République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 11130
Projet de loi de Mmes et M. Lydia Schneider Hausser, Anne Emery-Torracinta, Roger Deneys modifiant la loi sur l'imposition des personnes physiques (LIPP) (D 3 08) (Suspension en 2013 et 2014 du dispositif relatif à la charge maximale - bouclier fiscal)

Premier débat

Le président. Nous traitons maintenant notre quatrième urgence, le PL 11130. Ce débat est en discussion immédiate. La parole est à M. Stéphane Florey... Non, excusez-moi, Monsieur le député ! J'ai été trop vite ! (Remarque.) Le premier signataire a une priorité, merci de me l'avoir rappelé ! La parole est alors à M. le député Deneys !... Roger ! (Remarque.) Ou à Madame... Lydia ! (Remarque.) La parole est à Mme Lydia Schneider Hausser, excusez-moi !

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs... (Commentaires. Brouhaha. Le président agite la cloche.)

Le président. Poursuivez, Madame la députée. Avec mes excuses !

Mme Lydia Schneider Hauser. Je vous en prie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce bouclier fiscal, qui fixe un plafond d'impôt sur le revenu et la fortune à 60% du revenu imposable, est un cadeau de 40 à 45 millions par année que les Genevois offrent à environ 1300 contribuables, qui économisent chacun, en moyenne, 35 000 F d'impôts. En clair, plus le revenu financier de la fortune est élevé par rapport au revenu du travail, moins la personne paie d'impôts. Les socialistes demandent de suspendre, durant deux ans consécutifs, cette ristourne faite aux personnes fortunées, afin de mettre en route des réformes au niveau de l'Etat, sans pénaliser les moins favorisés et la classe moyenne du canton. Depuis 2009, la diminution des revenus de l'Etat, par la baisse de l'impôt principalement des plus riches, est devenue la raison d'être principale de la droite, car l'Etat coûterait trop cher ! Ce qui attire, Mesdames et Messieurs les députés, les entreprises à Genève. Mais ce qui fait Genève, c'est la qualité de ses écoles, du système de formation, la qualité de ses hôpitaux, de sa structure de soins... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...de ses logements - pas très nombreux, je l'avoue et je vous le concède - de son offre culturelle, de ses transports publics, de sa protection sociale efficace. Cette alchimie ne peut pas être éliminée, réduite drastiquement sans conséquence aucune non seulement sur la qualité de vie des Genevois mais également sur notre attrait au niveau de l'économie.

La gauche a toujours soutenu que l'Etat devait arbitrer la redistribution des richesses, afin de permettre au plus grand nombre d'habitants de vivre correctement. Cette détermination des socialistes ne date pas de la semaine dernière, contrairement à ce que certains ont bien voulu faire croire; nous avions déjà soutenu la suspension du bouclier fiscal lorsqu'il a été déposé par le Conseil d'Etat. Compte tenu de la situation tragique réservée au budget lors des travaux en commission, nous avons tenté de trouver des revenus supplémentaires qui évitaient de faire subir des baisses de prestations aux plus fragiles de nos concitoyens, voire à tous nos concitoyens. Visiblement, la proximité des élections rend la droite - ou une partie de la droite - nerveuse et génère chez elle des comportements et des prises de position étranges, incompréhensibles, et cela depuis le premier débat, en septembre, sur le budget. Avec la droite populiste, le PLR a continué de refuser de donner sa confiance au Conseil d'Etat et a nié ainsi les efforts déjà fournis pour freiner, voire diminuer les dépenses - efforts fournis par le Conseil d'Etat et le gouvernement, mais également, et il faut le souligner, depuis des années, par toute l'administration publique. Comme à son habitude, le MCG a utilisé ce projet de loi pour faire joujou et semer le chaos. Nous vous demandons aujourd'hui d'aller jusqu'au bout des règles démocratiques et, en conclusion, Mesdames et Messieurs, à revenir à Genève et à réserver un bon accueil à ce projet de loi. Merci beaucoup. (Applaudissements.)

M. Stéphane Florey (UDC). Que l'on soit d'accord ou non avec ce projet de loi, nous ne pouvons décemment pas nous prononcer comme ça, sur un coup de tête, soit en l'adoptant, soit en le refusant. D'abord, dans l'exposé des motifs, on mentionne de vieux chiffres: on parle de 2010, alors que nous sommes déjà en mars 2013. En outre, il serait important, justement, de réactualiser ces chiffres, de connaître quelles seraient les incidences complètes d'une telle mesure: combien de personnes sont concernées, quelles pourraient être les éventuelles recettes supplémentaires pour le Conseil d'Etat, quels seraient les risques encourus de voir des contribuables fortunés quitter notre canton. Je rappelle qu'à Zurich, par exemple, bon nombre de grosses fortunes ont déjà quitté le territoire.

Pour toutes ces raisons, nous demandons un renvoi immédiat à la commission fiscale afin d'avoir de vraies évaluations, afin qu'un vrai débat puisse se faire et qu'on puisse poser toutes les questions nécessaires quant à l'étude d'un tel projet de loi. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, je vous soumets le renvoi de cet objet à la commission fiscale.

Mis aux voix, le renvoi du projet de loi 11130 à la commission fiscale est rejeté par 61 non contre 24 oui.

Le président. Nous poursuivons donc notre discussion immédiate. La parole est à M. le député Serge Dal Busco.

M. Serge Dal Busco (PDC). Merci, Monsieur le président. Tout d'abord, laissez-moi exprimer, au nom du groupe démocrate-chrétien... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...notre satisfaction de pouvoir débattre de cette question maintenant et que celle-ci ne soit pas renvoyée en commission fiscale. Il y a d'ailleurs un objet tout à fait analogue, en commission fiscale, sur lequel la commission pourrait se déterminer. Mesdames et Messieurs, le sujet est vraiment très important, et c'est maintenant qu'il faut en discuter. Il y a vraiment urgence, Monsieur Florey, et je ne vois pas très bien comment ou peut parler d'urgence en renvoyant à la commission fiscale !

Alors la logique du parti socialiste, on la connaît - c'est toujours à peu près la même - ça consiste à augmenter les impôts. C'est aussi la logique qui prévaut d'ailleurs outre-Jura, ce qui ne nous étonne pas. Sur la limite de ce bouclier fiscal à 60%, il faut peut-être préciser que ce sont 60%, s'agissant de l'impôt cantonal et communal; mais il faudrait y ajouter l'impôt fédéral direct, c'est-à-dire plus de 12%. Et vous voyez qu'en additionnant les deux on s'approche de chiffres qui sont de l'ordre de 70% à 75%, ce qui doit certainement vous rappeler des chiffres qui ont été articulé outre-Jura. Alors il faut vraiment être, Mesdames et Messieurs, très vigilants avec cela.

J'aimerais quand même rappeler que ce bouclier fiscal a fait partie d'une votation que le peuple genevois a approuvée en 2009, et approuvée à plus de 70%. Ce n'est pas une genevoiserie, ça existe dans d'autres cantons, comme à Bâle-Ville, et puis, surtout, dans le canton de Vaud. D'ailleurs c'est la raison pour laquelle le peuple avait accepté cette proposition de bouclier fiscal: pour éviter que des contribuables fortunés ne franchissent tout simplement la Versoix - c'est extrêmement facile - pour ensuite aller alimenter les caisses de nos amis vaudois.

Notre système fiscal, Mesdames et Messieurs, est très fragile. Notre pyramide fiscale est très pointue ! Quelques chiffres: 2% des contribuables, selon les dernières informations mises à disposition par l'OCSTAT, paient 30% de l'impôt personnes physiques; 4% en paient 40%, Mesdames et Messieurs, chers collègues ! Et 11% en paient 60% ! C'est déjà très progressif. Le parti démocrate-chrétien soutient évidemment une certaine progressivité de l'impôt, c'est la logique même de ce dernier, de son caractère redistributif, de la contribution que doivent faire les plus nantis d'entre nous, disons, au bien commun, mais il ne faut pas exagérer ! On a, aujourd'hui, 420 personnes - toujours selon les derniers chiffres dont j'ai pu disposer - qui assurent le 10% de l'impôt personnes physiques ! C'est incroyable ! Il faut vraiment faire très attention ! Je vous garantis qu'il y a déjà des officines, des bureaux d'avocats, des études, des spécialistes qui sont en train d'étudier des possibilités de relocalisation fiscale pour nos contributeurs les plus fortunés, au cas où des mesures comme celles-là, comme la suppression ou la suspension d'un bouclier fiscal, seraient adoptées. Il faut donc être très prudents ! Naturellement, si l'on perd cette manne fiscale, cela se passera comme d'habitude, puisqu'il y a 40% des contribuables qui ne paient que 3,8% des impôts à Genève. Ce sera donc la classe moyenne, disons, en gros, les gens qui ont un revenu imposable en 50 000 et 150 000 F qui vont casquer et qui verront leur fiscalité augmenter par la force des choses.

Mesdames et Messieurs, il faut refuser cette proposition de loi avec la plus grande fermeté possible. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Les Verts ont toujours soutenu, et soutiendront toujours, la suspension du bouclier fiscal, voire sa suppression. Lors de la dernière réforme fiscale qui a été entreprise par ce parlement, si nous avions accepté le paquet final ficelé, nous nous étions cependant toujours opposés, en commission, à l'introduction de ce bouclier fiscal. Nous resterons donc toujours sur la même ligne.

Nous estimons, en effet, que le bouclier fiscal n'est pas une bonne mesure. Il va à l'encontre du principe de la progressivité de l'impôt, et crée donc une injustice face à celui-ci. Je vous dirai que ce constat n'est pas seulement partagé sur les rangs de la gauche, puisque je vous rappelle - et là je réponds peut-être à M. Dal Busco - que même M. Sarkozy a supprimé le bouclier fiscal en 2011. (Commentaires.)

L'effort qui doit être entrepris pour les finances cantonales - et nous avons toujours insisté sur ce point-là - ne doit pas être simplement entrepris sur les charges, mais également sur les revenus. Et je vous rappelle que c'est bien le Conseil d'Etat, il y a environ un an, qui était venu auprès de notre Grand Conseil pour proposer la suspension de ce bouclier fiscal. J'ajouterai d'ailleurs une nuance: il ne proposait pas sa suppression mais bien sa suspension pour deux ans, projet que reprend actuellement le parti socialiste, et que nous soutenons. C'est donc bien dans cette optique-là - les Verts sont toujours, vous le savez, un parti extrêmement gouvernemental - que nous allons continuer à soutenir ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le MCG avait voté l'urgence sur ce projet de loi. Nous l'avons dit, et je le répète ici aujourd'hui: nous voulons des comptes à l'équilibre, étant entendu - et ce que je vais dire maintenant est très important...

Des voix. Ah ! (Le président agite la cloche.)

M. Eric Stauffer. ...étant entendu, Mesdames et Messieurs les députés, que nous avons certains doutes sur la ligne qu'est en train de tenir le PLR par la voix de son président, qui a publié sur son profil Facebook qu'il accepterait un budget déficitaire. Nous avons certaines craintes. Je vous le rappelle, le MCG a dit qu'il voulait un budget à l'équilibre. Nous ne bougerons pas de cette ligne !

Alors je vous le dis, Mesdames et Messieurs les députés - et vous transmettrez au PLR, Monsieur le président: je vais demander soit le renvoi en commission, soit l'ajournement de ce projet de loi. Faute de quoi l'UDC et le MCG voteront avec la gauche pour que le peuple se prononce ! (Protestations.) Nous voulons des garanties que le PLR ne changera pas d'avis et ne retournera pas sa veste dans l'exercice du budget 2013 ! (Brouhaha.) Maintenant, chacun assumera sa responsabilité, nous voulons des comptes à l'équilibre et nous exigeons, aujourd'hui, de nos alliés de circonstance, une ligne sans faille !

Alors, Monsieur le président, je demande deux choses: le renvoi en commission ou, s'il est refusé, l'ajournement de ce projet de loi. Merci.

Le président. Merci, Monsieur le député, voilà qui est clair. Nous passons au vote.

Mis aux voix, le renvoi du projet de loi 11130 à la commission fiscale est rejeté par 63 non contre 23 oui.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets maintenant l'ajournement de ce projet de loi.

Mis aux voix, l'ajournement du projet de loi 11130 est rejeté par 62 non contre 23 oui.

Le président. Nous poursuivons notre débat. La parole est à M. le député Christophe Aumeunier.

M. Christophe Aumeunier (L). Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi est un simple copier-coller du projet de loi du Conseil d'Etat qui a été refusé par notre Grand Conseil en septembre 2012. On ne voit donc vraiment pas pourquoi on revient sur le sujet. En réalité, le bouclier fiscal, donc le fait que l'on plafonne l'imposition à 72% du revenu du contribuable, a été également adopté par le peuple d'une manière extrêmement large, puisque - et nous en avons tous la conscience - au-delà, c'est véritablement de l'impôt confiscatoire. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Tribunal fédéral. Alors suspendre ce bouclier pour les périodes fiscales 2013-2014, ou 2014-2015, peu importe, c'est prêter le flanc à l'incertitude, c'est prêter le flanc à l'imprévisibilité, c'est faire ce que font les Français, c'est faire ce que font les gens irresponsables qui ne permettent pas aux contribuables d'avoir une certaine sérénité et de pouvoir, ainsi, contribuer de manière sûre aux finances de l'Etat.

On nous parle de niches fiscales; mais qu'est-ce donc que des niches fiscales lorsqu'elles touchent toutes la même catégorie de contribuables, lorsque nous nous trouvons dans le canton qui taxe la fortune, impôt désuet, impôt qui touche en plein les contribuables genevois à raison de 1% ? Eh bien il ne s'agit pas de niches fiscales, Mesdames et Messieurs les députés, il s'agit d'enclumes fiscales ! Et alors, que dire des palais d'économies que doit faire l'Etat ? Je ne suis guère étonné, aujourd'hui, de voir les socialistes et les Verts alliés dans la même démarche qu'ils avaient en l'an 2000, puis en l'an 2005, lorsqu'ils s'opposaient au frein à l'endettement fédéral ! Aujourd'hui, que nous montre la situation fédérale ? Que les finances fédérales sont assainies, que la fonction publique fédérale se porte bien, qu'elle est efficace, et que les revenus des fonctionnaires fédéraux ne cessent d'augmenter ! Et les prestations fédérales, qu'en est-il, Mesdames et Messieurs les députés ? Elles se portent parfaitement bien ! Il n'y a eu aucune coupe ! Vous nous rejouez le même jeu que vous avez joué en 2000 au niveau fédéral, en pleurnichant - excusez-moi du terme ! - et en nous disant que nous allons couper dans les prestations de l'Etat... Ce n'est pas vrai. La démonstration fédérale est faite, il faut de la rigueur, il faut être responsable, et c'est dans ce camp-là que nous sommes.

Mais alors, que s'est-il passé à Genève ? Eh bien, à Genève, nous avons un ministre des finances qui semble ne pas craindre un exode fiscal vers le canton de Vaud, canton de Vaud qui applique le bouclier fiscal dont nous parlons aujourd'hui. Alors je pose franchement la question - que j'ai d'ailleurs posée à plusieurs reprises dans d'autres textes, mais j'y reviendrai: quelle gestion des risques avons-nous lorsque nous avons, comme l'a démontré le député Dal Busco, une pyramide fiscale extrêmement fragile, une fragilité extrême des revenus de l'Etat, avec 50% des contributions qui reposent sur 4% des contribuables ? Expliquez-moi l'équilibre ! Cette fragilité extrême est insupportable; il faut un maintien de l'équilibre, il faut une prévisibilité fiscale, il faut, en définitive, travailler sur l'ensemble de la fiscalité pour que celle-ci soit attractive non pas dans un domaine fiscal ou dans un autre. Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à refuser fermement ce projet de loi.

M. Renaud Gautier (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, ce serpent de mer a des effets collatéraux tout à fait détestables, on l'a entendu tout à l'heure. La discussion sur la fiscalité est par définition une discussion intéressante, mais elle réclame, de la part de celles et ceux qui veulent en parler, un minium de bonne foi. Ce n'est pas ce que j'ai entendu de la part de mes collègues des bancs d'en face. Lorsqu'une députée - vous transmettrez, Monsieur le président - parle de revenir à la réalité, soit ! Mais cela suppose, alors, que l'on ne donne non pas les chiffres relatifs mais aussi les chiffres absolus de celles et ceux qui profitent de ce bouclier fiscal. Cela suppose aussi que l'on s'intéresse, à Genève, à un autre bouclier fiscal: celui des 20% à 30% de la population qui ne paient aucun impôt et qui profitent en plein de l'entier des prestations de l'Etat ! On ne peut pas s'occuper que d'un extrême sans s'occuper de l'autre ! Ou alors, effectivement, on est dans l'arbitraire !

Ensuite, deuxième point, lorsque Mme la numéro deux vient nous parler, ici, de la progressivité de l'impôt comme étant une espèce de vertu cardinale, je réponds franchement: non ! Vous postulez que l'impôt doit être progressif... Mais il y a d'autres manières de calculer l'impôt qu'à travers une échelle progressive ! Où l'on demande à ceux qui font le plus d'efforts et qui gagnent le plus d'être le plus solidaires des autres !

Troisième point: parler de la fiscalité, c'est très directement parler de l'efficience de l'Etat. Les socialistes souhaitent augmenter la fiscalité. Mais pourquoi ? On nous a parlé de la culture, on nous a parlé du social, on nous a parlé de l'éducation... Bien évidemment, ce sont, pour certains d'entre eux, des fonctions régaliennes de l'Etat, mais faut-il, encore et toujours, continuer à remplir un seau dont chacun d'entre nous connaît le nombre de trous qui entraînent des fuites ? La réponse est non ! Une fiscalité plus forte, soit, mais pour un Etat plus efficient, et pas une fiscalité plus forte pour un Etat moins efficient. (Applaudissements.)

M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, je crois que la question de l'éventuelle levée du bouclier fiscal doit être absolument dépassionnée. (Rires. Remarque. Le président agite la cloche.) C'est une mesure qui a été introduite en 2009 dans les dispositions fiscales genevoises, à l'occasion de la baisse d'impôts du projet de loi 10199. Déjà à l'époque, une partie de ce Grand Conseil avait estimé que cette mesure spécifique méritait un débat à part, et ne devait pas être intégrée à cette réforme de la fiscalité dont l'objectif annoncé était de préserver et d'améliorer le sort de la classe moyenne.

Ici, on a affaire à une disposition qui protège en réalité les grandes fortunes. Il y a, par exemple, environ 80 contribuables genevois qui ont une fortune de plus de 100 millions de francs et qui bénéficient, grâce à ce bouclier fiscal, d'un rabais d'impôt qui s'élève à 180 000 F par an. Et je pense que c'est bien sur cette question qu'on doit placer le débat. Aujourd'hui, on a envie d'opposer le taux d'imposition des uns à celui des autres - pourquoi quelqu'un qui gagne 20 000 F par année aurait un taux d'imposition différent de celui qui gagne plusieurs millions par année ? En réalité, la question c'est quand même le revenu disponible à la fin du mois et si la personne est capable d'avoir une existence décente avec ce qui lui reste une fois qu'elle a payé, si possible, le minimum, c'est-à-dire son loyer, ses charges, son assurance-maladie, l'éducation de ses enfants. Dans ce sens-là, le bouclier fiscal peut quand même, aujourd'hui, être remis en question, surtout quand on entend un certain discours sur l'ampleur de la dette et sur le fait que certaines associations - les associations pour les femmes, les associations pour les handicapés - doivent faire des économies. Alors on fait économiser moins de 2000 F à Pro Infirmis sous prétexte de l'état des comptes du canton... On fait économiser 10 000 F aux associations pour les femmes, comme Viol Secours... Et puis, dans le même temps, on maintient ce bouclier fiscal qui préserve les fortunes supérieures à 5 millions de francs !... Mais si on dit qu'il faut un équilibre budgétaire, pourquoi ne pas envisager aussi de nouvelles recettes fiscales ? Pour les socialistes, la question mérite en tout cas d'être posée ! Il n'y a pas de dogme en la matière, on peut imaginer que des efforts doivent être faits pour améliorer l'efficacité de l'Etat, et les socialistes les ont toujours soutenus. D'ailleurs, l'an dernier, nous avions proposé plusieurs millions d'économies dans le projet de budget 2012: le PLR et les autres partis n'en ont pas voulu, ma foi, nous le regrettons ! Mais il n'y a pas de tabou, on doit aussi pouvoir se demander si la suspension du bouclier fiscal n'est pas une mesure susceptible d'améliorer les comptes du canton de Genève et, aussi, de contribuer à réduire la dette. A l'époque - nous avions d'ailleurs déjà soulevé cela - la baisse d'impôts, qui coûtait 400 millions de francs par an, était certainement trop élevée compte tenu de l'état de la dette du canton. Aujourd'hui, si notre parlement acceptait ce projet de loi, c'est de toute façon le peuple qui devrait trancher; on peut donc aussi lui faire confiance et voir ce qu'il en pense ! Est-ce qu'il estime que c'est un effort supplémentaire injuste pour une certaine catégorie de la population, et donc qu'il faudrait refuser cette proposition ? Ou, à l'inverse, est-ce que l'effort supplémentaire qu'on demande à certains privilégiés - essentiellement moins de 1000 personnes - mérite d'être fourni, afin de préserver certaines prestations à la population, dans les domaines de l'éducation, de la santé, des prestations sociales ?... (Remarque.) Et de la sécurité, bien entendu ! La question mérite d'être posée. Moi, je n'ai pas de tabou. On peut dire qu'à Zurich des gens sont partis, en même temps on peut rétorquer que d'autres sont arrivés, qui sont des contribuables qui, eux, paient des impôts, donc... Je pense que la question du bouclier fiscal doit être posée à la population.

Nous vous invitons à soutenir ce projet de loi, afin que la population puisse trancher pour ou contre cette disposition. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Jacques Jeannerat, après quoi nous ferons une pause ! Vous avez la parole, Monsieur le député.

M. Jacques Jeannerat (R). Merci, Monsieur le président. Difficile de parler d'un projet de loi sur la fiscalité sans donner quelques chiffres ! Je vais répéter certains de ceux qui ont été donnés par M. dal Busco, parce qu'ils sont importants.

Il faut savoir qu'à Genève, Mesdames et Messieurs, avec la loi actuelle, moins de 1% des contribuables - je parle de l'impôt sur le revenu - paient 25% de l'impôt, et... (Brouhaha.) ...pour la fortune, moins de 1% des contribuables paient 50% de l'impôt - vous trouvez ces chiffres sur le site de l'OCSTAT. Donc il ne faut pas pousser le bouchon trop loin, Mesdames et Messieurs !

C'est sûr qu'en adoptant votre projet de loi, qui consiste à enlever ce bouclier fiscal ne serait-ce que pour deux ans, eh bien l'exode des plus riches est assuré ! Parce que plus on est riche, plus on a une capacité importante à se délocaliser et à aller ailleurs. Et au fond, sur le principe même, vous avez raison, Monsieur Deneys: Il faut prendre l'argent là où il est. Il faut effectivement le prendre chez les riches. Mais il ne faut pas prendre plus d'argent auprès des riches ! Il faut prendre de l'argent auprès de plus de riches ! Il faut attirer les gens !

Au fond, le groupe radical est favorable à une attractivité, plutôt qu'à l'exode des gros contribuables. Et je suis convaincu, Monsieur Deneys, que, au contraire, le bouclier fiscal va permettre d'attirer des gens et, donc, de continuer à augmenter les recettes fiscales ! Vous y êtes tellement favorables ! Eh bien, c'est justement par le maintien du bouclier fiscal que nous allons attirer des gens qui ont une certaine capacité financière mais qui ne seront pas affolés, parce qu'ils ne seront pas sacrifiés sur l'autel de la fiscalité ! Pour conclure, nous vous recommandons le rejet de ce projet de loi.

Une voix. Bravo. (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, je suspends les débats.

Fin du premier débat et deuxième débat: Session 06 (mars 2013) - Séance 36 du 21.03.2013