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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3421/2018

ATA/1323/2019 du 03.09.2019 ( ANIM ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3421/2018-ANIM ATA/1323/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 septembre 2019

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Thomas Barth, avocat

contre

SERVICE DE LA CONSOMMATION ET DES AFFAIRES VÉTÉRINAIRES



EN FAIT

1) Madame A______, née en 1993, était détentrice d'une chienne Staffie femelle nommée « B______ » et du chien Staffie mâle nommé « C______ ».

2) Une première décision concernant la chienne « B______ » avait été prise par le service cantonal de la consommation et des affaires vétérinaires (ci-après : le service ou SCAV) au mois de février 2017 au terme de laquelle celle-ci devait être muselée au moyen d'une muselière lorsqu'elle était en liberté aussi longtemps qu'elle n'était pas maîtrisée ; Mme A______ devait suivre des cours d'éducation jusqu'à ce qu'elle la maîtrise.

« B______ » avait mordu un congénère le 30 janvier 2017.

3) Le 11 mai 2017, le service a rappelé à l'intéressée les termes de sa décision du 23 février 2017. Aucun des documents demandés n'avait été transmis. Les marques de contrôle des deux chiens n'avaient pas étés acquises dans les délais légaux.

Un rapport d'infraction allait être transmis au service des contraventions.

4) Une nouvelle décision a été prise par le service le 14 juillet 2017, Mme A______ n'ayant pas respecté la première.

« B______ » devait être tenue en laisse dès la sortie du domicile ; l'intéressée n'était pas déchargée des obligations découlant de la décision du 23 février 2017. Des frais étaient mis à la charge de l'intéressée.

Cette décision était notifiée sous la menace des peines de droit prévues à l'art.  292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

5) a. Le 2 mars 2018, un formulaire d'annonce de blessures a été transmis au service. Le 1er mars 2018, un tiers promenait trois chiens, dont « B______ » et « C______ », le troisième canidé étant « D______ » lequel était un fils de « B______ » et appartenait au frère de Mme A______.

Suite à cet incident, une évaluation de « B______ » avait été réalisée.

b. Par décision du 24 avril 2018, le SCAV a ordonné à Mme A______ de sortir « B______ » et « C______ » séparément et sans qu'ils ne soient accompagnés d'un autre chien ; « B______ » devait être tenue en laisse courte, muselée, et elle devait être stérilisée avant le 30 juin 2018. L'intéressée se voyait interdire de détenir d'autres chiens que ceux dont elle était propriétaire pour une durée de cinq ans. Les mesures précitées, à l'exception de la stérilisation de « B______ », pourraient être levées si l'intéressée suivait des cours d'éducation avec ses deux chiens, et que l'éducateur canin agréé considérait que les canidés étaient maîtrisés. En cas de non-respect de la décision, des mesures plus contraignantes, pouvant conduire notamment au séquestre provisoire des chiens, pourraient être prononcées.

Cette décision était prononcée sous la menace des peines de droit prévues à l'art. 292 CP.

6) a. Le 15 août 2018, un nouveau formulaire pour annonce de blessures d'un chien par un chien a été transmis au service. Le père de Mme A______ promenait « C______ » et « D______ » lorsqu'une petite chienne est venue jouer avec eux, puis a été mordue par les chiens.

Contactée par le service, Mme A______ a indiqué que le jour en question elle se trouvait en France avec « B______ ».

b. Le 30 août 2018, le SCAV a procédé au séquestre préventif des canidés « B______ » et « C______ ».

c. Lors d'un entretien le 4 septembre 2018, Mme A______ a indiqué être en préapprentissage, et avoir un revenu d'environ CHF 800.- par mois. Elle a donné un certain nombre d'informations sur la manière dont elle s'occupait de ses deux chiens et les incidents qui avaient été rapportés au SCAV.

« C______ » et « D______ » étaient les fils de « B______ », laquelle avait donné, depuis 2015, naissance à quinze chiots, dont une douzaine environ avaient été vendus à CHF 1'000.- par chiot afin de couvrir les frais de vaccins, de puces et les frais vétérinaires.

7) Par décision du 18 septembre 2018, déclarée exécutoire nonobstant recours, le SCAV a ordonné le séquestre définitif de « B______ » et de « C______ », détenus par Mme A______. La stérilisation de « B______ » était ordonnée. Un certain nombre de frais inhérents au séquestre ainsi que les émoluments de décision étaient mis à la charge de l'intéressée, laquelle était avertie qu'un rapport de contravention serait dressé concernant les infractions constatées à caractère pénal.

8) Le 1er octobre 2018, Mme A______ a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d'un recours contre la décision précitée, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif.

Contrairement à ce qu'avait retenu l'autorité intimée, elle n'avait vendu que sept chiots, pour un revenu situé entre CHF 5'600.- et CHF 7'000.-. Cette somme lui avait permis d'assumer les frais dus aux grossesses de la chienne « B______ ».

À la suite de sa première décision, le SCAV avait fait procéder à des examens dont il était ressorti que « B______ » et « C______ » ne montraient pas de signes d'agressivité. La recourante avait immédiatement fait porter une muselière à la chienne « B______ », mais n'avait pas compris qu'elle devait les promener séparément. Elle n'avait pas eu les moyens économiques pour suivre les cours d'éducation canine ni procéder à la stérilisation de « B______ ».

Lors de l'incident du mois d'août 2018, le père de Mme A______ promenait les chiens « C______ » et « D______ ». Son père avait l'habitude de ne pas attacher les chiens, dès lors qu'il avait l'autorisation du propriétaire. Un autre chien, non attaché, était arrivé et les trois animaux s'étaient bagarrés.

Quant au fond, le SCAV avait commis des confusions entre les chiens « B______ » et « C______ », attribuant à tort à l'un un incident concernant l'autre. La décision n'était pas proportionnée.

« B______ » avait fait l'objet de trois décisions antérieures alors que « C______ » n'avait fait l'objet que d'une décision ordonnant qu'il soit promené avec une laisse courte, et seul.

9) Le 15 octobre 2018, le SCAV a conclu au rejet de la demande de levée de l'effet suspensif, reprenant et développant les éléments figurant dans sa décision initiale.

10) Le 19 octobre 2018, le SCAV a indiqué que « B______ » avait été stérilisée, cette mesure n'ayant pas été contestée.

11) Le 1er novembre 2018, la présidence de la chambre administrative a refusé de restituer l'effet suspensif lié au recours ; les chiens ne devaient toutefois ni être donnés ni être mis à mort.

12) Le 13 novembre 2018, le SCAV a conclu, au fond, au rejet du recours. L'intéressée n'avait pas mis en oeuvre les mesures éducationnelles prévues par la loi, ni pour elle-même ni pour ses chiens. Les impératifs de protection du public, des animaux et de l'environnement prévus par la législation n'avaient pas été respectés, dès lors que l'intéressée n'avait pas pris les mesures nécessaires et adéquates pour assurer la sécurité publique en maîtrisant ses animaux. Le choix des mesures respectait le principe de la proportionnalité au vu des trois incidents qui avaient eu lieu avant le prononcé de la décision litigieuse. De plus, l'intéressée ne suivait pas les injonctions du service.

Les séquestres ordonnés étaient nécessaires au vu du comportement agressif supérieur à la norme des animaux concernés et de l'attitude de la recourante.

13) Le 4 janvier 2019, la recourante a exercé son droit à la réplique. Le SCAV, comme elle l'avait déjà indiqué, commettait une erreur entre les incidents impliquant « B______ » et ceux impliquant « C______ ». L'incident mentionné par l'autorité, datant du 26 septembre 2018 et postérieur à la décision de séquestre, était sans pertinence. D'autres mesures, moins contraignantes et adéquates, auraient permis d'atteindre le même but. L'amalgame fait par l'autorité, qui venait reprocher à « B______ » un incident alors qu'il était absent, choquait le sentiment de justice et d'équité et violait le principe de l'interdiction de l'arbitraire.

14) Sur quoi, la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. La loi sur les chiens du 18 mars 2011 (LChiens - M 3 45) a pour but de régir, en application de la loi fédérale sur la protection des animaux du 16 décembre 2005 (LFPA - RS 455), les conditions d'élevage, d'éducation et de détention des chiens, notamment en vue d'assurer la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques (art. 1 let. b LChiens). Il résulte des travaux préparatoires ayant conduit à son adoption que la LChiens n'est pas une loi sur les chiens, mais sur leurs détenteurs et met en particulier l'accent sur la prévention (MGC 2002 2003/XI A-6561 ; ATA/110/2010 du 16 février 2010).

Le département, soit pour lui le SCAV, est compétent pour l'application de la loi et de son règlement d'exécution (art. 3 al. 1 LChiens ; art. 1 al. 1 du règlement d'application de la LChiens du 27 juillet 2011 (RChiens M 3 45.01).

b. Les art. 10 ss LChiens régissent les conditions de détention et énoncent diverses obligations à charge du détenteur, à savoir celui qui exerce la maîtrise effective sur le chien et qui a de ce fait le pouvoir de décider comment il est gardé, traité et surveillé (art. 11 al. 1 LChiens). Le détenteur doit éduquer son chien, en particulier en vue d'assurer un comportement sociable optimal de ce dernier, et faire en sorte qu'il ne nuise ni au public, ni aux animaux, ni à l'environnement, le dressage à l'attaque étant en principe interdit (art. 15 LChiens). Tout détenteur doit prendre les précautions nécessaires afin que son chien ne puisse pas lui échapper, blesser, menacer ou poursuivre le public et les animaux, ni porter préjudice à l'environnement, notamment aux cultures, à la faune et à la flore sauvages (art. 18 al. 1 LChiens). Cette dernière disposition pose le principe de la maîtrise nécessaire des chiens pour éviter la survenance d'accidents, qui peuvent mettre en cause non seulement le public, les enfants et les personnes âgées étant particulièrement vulnérables, mais également les animaux domestiques, notamment les autres chiens, qui sont souvent victimes d'agressions de la part de leurs congénères (exposé des motifs relatif au PL 10531, p. 36, consultable sur le site http://ge.ch/grandconseil/memorial/seances/570206/33/2/).

c. Les art. 22 ss LChiens sont consacrés aux chiens dangereux. Entrent notamment dans cette catégorie les chiens ayant un comportement agressif ou dangereux au sens de l'art. 26 LChiens, soit ceux, toutes races confondues, ayant attaqué ou gravement blessé un être humain ou un animal et dont la dangerosité avérée est constatée par le département (al. 1). Le département se prononce sur la dangerosité à l'issue de la procédure d'instruction prévue par la loi (al. 2). Si la dangerosité est avérée, le chien est interdit sur le territoire du canton et séquestré en vue de son euthanasie (al. 3). Sont également considérés comme pouvant présenter un danger potentiel les chiens de grande taille, dès 56 cm au garrot, et d'un poids supérieur à 25 kg (art. 27 LChiens).

d. Il appartient au détenteur d'annoncer au département les cas de blessures graves à un être humain ou à un animal, causées par son chien et tout comportement d'agression supérieur à la norme, une telle obligation incombant également aux forces de l'ordre et aux vétérinaires (art. 36 al. 1 et 2 LChiens). Selon l'art. 38 LChiens, dès réception d'une dénonciation ou d'un constat d'infraction, le département procède à l'instruction du dossier conformément aux dispositions de la LPA (al. 1). Il peut séquestrer immédiatement l'animal et procéder à une évaluation générale ou faire appel à des experts afin d'évaluer le degré de dangerosité du chien, et ce aux frais du détenteur (al. 2).

À l'issue de la procédure, le département statue et prend, le cas échéant, les mesures prévues à l'art. 39 LChiens (al. 3). En application de l'alinéa 1 de cette dernière disposition, le département peut prononcer et notifier aux intéressés, en fonction de la gravité des faits : l'obligation de suivre des cours d'éducation canine (let. a) ; celle du port de la muselière (let. b) ; la castration ou la stérilisation du chien (let. c) ; le séquestre provisoire ou définitif du chien (let. d) ; le refoulement du chien dont le détenteur n'est pas domicilié sur le territoire du canton (let. e) ; l'euthanasie du chien (let. f) ; le retrait de l'autorisation de détenir un chien (let. g) ; l'interdiction de pratiquer l'élevage (let. h) ; le retrait de l'autorisation de pratiquer le commerce de chiens ou l'élevage professionnel (let. i) ; le retrait de l'autorisation d'exercer l'activité de promeneur de chiens (let. j) ; la radiation temporaire ou définitive de la liste des éducateurs canins (let. k) ; l'interdiction de détenir un chien (let. l).

Le catalogue des mesures prévues à l'art. 39 al. 1 LChiens concerne tant l'animal que les différents acteurs en interaction avec les chiens. Dans ce cadre, le département dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans le choix de la mesure qu'il juge la plus adéquate, tout en étant tenu par les limites du principe de proportionnalité (PL 10531, op.cit., p. 49).

e. Dans l'exercice de ses compétences, l'autorité administrative doit respecter le principe de proportionnalité. Exprimé à l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), il commande que la mesure étatique soit nécessaire et apte à atteindre le but prévu et raisonnablement exigible de la part de la personne concernée (ATF 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 140 II 194 consid. 5.8.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1013/2015 du 28 avril 2016 consid. 4.1). Traditionnellement, le principe de proportionnalité se compose des règles d'aptitude, qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé, de nécessité, qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, celui portant l'atteinte la moins grave aux intérêts privés soit privilégié, et de la proportionnalité au sens étroit, selon lequel les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public soient mis en balance (ATA/309/2016 du 12 avril 2016 ; ATA/569/2015 du 2 juin 2015).

3) En l'espèce, les chiens de la recourante ont, à plusieurs reprises, mordu des congénères. Même sans tenir compte de l'agression mortelle qui a eu lieu postérieurement au prononcé de la décision et à son exécution anticipée et en corrigeant l'erreur commise par le service, qui a interverti « B______ » avec un autre chien dans le cadre d'un incident, la chambre administrative retiendra que les canidés concernés ont démontré, en l'état de leur éducation, représenter un danger à tout le moins pour les autres chiens.

Le service a fait preuve d'une immense patience à l'égard de la détentrice des animaux en question, qui s'est vu notifier de très nombreuses décisions, voire des sanctions pénales, sans jamais amender son comportement et prendre au sérieux les exigences que le service lui posait, soit faire stériliser sa chienne, suivre des cours de formation, promener les chiens séparément, etc.

Les explications données à cette grande négligence, soit de ne pas avoir disposé de l'argent nécessaire pour suivre les cours ou ne pas avoir compris les décisions notifiées, ne sauraient exonérer la recourante d'un quelconque reproche. La procédure a démontré que, selon son propre aveu, elle a vendu des chiots pour plusieurs milliers de francs. En tout état, il lui appartenait d'acquérir les compétences de maîtrise nécessaires et cela même si cela entraînait de sa part des efforts financiers sérieux.

Au vu de ces éléments, la décision querellée repose sur une base légale, répond à un intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité.

Dans ces circonstances, les griefs formés par la recourante à l'encontre de la décision, qui n'ont pas de substance, seront écartés et le recours sera rejeté.

4) Vu cette issue, un émolument de CHF 800.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er octobre 2019 par Madame A______ contre la décision du service de la consommation et des affaires vétérinaires du 18 septembre 2018 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 800.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Thomas Barth, avocat de la recourante, ainsi qu'au service de la consommation et des affaires vétérinaires.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :