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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4543/2005

ATA/238/2006 du 02.05.2006 ( DCTI ) , ADMIS

Parties : HOIRIE DE FEU M. PIERRE PONCET, SOIT POUR ELLE Mme PONCET Simone et consorts, PONCET Pierre, PONCET Nicolas, TALEB Véronique / COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS, DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4543/2005-DCTI ATA/238/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 2 mai 2006

dans la cause

 

 

Monsieur Nicolas PONCET
Monsieur Pierre PONCET
Madame Simone PONCET
Madame Véronique TALEB
représentés par la Chambre genevoise immobilière, mandataire

 

 

contre

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS

et

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION


 


1. Mesdames Simone Poncet et Véronique Taleb, Messieurs Nicolas et Pierre Poncet, (ci-après : les propriétaires) sont propriétaires de la parcelle 2437 du cadastre de la Ville de Genève, à l’adresse 17, rue des Pierres-du-Niton, sur laquelle est édifié un immeuble d’habitation.

2. Le 19 janvier 2005, l’Asloca s’est adressée à la police des constructions du département de l’aménagement, de l’équipement et du logement, devenu depuis lors le département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : le département) au nom des locataires de l’appartement de quatre pièces situé au 8ème étage de l’immeuble précité. Ces derniers avaient emménagé le 1er septembre 2004, et le loyer annuel était passé de CHF 21'600.- à CHF 31'200.-. D’importants travaux de rénovation avaient été réalisés.

3. Lors d’un contrôle effectué le 11 février 2005, un inspecteur du département a constaté que des travaux avaient été entrepris dans l’appartement en question. Dans la salle de bains, le sol et les parois en céramique avaient été refaits et de nouveaux appareils sanitaires installés. Le revêtement de sol, les parois en céramique et les aménagements de la cuisine avaient été changés. Le sol des toilettes séparées avait aussi été changé. Les installations électriques avaient été rénovées. Le revêtement des parois, les parquets et la peinture avaient été rénovés. L’ensemble des surfaces avait l’aspect du neuf.

4. Le 15 février 2005, le département a imparti un délai de quinze jours à la régie en charge de l’immeuble pour transmettre ses observations.

5. Le 2 mars 2005, le conseil de la régie a indiqué qu’au vu des renseignements en sa possession, les propriétaires de l’immeuble avaient considéré qu’il s’agissait de modestes travaux de réfection de peintures, de remplacement des faïences de la salle de bains et de la pose de parquets et de nouveaux appareils sanitaires. Une autorisation de construire n’était pas nécessaire.

6. Le 22 mars 2005, le conseil en question a précisé que le précédent locataire était entré dans cet appartement en 1979 et qu’il y était resté jusqu’en 2004. Avant l’entrée de ce locataire, seuls des travaux de peinture avaient été réalisés. En 1990, le locataire avait fait poser de la moquette dans l’appartement. En 1994, des travaux d’entretien de la terrasse avaient été réalisés et des travaux de peinture dans le séjour, la cuisine et le hall d’entrée. Le locataire avait effectué des travaux d’entretien dans la cuisine en 1996, complétés par des travaux de peinture dans la même pièce, en 1997. Divers travaux avaient encore été entrepris entre 1997 et 2002.

Au départ du locataire, les travaux suivants avaient été réalisés :

 

réglage des éléments de cuisine

CHF 94.-

réfection complète de la peinture du logement

CHF 12'200.-

remplacement des faïences de la salle de bains

CHF 4'000.-

fourniture et pose de parquets, ponçage et imprégnation de l’escalier intérieur, nettoyage et désherbage de la terrasse et du chantier

CHF 15'598,75

dépose et évacuation de l’ancien mobilier de la salle de bains

CHF 557,10

fourniture et pose de nouveaux appareils sanitaires

CHF 6'041,70

remplacement de la porte du séjour, endommagée

CHF 586,75

mise en conformité de l’électricité

CHF 3'279,05

Total

CHF 42'357,35

 

Contrairement à ce qui figurait dans le rapport de l’inspecteur, l’agencement de cuisine avait été changé en 1996. Les faïences avaient dû être remplacées en raison de l’intervention réalisée par le locataire précédent sans l’autorisation du bailleur. La pose d’un nouveau parquet avait été plus économique que la dépose de la moquette, suivie de la remise en état du parquet d’origine. Les autres travaux étaient manifestement des travaux d’entretien.

Le loyer avait été adapté à ceux normalement pratiqués dans ce quartier, s’agissant d’un appartement disposant d’une terrasse en attique d’environ septante mètres carrés.

7. Le 5 avril 2005, le département a ordonné aux propriétaires de requérir une autorisation de construire dans un délai de trente jours. Les travaux réalisés étaient soumis à autorisation, vu leur nature et leur coût. Il ne s’agissait pas de travaux d’entretien courant, mais de travaux d’entretien différés dans le temps, à la suite desquels le loyer avait été augmenté notablement.

8. Les propriétaires ont saisi la commission cantonale de recours en matière de constructions (ci-après : la commission de recours) le 6 mai 2005, reprenant et développant les éléments figurant dans leur écriture au département.

9. Le département s’est opposé au recours, persistant dans les termes de sa décision.

10. Le 15 novembre 2005, la commission de recours a rejeté le recours. Les propriétaires indiquaient eux-mêmes n’avoir réalisé, depuis 1979, que des travaux de peinture. Au vu de leur coût, les travaux réalisés ne pouvaient être considérés comme des travaux d’entretien régulier.

11. Le 22 décembre 2005, les propriétaires ont saisi le Tribunal administratif d’un recours.

Ils avaient pris en charge, avant les travaux litigieux, les éléments suivants :

 

1979

Réfection complète des peintures et boiseries

CHF 8'284,10

1990

Réfection complète des sols

CHF 10'910,20

1994

Réfection des peintures living, cuisine et hall d’entrée

CHF 2'261,20

1994

Réfection de la terrasse

CHF 3'000.-

1998

Remplacement des stores

CHF 2'612,80

2003

Remplacement des stores

CHF 2'884.-

1997

Participation aux travaux de réfection complète de la cuisine de l’appartement

CHF 10'000.-


 

soit un total de plus de CHF 32'000.-, sans compter la réfection de la salle de bains.

Au vu de la jurisprudence, les travaux litigieux devaient être considérés comme des travaux raisonnables d’entretien non différé dans le temps, qui n’avaient de plus pas apporté de changement d’affectation qualitatif. L’augmentation de loyer était uniquement fondée sur les loyers usuels du quartier, au sens de l’article 269A lettre a de la loi fédérale complétant le code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220)

12. Le 6 février 2006, le département s’est opposé au recours.

Les travaux réalisés amélioraient le confort existant pour partie et, pour le surplus, il s’agissait de travaux d’entretien différés dans le temps. L’appartement avait été intégralement remis à neuf, en une seule fois. Depuis 1990, seuls les stores et les peintures avaient été refaits. Le loyer avait été augmenté de 144 % (sic ; recte : 44 %).

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. La loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) prévoit des restrictions à la transformation et au changement d’affectation des maisons d’habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR).

Une autorisation est en particulier nécessaire pour toutes transformations ou rénovations tendant à modifier la distribution intérieure de tout ou partie d'une maison d'habitation (art. 9 al. 1 et 3 al. 1 let. a LDTR, art. 1 al. 1 let. b LCI).

3. Selon l'article 3 alinéas 1 lettre d et 2 LDTR, sont qualifiés de transformation les travaux qui ont pour objet la rénovation, c'est-à-dire la remise en état, même partielle, de tout ou partie d'une maison d'habitation, en améliorant le confort existant sans modifier la distribution des logements, sous réserve qu'il ne s'agisse pas de travaux d'entretien. Ces derniers, non assujettis à la LDTR, sont les travaux courants faisant partie des frais d'exploitation ordinaires d'une maison d'habitation. Les travaux raisonnables d'entretien régulier ne sont pas considérés comme travaux de transformation, pour autant qu'ils n'engendrent pas une amélioration du confort existant (ATA/522/2004 du 8 juin 2004).

Il ressort des travaux législatifs ayant précédé la modification de cette disposition légale, adoptée en 1999, que le Grand Conseil désirait, pour tracer une limite précise entre travaux soumis et non soumis à la loi, que soient pris en compte le coût de ces derniers et leur incidence sur les loyers, comme prévu par la jurisprudence (Mémorial du Grand Conseil 1999 9/11 1076). La minorité du Grand Conseil avait proposé une autre teneur pour l'article 3 alinéa 2 LDTR, précisant que les travaux d'entretien qui ne devaient intervenir qu'à une échéance lointaine, tels notamment la remise à neuf d'un appartement au changement de locataire, n'étaient pas assujettis à la LDTR (Mémorial 1999 9/11 page 1166). Lors du deuxième débat concernant ce projet de modification de la LDTR, de très nombreux amendements ont été soumis au Grand Conseil par la minorité, notamment celui de préciser, à l'article 3 alinéa 1 lettre d LDTR, que devaient être considérés comme travaux de rénovation ceux dont le coût total engendrait une augmentation de loyer de plus de 20 % (Mémorial 1999 9/1 1211). Cet amendement a été refusé, tout comme celui visant à préciser que la remise à neuf d'un appartement au changement de locataire n'était pas assujettie à la loi (Mémorial 1999 10/11 page 1415 ; ATA/522/2004 du 8 juin 2004).

4. Dans la mesure où la loi vise principalement à maintenir un habitat correspondant, notamment sous l'angle économique, aux besoins prépondérants de la population, il faut éviter que des travaux non soumis à la loi ne conduisent à la longue à une érosion dudit habitat. En d'autres termes, la loi cherche à soumettre au contrôle de l'Etat certaines catégories de travaux davantage en fonction des risques qu'ils font peser sur le caractère abordable des loyers qu'en fonction du type de travaux eux-mêmes (O. BINDSCHEDLER, F. PAYCHÈRE, "La jurisprudence récente du Tribunal administratif du Canton de Genève en matière d'entretien des immeubles" in RDAF 1998 p. 368). Qu'il s'agisse de soumettre au régime des transformations certains travaux d'entretien ou, malgré l'absence de régularité, de ne pas assimiler ces travaux à des transformations, le critère décisif est donc leur coût et ses conséquences sur le caractère abordable des loyers (O. BINDSCHEDLER, F. PAYCHERE, op. cit., p. 369).

5. De jurisprudence constante (ATA/659/2004 du 24 août 2004 et références citées), il est admis, s’agissant de la distinction entre travaux d'entretien et de rénovation (ou de transformation) consacrée à l’article 3 LDTR, de tenir un raisonnement en deux temps, à savoir :

- D’abord en examinant si, de par leur nature les travaux en cause relèvent de l’entretien ou, au contraire, consistent en des travaux de rénovation. En prolongement de cette distinction, la jurisprudence a admis que des travaux d’entretien sont susceptibles d’aboutir à une rénovation ou à une transformation soumises à la LDTR, lorsque n’ayant pas été exécutés périodiquement ou par rotation tout au long de l’existence de l’immeuble, ou encore parce qu’ils n’ont pas été exécutés du tout pendant de nombreuses années, leur accumulation, même en tenant compte d’une exécution rationnelle commandant un regroupement, leur confère une incidence propre à engendrer un changement de standing de l’immeuble (A. MAUNOIR, la nouvelle LDTR au regard de la jurisprudence, in RDAF 1996 p. 314 et la jurisprudence citée) ;

- Ensuite, en s’attachant à l’ampleur et, partant, au coût desdits travaux et à leur répercussion sur le montant du loyer, dès lors qu’il pourrait en résulter un changement d'affectation qualitatif sur les logements, ces derniers ne répondant plus aux besoins prépondérants de la population (ATA/365/2001 du 29 mai 2001 ; ATA/261/2001 du 24 avril 2001 et les références citées). 

6. En application de ces principes, le Tribunal administratif a notamment considéré comme relevant de l'entretien l'installation de nouveaux sanitaires, l'agencement des cuisines, la mise en conformité de l'installation électrique, la pose de nouveaux revêtements des sols et des parois ainsi que des travaux de peinture et de serrurerie (ATA/162/2003 du 25 mai 2003 ; ATA/365/2001 et ATA/261/2001 et références citées). Il précisait toutefois dans un arrêt antérieur, qu'il convenait de tenir compte également des circonstances dans lesquelles les travaux étaient accomplis et notamment de leur accumulation en raison d'un défaut d'entretien courant des bâtiments concernés (ATA/688/2002 du 12 novembre 2002 ; ATA/34/1998 du 27 janvier 1998).

7. En l’espèce, il ressort des faits, d’une part, que les propriétaires ont régulièrement procédé à l’entretien de l’appartement litigieux, en tout cas depuis 1990. De plus, les travaux faisant l’objet de la présente procédure répondent à la définition des travaux d’entretien, tels que rappelés ci-dessus. Dans ces circonstances, l’intervention litigieuse doit être qualifiée de travaux d’entretien non différés dans le temps. De plus, il ressort de l’analyse des dates des diverses interventions qu’une rotation a été effectuée (réfection des sols entre 1990 et en 2005 ; réfection de la cuisine en 1997 ; de la salle de bain en 2005 ; réfection totale ou partielle des peintures en 1979, 1994, 2005 ; réfection de la terrasse en 1994, 2005, etc.).

D’autre part, le loyer de l’appartement, avant travaux, était de CHF 21'600.- par année ou CHF 1'800.- par mois, soit CHF 5'400.- par pièce et par année. Il était déjà supérieur au besoin prépondérant de la population (art. 9 al. 3 LDTR ; ATA/802/2001 précité) et l’éventuelle hausse n’a dès lors pas entraîné, de ce point de vue, un changement qualitatif, dans l’hypothèse ou l’augmentation de loyer serait liée aux coûts des travaux.

8. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis, et les décisions litigieuses annulées. Un émolument, en CHF 1'500.- sera mis à la charge du département, qui succombe. Une indemnité de procédure, en CHF 1'500.-, sera allouée aux recourants, à la charge de l’Etat.

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 décembre 2005 par Messieurs Nicolas et Pierre Poncet, Mesdames Simone Poncet et Véronique Taler contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 15 novembre 2005 ;

au fond :

l’admet ;

annule tant la décision de la commission de recours en matière de constructions que celle du département des constructions et des technologies de l’information du 5 avril 2005 ;

met à la charge du département des constructions et des technologies de l’information, un émolument de CHF 1’500.- ;

alloue aux recourants une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à la charge de l’Etat ;

communique le présent arrêt à CGI Conseils, mandataire des recourants, ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière de constructions et au département des constructions et des technologies de l’information.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges. M. Bonard, juge suppléant.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :