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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1105/2019

ATA/1017/2019 du 13.06.2019 ( FORMA ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1105/2019-FORMA ATA/1017/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 juin 2019

 

dans la cause

 

A______, enfant mineur, agissant par ses parents Madame B______ et Monsieur C______,
représentés par Me Romain Jordan, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE



EN FAIT

1) Afin de respecter la sphère privée de la famille, les faits seront succinctement résumés comme suit.

Madame B______ est de nationalité suisse, Monsieur C______ est de nationalité française. Ils sont parents de A______
(ci-après : A______ ou l'élève, né en 2008), de nationalité suisse et française.

Mme B______ et M. C______ sont divorcés. Ils vivent tous deux en France, respectivement, pour Mme B______ à D______, et pour M. C______ à E______. A______ a fait toute sa scolarité à E______. 2)

3) Le 9 janvier 2019, la direction générale de l'enseignement obligatoire
(ci-après : DGEO) du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : le DIP ou le département) a reçu la demande d'admission dans l'enseignement primaire public genevois d'élèves domiciliés en France voisine, rentrée 2019, en faveur de A______.

4) Le 13 février 2019, le département, soit pour lui la DGEO, a rejeté la demande d'admission dans l'enseignement primaire public genevois de A______.

Il ne remplissait pas les conditions d'admission de l'art. 23 al. 1 let. b du règlement de l'enseignement primaire du 7 juillet 1993 (REP - 1 10.21), à savoir qu'il n'avait pas de fratrie déjà scolarisée au sein de l'enseignement obligatoire public genevois, condition nécessaire pour pouvoir l'admettre à Genève.

5) Par acte du 18 mars 2019, par l'intermédiaire d'un avocat, les parents ont recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative). Sous suite de dépens, ils ont conclu, sur mesures provisionnelles, à ce que soit ordonnée l'admission de l'élève dans l'enseignement primaire public genevois ; préalablement à ce qu'il soit ordonné au département de produire l'intégralité de ses directives internes sur l'admission à l'école primaire et au cycle d'orientation des enfants de parents domiciliés hors du canton et tous autres documents en lien avec le processus de sélection des élèves dans l'enseignement primaire public genevois ; principalement à l'annulation de la décision du 13 février 2019.

Ils ont soulevé les griefs de violation du droit d'être entendu, de violation du droit à un enseignement de base suffisant et gratuit, de violation de l'Accord du
21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681), de violation de la liberté d'établissement, de violation du droit à l'égalité de traitement, de l'interdiction de la discrimination et de l'interdiction de l'arbitraire et enfin de violation du principe de la légalité et de la séparation des pouvoirs.

6) Le 10 avril 2019, le département a conclu, principalement, au rejet du recours et, subsidiairement, à l'audition du directeur du service organisation et planification auprès de la DGEO (ci-après : le service), cela fait au rejet du recours.

Le canton de Genève était légitimé juridiquement à limiter l'accès à l'école obligatoire aux seuls résidents de son territoire. Le Conseil d'État avait choisi de prévoir une exception à ce principe, s'agissant des enfants dont le membre d'une fratrie serait d'ores et déjà scolarisé au sein d'un établissement scolaire public obligatoire, ce qui n'était pas le cas des enfants du couple. Le règlement applicable ne prévoyait aucune dérogation, s'agissant de la procédure d'admission, pour des situations particulières d'élèves domiciliés hors canton.

Pour ce qui concernait l'élève, il n'avait pas de membre de sa fratrie actuellement scolarisé dans un établissement scolaire public genevois.

Pour le reste, la scolarité de l'élève n'était pas péjorée dans son pays de domicile, la France disposant d'infrastructures et d'un système scolaire de qualité à même de leur garantir un parcours scolaire conforme à ses intérêts. Le souhait de ses parents de le scolariser en Suisse devait céder le pas devant l'intérêt public du canton de Genève à assurer et maintenir un enseignement de qualité pour les élèves résidant sur sol genevois.

7) Le 15 mai 2019, le juge délégué a informé les recourants que le DIP venait de verser à la procédure trois avis de droit concernant la légalité de la nouvelle réglementation relative à la scolarisation d'élèves frontaliers.

Il s'agissait de l'avis de droit de Madame Christine KADDOUS, professeure ordinaire à l'Université de Genève et directrice du Centre d'études juridiques européennes, du 13 octobre 2018, de celui de Mesdames Astrid EPINEY, professeure ordinaire et rectrice de l'Université de Fribourg, directrice de l'Institut de droit européen, et Déborah SANGSUE, assistante diplômée à l'Institut de droit européen, d'avril 2019, et enfin de celui de Monsieur Vincent MARTENET, professeur ordinaire à l'Université de Lausanne et vice-directeur de l'École de droit, du 6 mai 2019.

Ces avis de droit, par ailleurs mis à leur disposition au guichet de la chambre administrative, étaient joints au courrier du juge délégué.

Les trois avis de droit versés à la procédure par le DIP peuvent être consultés à l'adresse : https://www.ge.ch/document/point-presse-du-conseil-etat-du-15-mai-2019 .

8) Le 3 juin 2019, les recourants ont persisté dans leurs conclusions et arguments.

À titre liminaire, ils se satisfaisaient de ce que le département avait versé ses avis de droit à la procédure. Cela étant dit, ils ont relevé que l'avis de droit rendu par la prof. KADDOUS concluait à l'incompatibilité de l'art. 23 REP avec l'ALCP. Cet avis de droit avait été rendu avant le prononcé de la décision litigieuse. C'était donc de manière parfaitement éclairée que le département avait refusé la demande d'admission de l'élève. En s'abstenant de leur transmettre cet avis de droit, pièce faisant partie intégrante du dossier, le département avait gravement violé leur droit d'être entendus. Compte tenu du pouvoir d'appréciation limité de la chambre administrative, laquelle ne pouvait pas revoir l'opportunité d'une décision, cette violation était irréparable à ce stade de la procédure. La décision litigieuse devait être annulée.

9) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Saisie d'un recours, la chambre administrative applique le droit d'office. Elle est liée par les conclusions des parties, mais non par les motifs que les parties invoquent (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/114/2019 du 5 février 2019 consid. 1 et les références citées).

3) Le département sollicite l'audition du directeur du service. Selon le DIP, cette audition doit permettre de démontrer qu'en raison de l'exiguïté du territoire cantonal et du manque de terrains à bâtir, il était très long et compliqué de construire ou agrandir des établissements scolaires. Une importante augmentation du nombre d'élèves dans l'enseignement obligatoire était à prévoir dans les prochaines années.

a. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend, notamment, le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique (ATF 135 I 279 consid. 2.3). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas le juge d'y renoncer et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; 136 I 229 consid. 5.2). En outre, le droit d'être entendu ne comprend pas le droit d'être entendu oralement (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 134 I 140 consid. 5.3).

b. Les obstacles rencontrés par les autorités cantonales et communales pour mener à bien des projets de construction de logements, de bâtiments administratifs voire d'écoles sont des faits connus qui n'ont pas échappé à la chambre de céans. S'agissant de l'augmentation des élèves qui fréquenteront l'enseignement obligatoire dans les prochaines années, le DIP a versé à la procédure un rapport pertinent établi par le service de recherche en éducation en septembre 2018. L'audition sollicitée n'est ainsi pas nécessaire.

4) a. Les recourants se plaignent d'une violation de leur droit d'être entendus.

Ils se plaignent d'une part d'un défaut de motivation de la décision litigieuse. Celle-ci serait sommaire, n'exposant pas comment un règlement pouvait primer des garanties constitutionnelles ou de droit européen et le département ne donnant aucune indication quant aux démarches que les parents devaient entreprendre pour que leur enfant puisse être inscrit dans l'enseignement obligatoire. Ils reprochent d'autre part au département de ne pas avoir transmis l'avis de droit de la prof. KADDOUS, pourtant en sa possession, avant de prononcer la décision litigieuse.

b. Le droit d'être entendu comprend notamment le droit d'obtenir une décision motivée. L'autorité n'est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; 137 II 266 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_597/2013 du 28 octobre 2013 consid. 5.2 ; 2C_713/2013 du 22 août 2013 consid. 2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, p. 531 n. 1573). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; 138 I 232 consid. 5.1 ; 136 I 184 consid. 2.2.1).

c. En l'espèce, la décision litigieuse mentionne expressément l'art. 23 al. 1
let. b REP comme fondement du refus de permettre à l'élève d'accéder à l'enseignement primaire public genevois. Cette décision précise par ailleurs pourquoi les conditions posées par cette disposition ne sont pas remplies, à savoir que l'élève n'a pas de fratrie déjà scolarisée au sein de l'enseignement public obligatoire genevois. Ces éléments ont permis aux recourants de comprendre que l'élève ne pouvait pas accéder à l'école primaire à Genève. Ils ont d'ailleurs, avec leur avocat, pu recourir auprès de la chambre de céans en toute connaissance de cause.

d. S'agissant des démarches qui devaient être entreprises par les parents, les recourants les ont manifestement identifiées puisqu'ils ont déposé auprès de l'autorité compétente le formulaire de demande pertinent en vue de l'admission de A______ à l'école primaire.

e. En ce qui concerne l'avis de droit de la prof. KADDOUS, il a finalement été versé à la procédure et, de même que les deux autres avis de droit, porté à la connaissance des recourants. Leur avocat a pu, une fois cet avis de droit et les deux autres en sa possession, répliquer en connaissance de cause.

f. Enfin, et comme le démontre le présent arrêt, le litige à résoudre, qui porte sur le refus du DIP de scolariser l'élève dans l'enseignement primaire public genevois, relève de la stricte conformité au droit de la décision contestée. Le département ne disposait pour se prononcer sur la demande d'accès à l'école primaire genevoise d'aucun pouvoir d'appréciation. Il n'avait en effet pas le choix entre plusieurs solutions opportunes et conformes au droit : soit l'élève remplissait les conditions d'accès à l'école primaire, soit il ne les remplissait pas. La question de l'opportunité ne se posant pas, il n'y a dès lors pas lieu d'annuler la décision litigieuse pour ce motif.

Ce premier grief sera en conséquence écarté.

5) a. À teneur de l'art. 19 Cst., le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit est garanti. Au niveau cantonal, l'art. 24 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (A 2 00 - Cst-GE) dispose que le droit à l'éducation, à la formation et à la formation continue est garanti
(al. 1). Toute personne a droit à une formation initiale publique gratuite (al. 2). Toute personne dépourvue des ressources financières nécessaires à une formation reconnue a droit à un soutien de l'État (al. 3).

L'art 62 Cst. prévoit pour sa part que l'instruction publique est du ressort des cantons (al. 1). Les cantons pourvoient à un enseignement de base suffisant ouvert à tous les enfants. Cet enseignement est obligatoire et placé sous la direction ou la surveillance des autorités publiques. Il est gratuit dans les écoles publiques (al. 2). Les cantons pourvoient à une formation spéciale suffisante pour les enfants et adolescents handicapés, au plus tard jusqu'à leur 20ème anniversaire (al. 3). Si les efforts de coordination n'aboutissent pas à une harmonisation de l'instruction publique concernant la scolarité obligatoire, l'âge de l'entrée à l'école, la durée et les objectifs des niveaux d'enseignement et le passage de l'un à l'autre, ainsi que la reconnaissance des diplômes, la Confédération légifère dans la mesure nécessaire (al. 4). La Confédération règle le début de l'année scolaire (al. 5). Les cantons sont associés à la préparation des actes de la Confédération qui affectent leurs compétences ; leur avis revêt un poids particulier (al. 6).

b. Selon son art. 1, la loi sur l'instruction publique du 17 septembre 2015 (LIP - C 1 10) régit l'instruction obligatoire, soit la scolarité et la formation obligatoires jusqu'à l'âge de la majorité pour l'enseignement public et privé
(al. 1). Elle régit également l'intégration et l'instruction des enfants et des jeunes à besoins éducatifs particuliers ou handicapés de la naissance à l'âge de 20 ans révolus (al. 2). Elle s'applique aux degrés primaire et secondaire I (scolarité obligatoire) et aux degrés secondaire II et tertiaire ne relevant pas des hautes écoles (ci-après : degré tertiaire B) dans les établissements de l'instruction publique (al. 3).

L'instruction publique comprend le degré primaire, composé du cycle élémentaire et du cycle moyen (art. 4 al. 1 let. a LIP). Selon l'art. 60 LIP, le degré primaire dure huit ans et comprend deux cycles d'une durée de quatre ans chacun, à savoir le cycle élémentaire (années 1 à 4) et le cycle moyen (années 5 à 8).

c. L'art. 37 al. 1 LIP prévoit que tous les enfants et jeunes en âge de scolarité obligatoire et habitant le canton de Genève doivent recevoir, dans les écoles publiques ou privées, ou à domicile, une instruction conforme aux prescriptions de ladite loi, au programme général établi par le département conformément à l'accord intercantonal sur l'harmonisation de la scolarité obligatoire du 14 juin 2007 (HarmoS - C 1 06) et à la convention scolaire romande du 21 juin 2007 (CSR - C 1 07).

Le département, avec le concours des services concernés, veille à l'observation de l'obligation d'instruction, telle que définie à l'art. 1 LIP (art. 38
al. 1 LIP). Les parents sont tenus, sur demande du département, de justifier que leurs enfants, jusqu'à l'âge de la majorité, reçoivent l'instruction obligatoire fixée par la loi (art. 38 al. 2 LIP).

La scolarité est obligatoire pour les enfants dès l'âge de 4 ans révolus au
31 juillet (art. 55 al. 1 LIP). Tout enfant, dès l'âge de 4 ans révolus au 31 juillet, doit être inscrit à l'école dans les trois jours qui suivent son arrivée à Genève
(art. 57 al 1 LIP).

L'art. 58 LIP prévoit que, sous réserve des alinéas 2 à 5, les élèves sont scolarisés dans l'établissement correspondant au secteur de recrutement du lieu de domicile ou à défaut du lieu de résidence des parents (al. 1). Si les élèves de ce secteur de recrutement sont en nombre insuffisant ou sont trop nombreux pour l'organisation rationnelle de l'enseignement, le département peut les affecter à une autre école. Cette affectation n'est pas sujette à recours (al. 2). Après avoir entendu les parents concernés, la ou les directions des établissements concernés peuvent transférer un élève dans une autre classe ou un autre établissement, en cours d'année ou pour l'année scolaire suivante, lorsque le bon déroulement de la scolarité de l'élève et/ou le bon fonctionnement de la classe ou de l'établissement le commande (al. 3). Pour les élèves qui sont inscrits dans un dispositif spécifique, tel que les classes et institutions de l'enseignement spécialisé ou les classes
Sport-Art-Études, notamment, des exceptions au lieu de scolarisation peuvent être prévues par voie réglementaire. Cette affectation n'est pas sujette à recours (al. 4). Enfin, le département peut, à titre exceptionnel, accorder des dérogations, notamment en cas de changement de domicile, de manière à permettre à l'élève de terminer l'année scolaire dans la classe où il l'a commencée (al. 5).

d. Au niveau réglementaire, l'art. 3 al. 1 REP prévoit que l'enseignement primaire comprend huit années de scolarité réparties de la manière suivante : le cycle élémentaire qui comprend la 1ère année (4 à 5 ans), la 2ème année primaire
(5 à 6 ans), la 3ème année primaire (6 à 7 ans), la 4ème année primaire (7 à 8 ans) et le cycle moyen qui comprend la 5ème année primaire (8 à 9 ans), la 6ème année primaire (9 à 10 ans), la 7ème année primaire (10 à 11 ans) et enfin la 8ème année primaire (11 à 12 ans).

Tous les enfants en âge de scolarité obligatoire et habitant le canton de Genève doivent recevoir, dans les écoles publiques ou privées, ou à domicile, une instruction conforme aux prescriptions de la loi et au programme général établi par le département (art. 19 al. 1 REP).

L'art. 23 REP est applicable aux enfants domiciliés hors canton. Il prévoit que sont admis dans l'enseignement primaire public genevois :

-          les élèves domiciliés en France voisine et déjà scolarisés dans l'enseignement public genevois, pour autant que l'un de leurs parents au moins soit assujetti à Genève à l'impôt sur le revenu de l'activité rémunérée qu'il exerce de manière permanente dans le canton (al. 1 let. a) ;

-          les frères et soeurs ainsi que les demi-frères et les demi-soeurs des enfants scolarisés au sein d'établissements scolaires publics genevois (al. 1 let. b).

Les enfants domiciliés hors canton peuvent être scolarisés très exceptionnellement à Genève, selon les termes fixés par la convention intercantonale du 20 mai 2005 réglant la fréquentation d'une école située dans un canton autre que celui de domicile (ROF 2005_097 ; https://www.ge.ch/legislation/accords/doc/0087.pdf ; ci-après : la convention intercantonale réglant la fréquentation) (al. 2).

La demande d'admission au sens de l'al. 1 doit être déposée auprès de la direction générale de l'enseignement obligatoire dans le délai fixé chaque année par le département et publié sur le site Internet de ce dernier
(al. 3).

6) a. En l'espèce, il n'est pas contesté que l'élève a atteint un âge qui, s'il remplissait toutes les conditions lui permettant d'y prétendre, le destinerait à être scolarisé dans l'enseignement primaire public genevois.

b. Alors que l'art. 19 Cst. garantit le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit, consacrant ainsi un droit social, justiciable, qui oblige la collectivité à fournir une prestation (Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/
Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 2013, n. 1563 et la référence citée), l'art. 62 Cst. fonde quant à lui, outre la compétence cantonale en matière d'instruction publique, le caractère obligatoire de l'enseignement de base. Il en découle que l'un des corollaires du caractère obligatoire de l'enseignement primaire est que les enfants doivent fréquenter l'école du lieu où ils résident (Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, op. cit.). Ainsi, sont titulaires du droit à un enseignement de base suffisant et gratuit tous les enfants domiciliés en Suisse, indépendamment de leur nationalité et du statut de résidence de leurs parents (Pascal MAHON, Droit constitutionnel, vol. II, 2015,
p. 334 n. 200).

c. Dans son avis de droit (p. 5 et 6), le prof. MARTENET souligne qu'il est préférable de parler de lieu de vie en Suisse. Si ce critère correspond au domicile dans la plupart des cas, il convient en effet de réserver les situations particulières se rapportant, par exemple, aux enfants séjournant illégalement en Suisse ou sans domicile fixe. Selon le prof. MARTENET, le lieu de vie de l'enfant constitue, à juste titre, le critère décisif selon la doctrine. Il précise n'avoir trouvé aucun auteur soutenant qu'un enfant dont le lieu de vie se trouverait à l'étranger pourrait se fonder sur l'art. 19 Cst. pour exiger de recevoir un enseignement de base en Suisse. Il ajoute que si le Tribunal fédéral n'a jamais tranché expressément la question de savoir si l'art. 19 Cst. bénéficie également à des enfants dont le lieu de vie se trouve à l'étranger, sa jurisprudence exige que l'enseignement de base soit en principe offert au lieu où vit l'enfant : « L'enseignement doit en principe être prodigué au lieu de domicile des élèves ; la distance géographique entre le lieu de domicile et le lieu d'enseignement ne doit pas compromettre le but poursuivi par la formation scolaire de base » (traduction libre de l'ATF 129 I 12 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_433/2011 du 1er juin 2012 consid. 3.2).

d. Quant à l'art. 24 Cst-GE, rien n'indique que sa portée, s'agissant du droit à un enseignement de base suffisant et gratuit, serait plus large que celle de
l'art. 19 Cst. Le prof. MARTENET relève d'ailleurs que, concernant l'enseignement de base, rien ne permet de conclure que la disposition constitutionnelle genevoise garantirait un droit fondamental à des enfants séjournant à l'étranger, notamment en France voisine. Il souligne que ce point n'a jamais été abordé lors des délibérations de l'Assemblée constituante genevoise (avis de droit p. 6 et 7 et les références).

e. En l'espèce, l'élève n'est pas domicilié en Suisse. Il ne peut en conséquence pas se prévaloir du droit à y recevoir un enseignement de base suffisant et gratuit. Sa nationalité n'est ici pas en cause, seul le fait qu'il ne soit pas domicilié à Genève étant pertinent pour lui dénier ce droit.

Cette conclusion ne contrevient d'ailleurs pas à l'art. 13 par. 2 let. a du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels entré en vigueur pour la Suisse le 18 septembre 1992 (RS 0.103.1), lequel prévoit que l'enseignement primaire doit être obligatoire et accessible à tous. Cette disposition, qui selon le Tribunal fédéral n'est pas directement justiciable, ne confère en effet aucun droit supplémentaire par rapport à l'art. 19 Cst.
(ATF 144 I 1 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_433/2011 précité). Pour le même motif, elle n'est pas non plus contraire à l'art. 28 par.1 let. a de la Convention relative aux droits de l'enfant entrée en vigueur pour la Suisse le
26 mars 1997 (RS 0.107), disposition qui prévoit que les États parties rendent l'enseignement obligatoire et gratuit pour tous.

f. À l'appui de leur recours, les parents exposent qu'il leur serait, en cas d'urgence ou pour faciliter leurs déplacements, « bien plus confortable » que leur enfant soit scolarisé à proximité de leur lieu de travail. Ils ajoutent qu'en cas d'imprévu professionnel, l'un d'eux pourrait alors aller chercher l'enfant et l'amener sur son lieu de travail. Ces arguments relèvent de la convenance personnelle et ne sont pas de nature à contredire efficacement le principe exposé plus haut et selon lequel seuls sont titulaires du droit à un enseignement de base suffisant et gratuit les enfants domiciliés en Suisse, en l'occurrence à Genève.

g. Les recourants soutiennent également que la décision litigieuse violerait tant l'égalité des chances que le droit à un soutien de l'État. Ils exposent que la recourante a dû s'installer en France en raison de la cherté notoire de Genève. Tout comme son ex-mari, elle contribuait par ses impôts, à la santé financière du canton et leur situation financière, qui ne leur permettait pas d'avoir un logement à Genève, devait leur donner un droit au soutien de l'État au sens de l'art. 24 al. 3 Cst-GE.

S'il est certes notoire que les logements disponibles à Genève sont peu abondants et chers, les parents, dont l'une travaille à ______ et l'autre en qualité ______, n'expliquent pas en quoi ils seraient dépourvus des ressources financières nécessaires pour assurer à A______ une formation reconnue au sens de l'art. 24 al. 3 Cst-GE.

Ils n'expliquent par ailleurs pas en quoi le seul fait de payer des impôts à Genève devrait permettre à l'élève d'accéder à l'école primaire publique obligatoire alors qu'il n'est pas domicilié dans ce canton.

Le grief de violation du droit à un enseignement de base suffisant et gratuit sera en conséquence écarté.

7) Les recourants se plaignent d'une violation du principe de la légalité et de la séparation des pouvoirs. Selon eux, l'art. 23 REP ne contiendrait pas de règles secondaires mais introduirait au contraire une modification substantielle d'ordre matériel et souffrirait d'un défaut de densité normative qui suffirait à faire échec à son application.

8) À teneur de l'art. 5 al. 1 Cst., le droit est la base et la limite de l'activité de l'État. Le principe de la légalité se compose de deux éléments : le principe de la suprématie de la loi et le principe de l'exigence de la base légale. Le premier signifie que l'autorité doit respecter l'ensemble des normes juridiques ainsi que la hiérarchie des normes. Le second implique que l'autorité ne peut agir que si la loi le lui permet ; son action doit avoir un fondement dans une loi (ATA/383/2017 du 4 avril 2017 consid. 5a et les références citées).

Le principe de la légalité exige donc que les autorités n'agissent que dans le cadre fixé par la loi. Il implique qu'un acte étatique se fonde sur une base légale matérielle qui est suffisamment précise et qui a été adoptée par l'organe compétent (ATF 141 II 169 consid. 3.1 p. 171). L'exigence de la densité normative n'est pas absolue, car on ne saurait ordonner au législateur de renoncer totalement à recourir à des notions générales, comportant une part nécessaire d'interprétation. Cela tient à la nature générale et abstraite inhérente à toute règle de droit et à la nécessité qui en découle de laisser aux autorités d'application une certaine marge de manoeuvre lors de la concrétisation de la norme. Pour déterminer quel degré de précision on est en droit d'exiger de la loi, il faut tenir compte du cercle de ses destinataires et de la gravité des atteintes qu'elle autorise aux droits fondamentaux (ATF 140 I 381 consid. 4.4 p. 386 et les références citées ; ATA/383/2017 précité).

9) a. Au niveau fédéral, le principe de la séparation des pouvoirs, implicitement contenu dans la Cst., est un droit constitutionnel dont peut se prévaloir le citoyen (ATF 130 I 1 consid. 3.1). Le principe de la séparation des pouvoirs interdit à un organe de l'État d'empiéter sur les compétences d'un autre organe ; en particulier, il interdit au pouvoir exécutif d'édicter des règles de droit, si ce n'est dans le cadre d'une délégation valablement conférée par le législateur (ATF 134 I 322
consid. 2.2 ; 119 Ia 28 consid. 3 ; 118 Ia 305 consid. 1a).

b. Dans le canton de Genève, l'art. 2 Cst-GE consacre expressément le principe de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir législatif incombe au Grand Conseil (art. 80 Cst-GE). Le Conseil d'État est chargé de l'exécution des lois et adopte à cet effet les règlements et arrêtés nécessaires (art. 109 al. 4 Cst-GE). Il est habilité, en vertu de l'art. 109 al. 3 Cst-GE, à adopter des règles d'exécution. À moins d'une délégation expresse, le Conseil d'État ne peut pas poser de nouvelles règles qui restreindraient les droits des administrés ou leur imposeraient des obligations, même si ces règles étaient conformes au but de la loi (ATF 133 II 331 consid. 7.2.2 ; 130 I 140 consid. 5.1 ; 114 Ia 286 consid. 5a ; ACST/19/2018 du 15 août 2018 consid. 7b ; ATA/168/2008 du 8 avril 2008 consid. 3a ; 
Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, op. cit., n. 323).

c. Le gouvernement peut édicter des règles de droit soit dans des ordonnances législatives d'exécution, soit dans des ordonnances législatives de substitution fondées sur une délégation législative (ATA/426/2017 du 11 avril 2017 consid. 2c ; ATA/52/2015 du 13 janvier 2015).

d. Un acte législatif qui ne respecte pas l'une ou l'autre de ces conditions, ainsi qu'une décision qui se fonde sur une telle ordonnance, manque de base légale et viole le principe de la séparation des pouvoirs (ATA/1587/2017 du 12 décembre 2017 consid. 14 et les références citées). De jurisprudence constante, la légalité d'un règlement peut être remise en cause devant la chambre de céans à l'occasion d'un cas d'application (ATA/1587/2017 précité).

e. Le Conseil d'État est chargé d'édicter tous les règlements d'application de la LIP (art. 6 al. 1 LIP).

10) a. En l'espèce, il apparaît que dans la loi sur l'instruction publique adoptée par le Grand Conseil le 6 novembre 1940 (ci-après : aLIP), les termes de « habitant le canton de Genève » étaient déjà employés. Son art. 9 était en effet libellé ainsi : « Tous les enfants habitant le canton de Genève doivent recevoir, dans les écoles publiques ou privées, ou à domicile, une instruction conforme aux prescriptions de la présente loi et au programme général établi par le département » (MGC 1940 19/II 1392).

Malgré le texte clair de cet art. 9 aLIP, le législateur de 1940 admettait l'hypothèse que des enfants non domiciliés dans le canton puissent y être scolarisés dans l'enseignement primaire. En effet, alors que dans son projet de loi, le Conseil d'État proposait à l'art. 19 que « L'instruction et la fourniture du matériel scolaire sont gratuites dans les écoles enfantines et primaires », le Grand Conseil a tenu à ajouter que tel ne devait être le cas que « pour les enfants domiciliés dans le canton » (MGC 1940 19/II 1380). Cette référence au domicile a été supprimée lors d'une modification de la aLIP en 1973 (MGC 1973 27/4 3678).

La aLIP a par la suite subi plusieurs modifications. À la suite de celles entrées en vigueur le 29 août 2011 et rendues nécessaire en raison de l'adhésion par le canton de Genève à HarmoS et à la CSR, l'art. 9 aLIP a été modifié en ce sens que les références à ces deux textes y ont été introduites. Les termes « tous les enfants habitant le canton de Genève » sont eux demeurés inchangés.

b. Dans le PL 11'470, le Conseil d'État a fait figurer la disposition qui deviendra l'actuel art. 37 LIP (il s'agissait dans le PL 11'470 de l'art. 34 dont le contenu est le même que celui de l'art. 9 aLIP dans sa version entrée en vigueur le 29 août 2011), sans que celui-ci soit modifié par les députés. La notion de « habitant le canton de Genève » y figurant n'est donc pas le résultat du dépôt d'un amendement. A par contre fait l'objet d'un amendement du département, l'ajout de ces mêmes termes « habitant le canton de Genève », mais à l'al. 3 de ce qui deviendra l'art. 37 LIP (PL 11'470 p. 113). Cette disposition prévoit que les jeunes habitant le canton de Genève ont l'obligation jusqu'à l'âge de la majorité au moins d'être inscrits à une formation.

La question de la gratuité s'est à nouveau posée dans le cadre du PL 11'470, le Conseil d'État ayant en effet choisi de traiter cette question à l'occasion d'un art. 47, lequel deviendra, lors de l'adoption de la loi, l'art. 51 LIP. Il sera question de cette disposition plus bas (voir infra consid. 11d).

c. Au niveau réglementaire, est entré en vigueur le 15 juillet 1993, sous l'empire de l'art. 9 aLIP, un aREP qui autorisait déjà, sous certaines conditions, l'accès à l'enseignement public genevois à des élèves domiciliés hors du canton. L'art. 23 aREP était alors rédigé comme suit : « Les enfants dont le répondant jouit du statut de frontalier, assujetti à Genève sur le revenu de l'activité rémunérée qu'il exerce de manière permanente dans le canton, ainsi que les enfants genevois et confédérés peuvent être admis dans l'enseignement public genevois dans la limite des places disponibles (al. 1). Une convention signée entre les cantons de Vaud et de Genève dite " Convention Vaud-Genève " précise les conditions à remplir pour être admis dans l'enseignement public genevois (al. 2). Par analogie, lorsque les parents n'habitent pas Genève et ne paient pas d'impôts dans ce canton, ils sont astreints à payer une taxe scolaire annuelle dont le montant est celui imposé aux parents d'élèves par la convention Vaud-Genève (al.3) ».

À la suite des modifications entrées en vigueur le 29 août 2011,
l'art. 23 aREP destiné aux élèves domiciliés hors du canton prévoyait alors que « les enfants dont le répondant jouit du statut de frontalier, assujetti à Genève sur le revenu de l'activité rémunérée qu'il exerce de manière permanente dans le canton, ainsi que les enfants genevois domiciliés hors canton peuvent être admis dans l'enseignement public genevois dans la limite des places disponibles (al. 1). Les enfants non genevois domiciliés hors canton peuvent être scolarisés très exceptionnellement à Genève, selon les termes fixés par la convention intercantonale réglant la fréquentation (al. 2) ».

Après une nouvelle modification le 6 juin 2012, l'art. 23 disposait que « peuvent être admis dans l'enseignement primaire public genevois dans la limite des places disponibles : les élèves genevois, quel que soit leur domicile (al. 1
let. a) ; les élèves habitant en France voisine dont l'un des parents au moins est assujetti à Genève à l'impôt sur le revenu de l'activité rémunérée qu'il exerce de manière permanente dans le canton (al. 1 let. b). Les enfants non genevois domiciliés hors canton peuvent être scolarisés très exceptionnellement à Genève, selon les termes fixés par la convention intercantonale réglant la fréquentation
(al. 2) ».

L'art. 23 aREP a encore subi des modifications entrées en vigueur 29 août 2016, cette fois sous l'empire de la LIP actuelle. Il disposait alors que « peuvent être admis dans l'enseignement primaire public genevois dans la limite des places disponibles et pour autant qu'ils aient déposé leur demande d'admission dans le délai fixé par le département : les élèves genevois domiciliés hors canton (al. 1
let. a) ; les élèves habitant en France voisine dont l'un des parents au moins est assujetti à Genève à l'impôt sur le revenu de l'activité rémunérée qu'il exerce de manière permanente dans le canton (al. 1 let.b). Les enfants non genevois domiciliés hors canton peuvent être scolarisés très exceptionnellement à Genève, selon les termes fixés par la convention intercantonale réglant la fréquentation
(al. 2). La demande d'admission au sens de l'al. 1 doit être déposée auprès de la direction générale de l'enseignement obligatoire dans le délai fixé chaque année par le département et publié sur le site Internet de ce dernier (al. 3) ».

Le 14 février 2018, est entré en vigueur l'art. 23 REP dans sa version en vigueur aujourd'hui et applicable au cas d'espèce.

11) a. Il découle de ce qui précède que déjà sous l'empire de la aLIP, le Conseil d'État a, de longue date, ouvert les portes de l'enseignement primaire public genevois à des enfants n'habitant pas le canton. Dans sa réponse au recours, le département justifie cette pratique en expliquant que le Conseil d'État a choisi d'agir ainsi, à titre exceptionnel, et hors de ses obligations découlant de la Cst. Cet argument est recevable, dès lors que s'il découle des art. 19 et 62 Cst, comme de l'art. 24 Cst-GE ou encore de l'art. 37 al. 1 LIP, que le canton doit scolariser les enfants qui y sont domiciliés et veiller à ce qu'ils le soient, aucune disposition constitutionnelle ou légale ne fait obstacle à ce que le canton scolarise ceux qui n'y habitent pas.

b. Il en va de même sur le plan intercantonal.

En vue de régler notamment la fréquentation d'établissements situés hors de leur canton de domicile par des élèves des établissements de scolarité obligatoire, le canton de Genève est partie prenante à la convention intercantonale réglant la fréquentation. Après avoir rappelé, entre autres, que les élèves des établissements de la scolarité obligatoire fréquentent en principe les écoles ou établissements de leur canton de domicile (art. 1 al. 1), la convention intercantonale réglant la fréquentation précise que cet accord définit des exceptions (cas particuliers ou individuels) de portée générale que les cantons de Suisse romande ont décidé d'admettre, sous réserve des législations cantonales, du nombre de places disponibles et d'effectifs qui deviendraient insuffisants dans le canton de domicile (al. 2). La convention intercantonale réglant la fréquentation ne fait en conséquence pas obstacle à des solutions spécifiques adoptées par les cantons signataires, les législations cantonales étant expressément réservées.

c. Dès lors que les principes qui prévalent en matière de droit et d'obligation d'être scolarisé de même que ceux qui obligent le canton à permettre et à veiller à la scolarisation des enfants reposent sur le principe du domicile, le Conseil d'État ne pourrait pas étendre le champ des élèves admis dans le canton sans que le législateur y consente en toute connaissance de cause. Cet élargissement a en effet une influence sur la mise en oeuvre de la LIP elle-même, ne serait-ce qu'au regard de l'impact que l'accueil d'enfants n'habitant pas le canton peut avoir sur l'organisation des écoles et des classes. Cet élargissement a en outre des conséquences sur la mise en oeuvre d'autres lois dès lors que, comme le département l'explique dans sa réponse au recours et comme cela ressort des pièces qu'il a versées à la procédure, il est susceptible d'impliquer la construction ou l'agrandissement d'écoles, une augmentation des effectifs d'élèves dans les classes, l'engagement d'enseignants supplémentaires et, plus largement, des coûts pour le canton de Genève. Le principe de cet élargissement doit ainsi figurer dans une loi formelle et le Conseil d'État être autorisé à en traiter par voie réglementaire. Tel est bien le cas en l'espèce.

d. En effet, outre la délégation générale figurant à l'art. 6 LIP, l'art. 51 LIP prévoit que :

- dans les établissements des degrés primaire et secondaire I, il n'y a pas d'écolage, sauf exceptions prévues dans une convention intercantonale (al. 1) ;

- dans les établissements des degrés secondaire II et tertiaire B, il n'y a pas d'écolage, sous réserve de l'alinéa 3 (al. 2).

Des frais de scolarité correspondant au montant maximum prévu à titre de participation financière des cantons signataires d'une convention intercantonale pour la filière considérée, ou, à défaut, d'un montant ne dépassant pas le 80 % du coût moyen annuel de la formation, peuvent être perçus auprès de l'élève majeur ou des parents de l'élève mineur par le département pour admettre, dans les limites des places disponibles, des élèves auxquels ni une loi cantonale ou fédérale, ni une convention intercantonale, voire internationale, ne reconnaît un droit à être admis. Les montants de l'écolage, ainsi que l'instance seule habilitée à autoriser ces admissions, sont définis par voie réglementaire (al. 3).

Il ressort ainsi du texte de l'art. 51 al. 3 LIP que le législateur a bien envisagé les cas particuliers des élèves ne pouvant se prévaloir du droit d'être scolarisés à Genève. Il ressort au surplus des travaux préparatoires (PL 11'470A, p. 139), que dans le cadre des discussions relatives à cet art. 51 LIP, un député s'est interrogé sur le point de savoir si un élève dont les parents étaient frontaliers avait droit d'office à la scolarité au même titre qu'un enfant genevois. Le représentant du département lui a répondu que oui, "si un de ses parents paie ses impôts à Genève".

L'art. 51 al. 3 LIP contient en outre une délégation explicite à agir par la voie réglementaire. Si dans le REP, le Conseil d'État a choisi de maintenir le principe selon lequel le matériel scolaire et les moyens d'enseignement sont remis gratuitement dans les classes primaires (art. 35 al. 1 REP), il a instauré la DGEO comme instance décisionnelle (art. 23 al. 3 REP). C'est d'ailleurs bien la DGEO qui a rendu la décision litigieuse.

En autorisant par voie réglementaire l'accès à l'enseignement primaire public genevois à certains enfants n'habitant pas le canton de Genève, le département a donc agi dans le cadre fixé par la loi et dans celui de la délégation de compétence que lui a confié le Grand Conseil.

Ce grief sera en conséquence écarté.

12) a. Les recourants soutiennent ensuite que l'élève serait victime d'une violation de sa liberté d'établissement. Lui-même, tout comme sa mère, possédait la nationalité suisse.

b. Selon l'art. 24 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), les Suisses et les Suissesses ont le droit de s'établir en un lieu quelconque du pays (al. 1). Ils ont le droit de quitter la Suisse ou d'y entrer (al. 2). La liberté d'établissement enjoint ainsi à la Confédération, aux cantons et aux communes de permettre à tout ressortissant suisse de s'établir sur leur territoire, soit pour y constituer un domicile, soit pour y séjourner, et a pour but de promouvoir et de garantir la libre circulation des personnes sur l'ensemble du territoire national (ATF 135 I 233 consid. 5 p. 248 s. ; 131 I 266 consid. 3 p. 269 ; 128 I 280 consid. 4.1.1 p. 282 s. ; ATA/597/2016 du 12 juillet 2016 consid. 3a).

c. En l'espèce, l'élève est encore mineur et il se trouve donc dans l'obligation de suivre ses parents. Ces derniers ne démontrent toutefois pas en quoi la crise du logement sévissant à Genève, qui a certes pour conséquence qu'il est difficile d'y trouver un logement adéquat, leur interdirait de venir s'établir dans ce canton ou ailleurs sur le territoire de la Confédération.

Les recourants se réfèrent au surplus à l'ATF 111 Ia 214. On ne voit néanmoins pas en quoi le cas du professeur examiné dans cet arrêt et auquel le canton de Genève imposait d'être domicilié à Genève alors qu'il ne le souhaitait pas serait comparable à celui de l'élève dont les parents se plaignent de ne pas pouvoir, pour des motifs économiques au demeurant non documentés, habiter ce canton.

13) Les parents soutiennent ensuite qu'ils sont, ainsi que l'élève, victimes d'une discrimination proscrite par l'ALCP.

14) L'élève possède les nationalités suisse et française, sa mère la nationalité suisse et son père la nationalité française. Il existe à l'évidence un aspect transfrontalier (lien d'extranéité ; voir à ce propos : Astrid EPINEY/Gaëtan BLASER in Cesla AMARELLE/Minh SON NGUYEN [éd.], Code annoté de droit des migrations, vol. III, Accord sur la libre circulation des personnes [ALCP], 2014, ad art. 2 ALCP, p. 17 n. 9 et infra consid. 20b). En effet, les parents vivent en France et travaillent en Suisse. Quant à l'élève, il vit en France et souhaite venir étudier en Suisse. L'ALCP est ainsi applicable au cas d'espèce.

15) À teneur de l'art. 1 ALCP, l'objectif de cet accord, en faveur des ressortissants des États membres de la Communauté européenne et de la Suisse, est : d'accorder un droit d'entrée, de séjour, d'accès à une activité économique salariée, d'établissement en tant qu'indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes (let. a) ; de faciliter la prestation de services sur le territoire des parties contractantes, en particulier de libéraliser la prestation de services de courte durée (let. b) ; d'accorder un droit d'entrée et de séjour, sur le territoire des parties contractantes, aux personnes sans activité économique dans le pays d'accueil (let. c) ; d'accorder les mêmes conditions de vie, d'emploi et de travail que celles accordées aux nationaux (let. d).

16) L'art. 2 ALCP ne trouvant en principe qu'une application à titre subsidiaire, il sera examiné plus loin (infra consid. 20).

17) L'art. 3 al. 6 de l'annexe I ALCP prévoit que les enfants d'un ressortissant d'une partie contractante qui exerce ou non, ou qui a exercé une activité économique sur le territoire de l'autre partie contractante sont admis aux cours d'enseignement général, d'apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de l'État d'accueil, si ces enfants résident sur son territoire.

Cette dernière condition n'étant en l'espèce pas remplie, les recourants ne peuvent se prévaloir de cette disposition, ce qu'ils ne font du reste pas. Certes, dans leur avis de droit (p. 10/11), la prof. EPINEY et Mme SANGSUE relèvent qu'il serait éventuellement défendable d'appliquer l'art. 3 al. 6 de l'annexe I ALCP aussi aux enfants de travailleurs frontaliers. Elles précisent toutefois à juste titre qu'une telle approche serait en contradiction avec le libellé clair de la disposition, libellé par ailleurs tout aussi clair en allemand (« sofern sie in dessen Hoheitsgebiet wohnen ») qu'en italien (« se i figli stessi vi risiedono »), et qu'aucun argument systématique ni téléologique prépondérant ne plaide en faveur de cette approche.

À défaut de résider en Suisse, l'élève ne peut ainsi pas déduire de l'art. 3
al. 6 de l'annexe I ALCP un droit à être admis dans l'enseignement primaire public genevois.

18) Selon l'art. 7 ALCP, les parties contractantes règlent, conformément à l'annexe I, notamment les droits mentionnés ci-dessous liés à la libre circulation des personnes : le droit à l'égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne l'accès à une activité économique et son exercice ainsi que les conditions de vie, d'emploi et de travail (let. a) ; le droit à une mobilité professionnelle et géographique, qui permet aux ressortissants des parties contractantes de se déplacer librement sur le territoire de l'Etat d'accueil et d'exercer la profession de leur choix (let. b) ; le droit au séjour des membres de la famille, quelle que soit leur nationalité (let. d).

Il ressort de la systématique de l'art. 7 ALCP et du renvoi à
l'annexe I ALCP que les droits proprement dits ne découlent pas de cet article mais plutôt des dispositions de l'annexe I ALCP, en particulier des art. 9 et 15, qui reprennent le principe d'égalité de traitement pour les travailleurs (art. 9) et les indépendants (art. 15) (Astrid EPINEY/Gaëtan BLASER, op. cit., ad art. 7 ALCP, p. 89 n. 3).

19) L'art. 9 par. 2 de l'annexe I ALCP, prévoit que le travailleur salarié et les membres de sa famille visés à l'art. 3 de cette annexe y bénéficient des mêmes avantages fiscaux et sociaux que les travailleurs salariés nationaux et les membres de leur famille.

a. La notion d'avantage social ne saurait être interprétée limitativement (Alvaro BORGHI, La libre circulation des personnes entre la Suisse et l'UE, Commentaire article par article de l'accord du 21 juin 1999, 2010, p.183 n. 380 et l'arrêt cité). Selon la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après : CJUE), cette notion d'avantage social « couvre tous les avantages qui, liés ou non à un contrat d'emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs ou du simple fait de leur résidence sur le territoire national et dont l'extension aux travailleurs ressortissants d'autres États membres apparaît, dès lors, comme apte à faciliter leur mobilité à l'intérieur de la Communauté » (CJUE, arrêt Hendrix, C-287/05 du 11 septembre 2007, point 48).

Dans sa jurisprudence, la CJUE a reconnu de nombreuses prestations comme relevant de la notion d'avantage social : il s'agit, entre autres, d'une prestation sociale garantissant un minimum de moyens d'existence, d'une allocation d'éducation destinées à compenser les charges de famille du bénéficiaire, d'allocations de naissance et de maternité, d'allocations pour famille nombreuse ou de bourses et prêts d'étude (voir la liste plus complète et les références jurisprudentielles y relatives in Alvaro BORGHI, op. cit. , p. 184
n. 381).

b. Dans leur avis de droit (p. 15), la prof. EPINEY et Mme SANGSUE estiment que l'admission dans l'enseignement public obligatoire constitue sans doute un avantage social au sens de l'art. 9 al. 2 de l'annexe I ALCP, vu l'interprétation large de cette notion donnée par la jurisprudence de la CJUE. Pour sa part, dans son avis de droit (p. 14), la prof. KADDOUS estime que l'admission dans l'enseignement primaire public genevois pourrait parfaitement être considérée comme un avantage social au sens de la jurisprudence.

On ne voit toutefois pas en quoi cet accès à l'enseignement obligatoire public serait comparable aux prestations sociales mentionnées plus haut, ces prestations ayant pour but d'améliorer la situation financière des bénéficiaires. La question de l'accès à l'enseignement général est par ailleurs déjà traitée exhaustivement à l'art. 3 al. 6 de l'annexe I ALCP (voir supra consid. 16), rien dans le texte de cette disposition, ni dans celui de l'art. 9 al. 2 de
l'annexe I ALCP, ne permettant de conclure que des cas particuliers ou des exceptions seraient réservés.

c. Même à considérer que l'accès à l'enseignement public obligatoire constituerait un avantage social, l'art. 9 al. 2 de l'annexe I ALCP ne prévoit logiquement pas de déroger à la condition explicite de la résidence figurant à
l'art. 3 al. 6 de l'annexe I ALCP. En effet, dès lors qu'il s'agit de l'enseignement public obligatoire, il a déjà été exposé que ce caractère obligatoire avait pour corollaire que les enfants devaient fréquenter l'école du lieu où ils résident
(supra consid. 7). Les autorités genevoises seraient dans l'impossibilité de mettre en oeuvre cet avantage social, puis d'en vérifier l'effectivité, s'agissant d'enfants qui ne sont pas domiciliés sur le territoire cantonal. Cet avantage social étant intrinsèquement lié à la résidence et non au statut de travailleur du frontalier, cela implique enfin que ce dernier ne puisse pas en bénéficier.

d. S'il fallait, malgré ce qui précède, admettre que l'accès à l'enseignement obligatoire constitue un avantage social au sens de l'art. 9 al. 2 de
l'annexe I ALCP et que les frontaliers peuvent en bénéficier, une éventuelle discrimination fondée sur la nationalité serait quoi qu'il en soit justifiée comme cela sera examiné au considérant suivant.

20) L'art. 2 ALCP prévoit que les ressortissants d'une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d'une autre partie contractante ne sont pas, dans l'application et conformément aux dispositions des annexes I, II et III de cet accord, discriminés en raison de leur nationalité.

a. L'art. 2 ALCP érige l'interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité en tant que fondement de l'accord (Astrid EPINEY/Gaëtan BLASER, op. cit., ad art 2 ALCP, p. 13 et l'arrêt cité).

b. Pour déterminer si l'art. 2 ALCP est applicable à un cas concret et, le cas échéant, s'il est ou non respecté, quatre points doivent être examinés. On établira ensuite si l'on est en présence d'une discrimination fondée sur la nationalité, puis si cette dernière peut être justifiée ou non (Astrid EPINEY/Gaëtan BLASER,
op. cit., ad art 2 ALCP, p. 17 à 27).

Il faut tout d'abord examiner le lien d'extranéité, lequel exige que le champ d'application du principe de non-discrimination ne soit ouvert que dans les situations présentant un aspect transfrontalier. Cette exigence exclut l'application de l'ALCP aux situations purement internes qui sont à juger selon le droit interne de l'État concerné (arrêt du Tribunal fédéral 2A.768/2006 du 23 avril 2007 consid. 3.3).

Il faut ensuite examiner la relation avec les dispositions spécifiques de l'ALCP. Ce dernier contient en effet différents articles qui concrétisent le principe de non-discrimination pour certaines catégories de personnes. Il convient de voir ceux-ci comme instituant des interdictions spécifiques de discrimination en raison de la nationalité. Par rapport à ces dernières, l'interdiction de discrimination de l'art. 2 ALCP a une portée plus générale et il convient donc de l'appliquer subsidiairement dans les cas où les interdictions spécifiques de l'annexe I ne sont pas pertinentes.

L'examen du champ d'application matériel du principe de non-discrimination est ensuite nécessaire. Cela concerne toutes les discriminations qui entravent la réalisation des droits contenus dans l'ALCP ou en lien avec
celui-ci.

Enfin, doit être examiné le champ d'application personnel de l'art. 2 ALCP qui englobe, à tout le moins, les ressortissants des parties contractantes.

c. Dans le cas d'espèce, l'art. 2 ALCP est applicable sous les angles du lien d'extranéité et des champs d'application matériel et personnel. Le lien d'extranéité, déjà examiné au consid. 14 ci-dessus, est donné en raison du caractère transfrontalier du litige et il n'est pas contesté que tant l'élève que ses parents sont des ressortissants de pays parties à l'ALCP se plaignant d'une entrave à leur libre circulation. Par contre, dès lors que l'art. 9 al. 2 de l'annexe I interdit de discriminer selon la nationalité l'accès des travailleurs frontaliers à un avantage social, cette dernière disposition, examinée ci-dessus au consid. 18, constitue une disposition spécifique qui prime l'art. 2 ALCP. En raison de son caractère subsidiaire, l'art. 2 ALCP n'est donc pas applicable dans le présent litige.

21) Dans l'hypothèse où il faudrait néanmoins considérer que l'art. 2 ALCP s'applique, il s'impose de vérifier si l'on est en présence d'une discrimination fondée sur la nationalité, puis, si tel est le cas, si cette discrimination peut ou non être justifiée.

a. Dans un arrêt A/3924/2016 du 3 août 2017, la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : CJCST) a rappelé que selon la jurisprudence européenne, les règles d'égalité de traitement qui découlent de la libre circulation des personnes prohibent non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité (discrimination directe ; pour un exemple : CJUE, arrêt Commission c. Italie, C-283/99 du 31 mai 2001), mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (discrimination indirecte ; CJUE, arrêts Hirvonen, C-632/13 du 19 novembre 2015, point 29, et Gielen, C-440/08 du 18 mars 2010, point 37 et les arrêts cités). Il en va ainsi lorsque l'application d'autres critères que la nationalité, par exemple le lieu d'origine ou de naissance, le lieu de résidence ou encore l'accomplissement d'études au sein du pays, mène dans les faits au même résultat, car ce critère est en général rempli par les nationaux et non par les étrangers (Rudolf GEIGER/ Daniel-Erasmus KHAN/Markus KOTZUR [éd.], EUV/AEUV - Kommentar, 6ème éd., 2017, n. 31 ad art. 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, du 13 décembre 2007 (ci-après : TFUE) ; d'autres auteurs citent comme critères suspects, en sus du domicile ou de la résidence habituelle, l'origine géographique ou ethnique ainsi que la langue (Harald SCHAUMBURG/Joachim ENGLISCH [éd.], Europäisches Steuerrecht, 2015, n. 7.154), ou encore la possession d'un diplôme ou d'un permis de conduire national (Véronique BOILLET, L'interdiction de discrimination en raison de la nationalité au sens de l'Accord sur la libre circulation des personnes, 2010, p. 87).

La CJCST a encore précisé que la jurisprudence européenne emploie parfois d'autres formules pour décrire la discrimination indirecte : par exemple que l'art. 45  TFUE) s'oppose, notamment, aux mesures qui, tout en étant indistinctement applicables selon la nationalité, sont susceptibles, par leur nature même, d'affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux et risquent, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers (CJUE, arrêt Bechtel, C-20/16 du 22 juin 2017, point 39 et les arrêts cités) ; ou encore que doivent être regardées comme indirectement discriminatoires les conditions du droit national qui, bien qu'indistinctement applicables selon la nationalité, affectent essentiellement ou dans leur grande majorité les travailleurs migrants, ainsi que les conditions indistinctement applicables qui peuvent être plus facilement remplies par les travailleurs nationaux que par les travailleurs migrants ou encore qui risquent de jouer, en particulier, au détriment de ces derniers (CJUE, arrêt Landtova, C-399/09 du 21 juin 2011, point 45).

Le Tribunal fédéral a quant à lui jugé qu'une discrimination indirecte existe lorsqu'une réglementation, qui ne désavantage pas directement un groupe déterminé, défavorise tout particulièrement, par ses effets et sans justification objective, les personnes appartenant à ce groupe ; eu égard à la difficulté de poser des règles générales et abstraites permettant de définir pour tous les cas l'ampleur que doit revêtir l'atteinte subie par un groupe protégé par l'art. 8 al. 2 Cst. par rapport à la majorité de la population, la reconnaissance d'une situation de discrimination ne peut résulter que d'une appréciation de l'ensemble des circonstances du cas particulier ; en tout état de cause, l'atteinte doit revêtir une importance significative, le principe de l'interdiction de la discrimination indirecte ne pouvant servir qu'à corriger les effets négatifs les plus flagrants d'une réglementation étatique (ATF 138 I 205 consid. 5.5). Dans un cas de figure plus récent, le Tribunal fédéral a repris la jurisprudence européenne précitée en rappelant que les règles générales d'égalité de traitement prohibent non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité (discriminations directes), mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (discriminations indirectes ; ATF 140 II 141 consid. 7.1.1).

Constitue ainsi une discrimination indirecte toute mesure qui prévoit une distinction fondée sur le critère du domicile ou de la résidence, en ce que celui-ci risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d'autres États membres, dans la mesure où les personnes non domiciliées sur le territoire national, de même que les non-résidents, sont le plus souvent des non-nationaux (CJUE, Commission c. Grèce, C-155/09 du 20 janvier 2011, point 55 et les arrêts cités).

b. Dans le cas d'espèce, comme cela a été posé précédemment, sont titulaires du droit à un enseignement de base suffisant et gratuit en Suisse tous les enfants domiciliés dans ce pays, indépendamment de leur nationalité et du statut de résidence de leurs parents. Le droit de l'élève à être scolarisé à Genève lui est dénié non pas en raison de sa nationalité, mais en raison du fait qu'il n'y est pas domicilié. Il n'est en conséquence pas victime d'une discrimination directe.

c. Il en va par contre autrement de la discrimination indirecte. La restriction à l'accès à l'enseignement primaire public genevois fondée sur la résidence, corollaire du caractère obligatoire de l'enseignement de base, touche les enfants domiciliés hors du canton. Cette restriction, par sa nature même, est donc susceptible d'atteindre prioritairement les ressortissants des États membres de l'UE. Certes, le DIP relève dans sa réponse que sur 1'793 élèves non domiciliés à Genève actuellement scolarisés dans les écoles du canton, 1'467, soit 81 % d'entre eux, sont de nationalité suisse. Le département ajoute que sur les demandes déposées pour l'année 2019, 2/3 d'entre elles concernent des personnes de nationalité suisse. Au vu des principes posés ci-dessus, ces arguments doivent être rejetés, d'autant qu'aucune référence statistique ou de preuves attestant du traitement moins favorable d'un ressortissant d'un autre État membre n'est nécessaire ; il suffit au contraire que la réglementation en question implique le risque d'un traitement moins favorable des ressortissants d'autres États ; le fait que certains nationaux soient aussi traités moins favorablement ne joue aucun rôle à ce sujet (Astrid EPINEY/Gaëtan BLASER, op. cit., ad art. 2 ALCP, p. 25 et les arrêts cités).

22) Il faut à ce stade se demander si cette discrimination indirecte est justifiée.

a. L'art. 5 de l'annexe I ALCP, qui prévoit que les droits octroyés par les dispositions du présent accord ne peuvent être limités que par des mesures justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique et qui renvoie à des directives du conseil de la communauté économique européenne, ne s'applique pas dans le cas d'espèce. Peu importe puisque peuvent entrer en considération les raisons impérieuses d'intérêt général développées par la CJUE dans sa jurisprudence.

b. Outre des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, la CJUE admet des raisons impérieuses d'intérêt général comme pouvant justifier des discriminations indirectes (CJUE, arrêt Politanò, C-225/15 du 8 septembre 2016, point 40 ; CJUE, arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, C-42/07 du 8 septembre 2009, point 56). Comme le prévoit l'art. 16 par. 2 ALCP, le Tribunal fédéral a repris la jurisprudence de la CJUE dans ce domaine et retenu que le principe d'égalité de traitement prohibe toutes les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité (discriminations directes) et toutes formes dissimulées de discrimination qui, par l'application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat sans être justifiées par des raisons objectives ni proportionnées au but à atteindre (discriminations indirectes) (ATF 133 V 265 consid. 5.2). Dans l'ATF 130 I 26 consid. 3.2.3, rédigé en allemand, le Tribunal fédéral se réfère à des conditions objectives (« objektive Umstände »).

c. Il apparaît d'emblée que des motifs économiques ou budgétaires ne permettent pas de justifier cette discrimination indirecte puisque « admettre que des considérations d'ordre budgétaire puissent justifier une différence de traitement entre travailleurs migrants et travailleurs nationaux impliquerait que l'application et la portée d'une règle aussi fondamentale du droit de l'Union que le principe de non-discrimination en raison de la nationalité puissent varier, dans le temps et l'espace, selon l'état des finances des États membres » (CJUE, arrêt Giersch, C-20/12 du 20 juin 2013, point 52 et l'arrêt cité).

d. En revanche, le respect et la mise en oeuvre effective par l'État de Genève du droit à un enseignement de base suffisant et gratuit justifient la discrimination indirecte en cause. En effet, comme cela a déjà été examiné dans le présent arrêt, le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit oblige la collectivité à, d'une part, fournir une prestation et, d'autre part, cet enseignement étant obligatoire, à s'assurer que les élèves qui doivent être scolarisés le sont effectivement. Or, reconnaître à des élèves qui ne résident pas sur le territoire du canton le droit d'y être scolarisés viderait de sa substance le caractère obligatoire de l'enseignement primaire public, le canton de Genève n'étant en mesure de garantir l'effectivité de la présence des élèves à l'école jusqu'à l'âge de dix-huit ans que de ceux qui habitent le canton.

e. Dès lors que l'État de Genève ne peut obliger à se rendre à l'école que les enfants domiciliés sur son territoire, la reconnaissance du droit à être scolarisé dans l'enseignement primaire public genevois à des enfants non domiciliés sur le territoire du canton introduirait une discrimination entre ceux qui doivent aller à l'école parce qu'ils habitent le canton et ceux qui pourraient, y compris pour de purs motifs de convenance personnelle dont ne peuvent se prévaloir les enfants vivant à Genève, faire valoir ce droit au gré des circonstances.

f. Par ailleurs, la reconnaissance du droit à être scolarisés dans l'enseignement primaire public genevois à des enfants non domiciliés sur le territoire du canton empêcherait toute planification scolaire, élément pourtant indispensable à l'organisation et donc au bon fonctionnement des écoles primaires. L'État de Genève n'étant en mesure de connaître ni le nombre de travailleurs ressortissants de l'Union européenne susceptibles, dans les mois et années à venir, de devenir des frontaliers, ni le nombre de leurs enfants, aucune prévision sérieuse de l'augmentation des effectifs dans l'enseignement primaire ne serait possible. Partant, l'engagement de nouveaux enseignants ou la construction de nouvelles écoles ne pourraient être anticipés à temps, mettant à mal la qualité de l'enseignement public.

g. La restriction imposée aux enfants n'habitant pas le canton respecte le principe de la proportionnalité. Cette restriction est en effet seule à même de permettre la mise en oeuvre effective, par les autorités cantonales, du droit à un enseignement de base suffisant et gratuit. Cette restriction est en outre adéquate dès lors qu'elle permet une saine planification de l'enseignement primaire public et évite à ces autorités de perdre toute visibilité sur les effectifs des classes dans les années à venir. Enfin, cette restriction ne porte pas atteinte au droit des enfants d'être scolarisés au lieu de leur domicile.

23) a. Dans leur recours, les parents font à plusieurs reprises référence au fait qu'ils paient des impôts à Genève. Sans en faire un grief en soi, ils semblent en tirer pour conséquences que A______ ne peut, du fait de cet assujettissement, pas être empêché d'accéder à l'école primaire publique à Genève sans être discriminé.

b. L'art. 21 al. 2 ALCP prévoit qu'aucune disposition de cet accord ne peut être interprétée de manière à empêcher les parties contractantes d'établir une distinction, dans l'application des dispositions pertinentes de leur législation fiscale, entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans des situations comparables, en particulier en ce qui concerne leur lieu de résidence. On ne voit toutefois pas en quoi cette disposition, laquelle consacre l'égalité de traitement en matière fiscale, ouvrirait un droit d'accès à l'enseignement primaire public genevois à l'élève.

Les recourants se réfèrent en outre à l'arrêt Schumacker rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 14 février 1995 (aff. C-279/93,
Rec. 1995, p. I-225 lequel est explicité in Christine KADDOUS/Diane GRISEL, Libre circulation des personnes et des services, 2012, p. 297 ss). Cet arrêt examine toutefois les conditions de l'interdiction de restrictions fiscales à l'égard des personnes non-résidentes, et non, comme en l'espèce, les conditions d'accès à l'enseignement primaire public et gratuit.

Le grief d'une discrimination proscrite par l'ALCP sera donc écarté.

24) À teneur de l'art. 13 ALCP, dont l'intitulé est « stand still », les parties contractantes s'engagent à ne pas adopter de nouvelles mesures restrictives à l'égard des ressortissants de l'autre partie dans les domaines d'application du présent accord.

a. Dans son avis de droit, la prof. KADDOUS compare l'art. 23 REP dans sa formulation à la date de l'entrée en vigueur de l'ALCP, soit le 1er juin 2002, avec sa formulation actuelle applicable depuis le 14 février 2018. Elle relève que cette dernière version introduirait une nouvelle condition qui ne figurait pas dans la version en vigueur le 1er juin 2002.

b. Il convient toutefois de se souvenir que l'art. 23 REP ne limite en aucune manière le droit d'accès à l'enseignement primaire public genevois. Au contraire, comme cela a été décrit au consid. 12c ci-dessus, il élargit le champ des élèves pouvant intégrer cet enseignement. La limitation du droit d'accès à l'enseignement obligatoire à Genève découle, comme cela a été mis en évidence à plusieurs reprises dans le présent arrêt, du caractère obligatoire de l'enseignement de base et gratuit garanti par les art. 19 et 62 Cst. Or, l'art. 19 Cst. n'a subi aucune modification depuis son adoption en 1999. Quant à l'art. 62 Cst., il a fait l'objet de plusieurs ajouts depuis 2002. Dans sa version avant cette date, il prévoyait en effet que l'instruction publique est du ressort des cantons (al. 1) ; les cantons pourvoient à un enseignement de base suffisant ouvert à tous les enfants. Cet enseignement est obligatoire et placé sous la direction ou la surveillance des autorités publiques. Il est gratuit dans les écoles publiques. L'année scolaire débute entre la mi-août et la mi-septembre (al. 2). Les nouveautés introduites depuis (voir la version actuelle au consid. 6a ci-dessus), qui concernent la formation pour les personnes handicapées et la coordination scolaire, ne constituent toutefois pas des mesures restrictives à l'égard des bénéficiaires de l'ALCP.

25) a. Les recourants soulèvent ensuite les griefs de violation du droit à l'égalité de traitement, de l'interdiction de la discrimination et de l'interdiction de l'arbitraire. La décision querellée violerait le principe de l'égalité de traitement entre l'élève et les autres enfants ayant la chance d'avoir des parents pouvant payer un logement à Genève. Il n'existerait aucun motif justifiant valablement cette violation.

b. L'art. 8 Cst. dispose que tous les êtres humains sont égaux devant la loi
(al. 1). Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d'une déficience corporelle, mentale ou psychique (al. 2).

Quant à l'art. 9 Cst., il prévoit que toute personne a le droit d'être traitée par les organes de l'État sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi.

c. En l'espèce, les recourants ne démontrent pas que le département aurait traité différemment un autre enfant se trouvant dans une situation identique à celle de A______. Comme cela a déjà été examiné plus haut, le refus du département d'intégrer l'élève dans l'enseignement primaire public à Genève découle en outre, à l'exclusion de toute considération relative à sa nationalité ou autre élément en lien avec sa personne, du seul fait qu'il n'est pas domicilié dans le canton.

Pour le reste, la décision n'a rien d'arbitraire dès lors qu'elle repose sur des motifs sérieux et objectifs, qu'elle n'est pas en contradiction avec l'état de fait, qu'elle ne viole pas un principe juridique incontesté et qu'elle ne heurte pas de manière choquante le sentiment de la justice.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

26) Le présent arrêt rend sans objet la demande de mesures provisionnelles formulée dans le recours.

27) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe. L'enfant mineur ayant agi par ses parents, ceux-ci se verront astreints au paiement dudit émolument (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 mars 2019 par A______ , enfant mineur, agissant par ses parents Madame B______ et Monsieur C______ contre la décision du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 13 février 2019 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de Madame B______ et de Monsieur C______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat des recourants, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Thélin et Verniory, Mmes Payot Zen-Ruffinen et Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :