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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2863/2018

ATA/1375/2019 du 10.09.2019 ( EXPLOI ) , ADMIS

Descripteurs : AUTORISATION D'EXPLOITER;INSCRIPTION;MAISON DE PROSTITUTION;PROSTITUTION;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;SANCTION ADMINISTRATIVE;LÉGALITÉ;INTERDICTION DE L'ARBITRAIRE
Normes : LPA.61; Cst.29.al2; LProst.1.leta; LProst.8; LProst.9; LProst.10; LProst.10.letd; aRProst.18
Résumé : Le DSES peut désormais procéder à l'inscription de la personne responsable d'un salon de massage, avec le préavis positif du DT. Faute d'avoir obtenu ce préavis, la fermeture du salon de massage du recourant doit être ordonnée en lui laissant un délai de deux ans à cette fin. Renvoi du dossier au DSES, qui ne peut s'immiscer dans des rapports de droit privé relevant du contrat de bail, pour nouvelle décision au sens des considérants.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2863/2018-EXPLOI ATA/1375/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 septembre 2019

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Dimitri Tzortzis, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE L'EMPLOI ET DE LA SANTÉ

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1979, de nationalité tunisienne, a déposé le 5 août 2016 un formulaire d'annonce d'exploitation d'un salon de massage auprès de la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite (ci-après : BTPI) de la police genevoise.

2) Le 1er septembre 2016, ce salon nommé « B______ » a ouvert ses portes dans un appartement sis rue C______, dont M. A______ est le locataire selon contrat de bail à loyer du 22 juillet 2016.

3) Par courrier du 8 juin 2017, la régie agissant comme administrateur de la copropriété de l'immeuble précité, a demandé à la cheffe de la police de contrôler cet appartement en raison des nuisances subies par le voisinage, impliquant de forts soupçons de prostitution.

4) La cheffe de la police a transmis cette plainte au service compétent.

5) Par courrier du 6 novembre 2017, l'office des autorisations de construire
du département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, devenu depuis lors le département du territoire (ci-après : DT), a informé M. A______ que la nouvelle affectation du logement en salon de massage pouvait constituer un changement d'affectation non autorisé. Un délai de dix jours lui était imparti pour se déterminer.

Une procédure d'infraction (I/1______) a été ouverte.

6) Après avoir obtenu un délai pour se déterminer, M. A______ a indiqué qu'il entendait requérir une dérogation afin que les locaux puissent être affectés à une activité commerciale et qu'un architecte serait mandaté en ce sens. Dans l'hypothèse où cette dérogation lui serait refusée, il disposerait d'un délai de deux ans, soit jusqu'au 30 novembre 2018, pour cesser l'activité ou pour requérir l'application de l'art. 8 al. 3 de la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49).

7) Le 28 février 2018, le département de la sécurité, devenu depuis lors le département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (ci-après : DSES) a confirmé au DT que le salon avait été ouvert conformément à la loi, et a sollicité la transmission du dossier.

8) Le 26 mars 2018, le DSES s'est adressé à M. A______, en le sommant de déposer une demande de dérogation auprès du DT, sous peine de devoir ordonner la fermeture du salon.

9) Le 24 avril 2018, une des copropriétaires de l'immeuble sis rue C______ s'est plainte au DSES de l'exploitation du salon.

Les personnes s'y prostituant n'étaient quasiment jamais les mêmes et changeaient toutes les semaines, si bien qu'il était probable que leur identité et leur nombre réels n'avaient pas été annoncés correctement.

10) Après prolongation du délai, M. A______ a répondu le 26 avril 2018 qu'il ne pouvait requérir de dérogation, celle-ci devant émaner du propriétaire de l'immeuble.

11) Le 14 mai 2018, le DSES a informé M. A______ que, compte tenu de l'impossibilité de régulariser l'affectation du salon en obtenant un préavis positif du DT, il entendait en ordonner la fermeture définitive. Un délai de dix jours lui était imparti pour se déterminer.

12) Le 25 mai 2018, M. A______ a indiqué que la fermeture de son salon ne pouvait intervenir avant l'écoulement du délai de deux ans prévu par l'art. 18 du règlement d'exécution de la LProst du 14 avril 2010 (RProst - I 2 49.01). En outre, selon les principes généraux du droit administratif, un particulier pouvait revendiquer l'égalité dans l'illégalité si une situation identique à la sienne était tolérée par les autorités. Or, plus d'une centaine de salons à Genève étaient exploités dans des locaux d'habitation, sans faire l'objet d'un ordre de fermeture.

Il demandait donc au DSES de lui préciser le pourcentage de salons faisant l'objet d'une procédure de mise en conformité sur l'ensemble des salons enregistrés dans le canton, ainsi que les critères utilisés par l'État pour déterminer les salons qui faisaient l'objet d'une procédure de fermeture et ceux qui étaient tolérés. Il sollicitait également de pouvoir déposer des observations complémentaires.

13) Le même jour, la presse locale s'est fait l'écho des démarches entreprises par divers copropriétaires de l'immeuble pour déloger le salon de M. A______. Un autre article, dans un quotidien différent, est également paru le 15 août 2018.

14) Par décision du 31 juillet 2018, déclarée exécutoire nonobstant recours, le DSES a ordonné la fermeture définitive du salon « B______ » avec effet au 31 août 2018, et autorisé l'occupation du logement jusqu'au 31 août 2020 au plus tard, pour autant qu'aucune activité de prostitution n'y soit pratiquée.

Il ne serait pas fait droit à la demande d'informations de M. A______ ni à celle sollicitant le dépôt d'observations complémentaires. La première ne reposait sur aucun élément laissant à penser que sa thèse pourrait être avérée. De plus, le DSES n'avait jamais caché son approche en la matière, consistant à ne pas faire la chasse aux salons, mais à donner suite aux plaintes formelles qui lui étaient adressées, notamment par le voisinage. Celle-ci tenait compte de l'intérêt public à ne pas voir disparaître dans la clandestinité la prostitution de salon ou souffrir un transfert de cette dernière vers la prostitution de rue. En l'espèce, des plaintes avaient été adressées tant au DSES qu'au DT par les copropriétaires de l'immeuble.

Il était établi que M. A______ n'avait pas obtenu et n'obtiendrait pas un préavis positif de la part du DT, au sens de l'art. 10 let. d LProst. M. A______ savait depuis le 7 décembre 2016 qu'il devait régulariser sa situation ou se résoudre à quitter le logement, ou à tout le moins y cesser son activité. Le DT et le DSES étaient également intervenus auprès de lui les 6 novembre 2017 et 26 mars 2018. Il fallait aussi tenir compte des doléances du voisinage et de son agacement, la situation ne pouvant plus perdurer.

15) Par acte du 24 août 2018, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, en concluant, principalement, à la constatation de sa nullité, subsidiairement, à son annulation, et, plus subsidiairement, à l'octroi d'un délai de deux ans, arrivant à échéance le 31 juillet 2020, pour la fermeture du salon. Sur mesures provisionnelles, il demandait la restitution de l'effet suspensif, et, préalablement, l'autorisation de compléter son recours dans le délai de recours échéant le 14 septembre 2018, que le département soit invité à communiquer le pourcentage de salons de massage qui font l'objet d'une procédure de mise en conformité sur l'ensemble des salons enregistrés situés dans des locaux d'habitation, ainsi que les critères utilisés par l'État pour déterminer les salons qui font l'objet d'une procédure de fermeture et ceux qui sont tolérés.

Le DSES - qui était par ailleurs allé au-delà de ses compétences en lui intimant de quitter l'appartement au plus tard en 2020, alors qu'il s'agissait là d'un pur rapport de droit privé - avait déclaré la décision attaquée exécutoire nonobstant recours, et ce à l'encontre de l'art. 18 RProst. Ce dernier précisait expressément que les personnes responsables d'un salon qui s'étaient valablement annoncées et qui, suite à l'entrée en vigueur de la modification du 30 novembre 2016, ne pouvaient bénéficier du préavis positif du DT, disposaient d'un délai de deux ans pour libérer les locaux dès la notification de la décision du DSES. De plus, il n'y avait aucune urgence à voir la décision appliquée immédiatement, les plaintes du voisinage ne pouvant prendre le dessus sur l'intérêt des hôtesses à voir leur intégrité protégée et à avoir le temps de trouver un autre lieu d'exercice de leur activité.

Sur le fond, il listait quelques griefs qu'il développerait dans ses écritures complémentaires.

16) Le 4 septembre 2018, le DSES a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif.

M. A______ ne donnait qu'un seul motif pouvant justifier la restitution de l'effet suspensif, à savoir que les personnes qui travaillaient dans le salon risqueraient de se retrouver à la rue. Or, la décision entreprise réservait à ces personnes le droit d'occuper les locaux, ce qui faisait qu'elles ne seraient pas jetées à la rue. Qui plus était, un tournus assez important des hôtesses était constaté dans les différents salons, de sorte que ces travailleuses exerçaient leur métier sur de courtes périodes en principe. Dès lors, il avait été tenu compte de ce tournus pour estimer qu'une durée d'un mois avant la fermeture du salon était adéquat pour laisser à ces travailleuses le temps de se retourner. En outre, la procédure devant le DT avait été initiée depuis le 6 novembre 2017, date à partir de laquelle M. A______ se doutait que sa situation appelait un départ de sa part, faute de pouvoir pallier au défaut d'un préavis positif du DT. En raison également des modifications réglementaires intervenues antérieurement, la décision de fermeture n'avait rien de soudain ou d'inattendu. Par ailleurs, M. A______ minimisait l'intérêt privé des copropriétaires à voir la situation de leur immeuble régularisée, alors qu'il était au contraire essentiel, la situation s'étant fortement dégradée et étant susceptible de dégénérer. Leur intérêt privé prépondérant requérait dès lors de ne pas restituer l'effet suspensif, ce d'autant qu'aucun préjudice ne pesait sur les personnes oeuvrant dans le salon.

17) Par décision présidentielle du 13 septembre 2018 (ATA/935/2018), la chambre administrative a restitué l'effet suspensif au recours, en réservant le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond.

À première vue, l'interprétation effectuée par le DSES de l'art. 18 RProst n'apparaissait pas conforme à l'ordre juridique dans son ensemble. S'il était compétent en tant qu'autorité administrative, pour prendre les mesures prévues par la LProst, la question de savoir si un locataire pouvait ou non, sans exercer aucune activité de prostitution, rester dans un appartement était exclusivement réglée par le droit civil fédéral, en particulier le droit possessoire. Le texte de la disposition apparaissait également clair sur deux points : celle-ci s'adressait aux tenanciers de salons de massage et le délai de deux ans courrait à partir de la notification de la décision du DSES. À ce stade, il apparaissait donc probable que M. A______ disposait en fait, d'un délai de deux ans à partir du 2 août 2018, date à laquelle la décision de fermeture du salon avait été prise, pour continuer à exploiter son salon de massage tout en cherchant des locaux dont l'affectation serait conforme à cet usage. Dans ces conditions, il n'existait aucun motif de ne pas accorder l'effet suspensif au recours, la situation tendue entre les copropriétaires de l'immeuble et M. A______ ne pouvant être prise en compte et les nuisances au voisinage ne constituant pas un motif retenu par la décision attaquée pour la fermeture du salon.

18) Le 13 septembre 2018, M. A______ a adressé un complément à son recours du 24 août 2018, en persistant dans ses conclusions et précédents développements.

En faisant abstraction de l'art. 18 RProst et en ordonnant la fermeture définitive du salon au 31 août 2018, sans le faire bénéficier du délai transitoire, le DSES s'était contredit et avait rendu une décision arbitraire, en violant ladite disposition. En outre, le DSES s'était autorisé, de manière contraire au droit, à se substituer à son bailleur, voire au Tribunal des baux et loyers, en autorisant l'occupation du logement jusqu'au 31 août 2020 au plus tard, pour autant qu'aucune activité de prostitution n'y soit pratiquée.

19) Le DSES a conclu au rejet du recours.

Contrairement à l'art. 18 RProst, M. A______ n'avait rien entrepris afin d'obtenir le préavis positif du DT en dépit des assurances qu'il avait données dans le cade de la procédure d'infraction. Il n'alléguait pas non plus avoir pris la peine, en vain, d'effectuer des démarches en vue de trouver d'autres locaux. Il ne pouvait donc tirer profit de la rédaction maladroite de l'art. 18 RProst, aux seules fins de poursuivre sa lucrative exploitation.

Vu l'art. 14 al. 2 LProst et la jurisprudence fédérale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_230/2010 du 12 avril 2011), le fait que l'exploitant d'un salon de massage disposait ou non d'un contrat de bail à loyer n'empêchait nullement la fermeture de celui-ci. Cette dernière n'était pas une vaine injonction théorique, mais bien une interdiction d'accès à un logement ou un local commercial. Les deux départements concernés pouvaient appliquer les mesures administratives qui leur étaient attribuées par leur législation respective.

À titre subsidiaire, il fallait considérer que la tranquillité de l'immeuble destiné à l'habitation se trouvait particulièrement mise à mal, au sens de l'art. 12 let. c LProst. Les voisins de M. A______ avaient dénoncé des conditions de vie tellement pénibles que la situation en était devenue insupportable. Il convenait de les entendre à ce sujet.

20) Dans sa réplique, M. A______ a conclu à ce que les conclusions préalables du DSES en ouverture d'enquêtes soient rejetées, et le nouveau grief de celui-ci quant aux nuisances subies par le voisinage écarté.

21) Les parties n'ayant formulé aucune requête ou observation complémentaire nouvelle dans le délai accordé au 16 novembre 2018, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la conformité au droit de la décision du 31 juillet 2018 du DSES d'ordonner la fermeture définitive du salon du recourant avec effet au 31 août 2018 et d'autoriser l'occupation du logement jusqu'au 31 août 2020 au plus tard, pour autant qu'aucune activité de prostitution n'y soit pratiquée.

3) Le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 LPA). Les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA).

4) a. Le droit d'être entendu comprend notamment le droit d'obtenir une décision motivée. L'autorité n'est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; 137 II 266 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_597/2013 du 28 octobre 2013 consid. 5.2 ; 2C_713/2013 du 22 août 2013 consid. 2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, p. 531 n. 1573). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; 138 I 232 consid. 5.1 ; 136 I 184 consid. 2.2.1).

b. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, en procédure juridictionnelle administrative, ne peuvent être examinés et jugés, en principe, que les rapports juridiques à propos desquels l'autorité administrative compétente s'est prononcée préalablement, d'une manière qui la lie sous la forme d'une décision. Dans cette mesure, la décision détermine l'objet de la contestation qui peut être déféré en justice par voie de recours (ATF 134 V 418 consid. 5.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_197/2016 du 9 décembre 2016 consid. 3.1).

D'après la jurisprudence constante de la chambre de céans, l'objet d'une procédure administrative ne peut pas s'étendre ou se modifier qualitativement au fil des instances. Il peut uniquement se réduire, dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés devant l'autorité de recours. Si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions qui ont été traitées dans la procédure antérieure. Quant à l'autorité de recours, elle n'examine pas les prétentions et les griefs qui n'ont pas fait l'objet du prononcé de l'instance inférieure, sous peine de détourner sa mission de contrôle, de violer la compétence fonctionnelle de cette autorité-ci, d'enfreindre le principe de l'épuisement des voies de droit préalables et, en définitive, de priver les parties d'un degré de juridiction (ATA/1330/2017 du 26 septembre 2017).

c. Dans sa décision querellée du 31 juillet 2018, le DSES s'est fondé uniquement sur l'absence de régularisation du salon de massage du recourant, par l'obtention d'un préavis positif du DT, pour justifier la sanction ordonnée. Ce n'est en revanche que dans ses écritures responsives, qu'il a invoqué à titre subsidiaire l'art. 12 let. c LProst pour asseoir sa position.

Cet argument n'ayant pas été explicitement formulé avant le stade du recours, il ne saurait être retenu dans ce contexte, le recourant n'ayant pu valablement faire valoir son droit d'être entendu à cet égard.

Par conséquent, ce grief doit être écarté.

5) a. En matière de droit intertemporel, le nouveau droit s'applique en principe à toutes les situations qui interviennent depuis son entrée en vigueur (ATA/1442/2017 du 31 octobre 2017 consid. 8a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 132 n. 403). Selon les principes généraux, sont applicables, en cas de changement de règles de droit, les dispositions en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques (ATF 137 V 105 consid. 5.3.1).

b. La décision querellée datant du 31 juillet 2018, il convient d'appliquer in casu le RProst dans sa version au moment des faits, soit celle au 17 avril 2017
(ci-après : aRProst), sans les modifications intervenues notamment à la fin de l'année 2018, ainsi que la LProst dont le contenu n'a pas été modifié depuis le 29 juillet 2017.

6) a. La LProst a notamment pour but de garantir, dans le milieu de la prostitution, que les conditions d'exercice de cette activité sont conformes à la législation, soit notamment qu'il n'est pas porté atteinte à la liberté d'action des personnes qui se prostituent, que celles-ci ne sont pas victimes de la traite d'êtres humains, de menaces, de violences, de pressions ou d'usure ou que l'on ne profite pas de leur détresse ou de leur dépendance pour les déterminer à se livrer à un acte sexuel ou d'ordre sexuel (art. 1 let. a LProst).

b. À teneur de l'art. 8 LProst, la prostitution de salon est celle qui s'exerce dans des lieux de rencontre soustraits à la vue du public (al. 1). Ces lieux, quels qu'ils soient, sont qualifiés de salons par la LProst (al. 2). Toutefois, le local utilisé par une personne qui s'y prostitue seule, sans recourir à des tiers, n'est pas qualifié de salon (al. 3).

Toute personne physique qui, en tant que locataire, sous-locataire, usufruitière, propriétaire ou copropriétaire, exploite un salon et met à disposition de tiers des locaux affectés à l'exercice de la prostitution doit s'annoncer, préalablement et par écrit, aux autorités compétentes en indiquant le nombre et l'identité des personnes qui y exercent la prostitution (art. 9 al. 1 LProst). La personne qui effectue l'annonce est considérée comme personne responsable au sens de la LProst (art. 9 al. 4 LProst).

c. Selon l'art. 10 LProst, la personne responsable d'un salon doit remplir les conditions personnelles suivantes : être de nationalité suisse ou titulaire de l'autorisation nécessaire pour exercer une activité indépendante en Suisse (let. a) ; avoir l'exercice des droits civils (let. b) ; offrir, par ses antécédents et son comportement, toute garantie d'honorabilité et de solvabilité concernant la sphère d'activité envisagée (let. c) ; être au bénéfice d'un préavis favorable du DT, confirmant que les locaux utilisés peuvent être affectés à une activité commerciale ou qu'une dérogation a été accordée (let. d) ; ne pas avoir été responsable, au cours des dix dernières années, d'un salon ou d'une agence d'escorte ayant fait l'objet d'une fermeture et d'une interdiction d'exploiter au sens des art. 14 et 21 LProst (let. e).

La BTPI contrôle les pièces produites et procède à une enquête afin de s'assurer que la personne responsable d'un salon répond aux conditions prévues à l'art. 10 let. c et e LProst. Elle sollicite le préavis du DT, confirmant que les locaux utilisés peuvent être affectés à une activité commerciale ou qu'une dérogation a été accordée (art. 9 al. 3 aRProst). Si la personne qui a effectué l'annonce remplit toutes les conditions personnelles et si le DT délivre le préavis prévu à l'art. 9 al. 3 LProst, la BTPI procède à son inscription au registre des personnes responsables d'un salon (art. 9 al. 4 LProst).

d. L'art. 10 let. d LProst est entré en vigueur le 29 juillet 2017. Il est issu d'une modification législative faisant notamment suite à certaines recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport n° 85 du 16 décembre 2014 (ci-après : le rapport n° 85), portant sur une évaluation de la politique publique en matière de prostitution, laquelle visait entre autres à améliorer les conditions d'exercice de la prostitution et à développer l'autonomie des travailleurs du sexe (projet de loi n° 12'031 du 30 novembre 2016 modifiant la LProst [ci-après : PL 12'031], p. 6 ; p. 4 et 5 du rapport n° 85).

Dans son rapport, la Cour des comptes a notamment relevé que la BTPI n'effectuait pas de contrôle de conformité sous l'angle de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) ni ne communiquait d'informations au DT, n'y étant pas tenue par la LProst. La Cour des comptes a ainsi recommandé au DSES de coordonner son action, lors de la procédure d'enregistrement, avec celle du DT afin qu'un contrôle de conformité à la LDTR soit effectué en prenant notamment en compte la procédure de dérogations prévue à l'art. 8 LDTR en cas de changement d'affectation (p. 64 et p. 68). L'art. 10 let. d LProst est donc une concrétisation de cette recommandation (ATA/1313/2018 du 4 décembre 2018 consid. 8).

Le préavis du DT devait notamment confirmer, pour les salons exploités dans des immeubles soumis à la LDTR, que les locaux pouvaient être affectés à une activité commerciale ou qu'une dérogation avait été accordée. Le préavis du DT ne devait pas être sollicité directement par la personne responsable d'un salon mais par les services du DSES. Le salon ne pouvait pas être mis en exploitation tant que le DT n'avait pas délivré un préavis favorable et que la personne responsable n'avait pas été inscrite au registre tenu par la BTPI (p. 15).

Les travaux préparatoires relevaient encore que la modification légale relative à l'art. 10 let. d LProst s'imposait d'autant plus que le canton de Genève était confronté à une pénurie de logements - alors que de nombreux locaux commerciaux cherchaient preneur - et qu'elle permettait en outre de lutter efficacement contre les nuisances liées à l'exploitation de lieux de prostitution et dénoncées dans plusieurs pétitions (p. 7).

e. D'après l'art. 18 aRProst, les personnes responsables d'un salon ou d'une agence d'escorte qui s'étaient valablement annoncées conformément aux art. 9 et 12 aRProst et qui, suite à l'entrée en vigueur de la modification du 30 novembre 2016, ne peuvent bénéficier du préavis positif du DT prévu aux art. 9 al. 3 et 12 al. 3 aRProst, disposent d'un délai de deux ans pour libérer les locaux dès la notification de la décision par le DSES.

Tel qu'indiqué dans la décision présidentielle du 13 septembre 2018 statuant sur effet suspensif (ATA/935/2018), cette modification réglementaire n'avait fait l'objet d'aucun exposé des motifs publié, et ne s'est pas davantage vu expliciter par le Conseil d'État dans le communiqué diffusé lors de son adoption. Reprenant les mêmes motifs que ceux évoqués précédemment, le Conseil d'État a indiqué avoir adopté cette modification du RProst, qui portait aussi sur certaines recommandations formulées par la Cour des comptes qui pouvaient être adoptées immédiatement, sans attendre l'adoption par le Grand Conseil du PL 12'031 (communiqué du Conseil d'État du 30 novembre 2016, p. 10 - consultable sous https://www.ge.ch/document/communique-du-conseil-etat-du-30-novembre-2016/telecharger).

f. Le DSES est chargé de l'application de la LProst et du RProst (art. 1 al. 1 aRProst). Il prend les mesures nécessaires pour atteindre les buts visés par la loi et assurer une application cohérente de cette dernière en coordonnant ses activités avec celles des autres autorités et des associations dont le but est de venir en aide aux personnes exerçant la prostitution (art. 1 al. 2 aRProst). Il prend toutes les décisions et les mesures qui ne sont pas attribuées à une autre autorité et est notamment compétent pour : a) prononcer les mesures et sanctions administratives ; b) infliger les amendes administratives ; c) recevoir la communication des décisions prises par les autorités pénales (art. 1 al. 3 aRProst).

Fait l'objet de mesures et sanctions administratives la personne responsable d'un salon qui ne remplit pas ou plus les conditions personnelles de l'art. 10 LProst (art. 14 al. 1 let. b LProst). L'autorité compétente prononce, selon la gravité ou la réitération de l'infraction, les mesures et sanctions administratives suivantes : a) l'avertissement ; b) la fermeture temporaire du salon, pour une durée de un à six mois, et l'interdiction d'exploiter tout autre salon, pour une durée analogue ; c) la fermeture définitive du salon et l'interdiction d'exploiter tout autre salon pour une durée de dix ans (art. 14 al. 2 LProst).

7) a. Le droit est la base et la limite de l'activité de l'État (art. 5 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101). Cette disposition consacre le principe de légalité qui gouverne toute activité étatique. En fait partie intégrante la garantie des droits fondamentaux, soit des droits ou des libertés garanties aux particuliers, avec tout ce que cela comporte comme obligations et comme engagements au plan à la fois institutionnel et normatif (Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 2, 3ème éd., 2013, nos 1005 et 1011 p. 468 et 470).

b. Une décision est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. lorsqu'elle est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. L'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable
(ATF 142 V 512 consid. 4.2 ; 141 I 49 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_897/2017 du 31 janvier 2018 consid. 2.1). En l'espèce, le grief se confond avec celui de la mauvaise application du droit.

8) En l'espèce, les compétences du DSES et du DT sont explicitement reconnues par les textes légaux applicables. Tandis que le premier a une compétence de principe, il ne peut désormais procéder à l'inscription de la personne responsable au registre prévu à cet effet, qu'avec le préavis positif du second.

Les parties admettent que le recourant n'a pas obtenu ledit préavis du DT, après avoir tardé à le requérir. Alors que le DT avait attiré son attention dès le 6 novembre 2017 sur le fait que la nouvelle affectation du logement en salon de massage pouvait constituer un changement d'affectation non autorisé, le recourant n'a pas réagi avant le 26 avril 2018, après avoir été relancé au mois de mars 2018 par le DSES.

Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier que le DSES aurait transmis une quelconque décision au sens de l'art. 18 aRProst à la suite de l'entrée en vigueur de la modification du 30 novembre 2016, l'informant qu'il disposait d'un délai de deux ans pour libérer les locaux.

La décision en question, objet de la présente procédure, n'a été adressée au recourant que le 31 juillet 2018, de sorte que le délai de deux ans de l'art. 10 aRProst ne saurait avoir débuté avant cette date.

Quant au type de sanction infligé, comme déjà mentionné, le DSES a effectivement pour mission de sanctionner toute violation à la LProst, dont le fait de ne pas remplir les conditions de l'art. 10 LProst fait partie. Cela étant, s'il dispose de la prérogative d'ordonner la fermeture de l'établissement concerné, rien ne lui permet de s'immiscer dans des rapports de droit privé en fixant un terme au contrat de bail conclu entre le recourant et son bailleur.

Si, in casu, le DSES est compétent pour ordonner la fermeture définitive du salon du recourant, il ne saurait en revanche étendre son pouvoir aux rapports de droit privé concernés.

Ainsi, dans la mesure où le recourant ne satisfait effectivement pas aux conditions légales qu'il doit remplir, le DSES est fondé à le sanctionner. Il doit cependant se limiter à utiliser à cet effet les moyens accordés par la loi. En d'autres termes, le DSES peut uniquement ordonner la fermeture du salon concerné en laissant un délai de deux ans pour libérer les locaux dès la notification de sa décision.

Il s'ensuit que le recours sera admis.

9) Malgré cette issue, aucun émolument ne sera mis à la charge du département (art. 87 al. 1, 2ème phr., LPA). En revanche, le recourant se verra octroyer une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l'État de Genève.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 août 2018 par Monsieur A______ contre la décision du département de la sécurité, de l'emploi et de la santé du 31 juillet 2018 ;

 

au fond :

l'admet ;

annule la décision du département de la sécurité, de l'emploi et de la santé du 16 juillet 2013 ;

renvoie le dossier au département de la sécurité, de l'emploi et de la santé pour nouvelle décision au sens des considérations ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à charge de l'État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dimitri Tzortzis, avocat du recourant, ainsi qu'au département de la sécurité, de l'emploi et de la santé.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Michel

 

 

La présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :