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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3929/2018

ATA/1483/2019 du 08.10.2019 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3929/2018-PRISON ATA/1483/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 octobre 2019

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE FERMÉ CURABILIS

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, né en 1985, est arrivé à Genève le 2 octobre 2017. En sortant du train, il a giflé une inconnue dans le hall de gare « afin d'être écouté par la justice suisse et que ses droits soient enfin reconnus ». Il est resté sur place jusqu'à l'arrivée de la police et n'a opposé aucune résistance à son arrestation.

2) L'expert psychiatre mis en oeuvre par le Ministère public a conclu, dans son expertise du 13 novembre 2017, qu'au moment des faits, M. A______ présentait une « schizophrénie hédoïdophrénique non stabilisée dont la sévérité est élevée ». Sa responsabilité était fortement réduite et l'acte commis était en rapport avec son état mental. Il présentait un délire de persécution et de préjudice. Ses raisonnements, lorsqu'il décidait ou faisait quelque chose, ne correspondaient pas à un fondement rationnel. Depuis le début de sa détention, il avait déjà séjourné deux fois à l'unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire (ci-après : UHPP) en raison d'une décompensation psychotique avec trouble du comportement.

3) Par jugement du Tribunal correctionnel du 25 janvier 2018, M. A______ a été condamné à une peine privative de liberté de nonante jours et une mesure de traitement institutionnel a été prononcée à son encontre eu égard à sa schizophrénie, assimilable à un grave trouble mental de sévérité élevée.

4) M. A______ a été incarcéré à la prison de Champ-Dollon le 3 octobre 2017. Sa détention provisoire a pris fin le 25 janvier 2018. Depuis lors, il exécute la mesure thérapeutique institutionnelle.

5) Le 24 septembre 2018, M. A______ a été transféré à l'établissement pénitentiaire Curabilis (ci-après : Curabilis).

6) a. Par décision du 16 octobre 2018, M. A______ s'est vu notifier une sanction de trois jours d'arrêt disciplinaire pour avoir insulté le personnel.

Il ressort du rapport de l'agent de détention à l'attention du directeur de l'établissement, que lors de la descente pour la promenade, un gardien avait dû reprendre, à deux reprises, M. A______ sur son comportement. Il lui avait été signalé qu'à la prochaine remarque, il remonterait en cellule. Alors que le gardien discutait avec un de ses collègues, la conversation avait été interrompue par M. A______ qui avait dit « D'accord Ben Laden ». Le détenu avait refusé de remonter en cellule. Il avait interpellé les autres personnes détenues en promenade en indiquant « Regardez leur grade, ils sont rien, c'est même pas des merdes, c'est des sous-merdes ! ».

L'incident s'était déroulé à 8h40. À 10h30, un médecin attestait par certificat médical que M. A______ n'était pas en décompensation aigüe.

b. Selon le procès-verbal d'audition du détenu du même jour, M. A______ a reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Il a refusé de signer ledit document.

c. Par acte du 8 novembre 2018, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la sanction précitée. Il contestait les faits. Il s'était retrouvé en cellule forte à cause d'un agent, dont il citait le nom, alors qu'il n'avait rien fait de grave. Le gardien avait agi délibérément afin de le priver d'un rendez-vous avec son assistante sociale, qu'il attendait depuis longtemps.

La cause a été enregistrée sous les références A/3929/2018.

d. Curabilis a conclu au rejet du recours. Une nouvelle date avait rapidement été proposée à l'intéressé pour remplacer le rendez-vous avec son assistante sociale. Par ailleurs, M. A______ avait de nombreux antécédents, à savoir :

- une sanction du 21 février 2018 de la prison de Champ-Dollon pour possession d'un objet prohibé et dégradation de mobilier (trois jours de cellule forte) ; sanction suspendue en raison d'un transfert du recourant à l'UHPP ; la sanction avait été exécutée du 6 au 8 mars 2018 ;

- une sanction du 22 mars 2018 de Curabilis sous la forme d'une amende de CHF 50.- pour avoir insulté un infirmier ;

- une sanction du 15 avril 2018 de la prison Champ-Dollon de deux jours de cellule forte pour avoir troublé l'ordre de l'établissement ;

- une sanction du 21 juin 2018 de la prison de Champ-Dollon de dix jours de cellule forte (sanction suspendue à trois reprises en raison de transferts à Belle-Idée) pour avoir mis le feu dans sa cellule ; sanction déclarée illicite par la chambre administrative en raison de l'absence d'investigation quant à la responsabilité disciplinaire de M. A______ et la violation de son droit d'être entendu ;

- une sanction du 26 septembre 2018 de Curabilis sous la forme de deux amendes de CHF 50.-, la deuxième étant assortie d'un sursis de deux mois pour avoir détruit le matériel de sa cellule et adopté un comportement inapproprié en retour de conduite ;

- une sanction du 10 octobre 2018 sous la forme de la révocation du sursis de l'amende de CHF 50.- d'une part et d'une nouvelle amende de CHF 50.- avec sursis de deux mois d'autre part pour avoir insulté le personnel.

e. Dans sa réplique, M. A______ s'est plaint du peu d'argent à sa disposition, notamment en raison de ses frais de tabac. Il n'avait pas de réponse pour la nomination d'un avocat. Il contestait le traitement médical dont il faisait l'objet, qu'il considérait comme une torture physique. Il sollicitait un dédommagement de CHF 500.- par jour de cellule forte illicite.

7) a. Par décision du 21 octobre 2018, M. A______ a été sanctionné de cinq jours d'arrêt disciplinaire pour un comportement inadéquat et une tentative d'incendie.

Il ressort du rapport des agents que, durant la nuit, le détenu n'avait pas arrêté de frapper sur sa porte de cellule et de hurler par la « voie lactée ». Il avait été plusieurs fois repris. Le détenu s'était énervé, avait cassé la lunette de ses toilettes ainsi que son bol. À 4h41, les gardiens s'étaient rendus auprès de sa cellule pour faire une levée de doute concernant un éventuel départ de feu. L'intéressé avait brûlé une feuille de papier contre sa porte de cellule. L'odeur était bien présente et les gardiens avaient remarqué des débris de porcelaine éparpillés dans la cellule. À 4h46, le détenu avait été transféré dans une autre cellule tout en hurlant que « le service médical ne respectait pas ses droits et qu'il y aurait des conséquences ». Le médecin de piquet avait été appelé à 5h et était arrivé vers 6h20. Dans l'intervalle, le détenu avait continué à frapper contre sa porte et à hurler. Le médecin avait attesté à 6h30, par écrit, que M. A______ n'était pas en décompensation aigüe.

b. Il ressort du procès-verbal de l'audition du détenu, dûment signé par celui-ci, que l'intéressé avait droit à un Dafalgan toutes les quatre heures. Les infirmiers ne venant pas et ne respectant pas ses droits, il avait cassé la cuvette des toilettes, allumé une feuille de papier et l'avait déposée devant la porte de la cellule « (alarme déclenchée) ».

c. Par acte du 8 novembre 2018, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la sanction précitée. Son traitement médical avait des effets secondaires insoutenables. Cela avait induit un état colérique. Il avait plusieurs fois appelé le médecin de garde pour s'en plaindre. Depuis son transfert à l'UHPP, il bénéficiait d'un traitement qui lui permettait de dormir normalement. C'était en signe de protestation et pour contester le traitement médical inadapté qui lui était infligé qu'il avait mis le feu à la feuille de papier. Son écart de conduite était dû aux effets de ce traitement inapproprié.

Une procédure a été ouverte sous les références A/3930/2018.

d. Curabilis a conclu au rejet du recours. S'agissant des doléances du recourant quant au bien-fondé du traitement médical, celui-ci relevait lui-même que son traitement médicamenteux avait été changé et qu'il en était depuis lors satisfait. Pour le surplus, le détenu ne contestait pas les faits à l'origine de la sanction.

Curabilis avait dénoncé les faits au Ministère public.

8) a. Par décision du 12 novembre 2018, M. A______ a été sanctionné de trois jours d'arrêt disciplinaire pour avoir dégradé du matériel dans sa cellule et fumé à des endroits interdits.

Il ressort du rapport de l'agent de détention, qu'à 7h50, le 12 novembre 2018, des gardiens avaient constaté des débris de vaisselle susceptibles d'appartenir à une petite assiette ainsi que des écritures sur le mur de la cellule occupée par M. A______. À 11h05, l'intéressé avait été surpris par une soignante et un gardien à fumer sur le seuil de porte de sa cellule. À la demande du gardien, il avait éteint sa cigarette. Quelques secondes plus tard, l'infirmière avait constaté que le détenu fumait une seconde cigarette. À 13h30, un gardien et un infirmier notamment avaient constaté que le sol de la cellule de M. A______ était imbibé de taches brunâtres qui pouvaient s'apparenter à du café. À la demande de nettoyer la cellule, le détenu avait refusé d'obtempérer, avait confirmé avoir, dans l'énervement, « shooté dans le café » et qu'une doctoresse, dont le nom était précisé, n'avait qu'à venir nettoyer. À 15h25, M. A______ avait déchiré la décision de notification de sanction qui lui était soumise pour signature. Les gardiens lui avaient retiré le stylo des mains alors que le détenu répondait : « Vas-y, laisse-moi seul dans la cellule et on va voir, je vais te défoncer la gueule ». Ces propos avaient été accompagnés d'un coup de son poing droit dans sa paume gauche et d'un regard fixant le sous-chef droit dans les yeux.

À 7h50, le 12 novembre 2018, un médecin a attesté par écrit que l'intéressé n'était pas en décompensation aigüe.

b. Lors de son audition, M. A______ n'a pas contesté l'état de sa cellule. Il avait causé les dégâts dans un état d'énervement. Il n'avait pas obtenu de panneau d'affichage alors qu'il avait payé pour en obtenir un. Le fait du fumer était dû au médecin de Curabilis. Il niait tous les faits qui lui étaient reprochés. « [Il] mettra[it] la tête au carré au premier qui [lui] fera[it] face ».

Le détenu a refusé de signer le procès-verbal.

c. Par acte du 6 décembre 2018, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative. Les faits qui lui étaient reprochés avaient servi au
sous-chef pour lui faire manquer un rendez-vous avec sa conseillère d'insertion et de probation. La situation était identique à celle du 16 octobre 2018.

Une procédure a été ouverte sous les références A/4298/2018.

d. Curabilis a conclu au rejet du recours. Le recourant avait pu voir l'assistante sociale le 17 décembre 2018.

Outre les décisions dont était recours et celles précédemment mentionnées, le détenu avait été sanctionné :

-          le 6 novembre 2018 de quinze jours de suppression des multimédias, avec sursis, pour avoir troublé la tranquillité de l'établissement ;

-          le 11 novembre 2018 pour comportement inadéquat et trouble de la tranquillité, par la révocation du sursis à l'amende de CHF 50.- du 10 octobre 2018 et par la révocation du sursis des quinze jours de suppression des multimédias du 6 novembre 2018.

9) Par décision du 10 janvier 2019, la chambre administrative a ordonné la jonction des causes A/3929/2018, A/3930/2018 et A/4298/2018 sous le numéro A/3929/2018.

10) Par décision du 15 janvier 2019, le service de l'assistance juridique a admis M. A______ au bénéfice de l'assistance juridique avec effet au 21 décembre 2018 pour les frais de recours mais a rejeté la requête en ce qui concernait la nomination d'un conseil juridique.

11) Un délai au 8 février 2019 a été accordé à M. A______ pour éventuelle réplique.

12) Par courrier du 21 février 2019, les parties ont été informées que l'ordonnance pénale du 13 novembre 2018 du Ministère public était versée au dossier. Selon ladite ordonnance, M. A______ était déclaré coupable d'incendie intentionnel de faible importance et condamné à une peine privative de liberté de nonante jours pour des faits survenus le 18 juin 2018 à 20h55.

13) Par écritures spontanées du 27 février 2019, M. A______ a renouvelé sa demande de se voir désigner un avocat aux fins d'obtenir un dédommagement pour les dix jours de cellule forte subis illégalement, la levée d'une mesure de protection décidée en France et la réparation d'un dommage survenu à la suite de l'intervention d'un dentiste à la prison d'Orléans.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA à- E 5 10 ; art. 74 al. 1 du règlement de l'établissement de Curabilis du 26 mars 2014 - RCurabilis - F 1 50.15).

2) a. Selon l'art. 65 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (al. 2).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d'une certaine souplesse s'agissant de la manière par laquelle sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu'elles ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est, en soi, pas un motif d'irrecevabilité, pour autant que l'autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/821/2018 du 14 août 2018 consid. 2 ; ATA/1243/2017 du 29 août 2017 consid. 2a).

b. En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles en annulation des décisions de sanction des 16 et 21 octobre 2018, ainsi que 12 novembre 2018. L'on comprend toutefois de ses écrits qu'il en conteste le bien-fondé. Le recours est ainsi recevable.

3) a. Les sanctions ayant déjà été exécutées, il convient d'examiner s'il subsiste un intérêt digne de protection à l'admission du recours (art. 60 let. b LPA).

Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée. Il est toutefois renoncé à l'exigence d'un tel intérêt, notamment, lorsque cette condition fait obstacle au contrôle de la légalité d'un acte qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi à la censure de l'autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; 138 II 42 consid. 1).

b. En l'occurrence, le recourant dispose d'un intérêt digne de protection à recourir contre les sanctions prononcées contre lui, quand bien même elles ont déjà été exécutées. Leur légalité doit, en effet, pouvoir faire l'objet d'un contrôle. Dans la mesure où rien dans le dossier ne laisse à penser que le détenu ait quitté l'établissement à ce jour, il pourrait être tenu compte des sanctions contestées en cas de nouveau problème disciplinaire. Le recours conserve ainsi un intérêt actuel (ATA/731/2018 du 10 juillet 2018 consid. 2 ; ATA/1135/2017 du 2 août 2017).

4) Il convient donc d'examiner le bien-fondé des trois sanctions infligées.

a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, notamment aux détenus. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n'ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l'auteur (ATA/310/2017 du 21 mars 2017 consid. 5a ; ATA/245/2017 du 28 février 2017 consid. 5b et les références citées).

Sur un plan strictement médical, on admettra l'existence d'une irresponsabilité au sens de l'art. 19 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) en cas de psychose particulière, schizophrénie ou attente psychologique affective grave. Quant aux effets de l'irresponsabilité, on doit admettre que le délinquant déclaré irresponsable est inapte à toute faute. L'irresponsabilité déploie ainsi intégralement ses effets sur la culpabilité et sur la sanction (Laurent MOREILLON, in Robert ROTH/Laurent MOREILLON, Commentaire romand du code pénal I, 2009, p. 204).

c. La personne détenue a l'obligation de respecter les dispositions du RCurabilis, les directives du directeur général de l'office cantonal de la détention, du directeur de Curabilis, du personnel pénitentiaire, ainsi que les instructions du personnel médico-soignant (art. 67 RCurabilis). La personne détenue doit observer une attitude correcte à l'égard des différents personnels, des autres personnes détenues et des tiers (art. 68 RCurabilis). Sont en particulier interdits l'insubordination, les incivilités, les menaces dirigées contre les différents personnels de Curabilis et les atteintes portées à leur honneur, les mises en danger d'autrui ou de l'institution, et, d'une façon générale, le fait d'adopter un comportement contraire au but de Curabilis (art. 69 al. 1 let. b, c, e
et n RCurabilis).

d. Si une personne détenue enfreint le RCurabilis, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 70 al. 1 RCurabilis). Il est tenu compte de l'état de santé de la personne détenue au moment de l'infraction disciplinaire (art. 70 al. 2 RCurabilis). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (art. 70 al. 3 RCurabilis). La violation du droit d'être entendu ne peut être réparée devant l'instance de recours que si celle-ci dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité dont la décision est contestée (ATF 138 I 97 consid. 4.16.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2).

e. Aux termes de l'art. 70 RCurabilis, les sanctions sont l'avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximale de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let. b.), l'amende jusqu'à CHF 1'000.- (let. c) et les arrêts pour une durée maximale de dix jours (let. d ; al. 4). Ces sanctions peuvent être cumulées (al. 5) ; l'exécution de la sanction peut être prononcée avec un sursis ou un sursis partiel de six mois au maximum (al. 6), qui peut être révoqué lorsque la personne détenue fait l'objet d'une nouvelle sanction durant le délai d'épreuve (al. 7) ; après son prononcé, la sanction peut être suspendue ou la personne détenue en être dispensée pour justes motifs ou en opportunité (al. 8).

f. Le directeur de Curabilis et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer les sanctions (art. 71 al. 1 RCurabilis). Le directeur de Curabilis peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l'art. 70 al.  4  RCurabilis à d'autres membres du personnel gradé de l'établissement, tel un agent pénitentiaire ayant le grade de sous-chef (ATA/266/2018 du 20 mars 2018 consid. 7).

g. De jurisprudence constante, la chambre administrative accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/731/2018 précité consid. 5d ; ATA/73/2017 du 31 janvier 2017 consid. 7), sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Les agents de détention étant également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/731/2018 précité consid. 5d ; ATA/266/2018 précité consid. 6).

h. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/888/2015 du 19 septembre 2014 consid. 7b ; ATA/946/2014 du 2 décembre 2014 consid. 16).

5) En l'espèce, bien que le détenu ait refusé de signer deux des trois procès-verbaux d'audition, il ressort de ses déclarations que, dans leur grande majorité, il ne conteste pas les faits à l'origine des trois sanctions. Ainsi, il a admis avoir été insultant à l'égard du personnel le 16 octobre 2018 en formulant à l'égard d'agents de détention : « D'accord Ben Laden » et « Regardez leur grade, ils sont rien, c'est même pas des merdes, c'est des sous-merdes ! ». De même, il a confirmé avoir cassé la lunette des toilettes et mis le feu à une feuille de papier devant sa cellule le 21 octobre 2018. Enfin, il n'a pas contesté avoir dégradé sa cellule le 12 novembre 2018. Il n'a toutefois pas admis avoir fumé dans des espaces interdits, deux cigarettes. Il n'a fourni cependant aucun élément qui serait de nature à permettre de s'écarter des déclarations des agents assermentés. Conformément à la jurisprudence, il sera donc retenu qu'il a fumé deux cigarettes dans des espaces interdits.

Le recourant a pu s'exprimer avant le prononcé de chacune des trois sanctions, ce qu'atteste un procès-verbal établi à cet effet. L'avis médical quant à son état de santé a également été obtenu avant le prononcé de chacune de ces sanctions. Par ailleurs, l'autorité compétente, soit un agent pénitentiaire ayant le grade de sous-chef à qui cette compétence a été déléguée, a prononcé les sanctions litigieuses. L'autorité intimée a ainsi respecté les exigences relatives à la procédure disciplinaire.

L'insubordination et les insultes à l'encontre du personnel et du médecin de Curabilis sont interdites par l'art. 69 al. 1 let. b, c et n RCurabilis, à l'instar de la dégradation du matériel, ainsi que de la mise en danger d'autrui et de l'institution que représente un départ de feu dans un établissement pénitentiaire. Les faits commis les 16 et 21 octobre ainsi que 12 novembre 2018 peuvent donc faire l'objet de sanctions.

6) Reste à examiner si les sanctions prononcées respectent le principe de la proportionnalité.

a. En l'espèce, les trois sanctions querellées ont fait l'objet de jours en cellule forte.

Les injures proférées le 16 octobre 2018 étaient d'une gravité certaine. La sanction couvre des insultes proférées à deux moments distincts dans la cour. Les termes employés sont sans conteste insultants. Les propos tenus faisaient pour le surplus suite à de nombreuses mises en garde des agents de détention, dont le détenu n'a pas tenu compte. Trois jours de cellule forte apparaissent en conséquence proportionnés, au vu du large pouvoir d'appréciation conféré à l'autorité intimée dont la chambre de céans ne revoit que l'abus ou l'excès.

Le départ volontaire d'un feu dans un établissement pénitentiaire est d'une gravité certaine pour la sécurité du détenu concerné et de toutes les autres personnes se trouvant dans l'établissement, détenues ou non. La seconde sanction de cinq jours de cellule forte couvrant tout à la fois ledit fait et les dégâts matériels occasionnés par le détenu dans sa cellule apparaît proportionnée voire clémente.

L'insubordination et les incivilités du 12 novembre 2018 lesquelles ont donné lieu à trois jours de cellule forte consistent en la casse d'une petite assiette, des écritures sur le mur de la cellule, le fait de fumer deux cigarettes alors que cela est interdit - et que le détenu avait été enjoint d'éteindre la première -, des salissures sur le sol de sa cellule, la déchirure de la décision de notification de sanction et des insultes consistant en « Vas-y, laisse-moi seul dans la cellule et on va voir, je vais te défoncer la gueule », accompagné d'une attitude provocante. La gravité de certains de ces faits, pris isolément, peut être relativisée. Au vu toutefois de leur cumul, une sanction de trois jours de cellule forte apparaît proportionnée.

b. Par ailleurs, les sanctions s'inscrivent dans un contexte de nombreux antécédents. La description faite par l'autorité intimée des autres sanctions indique par ailleurs que l'établissement nuance son choix de sanctions en fonction de la gravité, optant parfois pour le sursis, et modulant la peine allant de l'amende, à la suppression de multimédias, voire dans les cas graves des arrêts disciplinaires.

Certes, la sanction du 16 octobre 2018 a consisté, pour la première fois, en des arrêts disciplinaires à la suite d'insultes. Le précédent, à Curabilis, avait abouti à une amende de CHF 50.-. La gravité des propos tenus est toutefois compatible avec la quotité de la sanction retenue par l'établissement, lequel bénéficie d'un large pouvoir d'appréciation. De même, si le détenu avait, entre février et
mi-septembre 2018 adopté à quatre reprises des comportements justifiant des sanctions (21 février, 22 mars, 15 avril, 21 juin 2018), la fréquence de ses comportements répréhensibles s'était accélérée dès fin septembre 2018, pour atteindre environ une sanction par quinzaine (16 octobre ; 21 octobre ; 6 novembre ; 11 novembre ; 12 novembre 2018).

c. Le recourant reproche à un agent de détention d'avoir voulu le priver, à deux reprises, de ses rendez-vous avec l'assistante sociale. S'il est exact que les dates des mises en cellule forte ont correspondu avec les dates des rendez-vous avec ladite assistante, une volonté de l'agent de détention de nuire au détenu est contestée par l'autorité intimée et aucun élément du dossier ne permet de retenir que le gardien ait eu une telle intention. Les rendez-vous ont par ailleurs pu être reportés et se tenir.

De même, les griefs du recourant à l'encontre d'un médecin de l'établissement s'agissant d'un traitement dont celui-là s'est plaint des effets secondaires, a pu être résolu, de l'aveu même de l'intéressé. Pour le surplus, les effets secondaires décrits par le détenu ne sont pas établis.

En conclusion, les trois sanctions prononcées les 16 et 21 octobre 2018 ainsi que le 12 novembre 2018 sont fondées et proportionnées. Elles seront confirmées.

7) Il ne sera pas perçu d'émolument, le recourant ayant obtenu l'assistance juridique pour les frais (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés les 8 novembre et 6 décembre 2018 par Monsieur A______ contre les décisions de l'établissement pénitentiaire fermé Curabilis des 16 octobre, 21 octobre et 12 novembre 2018 ;

 

au fond :

les rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à l'établissement pénitentiaire fermé Curabilis.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Pagan, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :