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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1300/2019

ATA/1359/2019 du 10.09.2019 ( NAT ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1300/2019-NAT ATA/1359/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 septembre 2019

 

dans la cause

 

Madame A_____, agissant en son nom personnel et en qualité de représentante de son époux, Monsieur B______, et de leur enfant mineure, C______

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS



EN FAIT

1) Madame A_____, née le ______1982, et son époux Monsieur A______, né le ______1974, ainsi que leur fille C______, née le ______ 2012 à Genève, ressortissants marocains, résident à Genève.

Mme A_____ est arrivée à Genève le 19 juin 2006 pour y effectuer des études. Elle a été mise au bénéfice d'une carte de légitimation lors de son engagement en qualité d'assistante auprès de la mission permanente du D______ en août 2009.

Mme A_____ a épousé M. B______, le ______ 2010. Celui-ci est arrivé à Genève le 28 janvier 2011 pour rejoindre son épouse. Il y réside depuis lors, est titulaire d'un permis Ci, soit du permis délivré aux membres de famille du personnel des missions permanentes et des organisations internationales, et travaille dans une entreprise de la place.

2) Le 22 décembre 2017, Mme A_____, M. B______ et leur fille ont adressé, par courrier recommandé de leur mandataire à l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), une demande de naturalisation suisse et genevoise. Ils avaient accompli la durée de résidence nécessaire au dépôt de la demande, de sorte que leur candidature était recevable.

La demande était accompagnée de plusieurs pièces, dont le permis B pour études valable du 19 juin 2006 au 30 septembre 2009.

3) Le 1er janvier 2018 est entrée en vigueur la nouvelle loi sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN - RS 141.0), abrogeant la loi fédérale sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse du 29 septembre 1952 (aLN - RS 141.0).

4) Pendant l'instruction de la demande par l'OCPM, une abondante correspondance s'est développée entre l'OCPM et le mandataire des requérants. Ceux-ci ont déposé les pièces requises, complétant leur dossier selon les demandes de l'OCPM.

Ainsi, le 3 juillet 2018 notamment, l'OCPM a demandé des informations complémentaires concernant la durée de la résidence, les douze années requises ne semblant pas atteintes. Une décision de refus allait être prononcée.

5) Le 3 août 2018, le mandataire des requérants a précisé que Mme A_____ avait accompli, en date du 19 juin 2018, les douze ans de résidence en Suisse. Sa requête était par conséquent recevable.

Des pièces complémentaires ont encore été déposées les 5 et 23 novembre 2018.

6) Le 7 décembre 2018, l'OCPM a réitéré son intention de ne pas engager la procédure de naturalisation en vertu de l'ancien droit, Mme A_____ ne pouvant se prévaloir, au 31 décembre 2017, que d'un séjour d'un peu plus de 138 mois sur les 144 requis.

Les requérants étaient invités à faire valoir leur droit d'être entendus.

7) Le 17 janvier 2019, les requérants ont maintenu leur position. Une décision au fond devait être rendue.

8) Par décision du 27 février 2019, l'OCPM a refusé d'engager la procédure de naturalisation sous l'ancien droit au bénéfice de Mme A_____, de M. B______ et de leur fille C______.

La durée de la résidence de Mme A_____ au 31 décembre 2017 était inférieure aux 144 mois requis par la loi. Les douze années de résidence n'avaient été accomplies qu'après l'entrée en vigueur du nouveau droit en matière de nationalité.

Aucune décision « au fond » ne pouvait être rendue, celle-ci étant de la compétence du Conseil d'État. Seule une décision sur la recevabilité de la demande pouvait être rendue.

9) Par pli recommandé du 1er avril 2019, Mme A_____, au nom de sa famille, a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de l'OCPM, concluant à la recevabilité de la demande de naturalisation.

Le changement de loi sur l'acquisition de la nationalité suisse touchait les porteurs de carte de légitimation. Les conséquences pour sa famille apparaissaient d'autant plus lourdes qu'elle avait déposé une demande avant le 31 décembre 2017. Leur avocat les avait informés qu'ils ne remplissaient pas la condition de durée de séjour mais leurs connaissances et amis les avaient incités à déposer la demande nonobstant l'absence de quelques mois de séjour.

Ce n'était que le 3 juillet 2018 que l'OCPM avait constaté que la période de douze ans de séjour n'était pas accomplie lors du dépôt de la requête, alors qu'elle l'était à ce moment-là. Le refus d'entrer en matière ne leur avait été communiqué qu'après cette période de douze ans.

Les exigences de la nouvelle loi étaient discutées, de même que le fait que les séjours à prendre en considération ne devaient pas impérativement se suivre sans interruption. En outre, dans certains cas, qui ne pouvaient être nommés, cette exigence avait été assouplie.

Les porteurs de cartes de légitimation sous l'emprise de l'ancienne loi pouvaient être absents de Suisse sans que cela empêche leur naturalisation pour autant que leur point d'ancrage reste en Suisse et que leur absence ne soit pas supérieure à six mois. Or, la durée de résidence manquant n'équivalait qu'à cinq mois. En outre, elle faisait valoir la bonne intégration de la famille et espérait que l'équité commanderait d'accéder à leur demande.

10) L'OCPM a conclu au rejet du recours.

L'avocat des requérants était parfaitement à même d'examiner les conditions légales pour la recevabilité d'une demande de naturalisation. Les conditions n'étaient manifestement pas remplies en l'espèce en raison d'une durée de séjour trop courte.

Même si dans des cas particuliers la procédure de naturalisation avait été engagée alors que les conditions n'étaient pas remplies - ce qui n'était pas démontré -, il n'y avait pas d'égalité dans l'illégalité.

11) Dans sa réplique, Mme A_____ a persisté dans son argumentation.

Les conditions genevoises de naturalisation communale et cantonale étaient manifestement réalisées. Dans un esprit d'équité et de respect des principes devant guider l'application de la loi, l'autorité cantonale aurait pu considérer que les conditions étaient remplies et, dans l'attente de l'envoi du dossier à Berne, aurait pu suspendre la procédure, afin que le dossier puisse être envoyé à Berne lorsque les douze ans requis étaient écoulés.

Par souci de l'avenir de leur enfant et compte tenu de leur intégration et de leur sens des responsabilités et de respect des institutions suisses, il ne saurait leur être reproché d'avoir agi de mauvaise foi en déposant leur demande juste avant la fin de l'année 2017, comme le sous-entendait l'OCPM.

12) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente par les destinataires de la décision litigieuse, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur une décision de refus d'engager la procédure de naturalisation au motif que la durée de séjour au 31 décembre 2017, de la requérante principale, était inférieure à douze ans.

3) L'art. 50 al. 1 LN dispose que l'acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s'est produit. Les demandes déposées avant l'entrée en vigueur de la loi sont traitées conformément aux dispositions de l'ancien droit jusqu'à ce qu'une décision soit rendue (art. 50 al. 2 LN).

La demande de naturalisation des intéressés a été envoyée par pli recommandé à l'autorité compétente le 22 décembre 2017, soit avant l'entrée en vigueur de la LN, elle doit être traitée en application de l'ancien droit.

4) a. Jusqu'au 31 décembre 2017, les conditions pour la naturalisation étaient énoncées aux art. 14 (conditions d'aptitude) et 15 (conditions de résidence) aLN. Ainsi, une demande ne pouvait être déposée que si le requérant avait résidé en Suisse pendant douze ans, dont trois au cours des cinq années qui précédaient la requête (art. 15 al. 1 LN).

b. L'art. 36 aLN définissait la résidence en prévoyant qu'elle était, pour l'étranger, la présence en Suisse conforme aux dispositions légales sur la police des étrangers (al. 1).

c. À Genève, le candidat à la naturalisation doit remplir les conditions fixées par le droit fédéral et celles fixées par le droit cantonal (art. 1 let. b de la loi sur la nationalité genevoise du 13 mars 1992 - LNat - A 4 05, dans sa teneur actuelle et dans sa teneur antérieure à la dernière modification législative entrée en vigueur le 4 avril 2018).

d. Les dispositions de l'aLN contenant des conditions formelles et matérielles minimales en matière de naturalisation ordinaire, les cantons peuvent définir des exigences concrètes en matière de résidence et d'aptitude supplémentaires, pour autant qu'elles n'entravent pas l'application du droit fédéral (ATF 139 I 169 consid. 6.2).

e. La condition de la résidence est essentielle en droit de la nationalité. Il s'agit d'une condition formelle de la naturalisation, dans la mesure où une fois établie, l'autorité peut entrer en matière sur la requête et déterminer si la condition matérielle qu'est l'aptitude est remplie (Céline GUTZWILLER, Droit de la nationalité et fédéralisme en Suisse, 2008, p. 287).

f. En l'espèce, la durée de résidence à Genève de la recourante, au moment du dépôt de sa requête, ne fait pas débat. En effet, ayant débuté en juin 2006, la durée de la résidence au 31 décembre 2017 est, au maximum, inférieure à douze ans. En conséquence, il est manifeste que la recourante ne remplit pas la condition formelle pour que l'autorité entre en matière sur sa requête.

Les arguments relatifs au pouvoir d'appréciation de l'autorité intimée tombent à faux, dès lors que la durée de la résidence relève d'une condition objective ; il n'existe pas de pouvoir d'appréciation des autorités à cet égard.

En outre, l'analogie faite avec les interruptions de la résidence de moins de six mois, qui seraient prises en compte dans la durée de séjour, tombe également à faux, puisqu'il s'agit par définition d'absences ayant eu lieu à l'intérieur de la période de douze ans et non pas au début ou à la fin de celle-ci.

Force est ainsi de constater que c'est à juste titre que l'autorité intimée a retenu que le nombre requis d'années de séjour en Suisse n'était pas atteint.

5) Nonobstant ce fait, la recourante estime encore que l'égalité de traitement commanderait qu'une exception soit faite relative à la durée de séjour, comme cela aurait été le cas pour d'autres personnes, non nommées.

Or, même dans le cas où une inégalité de traitement aurait été démontrée - ce qui n'est pas le cas en l'espèce -, la recourante ne pourrait s'en prévaloir, en vertu du principe selon lequel il n'y a en principe pas d'égalité dans l'illégalité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_107/2019 du 4 juin 2019 consid. 4.3 ; ATA/836/2019 du 30 avril 2019).

6) Finalement, la recourante fait valoir que les conditions genevoises de naturalisation étant manifestement réalisées, le dossier aurait pu être suspendu pour être adressé à Berne lorsque les douze ans seraient écoulés.

Dans son argumentation, la recourante perd de vue que toutes les conditions formelles et matérielles pour l'obtention de la nationalité suisse doivent être réalisées avant le 31 décembre 2017, s'agissant d'une requête déposée avant l'entrée en vigueur du nouveau droit et fondée sur l'ancien droit. La suspension de la procédure, dans l'attente que la durée de sa résidence atteigne douze ans, n'est donc pas susceptible de modifier la décision de refus d'entrée en matière. De même, la durée de la présente procédure n'est pas susceptible de modifier son issue.

7) En tous points infondé, le recours sera rejeté.

Aucun émolument ne sera mis à la charge de la recourante, la procédure étant gratuite (art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Il ne sera alloué aucune indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er avril 2019 par Madame A_____, agissant en son nom personnel et en qualité de représentante de son époux, Monsieur A______, et de leur enfant mineure, C______, contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 27 février 2019 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A_____, agissant en son nom personnel et en qualité de représentante de son époux, Monsieur A______, et de leur enfant mineure, C______, à l'office cantonal de la population et des migrations, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Thélin et Verniory,
Mmes Payot Zen-Ruffinen et Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Michel

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :