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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2468/2019

ATA/1595/2019 du 29.10.2019 ( EXPLOI ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2468/2019-EXPLOI ATA/1595/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 octobre 2019

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
et
B______

représentés par Me Philippe Girod, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR

 



EN FAIT

1) Le 30 octobre 2017, le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) a octroyé à Monsieur A______ une autorisation de vente à l'emporter des boissons fermentées (vin, bière, cidre) et distillées (liqueurs, eaux-de-vie, alocopos) dans le commerce à l'enseigne « B______ », sise ______, C______ à Genève.

2) Le 8 avril 2019, le PCTN a été informé de l'existence d'un rapport de police établi le 30 mars 2019, dont il ressortait que M. A______ avait enfreint la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121), notamment ses art. 19 et 19a.

Selon ledit rapport, la police avait retrouvé, la veille, dans les locaux précités 360.9 gr. de haschich et 1'140.1 gr. de marijuana, des sacs contenant du matériel de culture (tente démontée, piquets, lampes et pots), des sachets de conditionnement et une balance. La perquisition effectuée au domicile de M. A______ avait conduit à la saisie de 16.3 gr. de marijuana.

Lors de son audition le 30 mars 2019 par la police, M. A______ a reconnu consommer des stupéfiants et en détenir dans son commerce et à son domicile.

3) Par courrier du 6 mai 2019, le PCTN a avisé M. A______ que si son commerce devait à nouveau violer ses obligations au regard de la loi sur la vente à l'emporter des boissons alcooliques du 22 janvier 2004 (LVEBA - I 2 24), une mesure pourrait être prise à son encontre. En outre, en cas de condamnation pour les faits constatés le 29 mars 2019 par les services de police, le PCTN révoquerait l'autorisation de vente à l'emporter de boissons alcooliques.

4) M. A______ a été condamné, par ordonnance pénale du 30 mars 2019 du Ministère public, à une peine pécuniaire de cent vingt-cinq jours-amende à CHF 100.- avec sursis pendant trois ans et à deux amendes de CHF 2'500.- chacune, pour avoir détenu et entreposé pour le compte d'autrui, entre novembre 2018 et mars 2019, du haschich et de la marijuana, étant retenu qu'il détenait 360.9 gr de haschisch et 1'140.1 gr. de marijuana dans son commerce. Il était également constaté qu'il avait détenu 16.3 gr. de marijuana à son domicile et en fumait régulièrement. La condamnation retenait les infractions aux art. 19 al. 1 let. b et d et art. 19a LStup.

Selon son casier judiciaire, il avait été condamné le 10 juin 2015 pour conduite en état d'ébriété à vingt-cinq jours-amende.

Cette ordonnance n'a pas été contestée.

5) Invité à se déterminer par le PCTN qui entendait prononcer la caducité de l'autorisation de vente à l'emporter de boissons alcooliques, M. A______ a, par courrier du 17 mai 2019, admis les infractions faisant l'objet de sa condamnation. Il a présenté ses excuses et demandé que son autorisation ne soit pas rendue caduque, voire qu'elle se limite à la vente d'alcool distillé.

6) Par décision du 28 mai 2019, déclarée exécutoire nonobstant recours, le PCTN a prononcé la caducité de l'autorisation en question, au motif que les conditions posées par l'art. 6 let. c LVEBA n'étaient plus réalisées. Le prononcé d'une éventuelle sanction était réservé.

7) Par acte expédié le 28 juin 2019 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. A______ a recouru contre cette décision, dont il a demandé l'annulation.

Le revenu de son commerce, d'environ CHF 6'000.- par mois, constituait le revenu unique de la famille, composée de lui-même, son épouse et leurs deux filles mineures. S'étant déjà conformé à la décision attaquée, il avait constaté que son chiffre d'affaires avait depuis baissé de 20 % à 30 %.

Il ne contestait pas sa condamnation pénale, mais précisait qu'il avait détenu les stupéfiants pour sa consommation personnelle. Il n'avait jamais rencontré de problème dans l'exploitation de son commerce. Le PCTN n'avait pas pris en considération qu'il avait été condamné et que le sursis prononcé constituait une garantie du respect des règles par ses soins. Par ailleurs, le PCTN n'avait pas procédé à une pesée des intérêts pour savoir s'il remplissait les conditions personnelles. Cette autorité n'avait pas non plus examiné s'il existait une sanction moins lourde, en sus de l'avertissement déjà prononcé.

8) Le PCTN ayant acquiescé à la requête de restitution de l'effet suspensif, celui-ci a été accordé par décision du 5 juillet 2019.

9) Le PCTN a conclu au rejet du recours.

10) Dans sa réplique, le recourant a exposé qu'il travaillait dans le commerce depuis quinze ans et l'avait repris de sa mère en 2014, sans qu'aucune violation de la loi ne lui ait jamais été reprochée. Il n'avait pas participé à un trafic de stupéfiants. Les stupéfiants trouvés par la police se trouvaient dans la cuisine du commerce, à l'arrière de l'établissement, soit un endroit auquel les clients n'avaient pas accès. Il n'y avait aucun lien entre sa condamnation pénale et la vente à l'emporter de boissons alcoolisées. Le PCTN avait violé le principe de la proportionnalité en n'examinant pas s'il existait une mesure moins incisive que la caducité de l'autorisation en question.

11) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Est litigieux le bien-fondé de la décision prononçant la caducité de l'autorisation de vente à l'emporter de boissons alcooliques.

a. La LVEBA, qui régit la vente à l'emporter de boissons alcooliques, a pour but d'assurer qu'aucun établissement qui lui est soumis ne soit susceptible de troubler l'ordre public, en particulier la tranquillité et la santé publiques, du fait de son propriétaire ou de son exploitant, ainsi qu'en raison de sa construction, de son aménagement et de son implantation, une autorisation ne pouvant être délivrée que si ce but est susceptible d'être atteint (art. 1 LVEBA).

Selon l'art. 5 LVEBA, la vente à l'emporter de boissons alcooliques est soumise à l'obtention préalable d'une autorisation, cette autorisation devant être requise lors de chaque création ou reprise d'un commerce existant (al. 1 et 2). Lorsque les conditions de son octroi ne sont plus remplies, sa caducité doit être constatée par décision (art. 9 al. 2 LVEBA). Le titulaire d'une autorisation est notamment tenu d'exploiter son commerce de manière à ne pas engendrer d'inconvénients graves ni de troubles de l'ordre public, tant à l'intérieur du commerce que dans ses environs immédiats (art. 10 al. 3 LVEBA).

Au titre des conditions personnelles, l'art. 6 LVEBA prévoit que l'autorisation est délivrée à condition que le requérant soit de nationalité suisse, au bénéfice d'un permis d'établissement ou visé par un accord d'établissement (let. a), ait l'exercice des droits civils (let. b), offre, par ses antécédents et son comportement, toute garantie que l'établissement soit exploité conformément aux dispositions de la loi et aux prescriptions en matière de police des étrangers, de sécurité sociale et de droit du travail (let. c) et dispose des locaux nécessaires (let. d).

La condition posée par la let. c a trait à la notion d'honorabilité, qui se retrouve dans d'autres textes légaux genevois, en particulier la loi concernant le concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (CES - I 2 14) et la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22), qui implique avant tout de déterminer si le comportement de la personne exerçant ou voulant exercer une activité soumise à autorisation est compatible avec ladite activité (ATA/318/2019 du 26 mars 2019 consid. 2c ; ATA/498/2018 du 22 mai 2018 consid. 4 c).

b. La chambre administrative s'est prononcée à plusieurs reprises sur la condition d'honorabilité.

Celle-ci n'était pas réalisée lorsque l'exploitant avait été condamné à une peine d'emprisonnement d'une durée de trois mois, avec sursis pendant trois ans, pour des actes d'ordre sexuel commis dans son propre établissement public (ATA/377/2000 du 6 juin 2000), lorsqu'il s'était vu reprocher le développement d'un trafic de produits stupéfiants dans lequel il avait servi d'intermédiaire (ATA/294/2001 du 8 mai 2001), lorsqu'il avait été condamné pour deux escroqueries à une assurance sociale à quatre mois d'emprisonnement avec sursis pendant cinq ans (ATA/369/2001 du 29 mai 2001), ou avait fait l'objet d'une condamnation à deux mois d'emprisonnement avec sursis pendant trois ans pour abus de confiance, vol au préjudice de son employeur et d'une collègue et induction de la justice en erreur (ATA/733/2004 du 21 septembre 2004). Il en allait de même de la personne qui avait été condamnée pour usure (ATA/957/2014 du 2 décembre 2014) et de celle condamnée pour violation des règles de la circulation routière alors qu'elle était dans l'incapacité de conduire un véhicule automobile, puis une seconde fois pour complicité de faux dans les titres (ATA/599/2014 et ATA/600/2014 du 29 juillet 2014).

À l'inverse, la chambre administrative a considéré que l'autorité avait abusé de son pouvoir d'appréciation en considérant que l'exploitant, condamné pour avoir employé dix personnes sans autorisation de travail valable en Suisse, pour des périodes comprises entre deux mois et cinq ans et demi, ne présentait pas les garanties suffisantes en matière d'honorabilité, en l'absence d'autre condamnation pénale (ATA/1349/2017 du 3 octobre 2017). Elle est arrivée à une conclusion similaire dans le cas d'un exploitant condamné à deux reprises, en 2013 et 2015, pour emploi d'étrangers sans autorisation, respectivement à une peine pécuniaire de nonante jours-amende à CHF 60.- le jour avec sursis durant trois ans, ainsi qu'à une amende de CHF 1'200.-, et à une peine pécuniaire de cent-vingt jours-amende à CHF 50.- le jour (ATA/209/2018 du 6 mars 2018). Elle a également conclu dans ce sens dans le cas d'un exploitant condamné en 2014 et 2015, pour conduite en état d'ébriété avec un taux d'alcoolémie qualifié dans le sang et pour emploi d'étrangers sans autorisation. La chambre de céans a toutefois précisé dans ce cas que toute récidive entraînerait la révocation ou le non-renouvellement des autorisations d'exploitation (ATA/1409/2017 du 17 octobre 2017 consid. 7b).

c. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

d. En l'espèce, le recourant indique exploiter à titre personnel son commerce depuis 2014. Il n'est au bénéfice de l'autorisation de vente à l'emporter de boissons alcooliques que depuis le 30 octobre 2017. À teneur du dossier, il n'a pas été sanctionné par le PCTN avant les faits ayant donné lieu à l'avertissement notifié en mai 2019.

Contrairement à ce que soutient le recourant, sa condamnation du 30 mars 2019 ne porte pas que sur sa propre consommation de marijuana et n'est pas sans rapport avec sa sphère professionnelle. La condamnation concerne également la détention et l'entreposage de haschisch et de marijuana, pour le compte d'autrui. Par ailleurs, la plus grande partie des stupéfiants saisis par la police, à savoir plus de 1 kg de marijuana et 360 gr. de haschisch, a été trouvée non pas au domicile, mais dans le commerce du recourant.

Il ne fait aucun doute que le fait d'utiliser ses locaux commerciaux pour y entreposer et détenir des produits interdits contrevienne à l'ordre public.

Cela étant, la drogue n'était pas visible pour les clients ; elle était entreposée dans la cuisine du commerce, à l'arrière de l'établissement. Par ailleurs, la condamnation en juin 2015 pour conduite en état d'ébriété est sans lien avec son activité commerciale. Enfin, le PCTN a sanctionné d'un avertissement le recourant du fait de la détention de stupéfiants dans son commerce.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de retenir que, si la confiance que le PCTN peut placer dans le fait que le recourant présente les garanties suffisantes pour exploiter son commerce en y vendant de l'alcool conformément à la LVEBA a été ébranlée, les antécédents du recourant et les faits à l'origine de sa condamnation pénale du 30 mars 2019 ne permettent pas de considérer que de telles garanties seraient insuffisantes.

La décision querellée sera ainsi annulée. L'attention du recourant est néanmoins attirée sur le fait que tout nouveau comportement de sa part contraire à l'ordre public est susceptible de justifier le retrait de son autorisation LVEBA.

Pour le surplus, la question de savoir si le prononcé d'une sanction se justifie ou pas ne fait pas l'objet de la présente procédure, contrairement à ce que laisse entendre le recourant.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

3) Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument et le recourant se voit allouer une indemnité de procédure de CHF 800.-, à la charge de l'État de Genève (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 juin 2019 par Monsieur A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 28 mai 2019 ;

au fond :

l'admet et annule la décision précitée ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 800.- à Monsieur A______, à la charge de l'État de Genève;

que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Philippe Girod, avocat des recourants, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, Mmes Payot Zen-Ruffinen et Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S Hüsler-Enz

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :