence d'un tel malaise et d'une situation embarrassante, au regard du rapport élève/enseignant dans lequel elles se trouvaient. Contrairement à ce que soutient le recourant, aucun élément ne permet de douter de la crédibilité des déclarations des trois jeunes femmes à ce propos, lesquelles ont livré, sous serment, un témoignage similaire, alors qu'elles n'étaient pas issues de la même volée. Du reste, quels que soient leurs opinions personnelles voire leur degré de militantisme féministe, ou encore le bénéfice secondaire qu'elles auraient pu retirer à relater des faits inexacts, ces derniers sont en grande partie admis par le recourant.

Le fait que les trois jeunes femmes aient été majeures au moment des faits ou qu'il se soit agi d'échanges librement consentis, comme l'allègue le recourant, ou du moins sans contrainte, n'y change rien, pas plus que le fait qu'elles aient ou non répondu aux messages de l'intéressé, dès lors que ce dernier, en sa qualité d'enseignant, n'avait pas à les complimenter sur leur physique, leur poser des questions sur leurs relations sentimentales, leur envoyer des messages à connotation sexuelle ni à plus forte raison de vidéo le représentant nu sous la douche. Même à admettre que les jeunes femmes aient alimenté les discussions avec le recourant, le devoir de fidélité de ce dernier lui commandait d'y mettre immédiatement un terme et de ne pas chercher à poursuivre ce type d'échanges, ce qu'il n'a toutefois pas fait. Le recourant ne peut pas non plus être suivi lorsqu'il affirme que les jeunes femmes pouvaient en tout temps mettre un terme à ces discussions, au regard des difficultés qu'elles ont évoquées à ce propos, en particulier Mmes D______ et E______, qui répétaient l'année de maturité et craignaient de se mettre en froid avec le recourant. S'il ressort certes de leurs déclarations que ce dernier, à leur demande, avait un temps arrêté de leur écrire, il a tout de même recommencé par la suite, ce qu'a également confirmé Mme B______.

Le comportement du recourant porte ainsi une grave atteinte à l'image que l'enseignant doit véhiculer envers les élèves, ce d'autant que des rumeurs circulaient au sein de l'établissement au sujet de la relation de proximité que le recourant pouvait entretenir avec certaines étudiantes, le témoin G______ ayant également relaté un cas similaire dont le recourant lui avait parlé. Contrairement à ce que soutient ce dernier, ce n'est pas le fait d'avoir envoyé des messages de type « SMS/WhatsApp » à ses élèves ou ancienne élève qui est problématique, mais le contenu inapproprié de ceux-ci, qui outrepasse tout cadre pédagogique, de sorte qu'il importe peu que l'utilisation de tels moyens de communication n'ait fait l'objet d'une réglementation qu'ultérieurement ou que les art. 123 LIP et 20 RStCE ne prévoient pas expressément un tel cas de figure.

Ces trois complexes de faits, tous retenus par l'enquêtrice dans la conclusion de son rapport du 31 mai 2018, constituent pour chacun d'entre eux une violation des obligations d'enseignant, qui fondaient par conséquent le Conseil d'État à prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre du recourant.

10) Encore convient-il de déterminer si le Conseil d'État pouvait, en relation avec ces faits, ordonner la révocation du recourant, ce que ce dernier conteste.

Contrairement à ce que le recourant allègue, sa faute ne saurait être considérée comme légère, voire nulle, au regard de la gravité des faits reprochés, qui se sont produits à trois reprises, entre 2013 et 2016. Ces faits, cumulés, sont graves et mettent en évidence un manque d'adéquation et une absence de limites dans sa relation avec ses élèves ou ancienne élève. Le fait que sa relation avec les intéressées se soit limitée à des échanges de messages ne saurait atténuer la gravité de sa faute, au regard de la situation particulière dans laquelle il se trouvait à l'égard des jeunes femmes et de la figure de référence qu'il représentait à leurs yeux, même après la fin de leur scolarité, étant précisé qu'il était particulièrement apprécié au sein du collège pour ses qualités pédagogiques, tant par ses collègues que par les élèves, comme l'ont expliqué les différents témoins entendus durant l'enquête. Au regard de ces éléments, les jeunes femmes ont en particulier indiqué s'être d'abord senties flattées par les messages du recourant et par le fait qu'il s'intéressait à elles. Puis, à mesure des discussions et de la tournure sexuelle que celles-ci prenaient, elles ont commencé à ressentir un malaise, auquel elles n'ont pas réussi à remédier en raison de la position d'enseignant du recourant, à tout le moins s'agissant de Mmes D______ et E______, ce qu'il ne pouvait ignorer, et du rapport de confiance qu'il avait tissé avec les jeunes femmes. De même, la répétition des comportements incriminés avec plusieurs élèves différentes, souligné par l'autorité intimée, démontre chez le recourant un problème répété d'attitude, et exclut de retenir une faute moindre due à un manquement isolé en lien avec une attirance inappropriée mais par hypothèse exclusive envers une seule personne.

La faute du recourant est ainsi grave et de nature à ébranler le rapport de confiance devant exister entre l'État et ses fonctionnaires, l'intéressé n'étant plus en mesure de remplir ses fonctions avec la distance et la dignité nécessaires. Dans ces circonstances, l'intimé n'a pas abusé de son large pouvoir d'appréciation et a respecté le principe de proportionnalité en choisissant de sanctionner le recourant par la plus lourde des mesures disciplinaires à sa disposition, quel que soit l'intérêt privé de celui-ci à conserver son poste et son absence d'antécédents. Aucune autre sanction ne pouvait ainsi être prononcée à son encontre, étant précisé que le transfert visé à l'art. 142 al. 1 let. c ch. 1 LIP n'aurait de toute façon pas pu être envisagée, dès lors qu'elle aurait eu pour seule conséquence de reporter dans un autre établissement d'enseignement les problèmes constatés dans la présente affaire. La volonté affichée par la conseillère d'État d'appliquer le principe de « tolérance zéro » dans le sillage de « l'affaire H______ » est sans incidence sur la présente affaire et n'ôte rien à la gravité des faits commis par le recourant, qui ne pouvait être sanctionné par une autre mesure que la révocation, étant précisé que la décision litigieuse a été prise par le Conseil d'État en tant qu'autorité collégiale.

Quant à la médiatisation de l'affaire à un stade précoce de son instruction, alimentée tant par les déclarations dans la presse et à la radio par certains témoins que par des fuites d'informations, qui ont été dénoncées au Ministère public, elle est certes regrettable. Sans nier les souffrances et la détresse psychologique endurées par le recourant de ce fait, elle ne saurait toutefois diminuer la gravité de la faute commise, s'agissant de faits s'étant déroulés antérieurement à l'éclatement de l'affaire.

11) Il s'ensuit que le recours sera rejeté. Vu son issue, les conclusions en indemnisation prises par le recourant deviennent sans objet. Malgré l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu, le recourant plaidant au bénéfice de l'assistance juridique (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera en outre allouée, vu l'issue du recours (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2018 par Monsieur A______ contre l'arrêté du Conseil d'État du 25 juillet 2018 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Mes Serge Fasel et Alexis Dubois-Ferrière, avocats du recourant, ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

C. Gutzwiller

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :