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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2371/2018

ATA/1499/2019 du 08.10.2019 sur JTAPI/857/2018 ( ICCIFD ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2371/2018-ICCIFD ATA/1499/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 octobre 2019

4ème section

 

dans la cause

 

Madame et Monsieur A______,
représentés par Me Emmanuel Leibenson, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 septembre 2018 (JTAPI/857/2018)


EN FAIT

1) Par six décisions du 4 juin 2018, l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a rejeté les trois réclamations formées par Madame et Monsieur A______ (ci-après: les époux A______) au sujet, respectivement, de leurs taxations fiscales 2012, 2013 et 2014.

2) Par actes postés le 4 juillet 2018 et adressés au Tribunal de première instance, les époux A______ ont interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre les décisions précitées, concluant principalement à leur annulation et à ce qu'il soit dit que le fonds de commerce devait être amorti sur une durée de cinq ans conformément à la durée de vie de cet actif en 2012. Les trois recours ont été enregistrés sous numéros de cause A/2371/2018 (année 2012), A/2373/2018 (année 2013) et A/2374/2018 (année 2014). Dans les deux dernières causes, il était également conclu à la suspension de l'instance jusqu'à droit connu sur le recours concernant l'année 2012.

3) Par plis recommandé du 12 juillet 2018, le TAPI a imparti aux époux A______ un délai au 13 août 2018 pour procéder au paiement de CHF 700.- (pour la cause n° A/2371/2018) et CHF 150.- (causes nos A/2373/2018 et A/2374/2018) à titre d'avance de frais, sous peine d'irrecevabilité de leur recours.

Selon le suivi des envois de la Poste, des avis leur ont été remis le 12 juillet 2018, avec la mention qu'ils avaient jusqu'au 20 juillet 2018 pour retirer ces envois au guichet.

4) Les plis ont été retournés par la Poste au TAPI avec la mention « non réclamé ».

5) Le 26 juillet 2018, l'AFC-GE a écrit au TAPI dans les causes nos A/2373/2018 et A/2374/2018. Elle était d'accord de suspendre lesdites causes conformément à la demande des contribuables dans leurs recours du 4 juillet 2018.

6) Le 4 septembre 2018, l'AFC-GE a écrit au TAPI dans la cause n° A/2371/2018. Elle sollicitait, d'entente avec les époux A______, la suspension de l'instance au sens de l'art. 78 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

7) Par jugements du 10 septembre 2018, le TAPI a déclaré les recours irrecevables.

L'avance de frais n'avait pas été payée, rien ne permettant de retenir que les époux A______ avaient été victimes d'un empêchement non fautif de s'acquitter en temps utile du montant réclamé.

8) Par actes postés le 18 octobre 2018, les époux A______ ont interjeté trois recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre les jugements précités, concluant préalablement à la jonction des trois causes et principalement à l'annulation des jugements attaqués.

Dans les causes nos A/2373/2018 et A/2374/2018, ils avaient conclu à la suspension des procédures, et la direction des affaires juridiques de l'AFC-GE avait informé le TAPI le 26 juillet 2018 de son accord en vue de la suspension desdites procédures. Ces courriers avaient été reçus par le TAPI le jour même.

Dans la cause n° A/2371/2018, le TAPI avait reçu la demande de suspension de l'AFC-GE le 5 septembre 2018, mais ne l'avait pas pris en compte et avait prononcé le 10 septembre 2018 le jugement attaqué.

Le TAPI avait ainsi fait preuve de formalisme excessif. Il aurait dû soit suspendre la procédure conformément à l'art. 78 let. a LPA, soit prolonger le délai pour effectuer l'avance de frais, en les informant de la position de l'AFC-GE. En suspendant la procédure, le TAPI n'aurait pas eu besoin d'instruire le recours, n'engendrant ainsi aucuns frais, de sorte que l'avance de ceux-ci devenait à ce stade inutile.

En outre, selon l'art. 78 let. a LPA, la suspension de la procédure était impérative et automatique dans le cas d'une demande commune des parties.

Le TAPI avait également violé leur droit d'être entendu en ne leur transmettant pas le courrier du 4 septembre 2018 et en ne leur laissant pas la possibilité de se déterminer sur ce courrier avant de rendre son jugement.

Enfin, le délai de paiement de l'avance de frais n'était pas suffisant au sens de l'art. 86 al. 1 LPA, car une fois décompté le délai de garde il ne leur laissait que vingt-quatre jours nets pour s'exécuter, alors même que la plus grande partie du délai fixé courait pendant les suspensions estivales.

9) Le 23 novembre 2018, l'AFC-GE s'en est rapportée à justice sur le sort à donner au recours, précisant néanmoins que les époux A______ étaient assistés durant la procédure devant le TAPI par un mandataire professionnellement qualifié ne pouvant ignorer les règles procédurales sur l'avance de frais.

10) Le 7 décembre 2018, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 11 janvier 2019 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

11) Le 8 janvier 2019, l'AFC-GE a indiqué n'avoir ni requêtes ni observations complémentaires à formuler.

12) Les époux A______ ne se sont quant à eux pas manifestés.

EN DROIT

1) a. Selon l'art. 70 al. 1 LPA, l'autorité peut, d'office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune.

b. En l'espèce, les recours sont dirigés contre des décisions identiques du TAPI, les procédures à leur origine se rapportent au même complexe de faits, les parties, motifs et conclusions des trois recours sont les mêmes, et les trois dossiers contiennent les mêmes pièces.

Vu la connexité entre les questions juridiques litigieuses, les trois procédures seront jointes sous le numéro de cause A/2371/2018.

2) Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

3) a. L'exigence de l'avance de frais et les conséquences juridiques en cas de non-paiement de celle-ci relèvent du droit de procédure cantonal. Par conséquent, les cantons sont libres, dans le respect des garanties constitutionnelles, d'organiser cette matière à leur guise (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1022/2012 du 25 mars 2013 consid. 5.1 ; ATA/1425/2019 du 24 septembre 2019 consid. 2a).

b. Selon l'art. 86 LPA, la juridiction saisie invite le recourant à payer une avance de frais destinée à couvrir les frais et émoluments de procédure présumables. À cette fin, elle lui fixe un délai suffisant (al. 1). Si l'avance de frais n'est pas faite dans le délai imparti, la juridiction déclare le recours irrecevable (al. 2).

c. Aux termes de l'art. 16 LPA, un délai fixé par la loi ne peut être prolongé ; les cas de force majeure sont réservés (al. 1) ; le délai imparti par l'autorité peut être prolongé pour des motifs fondés si la partie en fait la demande avant son expiration (al. 2) ; la restitution pour inobservation d'un délai imparti par l'autorité peut être accordée si le requérant ou son mandataire a été empêché sans sa faute d'agir dans le délai fixé ; la demande motivée doit être présentée dans les dix jours à compter de celui où l'empêchement a cessé (al. 3).

d. À rigueur de texte, l'art. 86 LPA ne laisse aucune place à des circonstances extraordinaires qui justifieraient que l'avance de frais n'intervienne pas dans le délai imparti (ATA/216/2018 du 6 mars 2018 consid. 3a). Toutefois, selon la jurisprudence, il convient d'appliquer par analogie la notion de cas de force majeure de l'art. 16 al. 1 LPA afin d'examiner si l'intéressé a été empêché sans sa faute de verser l'avance de frais dans le délai fixé (ATA/636/2017 du 6 juin 2017 consid. 4b et les références citées). Tombent sous cette notion les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d'activité de l'intéressé et qui s'imposent à lui de façon irrésistible (ATA/1262/2017 du 5 septembre 2017 consid. 4 et les références citées).

e. Le formalisme excessif, prohibé par l'art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (ATF 135 I 6 consid. 2.1 ; 134 II 244 consid. 2.4.2 ; 130 V 177 consid. 5.4.1 ; 128 II 139 consid. 2a ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_734/2012 du 25 mars 2013 consid. 3.1 ; 2C_133/2009 du 24 juillet 2009 consid. 2.1 ; ATA/617/2017 du 30 mai 2017 consid. 5a).

De manière générale, la sanction du non-respect d'un délai de procédure n'est pas constitutive de formalisme excessif, une stricte application des règles relatives aux délais étant justifiée par des motifs d'égalité de traitement et par un intérêt public lié à une bonne administration de la justice et à la sécurité du droit (ATF 104 Ia 4 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_86/2010 du 4 octobre 2010 consid. 3.3).

Il n'y a pas de rigueur excessive à ne pas entrer en matière sur un recours lorsque, conformément au droit de procédure applicable, la recevabilité de celui-ci est subordonnée au versement d'une avance de frais dans un délai déterminé. Il faut cependant que son auteur ait été averti de façon appropriée du montant à verser, du délai imparti pour le paiement et des conséquences de l'inobservation de ce délai (ATF 104 Ia 105 consid. 5 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_734/2012 précité consid. 3.1 ; 2C_645/2008 du 24 juin 2009 consid. 2.2 ; 2C_250/2009 du 2 juin 2009 consid. 5.1). La gravité des conséquences d'un retard dans le paiement de l'avance sur la situation du recourant n'est pas pertinente (arrêts du Tribunal fédéral 2C_703/2009 du 21 septembre 2010 consid. 4.4.2 ; 2C_645/2008 précité consid. 2.2 ; 2C_450/2008 du 1er juillet 2008 consid. 2.3.4).

Enfin, de jurisprudence constante, celui qui se sait partie à une procédure judiciaire doit s'attendre à recevoir des actes du juge, de sorte qu'il est tenu de relever son courrier ou, s'il s'absente de son domicile, de prendre des dispositions pour que celui-ci lui parvienne néanmoins (ATF 139 IV 228 consid. 1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_285/2019 du 28 août 2019).

4) En l'espèce, les recourants n'ont pas retiré le pli recommandé leur demandant de verser l'avance de frais au TAPI, et ne s'en sont par la suite pas acquittés. Dans la mesure où les recourants, pas plus que leur mandataire - dont les actes leur sont opposables (arrêt du Tribunal fédéral 2C_177/2019 du 22 juillet 2019 consid. 4.2.2) - n'ont pas été chercher le pli recommandé de demande d'avance de frais, ils n'auraient pas été en mesure de s'acquitter de leur dû même en se voyant octroyer un délai plus long. Quoi qu'il en soit, le délai d'un mois qui leur a été fixé, quand bien même il courait pendant les suspensions estivales, était suffisant et tout à fait conforme à la pratique en la matière. De plus, dès lors qu'ils venaient d'adresser un recours au TAPI, les recourants devaient s'attendre à recevoir de la correspondance à ce sujet, conformément à la jurisprudence fédérale précitée.

Par ailleurs, le montant de l'avance demandée et le délai étaient clairement spécifiés, de même que la conséquence attachée au non-respect dudit délai.

Le jugement attaqué ne consacre dès lors pas de formalisme excessif.

5) Les recourants font valoir, sans se référer à un cas de force majeure, des éléments qui auraient dû selon eux inciter le TAPI à ne pas rendre un jugement d'irrecevabilité, et la chambre de céans à leur restituer le délai de règlement de l'avance de frais, en particulier le courrier reçu le 5 septembre 2018 émanant de l'AFC-GE et sollicitant la suspension de l'instance.

Ils perdent ce faisant de vue que la suspension de l'instance n'entretient aucun lien procédural avec le paiement de l'avance de frais. Ce dernier constitue une condition de recevabilité du recours, et lorsqu'une condition de recevabilité n'est manifestement pas remplie, comme c'était le cas en l'espèce, il n'y a aucun obstacle légal à ce qu'il soit déclaré irrecevable sans instruction préalable (art. 72 LPA), donc sans avoir besoin le cas échéant de soumettre une quelconque pièce en vertu du droit d'être entendu. Du reste, à suivre les recourants, un recours déposé tardivement - le respect du délai de recours étant, à l'instar du paiement de l'avance de frais, une condition de recevabilité - devrait aussi voir son instruction suspendue si les parties en faisaient la demande conjointe, ce qui est évidemment inconcevable. Il n'y a ainsi en l'espèce eu violation ni de l'art. 78 LPA, ni du droit d'être entendu du fait du prononcé du jugement querellé.

Dans ces circonstances et conformément à la jurisprudence citée plus haut, le recours sera rejeté.

6) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 600.- sera mis à la charge des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

préalablement :

ordonne la jonction des causes nos A/2371/2018, A/2373/2018 et A/2374/2018 sous le numéro de cause A/2371/2018 ;

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés le 18 octobre 2018 par Madame et Monsieur A______ contre les jugements du Tribunal administratif de première instance du 10 septembre 2018 ;

au fond :

les rejette ;

met à la charge solidaire de Madame et Monsieur A______ un émolument de CHF 600.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Emmanuel Leibenson, avocat des recourants, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme Cuendet, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :