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Décisions | Chambre civile

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C/26281/2015

ACJC/1258/2018 du 17.09.2018 sur JTPI/17025/2017 ( OO ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 09.11.2018, rendu le 27.05.2019, CONFIRME, 4A_596/2018
Descripteurs : PRÊT DE CONSOMMATION ; BANQUE ; TAUX D'INTÉRÊT
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/26281/2015 ACJC/1258/2018

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du LUNDI 17 SEPTEMBRE 2018

 

Entre

A______ [entité publique], sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par la 4ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 22 décembre 2017, comparant par Me Oren Olivier Puder, avocat, rue Toepffer 17, 1206 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ [banque], sise ______ [Allemagne], intimée, comparant par Me Luca Beffa, avocat, rue Pedro-Meylan 5, 1208 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A.      Par jugement JTPI/17025/2017 du 22 décembre 2017, notifié aux parties le
3 janvier 2018, le Tribunal de première instance a débouté A______ des fins de sa demande en paiement dirigée contre B______ (ch. 1 du dispositif), mis les frais judiciaires - arrêtés à 11'300 fr. - à la charge de A______, compensé ces frais avec les avances de même montant fournies par celle-ci (ch. 2 et 3), condamné cette dernière à payer à B______ le montant de 10'000 fr. à titre de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

B.       a. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 1er février 2018, A______ appelle de ce jugement, sollicitant son annulation.

Elle conclut principalement à la condamnation de B______ à lui payer la somme de 183'539 fr. 03 plus intérêts à 5% dès le 10 décembre 2015, avec suite de frais et dépens pour la première instance et l'appel.

L'appelante considère que la volonté des parties était de soumettre le prêt consenti par B______ à des intérêts à taux variable, fussent-ils négatifs. Ainsi, nul n'est besoin de compléter le contrat par interprétation de la volonté des parties ou par application de la clausula rebus sic stantibus (théorie de l'imprévision). B______ devait respecter les termes du contrat et lui verser le montant des intérêts négatifs, sans qu'une quelconque inversion du rôle des parties ne survienne ni que le contrat de prêt perde son caractère onéreux.

A______ produit des pièces nouvelles, soit une offre de l'intimée datée du 3 juillet 2006 (pièce 35), deux projections du cours du LIBOR du 12 février 2007 au
10 octobre 2026 (pièces 36 et 37), un arrêt de la Cour d'appel de ______ (France) datant du 8 mars 2017 (pièce 38) ainsi qu'une ordonnance de référé d'un Tribunal parisien rendue le 25 septembre 2017 (pièce 39).

b.   Dans sa réponse, B______ conclut au rejet de l'appel, avec suite de frais et dépens.

Tout en concluant à la confirmation du jugement de première instance, l'intimée soutient une autre motivation que celle retenue par le Tribunal.

c.    Les parties ont respectivement répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

d.   Par pli du greffe de la Cour du 15 juin 2018, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

 

C.      Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.    Le 20 juillet 2006, A______ et [la banque] C______ ont conclu un contrat intitulé "Certificate evidencing indebtedness - Schuldschein" à teneur duquel, compte tenu de la mise à disposition par C______ d'un montant de 100'000'000 fr. en faveur de A______, elles sont notamment convenues que le prêt porterait intérêt au taux LIBOR-CHF à six mois augmenté d'un taux fixe de 0.0375% par an dès le 10 août 2006.

Les intérêts dus semestriellement les 10 février et 10 août de chaque année devaient être déterminés par le taux LIBOR-CHF deux jours ouvrables avant le début de chaque période d'intérêt (art. 2).

A______ s'engageait à rembourser le montant en capital à l'échéance de paiement des intérêts survenant en août 2026 (art. 3). Par ailleurs, tout paiement en exécution du contrat devait intervenir, en monnaie ayant cours en Suisse à la date d'exigibilité, sur le compte du prêteur indiqué par l'agent à l'emprunteur (art. 4).

Selon l'article 5, lettre a, du contrat, "in the event that the Borrower is required by law to make any deductions or withholdings, the Borrower shall pay such additional amounts of principal and interest as may be necessary so that the Lender shall receive the same amounts that it would have received without such withholding or deduction".

Parmi les cas de défauts prévus par le contrat, les parties sont convenues que : "The Lender and/or each assignee shall be entitled to declare the Loan or its participation in the loan due and to demand immediate redemption of the Loan or the relevant part thereof plus accrued interest if the Borrower fails to pay interest or principal within 10 Banking Days from the relevant due date after notice by the Agent on behalf of the Lender" (art. 6, (i)).

A______ garantissait en outre à C______ que "this Schuldschein and the performance by the Borrower of its obligations thereunder do not violate any provisions of any law, administrative regulation or court judgement applicable to the Borrower and do not conflict with any documents binding on the Borrower" (art. 8, let. a).

Aux termes du contrat, A______ a renoncé à invoquer la compensation (art. 11).

Enfin, les parties sont convenues de l'application du droit suisse et de la compétence des tribunaux genevois pour tout litige relatif à cette convention
(art. 14).

b.   Par pli reçu le 17 août 2006, A______ a été informée par C______ du transfert de sa participation au contrat susvisé à concurrence de 50'000'000 fr. à [la banque] D______, acquise depuis lors par E______. C______ lui communiquait également les coordonnées bancaires de cette dernière en vue des paiements, en capital et en intérêts, à venir.

c.    En 2012, C______ a restructuré ses activités commerciales et a adopté, à cette occasion, une nouvelle raison sociale F______. Dans le cadre du transfert de certaines de ses activités, F______ a cédé à B______ le solde de sa participation au contrat du 20 juillet 2006, soit 50'000'000 fr.

Par pli reçu le 24 octobre 2013, B______ a communiqué à A______ ses coordonnées bancaires pour les échéances à venir.

d.   En décembre 2014, l'abolition du taux plancher par la Banque nationale suisse (ci-après : BNS) entre le franc suisse et l'euro ainsi que l'introduction d'un taux d'intérêt négatif à -0.25% sur les avoirs en compte de virement dès le 22 janvier 2015 ont eu pour conséquence le basculement du LIBOR-CHF à six mois dans des taux négatifs.

e.    D'autres taux d'intérêts de référence, soit en particulier l'euro-marché, avaient déjà connu des valeurs négatives entre 1978 et 1979.

f.     Par ailleurs, entre 2009 et 2012, certaines banques en France et en Suède, ainsi que la Banque centrale européenne, ont instauré des taux d'intérêt négatifs.

g.    En avril 2013 et suite à la stabilisation des taux de référence dans des valeurs négatives, [l'association] G______ a publié des recommandations dans lesquelles elle préconise de prévoir un plancher de 0% pour le taux d'intérêt variable prévu contractuellement ou d'ajouter des clauses de garantie de la marge.

h.   Par pli du 2 février 2015, B______ a suggéré à A______ que le contrat du
20 juillet 2006 soit modifié afin d'introduire un taux plancher du LIBOR-CHF à six mois de 0%. L'objectif de la proposition était que le taux d'intérêt se limite à la marge de crédit pour le cas où le taux variable tomberait dans des valeurs négatives.

i.      Par courrier électronique du 4 février 2015, B______ a adressé à A______ un projet de modification du contrat en ce sens, intégrant la limitation du taux de référence à 0% dans la définition du LIBOR-CHF à six mois.

j.     A______ a refusé cette proposition par courrier du 5 février 2015, considérant que le taux d'intérêt devait continuer d'être appliqué tel que prévu à l'article 2 du contrat, soit le taux de référence LIBOR-CHF à six mois - qu'il soit positif ou négatif - et en y ajoutant le taux fixe de 0.0375%.

k.   Par pli du 31 mars 2015, A______ a constaté que B______ avait failli à son obligation d'établir les taux d'intérêt applicables et de les lui transmettre aux échéances convenues, soit le 10 août et le 10 février de chaque année.

l.      Par fax du 4 mai 2015, B______ a informé A______ de ce qu'elle n'était dans l'immédiat pas en mesure de l'informer du montant des intérêts pour la période débutant le 10 février 2015.

m. Par pli du 28 avril 2015, B______ s'est exécutée et a fixé à 0% le montant des intérêts dus en exécution du contrat du 20 juillet 2006, correspondant à un taux LIBOR-CHF à 0% et à la renonciation exceptionnelle et gracieuse de la marge pour la période commençant le 10 février 2015.

n.   Par courrier électronique du 18 août 2015, B______ a informé A______ du fait que le taux d'intérêt pour la période du 10 août 2015 au 10 février 2016 était fixé selon le même calcul que pour la période précédente.

o.    Par courrier du 4 septembre 2015, A______ a mis B______ en demeure de fixer le taux d'intérêt applicable conformément au contrat - ce qui devait aboutir, selon elle, à des résultats négatifs en sa faveur - et de procéder ensuite au virement des sommes ainsi déterminées sur son compte bancaire avant le 21 septembre 2015.

p.   B______ s'y est opposée par pli du 21 septembre 2015, relevant notamment que le contrat ne contenait aucune clause explicite prévoyant les conséquences de la situation inattendue d'un taux LIBOR-CHF à six mois négatif.

En tout état, le contrat ne prévoyait aucun paiement du Lender au Borrower.

Elle rappelait enfin que l'application d'un taux LIBOR-CHF à 0% correspondait aux recommandations de la doctrine dominante et de la G______.

q.   En septembre 2015, A______ a reçu un avis de paiement d'intérêts de l'un de ses créanciers, dans lequel un taux de – 0.7156% était appliqué au capital prêté, menant au versement d'un total de 713'620 fr. d'intérêts négatifs sur son compte.

r.    En octobre 2015, A______ a reçu un autre avis de paiement d'intérêts, spécifiant qu'un taux de – 0.717% était en vigueur pour le paiement des intérêts. Son créancier lui annonçait qu'en application de ce taux négatif, un montant de 425'475 fr. serait versé sur son compte.

s.     Enfin, une offre de contrat de prêt transmise par [la banque] H______ à A______ fait mention d'un emprunt en capital de 60'000'000 fr. avec un taux d'intérêt à – 0,55%. Le document précise que "les intérêts seront crédités directement sur [le] compte H______" de A______.

D.      a. Le 30 novembre 2016, A______ a déposé au greffe du Tribunal de première instance une demande en paiement à l'encontre de B______, concluant au paiement par cette dernière de 183'539 fr. 03 avec intérêts à 5% dès le 10 décembre 2015.

b. Par mémoire de réponse déposé au greffe du Tribunal le 24 février 2017, B______ a conclu au déboutement de A______.

c. Lors de l'audience du 29 août 2017, le Tribunal a ordonné un second échange d'écritures.

c. Les parties ont répliqué, respectivement dupliqué, les 29 septembre et
3 novembre 2017.

d. Lors de l'audience du 14 novembre 2017, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions. Le Tribunal a gardé la cause à juger.

E.       Dans le jugement querellé, le Tribunal a considéré que les parties étaient liées par un contrat de durée, impliquant qu'elles devaient s'attendre à ce que les conditions initialement envisagées se modifient, raison pour laquelle la théorie de la clausula rebus sic stantibus ne trouvait pas application. Par ailleurs, la dévaluation du franc suisse et, partant, la baisse de l'index LIBOR-CHF à six mois, était un risque inhérent de l'économie avec lequel des partenaires contractuels avertis devaient compter dans le domaine des affaires. Le contrat étant clair, il n'était pas nécessaire de recourir à l'interprétation de la volonté des parties. Ainsi, le refus de B______ d'appliquer le taux contractuellement prévu et en y substituant pour le taux LIBOR-CHF à six mois un taux à 0% constituait une modification unilatérale du contrat qui ne pouvait être admise.

Cela fait, le Tribunal a relevé que le rôle des parties dans le contrat qui les liait et s'agissant, en particulier, du paiement des intérêts ne pouvait être renversé pour autant. Les clauses du contrat concernant le paiement des intérêts ne fondant aucune prétention en paiement des intérêts négatifs en faveur de A______, celle-ci devait être déboutée de ses conclusions.

EN DROIT

1.        1.1 L'appel est recevable pour avoir été interjeté dans les délai et forme utiles
(art. 130, 131, 142 al. 1 et 311 CPC) par une partie qui y a intérêt (art. 59 al. 2
let. a CPC), à l'encontre d'une décision finale (art. 308 al. 1 let. a CPC) qui statue sur des conclusions pécuniaires dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 91 al. 1 et 308 al. 2 CPC).

1.2     La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), dans les limites posées par les maximes des débats (art. 55 al. 1 CPC) et de disposition (art. 58 al. 1 CPC) applicables à la présente procédure.

2.        2.1 La compétence de la Cour de céans doit être admise, nonobstant le siège allemand de l'intimée, dès lors que les parties ont prévu une élection de for à Genève à l'article 14 du contrat qui les lie (art. 5 al. 1 LDIP ; art. 17 CPC ; art. 120 al. 1 LOJ).

2.2 En vertu de l'art. 116 al. 1 LDIP et compte tenu de l'élection de droit figurant à l'article 14 du contrat conclu entre les parties, le droit suisse est applicable au présent litige.

3.        3.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

3.2 En l'espèce, l'appelante a produit plusieurs pièces nouvelles en appel.

Dans le cadre de la procédure de première instance, A______ disposait d'un délai au 29 septembre 2017 pour déposer sa réplique. Les pièces 38 et 39 datant respectivement du 8 mars et du 25 septembre 2017, l'appelante était en mesure de les produire à l'appui de sa réplique. Elles sont donc irrecevables en appel.

Quant aux pièces 36 et 37, l'appelante était parfaitement en mesure de les présenter au Tribunal du fait qu'elles ne font état que de projections du taux LIBOR-CHF entre 2007 et 2026. L'appelante a d'ailleurs produit la pièce 31 en première instance, démontrant qu'elle aurait parfaitement pu faire état des projections contenues aux pièces 36 et 37 également à ce moment-là. Ces deux pièces sont donc irrecevables.

En revanche, il ne saurait être reproché à l'appelante de ne pas avoir produit la pièce 35 en première instance, bien que celle-ci date de 2006. En effet, les parties n'ont, à aucun moment durant la procédure de première instance ni même en appel, contesté la qualification du contrat. Seul le Tribunal est revenu sur cette question dans le jugement querellé. De ce fait cette pièce est recevable.

4.        Il n'est pas contesté que les parties sont liées par un contrat de prêt.

L'appelante reproche toutefois au Tribunal de ne pas avoir admis que le taux d'intérêt variable prévu par le contrat devait s'appliquer même s'il était négatif et que, par conséquent, si l'intimée devait être condamnée à lui verser le montant des intérêts négatifs, cela ne modifiant pas le caractère onéreux du contrat.

D'un autre avis, l'intimée considère que les parties ont omis de traiter la question des intérêts négatifs dans le contrat. Cette lacune devait être comblée en ce sens qu'un taux LIBOR-CHF à six mois à 0% aurait dû être substitué au taux contractuel négatif. Cela se justifie également en application du principe de la clausula rebus sic stantibus. Dans tous les cas, l'appelante ne saurait fonder sur le contrat de prêt aucune prétention en paiement des intérêts négatifs à son égard.

4.1.1 En présence d'un litige sur le contenu d'un contrat, le juge doit interpréter les manifestations de volonté des parties (ATF 131 III 606 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_155/2017 du 12 octobre 2017 consid. 2.3).

Conformément à l'art. 18 al. 1 CO, le juge doit rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices, sans s'arrêter aux expressions et dénominations inexactes dont elles ont pu se servir. Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté - écrites ou orales -, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes. L'appréciation de ces indices concrets par le juge, selon son expérience générale de la vie, relève du fait. Si sa recherche aboutit à un résultat positif, le juge parvient à la conclusion que les parties se sont comprises (ATF 142 III 239
consid. 5.2.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_155/2017 du 12 octobre 2017
consid. 2.3 et 4A_508/2016 du 16 juin 2017 consid. 6.2.1, non publié aux
ATF 143 III 348).

Il découle en outre de l'art. 18 al. 1 CO que le sens d'un texte, même clair, n'est pas forcément déterminant et que l'interprétation purement littérale est par conséquent prohibée. Même si la teneur d'une clause contractuelle paraît limpide à première vue, il peut résulter d'autres conditions du contrat, du but poursuivi par les parties ou d'autres circonstances que le texte de la clause litigieuse ne restitue pas exactement le sens de l'accord conclu. Cela étant, il n'y a pas lieu de s'écarter du sens littéral du texte adopté par les cocontractants lorsqu'il n'existe aucune raison sérieuse de penser qu'il ne correspond pas à leur volonté (ATF 136 III 186
consid. 3.2.1; 131 III 606 consid. 4.2).

Si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties - parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes - ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté exprimée par l'autre à l'époque de la conclusion du contrat - ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu'elle l'affirme en procédure, mais doit résulter de l'administration des preuves -, il doit recourir à l'interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre (application du principe de la confiance). Ce principe permet d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime (ATF 143 III 157 consid. 1.2.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_155/2017 du 12 octobre 2017 consid. 2.3 et 4A_508/2016 du 16 juin 2017 consid. 6.2.2, non publié aux ATF 143 III 348).

En présence d'un contrat complexe ou composé, lorsqu'à l'issue de l'interprétation du contrat, le juge constate que l'accord des parties ne contient pas la règle nécessaire à résoudre le problème juridique qui se pose dans le cas d'espèce et pour autant que l'absence de cette règle ne signifie pas la volonté des parties d'exclure tout effet juridique aux faits dont résulte le différend, il doit identifier ou créer la règle de droit qui apportera la solution au problème d'espèce (Thévenoz/ de Werra, in Commentaire romand, Codes des obligations I, Thevenoz/ Werro [eds.], 2ème ed. 2012, n. 30 ad Intro. art. 184-529 CO). Parmi les moyens dont le juge dispose pour compléter la lacune du contrat, il peut notamment appliquer une règle supplétive de la partie générale du Code des obligations (Thévenoz/ de Werra, op. cit. n. 36). Il peut également appliquer une règle spéciale supplétive par analogie, ce qui peut en particulier se justifier lorsque les obligations figurant dans le contrat innommé sont celles résultant de différents contrats nommés. Dans cette hypothèse, une certaine prudence méthodologique s'impose.

4.1.2 Le prêt est un contrat par lequel le prêteur s'oblige à transférer la propriété d'une somme d'argent à l'emprunteur, charge à ce dernier de lui en rendre autant de même espèce et qualité (art. 312 CO). A la fin du contrat, l'emprunteur doit restituer/transférer au prêteur la propriété d'autant de choses de même espèce et qualité (Tercier/Bieri/Carron, Les contrats spéciaux, 2ème éd., 2016, n. 3030).

Les dispositions régissant le contrat de prêt ne sont pas de nature impérative, de sorte que les parties disposent d'une totale liberté contractuelle (art. 1 et 19 CO). A ce titre, le Tribunal fédéral a retenu qu'elles étaient libres de prévoir, dans le cadre d'un contrat de prêt portant sur une somme d'argent, que le montant à restituer à l'issue du contrat soit inférieur à celui consenti au départ, sans que cela n'altère la qualification du contrat de prêt (ATF 99 II 303 consid. 4). Bien que cette question soit controversée en doctrine, la majorité des auteurs se rallie à l'avis du Tribunal fédéral (Schärer/ Maurenbrecher, in Commentaire bâlois, Code des obligations I, Honsell/Vogt/ Wiegand [ed.], 5e éd. 2011, n. 11 ad art. 312 CO; Mauren-brecher/Eckert, Aktuelle vertragsrechtliche Aspekte von Negativzinsen, in GesKR 2015, pp. 367ss, p. 377).

4.1.3 Dans les contrats de prêt de consommation en matière commerciale, les intérêts sont dus même sans convention (art. 313 CO). Le taux d'intérêt est en principe fixé par la convention (art. 314 al. 1 CO). L'intérêt n'étant pas défini par le code des obligations, doctrine et jurisprudence le considèrent généralement comme étant la compensation due au créancier pour le capital dont celui-ci est privé. Son montant est déterminé en fonction du taux appliqué, de la somme prêtée et de la durée du prêt (ATF 52 II 228; Tercier/Bieri/Carron, op. cit n. 2537).

Cette définition n'inclut pas la notion d'intérêt négatif et aucune autre disposition légale n'en traite. Le Tribunal fédéral, statuant sur l'applicabilité de l'intérêt négatif à un contrat de prêt partiaire suite à l'intervention de la Banque nationale suisse, dans les années 70, sur le cours du franc suisse, a qualifié les intérêts négatifs de "commissions", sans que cela n'ait un impact sur la qualification du contrat de prêt (ATF 105 Ib 348 consid. 4). Dans le même sens, certains auteurs considèrent que l'intérêt négatif n'est pas un intérêt au sens des articles 313 et 314 CO, mais des "frais" que le prêteur d'une dette d'argent doit payer à l'emprunteur, calculés selon le montant dû et la durée de la dette, sans aucune conséquence sur la qualification du contrat (Maurenbrecher/Eckert, op. cit. p. 370; Becker, Negativzinsen; Ernst, Negativzinsen aus zivilrechtlicher Sicht - ein Problemaufriss, ZfPW 2015, p. 251).

Sur le plan économique, un taux d'intérêt négatif représente l'expression du risque dans le domaine spécifique des valeurs monétaires (Maurenbrecher/Eckert, op. cit. p. 370; Zellweger-Gutknecht, Negativzins : Vergütung für die Übernahme des Geldwertrisikos durch den Kapitalnehmer, in ZfPW 2015, pp. 350ss, p. 374).

4.1.4 Dans le cadre des prêts bancaires, il est fréquent que les parties prévoient un taux d'intérêt indexé à un taux variable (par exemple LIBOR ou EURIBOR), de sorte que le calcul des intérêts contractuels soit lié aux conditions du marché (Maurenbrecher/Eckert, op. cit. p. 375; Zellweger-Gutknecht, op. cit. p. 371). Afin de couvrir les risques qui en découleraient, un taux fixe est généralement ajouté au taux variable. Ce taux fixe est communément considéré comme la marge que la banque se réserve en guise de compensation pour le risque de crédit encouru, notamment (Zellweger-Gutknecht, ibid.; Maurenbrecher/ Eckert, ibid.).

La doctrine actuelle considère que la chute du taux de référence dans des valeurs négatives entraîne la diminution de la marge convenue, ce qui peut mener à un taux d'intérêt total négatif (Schaller, Negativzinsen im Aktiv- und Passivgeschäft von Banken, in Recht und Wandel, 2016, pp. 245ss, p. 265). Il n'existe toutefois pas d'avis unanime s'agissant des conséquences qu'entraîne le passage d'un taux d'intérêt total dans des valeurs négatives, en particulier pour les contrats conclus avant 2011 et le début du LIBOR-CHF négatif.

Selon un auteur, en l'absence de clauses claires dans le contrat, il sied de recourir à l'interprétation de la volonté des parties pour en dégager leur commune et réelle intention. Une interprétation objective (principe de la confiance) devrait mener à la conclusion que le prêteur entendait conserver un bénéfice issu des intérêts prévus contractuellement et qu'il a ainsi droit, dans tous les cas, au moins à la marge fixe convenue. Par ailleurs, la volonté hypothétique des parties ne devrait qu'exceptionnellement conduire au retournement de l'obligation de paiement des intérêts de l'emprunteur au prêteur (Maurenbrecher/Eckert, op. cit. pp. 375-376).

Un autre auteur considère que si le taux d'intérêt total devient négatif au point que la marge est réduite à néant, le taux d'intérêt total équivaut à 0 et aucune des parties ne doit payer d'intérêts à l'autre. Ainsi, si la marge ne doit pas être préservée, comme cela est admis dans la doctrine majoritaire actuelle, cela ne signifie pas encore que l'emprunteur dispose d'une prétention à l'encontre du prêteur pour le solde des intérêts qui serait inférieur à 0% (Schaller, op. cit. pp. 266 et 267).

Un troisième auteur considère que si les parties ont choisi d'indexer le taux d'intérêt à un taux variable, c'est pour soumettre leur contrat aux fluctuations du marché, quelles qu'elles soient. Ainsi, lorsqu'elles ont prévu un calcul des intérêts selon la formule "taux variable + marge", le taux variable doit être appliqué tel quel, même si cela entraîne un intérêt total négatif. Juridiquement, cet auteur est d'avis qu'il n'y a pas lieu de considérer qu'une telle inversion de l'obligation de paiement des intérêts irait à l'encontre de la nature de l'intérêt en tant que contrepartie du prêt (Zellweger-Gutknecht, op. cit. pp. 373-374).

4.1.5 Le contrat de prêt est un contrat de durée. Constitue une exception au principe de la fidélité contractuelle l'application de la théorie de la clausula rebus sic stantibus. Celle-ci permet d'adapter un contrat synallagmatique de durée lorsque, en vertu d'une modification des circonstances qui n'était ni prévisible ni évitable, l'équilibre entre prestation et contre-prestation est à ce point rompu que le créancier abuse manifestement de son droit, en exigeant la prestation promise par son cocontractant (ATF 128 III 428 consid. 3, in JdT 2005 I 284 ; ATF 127 III 300 in SJ 2002 I 1; 122 III 97 consid. 3a in JdT 1997 I 294).

4.2.1 En l'espèce, les parties ne contestent pas être liées par un contrat de prêt de consommation (art. 312 CO). Elles divergent cependant quant aux conséquences que doit entraîner la chute du LIBOR-CHF à six mois dans des valeurs négatives. L'appelante considère ainsi que le taux contractuel doit être appliqué tel quel, même négatif, alors que l'intimée affirme que le taux d'intérêt ne peut être négatif sans mettre en péril la qualification du contrat de prêt et que, partant, le LIBOR-CHF devrait être fixé à un plancher de 0%.

Il ressort des circonstances ayant précédé et entouré la conclusion du contrat que la volonté réelle des parties était de conclure un contrat de prêt, à teneur duquel B______ devait mettre à disposition de A______ la somme de 100'000'000 fr., avec intérêts ("The loan shall bear interest") à un taux LIBOR-CHF à six mois plus 0.0375% par an, soit un taux variable indexé plus une marge (article 2). Cette clause ne prévoit ni plafond ni plancher à son application, ce que les parties ne contestent pas.

Il est notoire que les marchés monétaires et financiers sont fluctuants. La dévaluation des monnaies fait partie du risque inhérent à l'économie, qui s'est déjà concrétisé à plusieurs reprises, aussi bien en Suisse à la fin des années 1970 qu'au niveau international plus récemment, ce que ne peuvent ignorer les parties en présence compte tenu de leur qualité de professionnels de la branche. C'est d'ailleurs pour tenir compte de ces fluctuations que les intérêts contractuels sont indexés sur des taux de référence variables tels que le LIBOR-CHF et que des marges sont prévues.

En prévoyant un taux d'intérêt variable, les parties ont donc clairement envisagé que des fluctuations du taux LIBOR-CHF puissent survenir. Si elles avaient souhaité garantir un certain montant d'intérêts, elles seraient convenues d'un taux fixe.

Le contrat est, en revanche, muet s'agissant des conséquences d'un intérêt
LIBOR-CHF négatif, pas plus qu'il ne renseigne sur une éventuelle garantie de la marge convenue en faveur de B______ (0.0375%). En effet, aucune clause ne traite expressément de la possibilité du retournement de l'obligation de paiement des intérêts. Par ailleurs, il ne ressort aucunement des déclarations de volonté ou de l'attitude des parties, au moment de la conclusion du contrat, qu'elles auraient été d'accord sur les conséquences d'une chute de l'intérêt global (taux variable + marge) dans le négatif. Une interprétation subjective n'étant pas possible, il est nécessaire de recourir à l'interprétation objective du contrat et de rechercher le sens et la portée objectifs que les parties pouvaient de bonne foi donner à leurs clauses contractuelles en référence aux normes relatives à ce contrat. Selon l'art. 312 CO, le contrat de prêt de consommation met en relation deux parties ayant des rôles bien distincts : le prêteur, d'une part, qui met à disposition un capital, et l'emprunteur, d'autre part, qui en bénéficie pour une durée convenue et qui est tenu à restitution à l'issue de celle-ci. De même, le texte de l'art. 313 al. 2 CO est limpide en tant qu'il prévoit que des intérêts sont dus en matière commerciale. La doctrine majoritaire s'accorde à dire que les intérêts sont dus à titre de rémunération du prêteur pour le prêt consenti, soit la mise à disposition d'un capital. Il s'ensuit qu'en concluant un contrat de prêt, dont les clauses prévoient le paiement d'intérêts, les parties ne pouvaient, de bonne foi, qu'envisager leurs obligations respectives telles qu'elles ressortent de la loi, à savoir que le prêteur met le capital à disposition de l'emprunteur, lequel s'engage à lui payer des intérêts en rémunération du prêt et à lui restituer ledit capital à l'échéance du contrat.

Ainsi, à moins que les parties n'en soient expressément convenues, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, une interprétation objective du contrat ne conduit pas au retournement de l'obligation de paiement des intérêts de l'emprunteur au prêteur, ni ne garantit à ce dernier un droit absolu à la marge convenue. Retenir le contraire, en l'absence de clauses contractuelles spécifiques, serait insoutenable au regard de l'économie du contrat de prêt telle qu'une personne de bonne foi la conçoit. Par conséquent, l'intérêt total - soit l'addition du taux variable et de la marge - ne peut être que positif ou nul.

Dans la présente affaire, la chute du taux LIBOR-CHF à six mois a réduit la marge à néant, du fait de l'absence de toute clause contractuelle de garantie de celle-ci, entraînant la survenance d'un taux d'intérêt contractuel total négatif. Cette situation ne pouvant survenir dans le cadre d'un contrat de prêt dans lequel rien n'est expressément prévu à ce sujet, en application des principes développés ci-dessus, le taux total doit être arrêté à zéro.

Il en découle que l'appelante ne saurait fonder aucune prétention sur la part des intérêts se situant en-dessous de zéro et d'en exiger le paiement par B______.

Pour les mêmes raisons, il n'est pas nécessaire de recourir à l'application du principe de la clausula rebus sic stantibus.

Compte tenu de ce qui précède, l'appel est rejeté et le jugement entrepris confirmé.

5.        5.1 Le montant et la répartition des frais arrêtés en première instance, non contestés, peuvent être confirmés.

5.2 L'appelante, qui succombe entièrement en appel, sera condamnée aux frais judiciaires d'appel, ceux-ci étant fixés à 11'000 fr. (art. 106 al. 1 CPC ; art. 17 et
35 RTFMC). Ils seront partiellement compensés avec l'avance de 7'340 fr. fournie par l'appelante, qui demeure acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC). Elle sera condamnée à payer à l'Etat, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, le solde de 3'660 fr. (art. 111 al. 2 CPC).

L'appelante sera également condamnée à payer à l'intimée la somme de 11'340 fr. à titre de dépens d'appel (art. 105 al. 2 CPC; art. 84, 85 et 90 RTFMC), débours et TVA compris (art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par la A______ contre le jugement JTPI/17025/2017 rendu le 22 décembre 2017 par le Tribunal de première instance dans la cause C/26281/2015-4.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 11'000 fr. et les compense avec l'avance fournie par A______, qui reste acquise à l'Etat.

Condamne A______ à verser à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, la somme de 3'660 fr. à titre de solde des frais judiciaires d'appel.

Condamne A______ à verser la somme de 11'340 fr. à B______ à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Pauline ERARD et Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sandra MILLET, greffière.

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Sandra MILLET

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.