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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/354/2004

ATA/887/2004 du 16.11.2004 ( TPE ) , ADMIS

Descripteurs : CONSTRUCTION ET INSTALLATION; PRESCRIPTION; ACQUISITION; REMISE EN L'ETAT; AFFECTATION; LOGEMENT
Normes : RALCI.3 al.3; LCI.1 litt.b; LCI.129 litt.e
Résumé : Ordre de remise en état annulé dès lors que pendant plus de trente ans le département a laissé perdurer une situation illicite et sans intervenir d'aucune manière.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/354/2004-TPE ATA/887/2004

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 16 novembre 2004

dans la cause

 

Monsieur Pascal M.

contre

DEPARTEMENT DE L'AMENAGEMENT, DE L'EQUIPEMENT ET DU LOGEMENT


 


1. Madame Ana-Maria et Monsieur Pascal M. sont copropriétaires depuis le 4 mars 2003 de la parcelle 1953, feuille 6, du cadastre de la commune de Pregny-Chambésy, à l’adresse chemin des Châtaigniers.

Cette parcelle d’une surface de 1027 m2 abrite une maison d’habitation, un garage et deux dépendances d’une surface respective de 31 et 35 m2, cadastrées sous no 254 et 255.

2. Suite à l’intervention d’une voisine, le département de l’aménagement, de l’équipement et du logement (ci-après : le département) a effectué un contrôle sur place le 14 juin 2003.

L’inspecteur du département a constaté que des travaux de rénovation à l’intérieur du bâtiment d’habitation étaient en cours. Il a également noté que le bâtiment no 255 avait été transformé en habitation depuis une dizaine d’années.

Présent sur les lieux, M. M. a déclaré avoir acquis le terrain en l’état et n’avoir fait aucun travaux de modification de la dépendance en habitation, ce qu’il a confirmé par écrit au département le 25 juillet 2003.

3. Un échange de correspondance s’est instauré entre le département et M. M., ce dernier ne pouvant établir, autrement que par déclarations de voisins, que ladite dépendance avait été habitée antérieurement à 1982.

4. Par décision du 21 janvier 2004, le département a ordonné la suppression, dans un délai de trente jours, de tout caractère d’habitation au bâtiment no 255 et de rétablir son affectation d’origine de dépendance. Rien ne prouvait qu’il ait été habité depuis plus de trente ans.

Dite décision indiquait la voie et le délai de recours au Tribunal administratif.

5. M. M. a saisi le Tribunal administratif d’un recours contre la décision précitée, par acte du 21 février 2004. Il conclut à l’annulation de la décision entreprise.

Il avait acquis la propriété de Chambésy sur la base d’une expertise effectuée par un architecte. Le bâtiment no 255 était équipé d’une cuisine et d’une salle de bains, installations remontant à plus de trente ans. Il était chauffé par la chaudière de l’habitation principale. Le fait que le bâtiment no 255 était habitable avait été déterminant dans la volonté d’achat de la propriété. En effet, la maison d’habitation était trop exiguë pour abriter l’ensemble des membres de la famille. Il était donc prévu que la dépendance en question devienne le logement des enfants. L’autorité administrative abusait de sa position, en exigeant plus de trente ans après une éventuelle violation de la loi jamais dénoncée, la mise en conformité initiale du bâtiment. L’ordre y relatif ne respectait pas les dispositions de l’article 129 lettre e de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

6. Dans sa réponse du 7 avril 2004, le département s’est opposé au recours. L’aménagement du bâtiment no 255 avait été effectué sans autorisation de construire, de sorte que l’ordre de remise en état était fondé dans son principe. La dépendance située en limite de propriété et étant une construction de peu d’importance au sens de l’article 3 alinéa 3 du règlement d'application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RALCI - L 5 05 01), elle ne saurait être affectée à de l’habitation. L’ordre de remise en état était conforme au principe de proportionnalité. Sous l’angle de la bonne foi, le département n’avait eu connaissance de la situation illicite qu’au mois de juin 2003 et il était intervenu sans désemparer.

7. Le 14 juin 2004, la juge déléguée à l’instruction de la cause a procédé à un transport sur place. Elle a constaté que le bâtiment no 255 est une construction de 40 m de long sur 2 m de large, érigée en limite de propriété. Elle n’est pas accolée au chalet d’habitation. A l’intérieur, il y a un lavabo, une douche et un WC. Elle sert provisoirement d’atelier de peinture à Mme M.. Le sol est carrelé et la façade, côté jardin, est munie de quatre fenêtres. M. M. a confirmé qu’il n’avait rien touché aux lieux depuis qu’il avait acquis la propriété en mars 2003.

Deux témoins étant sur place, le tribunal les a entendus, avec l’accord du département.

Ainsi, M. Yves M. a expliqué que ses grands-parents étaient propriétaires de la parcelle voisine de celle de M. M. depuis 1957. Lui-même habitait dans l’une des villas construites sur ce terrain. Il connaissait les lieux depuis son enfance. La dépendance était alors habitée par un monsieur Francesco, lequel aidait sa grand-mère dans la gestion de la propriété.

Mme P., grand-mère de M. Yves M., a également été entendue. Elle connaissait les lieux depuis très longtemps. Elle avait toujours vu la dépendance, qui extérieurement n’avait pas changé. Elle n’y avait jamais pénétré. Celle-ci était habitée par un monsieur qui faisait les jardins. Cela remontait aux années 1957/1960, mais la situation devait être antérieure à son arrivée dans le quartier.

8. Le 13 octobre 2004, dix témoins ont été entendus.

Mme Michèle B., née en 1943, habite le quartier depuis sa naissance. Elle a toujours vu le pavillon. Il y a bien une trentaine d’années que celui-ci est habité et, à la réflexion, cela est même plus ancien. Elle n’a pas constaté que des travaux aient été effectués sur l’un ou l’autre des bâtiments de la propriété.

Mme Jacqueline W., née en 1945, habite dans le quartier et y a toujours vécu. Elle a toujours vu la dépendance et selon son souvenir ce bâtiment a toujours été habité depuis une vingtaine d’années, voire davantage. Elle n’est jamais entrée dans ce bâtiment et elle n’a pas constaté qu’il y ait eu des travaux sur cette construction.

Mme Yvonne B. habite Chambésy depuis 1945. Elle a toujours vu la dépendance habitée. Elle n’est jamais entrée dans le bâtiment en question, mais elle avait eu l’occasion de parler avec les personnes qui y logeaient.

M. Georges M., né en 1934, habite Chambésy depuis sa naissance. Il a toujours constaté que la dépendance était habitée. Il n’y est jamais entré. Il n’a jamais constaté que des travaux auraient été effectués sur ce bâtiment, ni d’ailleurs sur aucun des autres de la parcelle.

M. Michel F., né en 1942, à Chambésy, a déclaré avoir toujours vu la « baraque », habitée par un ouvrier, lequel selon ses souvenirs faisait des jardins. Il n’était jamais entré dans ce bâtiment. Il ne pouvait plus situer exactement dans le temps la période où il avait vu cet ouvrier, mais il avait vu ce monsieur alors qu’il avait une vingtaine d’années et jusqu’à ce qu’il atteigne environ l’âge de 50 ans. Selon ses souvenirs encore, il s’agissait toujours du même locataire.

Mme Eliane C. a habité Chambésy de 1958 à 1993 dans une propriété voisine de celle de M. M.. Elle avait exercé la profession de factrice à Chambésy depuis 1977. La dépendance était louée à un saisonnier italien qui venait chaque année du printemps à Noël environ et cela pendant plusieurs années. Ce monsieur était déjà là lorsqu’elle avait pis son emploi. Par la suite, la dépendance avait été occupée par des stagiaires des CFF et cela aussi longtemps que M. E. était propriétaire de la parcelle. Elle n’avait jamais constaté que des travaux aient été effectués sur ce bâtiment, dans lequel elle n’avait jamais pénétré. En revanche, son mari lui avait rapporté être allé boire des verres après la chorale dans ce carnotzet. Elle ne se souvenait pas du nom du locataire qui figurait sur la boîte aux lettres.

M. Claude W., né en 1944, habite Chambésy depuis sa naissance. Il a beaucoup fréquenté la propriété de M. M. du temps où elle appartenait à M. E. Il a toujours vu la dépendance habitée. Il n’y est jamais entré. Il n’a pas constaté que des travaux aient été effectués pour ce bâtiment, tout au moins pendant la période où M. E. était propriétaire des lieux.

Mme Françoise W. habite Chambésy depuis 35 ans. En hiver 1973, elle a constaté que la dépendance était habitée par un monsieur. Elle n’a jamais remarqué que des travaux auraient été effectués sur ce bâtiment. Lorsque M. et Mme M. ont acheté la propriété, le chalet était en mauvais état et ils ont effectué des travaux de rénovation. La dépendance quant à elle n’a pas été touchée.

Mme Béatrice K., habite Chambésy depuis 1960. Elle a constaté que la dépendance était habitée. Elle n’y est jamais entrée et n’a pas constaté que des travaux auraient été effectués sur ce bâtiment.

M. Joël K. est né à Chambésy où il a résidé jusque dans les années 1976/1977. Après un séjour à l’étranger, il y est revenu depuis quatre ans. Il avait constaté la présence de la dépendance. Ses souvenirs étant assez vagues, il croyait pouvoir affirmer que ce bâtiment était habité par une personne. Récemment, il avait constaté que des travaux étaient en cours dans cette propriété, mais il ne savait pas de quoi il s’agissait ni sur quel bâtiment ils étaient effectués. A part cela, il n’avait jamais constaté que des travaux auraient été effectués notamment sur la dépendance.

9. Par courrier du 29 octobre 2004, le département a informé le tribunal de céans qu’il renonçait à déposer une liste de témoins.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. L’objet du litige est la remise en état initiale d’un dépendance transformée sans autorisation en habitation.

3. a. Selon l’article 1 lettre b LCI, nul ne peut, sans y avoir été autorisé, modifier, même partiellement, la distribution ou la destination d’une construction ou d’une installation.

b. En l’espèce, l’instruction de la cause a permis d’établir que la dépendance a servi d’habitation depuis de très nombreuses années. Pour le témoin P., la dépendance servait d’habitation dans les années 1957/1960 déjà. Tous les témoignages recueillis par le tribunal vont dans le même sens et permettent d’affirmer que tel est le cas depuis de très nombreuses années, et cela largement avant 1982. Le département, pour sa part, n’a pas démontré que les déclarations des parties entendues par le tribunal seraient inexactes. Il n’a par ailleurs nullement contesté les déclarations recueillies par le tribunal.

Il résulte du dossier que pendant plus de trente ans – voire même davantage – le département a laissé perdurer une situation illicite et cela sans intervenir en aucune manière.

C’est donc à juste titre que le recourant se prévaut de l’écoulement du temps, avec pour conséquence le bénéfice de la situation acquise, telle qu’elle découle notamment de l’article 26 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. féd. - RS 101 ; cf. dans ce sens ATA/614/2004 du 5 août 2004 et les références citées).

4. La décision entreprise comportant un ordre de remise en état au sens de l'article 129 lettre e LCI, il convient d'examiner la constitutionnalité et la légalité de cette décision.

Pour être valable, l'ordre de mise en conformité, qui comporte celui de démanteler les installations existantes, doit respecter les conditions suivantes, en application des principes de la proportionnalité et de la bonne foi (ATF non publié du 21 décembre 1993 en la cause L.; ATF 111 Ib 221, consid. 6 et la jurisprudence citée ; ATA/614/2004 du 5 août 2004 et les références citées).

a. L'ordre doit être dirigé contre le perturbateur (ATF non publié du 1er juin 1993 en la cause A.; ATF 114 Ib 47-48; 107 Ia 23).

b. Les installations en cause ne doivent pas avoir été autorisables en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation (ATF 104 Ib 304; ATF non publié du 15 octobre 1986 en la cause Desjacques; ATA C. du 25 août 1992).

c. Un délai de plus de trente ans ne doit pas s'être écoulé depuis l'exécution des travaux litigieux (ATF 107 Ia 121 = JdT 1983 I 299).

d. L'autorité ne doit pas avoir créé chez l'administré concerné - par des promesses, des informations, des assurances ou un comportement - des expectatives, dans des conditions telles qu'elle serait liée par le principe de la bonne foi (ATF du 21 décembre 1993 en la cause précitée; ATF 117 Ia 287, consid. 2b et la jurisprudence citée).

En particulier, les installations litigieuses ne doivent pas avoir été tolérées par l'autorité d'une façon qui serait constitutive d'une autorisation tacite ou d'une renonciation à faire respecter les dispositions transgressées (RDAF 1982 p. 450; ATA L. du 23 février 1993).

e. L'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit doit l'emporter sur l'intérêt privé de l'intéressé au maintien des installations litigieuses.

5. En l’espèce, et comme vu ci-dessus, un délai de plus de trente ans s’est écoulé depuis l’affectation litigieuse sans que le département n’intervienne d’une quelconque manière. Il sied de rappeler que la prescription trentenaire du droit administratif a pour principal effet de permettre au propriétaire d’un bâtiment non conforme d’acquérir le droit de le maintenir dans cet état, et ce malgré son illicéïté (ATA/67/2004 du 20 janvier 2004 et les références citées).

Dès lors, les conditions devant présider à l’ordre de remise en état initial ne sont pas intégralement remplies. Il s’ensuit que ledit ordre est infondé. Il est par là-même superflu d’examiner si ledit ordre respecte le principe de proportionnalité. Il s’ensuit que le recourant peut légitimement se réclamer de son intérêt privé au maintien du statu quo pour conserver l’affectation d’habitation du bâtiment.

6. Le recours sera ainsi admis.

Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument. Aucune indemnité ne sera allouée à M. M., qui plaide en personne, et n’allègue pas avoir exposé des frais pour sa défense.

* * * * *

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 février 2004 par Monsieur Pascal M. contre la décision du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement du 21 janvier 2004;

au fond :

l’admet ;

annule la décision du 21 janvier 2004 du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité ;

communique le présent arrêt à Monsieur Pascal M. ainsi qu'au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement.

 

 

 

 

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy, Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj

 

 

M. Tonossi

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :