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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3058/2019

ATA/1514/2019 du 14.10.2019 ( EXPLOI ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3058/2019-EXPLOI ATA/1514/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 14 octobre 2019

sur effet suspensif et sur mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

A______
représentée par la Fédération des entreprises romandes

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL

 



 

Vu en fait que :

1) Par décision du 29 décembre 2018, l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) a

1. refusé de délivrer à l'entreprise A______ (ci-après : l'entreprise) l'attestation visée à l'art. 25 de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT - J 1 05) pour une durée de deux ans à compter de la notification de la décision ;

2. dit que la décision était exécutoire nonobstant recours ;

3. fixé un émolument de CHF 100.- en application de l'art. 42 LIRT et 66A du règlement d'application de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 23 février 2005 (RIRT - J 1 05.01), mis à la charge de l'entreprise ;

4. réservé les procédures de contrôle et de mise en conformité au droit public.

L'OCIRT reprochait à l'entreprise de ne pas avoir respecté son obligation de que respecter les usages de la métallurgie du bâtiment comme elle s'y était engagée en mai 2017 au moment de solliciter, puis d'obtenir, un soutien de la Fédération d'aide aux entreprises (ci-après : FAE). Les activités déployées par la société avaient été délicates à définir. Plusieurs employés avaient été entendus. Il ressortait toutefois de l'instruction du dossier que les activités de la société étaient soumises, respectivement, aux usages de la métallurgie du bâtiment, du gros oeuvre et du nettoyage. La société avait plusieurs fois modifié sa position, y compris en admettant la soumission d'un de ses travailleurs aux usages de la métallurgie du bâtiment avant de revenir sur ses déclarations. La société n'avait pas fourni l'entier des renseignements et/ou documents sollicités par l'OCIRT et nécessaires à prouver les allégations de l'entreprise. Malgré plusieurs demandes et nombreux reports à la demande de la société, une partie des documents demandés n'avait pas été transmise à l'OCIRT, conformément aux exigences qu'il avait posées. Avant la décision, la société avait fait l'objet d'un avertissement.

Le nom de l'entreprise figurerait dorénavant sur la liste publiquement accessible des entreprises ayant été sanctionnées par l'OCIRT.

2) Le 22 août 2019, l'entreprise a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d'un recours contre la décision précitée.

Elle a conclu à l'annulation de la décision du 19 juin 2019 et au constat que seuls les usages « non définis » lui étaient applicables. Préalablement, l'effet suspensif devait être accordé au recours en ce qui concernait les chiffres 3 et 4 du dispositif de la décision ainsi qu'en ce qui concernait la publication de son nom sur la liste publiquement accessible des entreprises ayant été sanctionnées. Il devait être ordonné à l'OCIRT de retirer sans délai son nom sur ladite liste. La recourante sollicitait par ailleurs l'audition des parties et de témoins.

Si une sanction devait être prononcée à la suite d'un contrôle effectué en application du ch. 4 de la décision, outre qu'il pourrait être considéré qu'il s'agirait d'une récidive, la société serait contrainte de former recours, ce qui pourrait lui causer un dommage économique important.

La publication du nom de la recourante sur la liste des entreprises en infraction portait atteinte à son image avant même d'avoir pu recourir contre la décision querellée. Cela pouvait avoir pour conséquence un manque à gagner important et très difficile à chiffrer si elle venait à obtenir gain de cause dans la procédure. Il s'agirait de facto d'un dommage irréparable. Une connaissance professionnelle des représentants de l'entreprise avait déjà interrogé la société au sujet de la publication de son nom sur cette liste.

Au fond, l'activité de l'entreprise n'entrait pas dans les champs d'application d'un usage sectoriel en vigueur. Elle avait demandé à pouvoir signer un engagement à respecter les usages dans le cadre des démarches de demandes de soutien à la FAE. L'OCIRT lui avait fait parvenir le formulaire « engagement à respecter les usages » sans qu'aucun usage ne soit défini. Le formulaire en question mentionnait que la catégorie « usage » était un champ à remplir par l'office. Afin d'agir de bonne foi, la recourante avait signé ces usages non définis en avril 2018. Si réellement les usages de la métallurgie du bâtiment, du gros oeuvre et du nettoyage devaient être applicables à l'entreprise, le fait que l'office ne les ait pas indiqués à l'époque n'était pas compréhensible. L'OCIRT aurait pu s'entretenir avec la recourante avant même de lui transmettre le formulaire en question. Le contrôle de l'OCIRT aurait donc dû porter sur le respect par la recourante des dispositions de droit public et les règles impératives de droit privé figurant dans le code des obligations. L'office avait violé la loi et abusé de son pouvoir d'appréciation en la sanctionnant pour une violation des différents usages non applicables.

Le principe d'unité des usages avait aussi été violé. La taille de la société, à savoir une dizaine d'employés, en faisait une entreprise mixte, trop petite pour être divisée en secteur et donc pouvoir déroger au principe d'unité des usages.

3) L'OCIRT a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif et de mesures provisionnelles.

La recourante sollicitait des mesures provisionnelles relatives à la publication de son nom sur la liste publiquement accessible des entreprises. Outre que les éléments allégués par l'entreprise n'étaient en aucun cas prouvés, elle n'alléguait pas avoir eu des cas d'annulations par des clients. Elle n'était pas active sur un marché public, de sorte qu'il y avait lieu de relativiser les conséquences de son inscription sur la liste publique concernée. L'inscription sur la liste était une conséquence, en principe automatique, d'une infraction au sens de l'art. 26A LIRT ainsi que des mesures prévues à l'art. 45 al. 1 LIRT (art. 45
al. 3 LIRT). Cette liste était établie à l'attention des autorités adjudicatrices principalement. Il s'agissait de garantir des marchés publics exempts de sous-enchères salariales ou sociales. La liste était régulièrement mise à jour et le nom d'une entreprise supprimée de la liste à l'échéance de la décision, respectivement des reconsidération ou annulation de cette dernière. Une telle mesure était également prévue sur le plan fédéral dans différentes lois.

4) La recourante a exercé, sur effet suspensif, son droit à la réplique, persistant dans les termes de ses conclusions initiales.

5) Sur quoi, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

 

Considérant en droit :

1) Interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente, le recours est, prima facie, recevable sous ces angles (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Les décisions sur effet suspensif ou sur mesures provisionnelles sont prises par la présidente de la chambre administrative, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d'empêchement de celles-ci, par un juge (art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 17 septembre 2017 ; ci-après : le règlement).

3) Sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (art. 66 al. 1 LPA).

4) Lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (art. 66 al. 3 LPA). Cela vaut également lorsque l'effet suspensif est retiré ex lege, l'ordonnance procédurale valant décision incidente ressortant des effets ex tunc (Cléa BOUCHAT, l'effet suspensif en procédure administrative, 2015, p. 94 n. 251).

5) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, les mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif - ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis, et ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu'aboutir abusivement à rendre d'emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/176/2017 du 10 février 2017 ; ATA/884/2016 du 10 octobre 2016 consid. 1 ; ATA/658/2016 du 28 juillet 2016 consid. 1). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

Leur prononcé présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405). Toutefois, elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif, ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu'aboutir abusivement à rendre d'emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités ; Cléa BOUCHAT, op. cit., p. 105 n. 280).

6) a. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

b. Pour effectuer la pesée des intérêts en présence, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

7) Toute entreprise soumise au respect des usages en vertu d'une disposition légale, règlementaire ou conventionnelle doit en principe signer un engagement de respecter les usages auprès de l'OCIRT, autorité compétente en vertu des art. 23 et 26 al. 1 LIRT, pour exercer le contrôle par ces entreprises du respect des usages pour le compte du département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (ci-après : DSES). Dans ce cadre, l'OCIRT délivre à l'entreprise une attestation, laquelle est de durée limitée (art. 25 al. 1 LIRT), soit trois mois (art. 40 al. 1 RIRT). L'engagement vaut pour l'ensemble du personnel concerné
(art. 25 al. 2 LIRT).

Les entreprises en infraction aux usages font l'objet des sanctions prévues à l'art. 45 LIRT (art. 26A LIRT).

La sanction d'une violation de l'obligation de collaborer dans le délai imparti, notamment suite au prononcé d'un avertissement au sens de l'art. 42A RIRT, est le refus de délivrer l'attestation à l'employeur. En cas d'avertissement, au sens de la disposition précitée, s'il n'est pas donné suite dans les délais à la demande de l'OCIRT, celui-ci prononce les sanctions prévues à l'art. 45 al. 1 LIRT.

8) À teneur de l'art. 45 al. 1 LIRT, lorsqu'une entreprise visée par l'art. 25 LIRT ne respecte pas les conditions minimales de travail et de prestations sociales en usage, l'OCIRT peut prononcer une décision de refus de délivrance de l'attestation visée à l'art. 25 LIRT, pour une durée de trois mois à cinq ans laquelle est exécutoire nonobstant recours (art. 45 al. 1 let. a LIRT).

Une liste des entreprises faisant l'objet d'une décision exécutoire de la part de l'OCIRT est établie, qui est accessible au public (art. 45 al. 3 LIRT).

9) a. En l'espèce, la recourante s'est engagée, en mai 2017, à respecter les usages, ce qui lui a permis d'obtenir un soutien de la FAE.

Les parties divergent sur l'application des usages.

La recourante allègue que les usages que l'OCIRT considère lui être applicables n'auraient pas été définis au moment de la signature de la convention. Ce faisant, elle conteste les usages que l'office entend lui appliquer, après que celui-ci avait instruit le dossier.

Les conditions d'application de l'art. 45 al. 1 let. a LIRT sont dès lors, prima facie et sans préjudice de l'examen au fond, remplies, l'entreprise ne contestant pas avoir fait l'objet d'un avertissement au sens de l'art. 42A RIRT. C'est en conséquence à bon droit que l'autorité intimée a prononcé une décision de refus de délivrance de l'attestation visée à l'art. 25 LIRT, pour une durée de deux ans laquelle est exécutoire nonobstant recours (art. 45 al. 1 let. a LIRT).

La recourante conteste devoir être soumise à trois usages différents. Elle invoque un principe d'unité des usages. Cet argument devra faire l'objet d'une analyse au fond. Il ne modifie pas la solution de la présente décision puisque la position de la société revient à contester les usages que l'office entend lui appliquer.

La recourante sollicite, sur mesures provisionnelles, qu'il soit ordonné à l'OCIRT de l'enlever de la liste répertoriant les entreprises en infraction jusqu'à droit connu sur le fond de la présente procédure.

L'inscription sur ladite liste est une conséquence, en principe automatique, d'une infraction au sens de l'art. 26A LIRT ainsi que des mesures prévues à l'art. 45 al. 1 LIRT. Dès lors, l'effet suspensif ne pouvant pas être restitué pour ce qui est de l'art. 45 al. 1 let. a LIRT, il ne peut pas être, pour les mêmes motifs, fait droit à la requête de mesures provisionnelles en ce qu'elle tend au retrait de son inscription sur la liste établie par l'OCIRT sur la base de l'art. 45 al. 3 LIRT (ATA/658/2016 consid. 3 ; ATA/439/2016 précité consid. 11).

b. S'agissant du ch. 3 du dispositif querellé, l'émolument est une clause accessoire de la décision (art. 66A RIRT). Il est lié au prononcé d'une sanction administrative au sens de l'art. 45 LIRT et suit le sort de la décision principale. Il pourra être rétrocédé en fin de procédure dans l'hypothèse où la décision de l'OCIRT serait annulée. L'effet suspensif ne sera en conséquence pas restitué au ch. 3 du dispositif.

c. Enfin, à juste titre, l'autorité intimée relève que soustraire l'entreprise au contrôle pendant la durée du recours, voire dans une procédure ultérieure, reviendrait à vider de son sens la mission de l'office et à éluder les conditions de travail et prestations sociales en usage à Genève. Il n'y a en conséquence pas de raison de restituer l'effet suspensif au ch. 4 du dispositif.

Dès lors, la requête de restitution d'effet suspensif et de mesures provisionnelles sera refusée.

10) Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse la requête de restitution d'effet suspensif et de mesures provisionnelles ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique la présente décision à la Fédération des entreprises romandes, représentant A______ ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.

 

 

La vice-présidente :

 

 

 

F. Krauskopf

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :