Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3412/2014

ATA/281/2016 du 05.04.2016 sur JTAPI/807/2015 ( LCI ) , ADMIS

Recours TF déposé le 18.05.2016, rendu le 28.06.2017, REJETE, 1C_226/2016
Descripteurs : CONSTRUCTION ET INSTALLATION ; PERMIS DE CONSTRUIRE ; IMMEUBLE ; HAUTEUR DE LA CONSTRUCTION ; ARCHITECTURE ; ESTHÉTIQUE ; MESURE DE PROTECTION ; PROTECTION DES MONUMENTS
Normes : LPMNS.1; LPMNS.9.al1; LPMNS.46.al2; LCI.3.al3; LCI.11.al4; LCI.27.al7; LCUA.4.al1; LDTR.1; LDTR.9
Parties : LES BERGES DU RHONE SA / DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE, ACTION PATRIMOINE VIVANT, ASSOCIATION GENEVOISE DES LOCATAIRES- ASLOCA, VILLE DE GENEVE - DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DE L'AMENAGEMENT, PATRIMOINE SUISSE GENEVE
Résumé : L'autorité de décision n'est pas liée par les préavis auxquels sont soumises les demandes d'autorisation (art. 3 al. 3 LCI). La LCI ne prévoit pas de hiérarchie entre les différents préavis requis. Selon une jurisprudence constante, en cas de préavis divergents, une prééminence est reconnue à celui de la CMNS lorsque son préavis est requis par la loi, dans la mesure où cette dernière est composée de spécialistes en matière d'architecture, d'urbanisme et de conservation du patrimoine (art. 46 al. 2 LPMNS). C'est pour cela que son préavis est essentiel (ATA/956/2014 du 2 décembre 2014 consid. 6 et les références citées). La CA ne doit plus être consultée pour des projets régis par la LPMNS ou situés dans des zones protégées. Seule la CMNS est compétente pour donner son avis (MGC 2003-2004/XI A 5893 ; MGC 2005-2006/V A 3504 et ss).
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3412/2014-LCI ATA/281/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 avril 2016

 

dans la cause

LES BERGES DU RHÔNE SA
représentée par Me Marc Lironi, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE - OAC

et

VILLE DE GENÈVE - DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DE L'AMÉNAGEMENT

et

PATRIMOINE SUISSE GENÈVE,
représenté par Me Alain Maunoir, avocat

et

ACTION PATRIMOINE VIVANT

et

ASSOCIATION GENEVOISE DES LOCATAIRES (ASLOCA)

_________

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 juillet 2015 (JTAPI/807/2015)


EN FAIT

1.1) Le bâtiment n° A499, sis sur la parcelle no 145, plan n° 8, de la commune de Genève, en troisième zone de construction, à l'adresse 2-4, rue des Deux-Ponts est propriété de la société Les Berges du Rhône SA (ci-après : la société). Il s'agit d'un bâtiment édifié en 1910 et qui a abrité l'ancienne manufacture de chaînes Eugène Tissot puis la manufacture de cadrans Beyeler. Ce bâtiment a reçu la mention « intéressant » lors du recensement du patrimoine industriel du canton de Genève car il constituait un objet intéressant au niveau local ou régional, présentait des qualités architecturales évidentes en termes de volume ou de proportions, était représentatif d'une époque, d'un style ou d'un mouvement artistique ou artisanal ou que sa valeur pouvait être renforcée par son intégration à un ensemble dont il pourrait être dissocié.

2.2) Ce bâtiment a fait l'objet d'une transformation, démolition partielle et de surélévation dans les années 2006 à 2007. Ces modifications ont entraîné par ailleurs un changement de l'affectation industrielle en une affectation administrative.

Une autorisation de construire, no DD 100'685, a été délivrée en date du
3 avril 2007 et exécutée depuis lors.

3.3) a. Par arrêté du 8 avril 2009, le département des constructions et des technologies de l'information, devenu entre-temps le département de l'aménagement, du logement et de l'énergie (ci-après : le DALE), a ordonné l'inscription à l'inventaire des immeubles dignes d'être protégés du bâtiment
no A499 (ancienne usine « Beyeler ») et de la parcelle no 145, feuille 8, de la commune de Genève.

b. Suite à un recours de la société, le Tribunal administratif, devenu la chambre administrative de la Cour de justice, (ci-après : la chambre administrative) a rendu un arrêt en date du 1er juin 2010 (ATA/360/2010), réformant partiellement la décision entreprise. Les effets de l'inscription à l'inventaire étaient limités à ses façades originelles, avant surélévation, côté rue, fenêtres comprises.

4.4) Le 16 mars 2010, la société a déposé une demande définitive d'autorisation de construire (DD 103'535) tendant à la surélévation de l'immeuble, en créant deux étages supplémentaires, identiques à ceux réalisés dans le cadre de l'autorisation DD 100'685.

5.5) Par arrêté du 1er septembre 2010, le Conseil d'État, tenant compte de l'arrêt de la chambre administrative du 1er juin 2010, a modifié son arrêté du
8 avril 2009, en ce sens que l'inscription à l'inventaire du bâtiment se limitait à ses façades originelles, avant surélévation, côté rue, fenêtres comprises.

6.6) Lors de l'instruction de la requête en autorisation de construire DD 103'535, des préavis défavorables ont été émis.

Selon la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS), soit pour elle la sous-commission monuments et antiquités (ci-après : la SCMA), ce bâtiment était implanté dans un carrefour très visible. Sa surélévation porterait atteinte au site du bord du Rhône et nécessitait une dérogation aux gabarits. La surélévation de deux étages qui venait d'être achevée avait déjà porté le gabarit de ce bâtiment au maximum de ce qu'il pouvait supporter en regard des proportions de ses façades.

Les préavis de la Ville de Genève (ci-après : la ville) et du département de l'aménagement du territoire rattaché à l'office de l'urbanisme étaient également défavorables.

7.7) Durant l'année 2011, la CMNS a reçu en consultation la société et ses mandataires. Ces derniers lui ont alors présenté un projet différent du premier.

8.8) Le 18 mars 2011, le service juridique compétent en matière de loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996
(LDTR - L 5 20 ; ci-après : le service juridique LDTR) a déclaré ne pas avoir d'observation, sous réserve du respect des conditions de la LDTR.

9.9) Estimant la nouvelle proposition intéressante, la SCMA a émis un préavis, le 1er juin 2011, annulé et remplacé par un nouveau en date du 8 juin 2011, dont les termes étaient identiques. Elle était d'accord d'entrer en matière sur le principe d'une seconde surélévation du bâtiment. Le bâtiment était très en vue depuis le quartier de Saint-Jean et la toiture actuelle n'était pas traitée comme une cinquième façade. Une deuxième surélévation permettrait peut-être d'améliorer la situation existante. Elle devait impérativement intégrer les éléments techniques situés en toiture. L'expression de cette deuxième surélévation devrait permettre à la fois une meilleure intégration de la surélévation déjà réalisée et un meilleur achèvement du bâtiment.

10.10) Le 5 octobre 2011, suite à une nouvelle présentation du projet modifié de surélévation par le mandataire de la société, la SCMA a délivré un nouveau préavis.

La nouvelle proposition répondait aux remarques formulées dans son préavis du 8 juin 2011. Le projet présenté était bien intégré morphologiquement et l'expression proposée pour les façades de la nouvelle surélévation mettait en tension la surélévation précédente en minimisant son impact tout en offrant des lits supplémentaires pour étudiants avec des espaces communs (cuisine, salles de travail).

La superposition des volumes exprimés par la maquette devait se traduire sur les plans ; ainsi les volumes du deuxième niveau devaient être traités en porte-à-faux (suppression des piliers projetés). Elle relevait l'importance du choix de la matérialité et de la teinte de la surélévation qui devraient être en rupture avec les façades existantes afin de traduire la stratification exprimée par le mandataire. Elle demandait également que le concept végétal d'ensemble déjà présenté soit maintenu. Elle rappelait enfin qu'au vu de la position du bâtiment et de sa visibilité depuis le quartier de Saint-Jean, la cinquième façade, soit la toiture de cette dernière surélévation, devrait faire l'objet d'un traitement soigné dans lequel tous les éléments techniques devraient être intégrés.

11.11) La société a alors établi un nouveau projet, déposé le
10 février 2012, qui a fait l'objet des préavis suivants :

- le 20 mars 2012, la commission d'architecture (ci-après : la CA) a émis un préavis défavorable.

Elle avait longuement débattu à propos de l'opportunité d'une double surélévation sur un bâtiment déjà surélevé de manière cohérente et terminée. Le bâtiment faisait partie d'un îlot du début du XXème siècle avec une architecture intérieure sur un angle fermé posant une réelle interrogation vis-à-vis de la cour. Si elle reconnaissait la position spécifique du bâtiment, soit d'être le long du Rhône sans réel vis-à-vis direct, de disposer d'un angle, d'une visibilité qui pourrait accepter un gabarit particulier, elle n'était pas satisfaite par la solution proposée qui ne démontrait pas la qualité escomptée pour obtenir la dérogation. Enfin, l'expression proposée n'était pas en relation avec l'affectation du bâtiment, soit du logement pour étudiants ;

- le 4 avril 2012, la CMNS, soit pour elle la SCMA, a demandé un projet modifié. Le projet déposé était très différent de celui analysé en consultation. Il se lisait comme un élément architectural qui venait parachever la dernière surélévation du bâtiment, alors que le concept originel se percevait comme une superposition de volumes légers et simples. Elle demandait de revenir à une solution de toiture plate traitée comme une 5ème façade, sans aucune superstructure, avec intégration des panneaux solaires et sans interférence d'éléments végétaux ;

- le 20 avril 2012, l'office de l'urbanisme a émis un préavis défavorable.

L'ajout de deux étages supplémentaires à ceux déjà réalisés introduisait un rapport d'échelle totalement différent par rapport aux autres bâtiments de l'îlot et aux bâtiments en vis-à-vis sur la rue des Deux-Ponts qui ne pouvait pas être résolu de manière ponctuelle sans une réflexion approfondie sur les gabarits pour l'ensemble du périmètre. Ainsi, bien que le bâtiment fût inscrit sur la carte indicative des bâtiments susceptibles d'être surélevés, le projet ne convainquait pas dans son insertion urbanistique ;

- le 23 mai 2012, la ville a émis un préavis défavorable.

La nouvelle surélévation dénaturait un bâtiment inscrit à l'inventaire. Les conditions de l'art. 11 al. 4 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) n'étaient pas respectées. Elle émettait des doutes sur l'économicité du projet au regard de son affectation, soit des logements pour étudiants.

12.12) La 6ème version du projet de la société, datée du 20 décembre 2013, a recueilli les préavis suivants :

- le 26 février 2014, la CMNS, soit pour elle la SCMA, a émis un préavis favorable à l'octroi de la dérogation de l'art. 11 LCI. Le projet répondait à la demande de la CMNS de revenir à une solution de toiture plate traitée comme une 5ème façade, sans aucune superstructure, avec intégration des panneaux solaires et sans interférence d'éléments végétaux ;

- le 5 mars 2014, la direction de la planification directrice cantonale et régionale a émis un préavis défavorable. L'ajout de deux étages supplémentaires à ceux déjà réalisés introduisait un rapport d'échelle totalement différent par rapport aux autres bâtiments de l'îlot et aux bâtiments en vis-à-vis sur la rue des Deux-Ponts qui ne pouvait pas être résolu de manière ponctuelle sans une réflexion approfondie sur les gabarits pour l'ensemble du périmètre. Ainsi, bien que le bâtiment fût inscrit sur la carte indicative des bâtiments susceptibles d'être surélevés, le projet ne convainquait pas dans son insertion urbanistique ;

- le 4 avril 2014, la ville a formulé un préavis défavorable. En date du 4 août 2006, elle avait formulé un préavis favorable à la surélévation actuellement exécutée, au motif que celle-ci permettait de conserver un bâtiment digne d'intérêt tout en harmonisant son gabarit avec celui des immeubles voisins. Or, le nouveau projet était en contradiction avec les arguments avancés lors de la première surélévation, car il venait rompre cet équilibre et péjorait considérablement la volumétrie de l'îlot bâti qui présentait un alignement rigoureux des bâtiments qui le composaient ;

- le 27 mai 2014, la CA a émis un préavis défavorable.

Ce bâtiment d'angle, surélevé deux fois, était situé à un endroit stratégique au bord du Rhône, à l'angle formé par la rue des Deux-Ponts et le sentier des Saules. Si les deux premières surélévations avaient adopté une stratégie de continuité avec le bâtiment socle, à savoir le prolongement du plan des deux façades et de l'angle coupé, la troisième rompait radicalement avec cette solution de continuité en lui superposant deux corps perpendiculaires, l'un à la rue des Deux-Ponts, l'autre au sentier des Saules. Ce projet de troisième intervention altèrerait dès lors gravement la cohérence globale du bâtiment, qui se lirait comme un empilement d'opérations contradictoires entre elles. De plus, ce troisième projet de surélévation ne cherchait pas à s'intégrer à la rue des Deux-Ponts, dont il rompait l'harmonie de manière non négligeable en proposant une exception formelle.

13.13) Par courrier du 1er octobre 2014, l'office de l'urbanisme a informé le conseil administratif de la ville de son intention de délivrer, sous peu, l'autorisation de construire sollicitée.

Le bâtiment avait été inscrit à l'inventaire le 1er septembre 2010. La CMNS était dès lors compétente pour donner son préavis sur tout projet de travaux concernant cet immeuble.

Elle s'était expressément déclarée favorable à la dérogation prévue à l'art. 11 LCI dans son préavis du 26 février 2014. Le projet constituait le résultat de diverses demandes de modifications souhaitées par la CMNS auxquelles le requérant avait répondu. Cela démontrait que le respect des conditions fixées par l'art. 11 LCI avait fait l'objet d'un examen approfondi par la commission compétente.

S'agissant de leur crainte quant à l'atteinte qui pourrait être portée à ce bâtiment digne de protection, la CMNS, dans divers préavis, s'était déjà prononcée à ce sujet, en relevant que « l'expression de cette deuxième surélévation devrait permettre à la fois, une meilleure intégration de la surélévation déjà réalisée et un meilleure achèvement du bâtiment ».

14.14) Par décision du 1er octobre 2014, publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 7 octobre 2014, le DALE a délivré l'autorisation de construire (DD 103'535), sous conditions.

Les disposition de la LDTR devaient être respectées. Le service juridique LDTR gardait une position réservée, en particulier concernant les loyers des logements créés par la surélévation (chiffres 13 et 14 de l'autorisation).

15.15) Par acte du 6 novembre 2014, la ville a recouru auprès du TAPI, concluant principalement, à l'annulation de ladite décision, « sous suite de frais et dépens ».

L'autorisation délivrée violait l'art. 9 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05), le projet autorisé dénaturant totalement l'immeuble concerné. La surélévation compromettait gravement l'harmonie urbanistique de la rue. En délivrant l'autorisation, le DALE avait violé l'art. 27 al. 3 LCI. Les conditions prévues à l'art. 11 al. 4 LCI n'étaient pas remplies. L'autorisation violait également
l'art. 15 LCI.

16.16) Par mémoires du 6 novembre 2014, Action Patrimoine Vivant
(ci-après : APV) et l'Association genevoise des locataires (ci-après : ASLOCA) ont également recouru contre cette autorisation.

17.17) Par recours du 6 novembre 2014, l'association patrimoine suisse Genève a conclu à l'annulation de la décision.

Le bâtiment, inscrit à l'inventaire, devait être maintenu et ses éléments dignes d'intérêt préservés.

Les conditions de l'art. 11 al. 4 LCI n'étaient pas remplies et la CA avait formulé un préavis défavorable.

Le bâtiment faisait partie d'un ensemble d'immeubles protégés, au sens des art. 89 ss LCI. Les ensembles protégés par ces dispositions devaient être maintenus.

18.18) Dans ses observations du 12 décembre 2014, la société a conclu au rejet du recours.

19.19) Le 12 janvier 2015, le DALE a conclu à la jonction des causes et à la confirmation de sa décision du 1er octobre 2014.

Le bâtiment n'appartenait pas à un ensemble au sens des art. 89 ss LCI.

Le gabarit asymétrique avait fait l'objet de la dérogation prévue par
l'art. 11 al. 6 LCI. À la lecture des différents préavis émis par la CMNS, il était manifeste que c'était précisément cette asymétrie qui avait permis d'entrer en matière sur une deuxième surélévation. Elle avait d'ailleurs précisé que cette conception permettrait d'améliorer l'insertion du bâtiment existant dans le site, puisque la toiture actuelle, très en vue depuis Saint-Jean, était surplombée d'éléments techniques et n'était pas traitée comme une cinquième façade. La surélévation permettrait d'optimiser l'aspect du bâtiment lui-même.

Le cinquième étage du projet, côté rue des Deux-Ponts, ne respectait pas l'art. 36 LCI mais le dépassement était mineur. À cet égard, la CMNS avait fait application de l'art. 11 al. 4 LCI. Elle avait notamment estimé que le projet était compatible avec le caractère, l'harmonie et l'aménagement du quartier. La situation du bâtiment en bout d'îlot avait été un facteur important pour déterminer si le bâtiment pouvait supporter une hauteur différente de celle de ses voisins.

Le préavis obligatoire de la CMNS était requis en vertu de l'art. 5 al. 2 let. c du règlement d'exécution de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 novembre 1976 (RPMNS - L 4 05.01), l'immeuble étant porté à l'inventaire. L'art. 11 al. 4 LCI réservait expressément l'art. 4 al. 1 de la loi sur les commissions d'urbanisme et d'architecture du 24 février 1961 (LCUA - L 1 55) aux termes duquel c'était la CMNS qui devait être consultée lorsque le projet relevait, comme en l'espèce de sa compétence.

20.20) Le 28 avril 2015, le TAPI a tenu une audience de comparution personnelle.

a. L'administrateur de la société a été entendu. Il avait reçu environ trois mille demandes d'étudiants, raison pour laquelle il avait été décidé de lancer le projet de seconde surélévation. Le prix des loyers perçus n'était pas une information pertinente. Le locataire était la Webster University.

b. Un représentant de la SCMA a également été entendu en qualité de témoin.

Monsieur Jean-Jacques OBERSON, l'un des architectes mandataires de la société, avait présenté un projet fondamentalement modifié lors de la séance du
1er juin 2011, raison pour laquelle la CMNS était entrée en matière. Le concept était intéressant en raison du traitement de la toiture. Les réserves émises par la CMNS avaient finalement conduit au dernier projet préavisé favorablement. Ce bâtiment sur angle et côté fleuve ne posait pas de problème de gabarit, permettant ainsi de déroger à l'art. 11 LCI. Il n'y avait pas de rupture d'harmonie entre les deux façades sises sentier des Saules et rue des Deux-Ponts et le bâtiment proposé pouvait supporter une surélévation. La CMNS n'avait pas considéré que l'immeuble faisait partie d'un ensemble.

La deuxième surélévation ne tenait pas compte de l'alignement de la première : il s'agissait de volumes plus légers qui permettaient de se démarquer de la construction existante. D'autres éléments avaient été pris en compte tels que les grandes baies vitrées à disposition des étudiants, une paroi végétalisée du côté de la rue des Deux-Ponts ou encore une cinquième façade exempte de superstructure. Tous ces éléments permettaient de considérer le projet comme étant original et d'accepter cette surélévation.

Enfin, la CMNS avait pris en compte le fait qu'il s'agissait d'une proposition de logements supplémentaires qui permettaient de compléter l'offre existante, relevant que le bâtiment garderait la même affectation.

21.21) Le 29 avril 2015, le TAPI a décidé la jonction des causes.

22.22) Le TAPI a tenu une nouvelle audience le 12 mai 2015.

Le président de la CA a été entendu en qualité de témoin.

Un protocole avait été établi par la CA en 2012, qui s'appliquait à toute surélévation et tenait compte de plusieurs critères. Elle s'était prononcée défavorablement principalement en raison du fait que ce projet rompait la cohérence globale du bâtiment et était en totale rupture avec le reste du quartier.

23.23) Au terme de l'instruction, les parties ont formulé leurs observations et persisté dans leurs conclusions.

24.24) Par jugement du 3 juillet 2015, le TAPI a admis les recours interjetés par la ville et par l'association patrimoine suisse Genève et annulé l'autorisation de construire DD 103'535.

Les recours de l'ASLOCA et d'APV ne satisfaisant pas aux exigences minimales de motivation, ils ont été déclarés irrecevables.

L'importance du préavis de la CMNS devait être relativisée. Ce n'était pas une loi au sens formel, mais un règlement d'application, qui prévoyait que la CMNS avait l'attribution de donner son préavis sur tout projet de travaux concernant un immeuble porté à l'inventaire. Le projet litigieux ne concernait pas la partie du bâtiment inscrite à l'inventaire, ce que le représentant de la CMNS avait confirmé. Ce dernier avait également confirmé que l'immeuble ne faisait pas partie d'un ensemble protégé, si bien que le préavis de la CMNS n'était pas requis.

Le préavis de la CA revêtait quant à lui un poids déterminant dans l'octroi de la dérogation litigieuse au vu de l'art. 11 al. 4 LCI. Celui-ci était négatif. Il se basait sur plusieurs critères ressortant d'un protocole élaboré par ses soins, dont l'analyse l'avait amenée à la conclusion que le projet présenté était en totale rupture tant avec l'immeuble qu'avec le reste du quartier.

« La direction des plans d'affectation et requêtes de l'office de l'urbanisme », composée de spécialistes, avait également rendu un préavis négatif, le projet n'étant pas convainquant dans son insertion urbanistique.

Tous ces éléments tendaient à relativiser l'importance à donner au préavis de la CMNS qui était la seule à avoir préavisé favorablement le projet.

Toutes les autres institutions avaient retenu que le projet en cause compromettait l'harmonie urbanistique de l'immeuble, de la rue et du quartier.

Le DALE ne pouvait pas faire valoir un intérêt public prépondérant, dans la mesure où la construction projetée permettrait de loger seulement une poignée d'étudiants universitaires réunis dans neuf chambres de 17-20 m2 et un studio de 29 m2.

Par conséquent, le DALE avait abusé de son pouvoir d'appréciation et s'était laissé guider par des considérations non objectivement fondées.

25.25) Par acte du 4 septembre 2015, la société a recouru auprès de la chambre administrative contre le jugement du TAPI, concluant principalement, à l'annulation partielle de son dispositif et à la confirmation de la validité de l'autorisation de construire DD 103'535 délivrée le 1er octobre 2014. Subsidiairement, celle-ci devait être constatée, à condition que quarante lits supplémentaires soient implantés dans l'immeuble.

Les conclusions étaient prises « sous suite de frais et dépens ».

Le TAPI ne pouvait ignorer le seul préavis obligatoire requis par la loi et le relativiser en lui substituant la volonté d'une autre commission qui n'avait d'ailleurs jamais été véritablement impliquée dans le projet discuté et qui n'avait fait que donner un avis sur l'esthétique de l'immeuble. Ainsi, le TAPI avait violé le principe de la légalité.

La double consultation de la CA et de la CMNS était exclue par la législation. L'avis de la CA n'était pas nécessaire et ne revêtait pas un poids déterminant. Si, effectivement, la CA était composée de spécialistes, ceux-ci n'examinaient les projets que sous l'angle restreint qui était celui de l'architecture. La CMNS, avec ses spécialistes pluridisciplinaires, était mieux à même de se prononcer. Le TAPI avait ainsi fait un usage erroné de son pouvoir d'appréciation.

Au regard des enjeux de la pénurie de logement qui frappait de manière endémique le canton de Genève, l'intérêt public prépondérant permettait au DALE de passer outre le préavis de la CA, si tant était qu'on devait admettre qu'il avait une certaine importance.

Il pouvait parfaitement être procédé à des aménagements intérieurs qui pourraient permettre la construction d'autres chambres, augmentant ainsi le nombre de lits à environ quarante.

La société sollicitait l'audition de M. OBERSON.

26.26) Le 9 septembre 2015, le TAPI a transmis son dossier sans formuler d'observations.

27.27) Le 8 octobre 2015, le DALE a conclu à l'admission du recours.

Le préavis de la CA devait, dans certains cas, céder sa place à celui de la CMNS. La législation instaurait une compétence obligatoire exclusive de l'une des deux commissions.

La CMNS devait donner son préavis sur tout projet de travaux concernant un immeuble porté à l'inventaire. Dès lors, son préavis était obligatoire, quand bien même le projet concernait une surélévation qui nécessitait une dérogation, au sens de l'art. 11 al. 4 LCI.

Cette commission était la mieux à même de s'exprimer sur l'impact d'un projet sur des éléments inscrits à l'inventaire. Ainsi, quelle que soit la partie d'une construction portée à l'inventaire, il s'imposait de la consulter.

28.28) Le 9 octobre 2015, l'association patrimoine suisse Genève a transmis ses observations et conclu au rejet du recours.

Le jugement du TAPI n'était ni choquant ni arbitraire.

L'intérêt public devait être relativisé, l'objectif poursuivi relevant essentiellement des intérêts privés conjugués de la propriétaire et de
Webster University.

29.29) Le 12 octobre 2015, la ville a conclu au rejet du recours.

À l'exception de la CMNS, toutes les institutions consultées avaient considéré que le projet concerné compromettait l'harmonie urbanistique de l'immeuble, de la rue et du quartier.

Le DALE ne pouvait pas faire valoir un intérêt public prépondérant, dans la mesure où la construction projetée permettait de loger seulement quelques étudiants.

De plus, la société n'avait pas démontré que les appartements répondraient par leur genre, leur loyer ou leur prix aux besoins prépondérants de la population, en application de l'art. 9 LDTR.

30.30) Le 7 décembre 2015, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle et d'enquêtes.

a. Les représentants de la ville ont été entendus et ont déposé un plan dressé par le service de l'urbanisme, représentant une élévation du projet à la rue des Deux-Ponts et au sentier des Saules.

Au sentier des Saules, ce document mettait en évidence que le projet litigieux atteindrait une altitude de 400,75 m alors que l'immeuble 9, chemin des Saules, atteignait seulement une altitude de 398 m.

À la rue des Deux-Ponts, cette élévation mettait en évidence que la corniche des immeubles entre l'Arve et le Rhône était quasiment à la même altitude alors qu'il y avait des variations au niveau des attiques et/ou des toitures en retrait, figurant en blanc sur l'élévation.

b. La représentante d'APV relevait qu'une demande de mise à l'inventaire de l'immeuble 3, chemin des Saules, soit l'ancienne usine Stern, avait été déposée. Il y avait une demande de démolition de ce bâtiment déposée par le propriétaire. La protection de cet immeuble, demandée par APV, visait à conserver sur le chemin des Saules une cohérence de trois façades d'usine horlogère, soit celle de l'usine Beyeler, celle de l'usine Stern et celle de la Nationale.

c. M. OBERSON, entendu comme témoin, a commenté le plan déposé par les représentants de la ville.

Du côté du sentier des Saules, l'élévation en rose était représentée par son enveloppe alors que le détail de l'architecture jouerait un rôle important dans l'esthétique du projet. D'autre part, le sentier des Saules descendait entre les
nos 3 et 9. Dans la mesure où les cotes indiquées étaient exactes, la différence d'altitude ne modifiait pas son appréciation exprimée dans la consultation figurant au dossier.

Côté rue des Deux-Ponts, la toiture directement voisine du projet avait déjà été rendue habitable. Le projet prévoyait une transition ainsi qu'une modénature qui tenait compte de la vue que l'on avait en descendant depuis Saint-Jean. Le fait que cette modénature ne soit pas dessinée sur l'élévation et que l'agrandissement soit uniquement symbolisé par un rectangle rose ne permettait pas de saisir les détails du projet.

Il était consultant du bureau d'architectes, mais n'y avait pas d'autres intérêts ni fonctions.

Ils souhaitaient un projet contemporain. Les architectes avaient tenu compte du fait que le bâtiment constituait une tête d'ilot, et que nombreuses d'entre elles étaient traitées de manière signifiante. Des têtes d'ilot présentant des fantaisies architecturales étaient présentes ailleurs à Genève. Il s'agissait d'éléments de dispositif urbain qui enrichissaient la ville. L'immeuble avait une cohérence urbanistique, mais pas architecturale. Ils avaient dessiné le projet en tenant compte de l'espace disponible en raison du Rhône. Le projet disposait également de suffisamment d'espace par rapport aux immeubles situés de l'autre côté de la rue des Deux-Ponts. Le point de vue depuis la colline de Saint-Jean avait également été pris en compte. Le projet était bien intégré et ne créerait pas de précédent dangereux en matière de surélévation d'immeubles.

31.31) Le 15 janvier 2016, la société a formulé ses observations après enquêtes et produit des plans avec cotes.

Ceux déposés par la ville à l'audience étaient faux.

S'il existait un décrochement entre la surélévation et l'immeuble construit au nº 9 du sentier des Saules, ce décrochement n'était pas lié à l'augmentation du gabarit de l'immeuble du no 3, mais exclusivement consécutif à l'inclinaison du terrain à la hauteur du no 9.

32.32) Le même jour, la ville a également fait part de ses observations.

Le projet ne permettait pas de créer un alignement ni avec les immeubles situés sur le sentier des Saules, ni avec ceux situés à la rue des Deux-Ponts. Le fait que le sentier des Saules descendait entre les nos 3 et 9 n'était pas pertinent, la différence de gabarit entre les constructions étant nettement supérieure à la différence de niveau au sol.

33.33) Le DALE et l'APS ont persisté dans leurs conclusions.

34.34) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

35.35) Le détail de l'argumentation des parties et des pièces figurant au dossier sera repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1.1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du
26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.2) a. Les immeubles inscrits à l'inventaire doivent être maintenus et leurs éléments dignes d'intérêt préservés (art. 9 al. 1 LPMNS). La LPMNS a notamment pour but de conserver les monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture et les antiquités immobilières ou mobilières situés ou trouvés dans le canton ainsi que de préserver l'aspect caractéristique du paysage et des localités, les immeubles et les sites dignes d'intérêt, ainsi que les beautés naturelles
(art. 1 let. a et b LMPNS).

b. La CMNS donne son préavis sur tout projet de travaux concernant un immeuble porté à l'inventaire (art. 5 al. 2 let. c RPMNS).

3.3) La CA est quant à elle consultée par le DALE, lorsqu'il doit se prononcer sur l'octroi d'une dérogation au gabarit des constructions, tels que définis par les art. 26 ss LCI, lorsque l'immeuble se trouve en troisième zone de construction (art. 11 al. 4 LCI et art. 27 al. 7 LCI).

La dernière phrase de l'art. 11 al. 4 LCI précise cependant que
l'art. 4 al. 1 LCUA est réservé.

4.4) Aux termes de celui-ci, la CA n'est plus consultée lorsque le projet fait l'objet d'un préavis de la CMNS (art. 4 al. 1 LCUA).

5.5) Lors de l'adoption de ces normes, le souhait du législateur était d'exclure une double consultation de la CMNS et de la CA, afin d'alléger la procédure. Cette modification devait également permettre d'éviter les préavis contradictoires. Ainsi, seule la CMNS est compétente pour donner son avis sur des projets régis par la LPMNS ou situés dans des zones protégées. À teneur de la nouvelle disposition alors adoptée, la CA ne devait plus être consultée pour ces projets (MGC 2003-2004/XI A 5893 ; MGC 2005-2006/V A 3504 et ss).

6.6) a. L'autorité de décision n'est pas liée par les préavis auxquels sont soumises les demandes d'autorisation (art. 3 al. 3 LCI). Ils n'ont qu'un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l'autorité reste libre de s'en écarter pour des motifs pertinents et en raison d'un intérêt public supérieur (ATA/1355/2015 du 21 décembre 2015 consid. 6d ; ATA/636/2015 du
16 juin 2015 consid. 7a).

b. La LCI ne prévoit pas de hiérarchie entre les différents préavis requis. Selon une jurisprudence constante, en cas de préavis divergents, une prééminence est reconnue à celui de la CMNS lorsque son préavis est requis par la loi, dans la mesure où cette dernière est composée de spécialistes en matière d'architecture, d'urbanisme et de conservation du patrimoine (art. 46 al. 2 LPMNS). C'est pour cela que son préavis est essentiel (ATA/956/2014 du 2 décembre 2014 consid. 6 et les références citées).

7.7) a. L'autorité administrative jouit d'un large pouvoir d'appréciation dans l'octroi de dérogations. Cependant, celles-ci ne peuvent être accordées ni refusées d'une manière arbitraire. Tel est le cas lorsque la décision repose sur une appréciation insoutenable des circonstances et inconciliable avec les règles du droit et de l'équité et se fonde sur des éléments dépourvus de pertinence ou néglige des facteurs décisifs (ATA/451/2014 du 17 juin 2014 consid. 5c ; ATA/537/2013 du 27 août 2013 consid. 6b ; ATA/147/2011 du 8 mars 2011 consid. 5 et les références citées). Quant aux autorités de recours, elles doivent examiner avec retenue les décisions par lesquelles l'administration accorde ou refuse une dérogation. L'intervention des autorités de recours n'est admissible que dans les cas où le DALE s'est laissé guider par des considérations non fondées objectivement, étrangères au but prévu par la loi ou en contradiction avec elle. Les autorités de recours sont toutefois tenues de contrôler si une situation exceptionnelle justifie l'octroi de ladite dérogation, notamment si celle-ci répond aux buts généraux poursuivis par la loi, qu'elle est commandée par l'intérêt public ou d'autres intérêts privés prépondérants ou encore lorsqu'elle est exigée par le principe de l'égalité de traitement, sans être contraire à un intérêt public (ATA/451/2014 du 17 juin 2014 consid 5c ; ATA/537/2013 du 27 août 2013 consid. 6b ; ATA/117/2011 du 15 février 2011 consid. 7b. et les références citées).

b. Selon une jurisprudence bien établie, la chambre administrative observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l'autorité inférieure suive l'avis de
celles-ci. Les autorités de recours se limitent à examiner si le DALE ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/1366/2015 du 21 décembre 2015 consid. 6b ; ATA/636/2015 du
16 juin 2015 consid. 7a ; ATA/1019/2014 du 16 décembre 2014 consid. 11b ; ATA/126/2013 du 26 février 2013 consid. 9b). Lorsque l'autorité s'écarte desdits préavis, la chambre administrative peut revoir librement l'interprétation des notions juridiques indéterminées, mais contrôle sous le seul angle de l'excès et de l'abus de pouvoir, l'exercice de la liberté d'appréciation de l'administration, en mettant l'accent sur le principe de la proportionnalité en cas de refus malgré un préavis favorable et sur le respect de l'intérêt public en cas d'octroi de l'autorisation malgré un préavis défavorable (ATA/1366/2015 du 21 décembre 2015 consid. 6c ; ATA/636/2015 du 16 juin 2015 consid. 7a ; ATA/495/2009 du
6 octobre 2009 consid. 7).

c. La chambre de céans se considère libre d'exercer son propre pouvoir d'examen lorsqu'elle est confrontée à des préavis divergents et ce d'autant plus lorsqu'elle a procédé elle-même à des mesures d'instruction, notamment des auditions ou un transport sur place (ATA/1005/2015 du 29 septembre 2015 consid. 12d).

8.8) a. La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l'habitat dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1 LDTR). La loi prévoit notamment à cet effet, tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR). Plus spécifiquement, la LDTR vise à éviter la disparition à long terme de logements à usage locatif (arrêt du Tribunal fédéral 1P.406/2005 du 9 janvier 2006 consid. 3 ; ATA/868/2014 du 11 novembre 2014 consid. 3).

b. Selon l'art. 9 al. 1 LDTR, une autorisation est nécessaire pour toute transformation ou rénovation au sens de l'art. 3 al. 1 LDTR. Le DALE accorde l'autorisation si les logements transformés répondent, quant à leur genre, leur loyer ou leur prix, aux besoins prépondérants de la population (art. 9 al. 2 LDTR). Il appartient au département de procéder à une appréciation globale de ces critères (ATA/437/2014 du 17 juin 2014 consid. 4b). Par besoins prépondérants de la population, il faut entendre les loyers accessibles à la majorité de la population (art. 9 al. 3 LDTR).

9.9) En l'espèce, le TAPI a considéré que le préavis de la CA, requis par
l'art. 11 al. 4 LCI, était déterminant. L'importance du préavis de la CMNS devait être relativisée, dès lors que celui-ci était requis par un règlement et non par une loi au sens formelle. De plus, si la CMNS avait l'attribution de donner son préavis sur tout projet de travaux concernant un immeuble porté à l'inventaire au sens de
l'art. 9 LPMNS, le projet litigieux ne concernait pas la partie du bâtiment inscrite à l'inventaire. Enfin, la CMNS était la seule à avoir préavisé favorablement le projet. Toutes les autres institutions avaient retenu que le projet en cause compromettait l'harmonie urbanistique de l'immeuble, de la rue et du quartier. Il n'existait pas d'intérêt public au projet, dès lors que la construction projetée permettait de loger seulement une poignée d'étudiants universitaires réunis dans neuf chambres et un studio. Le TAPI avait ainsi considéré que le DALE avait abusé de son pouvoir d'appréciation et s'était laissé guider par des considérations non objectivement fondées.

Ces arguments ne sauraient être retenus.

En effet, la CMNS est tenue, en vertu de l'art. 5 al. 2 let. c RPMNS, de donner son préavis sur tout projet de travaux concernant un immeuble porté à l'inventaire. Tel est le cas en l'espèce, puisque conformément à l'arrêt rendu par la chambre de céans le 1er juin 2010 (ATA/360/2010), les façades originelles, côté rue, fenêtres comprises ont fait l'objet d'une inscription à l'inventaire.

Par conséquent, on se trouve précisément dans un cas prévu par
l'art. 4 al. 1 LCUA, où seule la CMNS est compétente pour donner son préavis. Pour être conforme à la volonté du législateur, la CA n'aurait pas dû être consultée. Par conséquent, le TAPI ne pouvait pas considérer le préavis de celle-ci comme étant déterminant et relativiser celui de la CMNS. De plus, dans les cas de surélévation, les projets de travaux ne concernent jamais les parties de l'immeuble portées à l'inventaire, dès lors qu'ils concernent un rehaussement du bâtiment qui reste à créer.

Liée par le principe de l'interdiction de l'arbitraire, l'autorité de décision doit apprécier l'importance et la pertinence des préavis et peut également s'en écarter. Il convient par conséquent d'examiner si l'autorité a négligé des facteurs décisifs avant de rendre sa décision.

Le DALE a principalement tenu compte du préavis de la CMNS. Il ressort de l'historique du projet, que ce dernier est issu des discussions entre celle-ci et les architectes de la recourante, qui ont tenu compte des remarques et des souhaits formulés par la CMNS au cours des séances. Le principal reproche formulé par les préavis négatifs était précisément la problématique qui a occupé les discussions entre la CMNS et les architectes du projet, soit de trouver une solution permettant à la surélévation de s'intégrer dans le milieu existant. La CMNS y a en effet accordé une réelle importance, exigeant notamment que la cinquième façade, soit la toiture de la surélévation, fasse l'objet d'un traitement soigné, en raison de sa visibilité depuis le quartier de Saint-Jean.

Le projet autorisé résulte ainsi d'un travail concerté entre la CMNS et les mandataires de la recourante. Par conséquent, la CMNS possède une connaissance globale et approfondie de tous les aspects de cette surélévation. Elle a travaillé à une intégration adéquate de cette dernière dans cet endroit particulièrement exposé du bord du Rhône, ainsi qu'à l'esthétisme offert à la vue, depuis le quartier de Saint-Jean, qui le surplombe directement.

Parmi les préavis négatifs figure celui de la CA. Dès lors qu'il est au dossier, qu'il a alimenté les discussions entre la CMNS et les architectes et que le DALE en a tenu compte pour rendre sa décision, la chambre administrative en fera de même dans l'examen de l'octroi de l'autorisation.

Les préavis défavorables ont critiqué l'insertion urbanistique du projet, la surélévation ne permettant pas d'harmoniser le gabarit du bâtiment avec ceux des immeubles voisins. La CA a quant à elle souligné que le projet rompait radicalement avec la continuité du bâtiment, altérant ainsi gravement la cohérence globale de l'immeuble. Elle a également souligné que le projet n'était pas en relation avec l'affectation du bâtiment, soit du logement pour étudiants.

Or, l'architecture du quartier est amenée à évoluer, en particulier sur le sentier des Saules et c'est précisément l'expression différenciée et asymétrique du projet par rapport à la surélévation déjà réalisée qui a incité la CMNS à entrer en matière. Quant à l'exigence du respect de la continuité du bâtiment, les avis sont partagés au sein même de la profession, si bien qu'il ne s'agit nullement d'une exigence absolue. Enfin, la surélévation est précisément conçue pour accueillir des universitaires, dans un complexe comprenant non seulement des logements mais également des salles de cours, d'étude et de réunion. Ce projet vient terminer l'ensemble du bâtiment existant, qui propose déjà des solutions d'hébergement pour les étudiants. Il est ainsi en relation avec l'affectation du bâtiment.

Par conséquent, le DALE n'avait aucun motif de s'écarter du préavis émis par la CMNS, celle-ci ayant suivi l'élaboration du projet et tenu compte des exigences légales requises pour l'octroi d'une dérogation, soit en particulier l'harmonie du projet avec l'aménagement du quartier. Composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi, la CMNS a rendu son préavis en se fondant sur des éléments pourvus de pertinence et en tenant compte de tous les facteurs décisifs. De plus, elle était la mieux à même pour s'exprimer sur l'impact d'un projet sur des éléments inscris à l'inventaire.

Contrairement à ce qui a été retenu par l'autorité inférieure, ce ne sont pas neuf chambres et un studio qui seront créés, mais quinze chambres et un studio. S'il est vrai que le projet sert les intérêts du propriétaire du bâtiment et de son locataire, soit une université privée, il n'en demeure pas moins que la surélévation permettra ainsi de loger au minimum seize étudiants, en plus de la centaine qui occupe déjà le bâtiment, soit autant de personnes qui n'auront plus à chercher un appartement pour étudier à Genève. Dans ce cas, la superficie d'habitation utilisée est minime par rapport à celle occupée par chacun, dans le cas où il devait trouver une solution individuelle d'hébergement, sur un marché genevois déjà particulièrement fermé. Par conséquent, le projet poursuit également un intérêt public.

Enfin, ces nouveaux logements devront satisfaire aux conditions de
l'art. 9 LDTR, cette condition faisant intégralement partie de l'autorisation.

Pour ces motifs, le DALE n'a pas mésusé de son pouvoir d'appréciation en octroyant l'autorisation sollicitée, qui doit être confirmée.

10.10) Par conséquent, le recours sera admis, et les points 3 et 4 du dispositif du jugement du TAPI annulés.

Les émoluments et indemnités fixés par les points 5, 6, 9 et 10 du dispositif du jugement du TAPI seront annulés.

Le jugement du TAPI sera pour le surplus confirmé.

La décision du 1er octobre 2014, publiée le 7 octobre 2014 dans la FAO, par laquelle le DALE a délivré l'autorisation de construire DD 103'535, sous conditions, sera rétablie.

11.11) Vu l'issue du recours, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de l'association patrimoine suisse Genève, qui succombe. Aucun émolument ne sera mis à la charge de la recourante et de la ville, cette dernière en étant exemptée (art. 87 al. 1 LPA). Dans la mesure où elle a dû recourir aux services d'un avocat, une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée à la recourante. Cette indemnité sera à la charge de patrimoine suisse Genève et de la ville, pour moitié chacune.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 septembre 2015 par Les Berges du Rhône SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 juillet 2015 ;

au fond :

l'admet ;

annule les points 3, 4, 5, 6, 9 et 10 du dispositif du jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 juillet 2015 ;

confirme ce jugement pour le surplus ;

rétablit la décision du 1er octobre 2014, publiée le 7 octobre 2014 dans la Feuille d'avis officielle, par laquelle le DALE a délivré l'autorisation de construire DD 103'535 ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de l'association patrimoine suisse Genève ;

dit qu'aucun émolument n'est mis à la charge de la société Les Berges du Rhône SA ;

dit qu'aucun émolument n'est mis à la charge de la Ville de Genève ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à la société Les Berges du Rhône SA dont CHF 750.- seront mis à la charge de l'association patrimoine suisse Genève  et CHF 750.- à la charge de la Ville de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Marc Lironi, avocat de la recourante, au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie - OAC, à la Ville de Genève, soit pour elle le département des constructions et de l'aménagement, à Me Alain Maunoir, avocat de l'association patrimoine suisse Genève, à Action patrimoine vivant, à l'ASLOCA, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'à l'Office fédéral du développement territorial (ARE).

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :