République et canton de Genève

Grand Conseil

M 2085
Proposition de motion de Mme et MM. Christina Meissner, Bernhard Riedweg, Stéphane Florey, Christo Ivanov pour un pôle de recherche en biotechnologies

Débat

Le président. Nous traitons maintenant le dernier texte relatif à Merck Serono. Vous avez la parole, Madame la première signataire.

Mme Christina Meissner (UDC). Merci, Monsieur le président. Vu l'heure tardive, je ne voudrais pas répéter tout ce qui a été dit. Nous nous sommes occupés de préserver les droits des travailleurs et d'essayer de donner de meilleures conditions-cadres aux futures entreprises. Reste à préserver et à retrouver des possibilités d'emploi pour toutes ces personnes qui se trouvent être des ex-employés, en leur donnant un avenir dans des entreprises qui sont dans notre région ou au-delà de nos frontières. Pour cela, il faut interpeller aussi, outre notre gouvernement, la Confédération, afin qu'elle nous aide pour ces emplois-là. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)

D'un autre côté, je voudrais rappeler que le site de Merck Serono, ici, n'était pas un site de production, mais de recherche. Alors, hélas - beaucoup l'on dit - de nombreux chercheurs cherchent et ne trouvent pas. Mais on n'a jamais dit que la recherche devait être une entreprise rentable. Merck Serono le savait. Les chercheurs qui sont là sont des chercheurs qui, même parfois étrangers, sont ancrés dans notre région depuis très longtemps. J'en connais certains depuis plus de vingt-cinq ans, pour avoir travaillé avec eux. Ces gens-là ont besoin de retrouver une place dans la recherche. Ils ne deviendront pas, du jour au lendemain, managers de start-up, ils ont besoin de temps.

Leur offrir du temps c'est, d'une certaine façon, ce que nous demandons en proposant de les intégrer dans des programmes de recherche, dans nos universités et des pôles de recherche. D'ailleurs, Merck avait des contacts avec cette recherche-là. Essayons de gagner, pour ces gens-là, un peu de temps, afin de leur permettre de continuer à exercer leur métier de chercheur jusqu'à ce qu'ils trouvent une nouvelle voie. Cela se fera d'ici à quelques mois, certainement pas d'ici au 16 mai. D'ici au 16 mai... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...nous devons leur donner un message. Le message est toujours le même, comme pour les deux textes précédents: nous vous soutenons, nous faisons notre possible pour vous soutenir, et c'est au Conseil d'Etat d'agir.

Renvoyez, s'il vous plaît, ce texte aussi au Conseil d'Etat. Je vous remercie.

Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à Mme Christine Serdaly Morgan.

Mme Christine Serdaly Morgan (S). Monsieur le président, je n'avais pas demandé la parole, mais...

Le président. Alors je vous la retire !

Mme Christine Serdaly Morgan. Non... (Commentaires.) Je ne sais pas, c'est l'heure tardive... Mais, dans le train des discussions et des dynamiques, ce soir, nous soutenons bien entendu le renvoi de cette proposition de motion au Conseil d'Etat.

M. Patrick Saudan (R). Mesdames et Messieurs les députés, l'heure est tardive, donc je ne vais pas trop m'appesantir. Madame Meissner - vous lui transmettrez, Monsieur le président - votre proposition de motion est bien sympathique, dans l'esprit, et je ne peux qu'y adhérer. Mais vos invites sont absurdes. On peut encore accepter la première invite, car «intervenir auprès de la Confédération afin d'établir un plan d'urgence stratégique pour l'emploi dans les domaines de pointe [...]» de la biotech, c'est ce que font les cantons de Vaud et de Genève depuis dix ans ! C'est l'un des axes stratégiques de ces deux cantons.

Mais la deuxième invite est particulièrement absurde ! Demander des subsides à des fonds nationaux de recherche scientifique, afin de servir d'office de chômage, de replacement, pour des chercheurs licenciés... Mais cela ne rime à rien ! Ces subsides sont attribués sur une base hypercompétitive, après des requêtes très fouillées ! Et je vais vous donner un simple exemple, Madame Meissner. Vous parlez des pôles nationaux de recherche: entre la première requête et la mise à disposition de l'argent, trois ans s'écoulent... Croyez-vous que les chercheurs de Merck Serono peuvent attendre trois ans ? Non ! Le respect qu'on leur doit, c'est au moins d'avoir des textes qui tiennent debout.

Alors, par sympathie pour l'esprit de cette proposition de motion, on est d'accord de la renvoyer au Conseil d'Etat - puisqu'on a renvoyé les autres. Mais je tiens à vous dire que votre deuxième invite est particulièrement inepte. (Applaudissements.)

M. François Lefort (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, nous serons à la fois concis et magnanimes. Magnanimes, parce que concis... (Commentaires.) ...sur cette proposition de motion d'une l'UDC à la recherche d'une bonne idée ! (Commentaires.) Que demande cette proposition de motion de l'UDC ? M. Saudan en a un peu parlé, elle demande d'intervenir auprès de la Confédération, afin d'établir un plan d'urgence pour l'emploi dans les biotechs, et d'étudier avec la Confédération comment les programmes et les pôles de recherche nationaux pourraient accueillir les chercheurs de Merck Serono. Ces demandes sont déjà des invites - invites d'une résolution, et pas d'une motion. Et plus que des invites, ce sont des incantations ! Elles sont de l'ordre de l'incantation !

Nous n'avons, nous, humble parlement, que peu d'influence sur la stratégie et la politique scientifique de la Confédération ! Qui par ailleurs développe déjà les biotechs. Certes, les PNR sont des outils efficaces de cette recherche scientifique, mais dont l'élaboration - M. Saudan vous l'a rappelé - demande du temps ! Et ce temps, les employés de Merck Serono ne l'ont pas ! Les PNR ne sont pas, non plus, ciblées sur des problématiques régionales !

Par conséquent, cette proposition de motion de l'UDC est malheureusement, Madame Meissner - vous transmettrez, Monsieur le président - une fausse bonne idée ! Si ce n'est pas un leurre. Car elle méconnaît le temps scientifique, qui n'est pas celui de la politique !

Nous sommes dans l'urgence. L'urgence, c'est maintenir ces emplois à Genève, c'est développer un tissu économique durable et diversifié dans les activités stratégiques dont nous avons besoin, pas seulement les biotechs. Les biotechs aussi, mais pas seulement. Et vous aurez compris que les invites naïves de cette proposition de motion cadrent mal avec les besoins urgents des employés de Merck Serono.

Aussi, pour cette raison, nous serons encore moins compréhensifs que le groupe PLR. Nous vous demandons de ne pas renvoyer cette motion et de voter contre.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme Christina Meissner. (Plusieurs députés restent debout au fond de la salle.) Mesdames et Messieurs les députés, veuillez vous asseoir !

Mme Christina Meissner (UDC). Je ne rallongerai pas. Je dirai simplement que nous avons surtout montré ce soir notre méconnaissance, notre incompétence - voire le fait que, quelques fois, on était totalement à côté de la plaque... (Remarque.) Oui ! (Commentaires.) «Sclérose en plaques», peut-être ! Les employés se rebiffent; nous n'avons pas les cartes en mains, nous ne connaissons pas tous les enjeux liés à cette fermeture de site. (Commentaires.) Donc, au Conseil d'Etat d'agir. Je vous remercie d'avoir donné votre voix et votre soutien... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...aux autres textes, ainsi qu'à celui-ci, et je me réjouis d'entendre ce que notre Conseil d'Etat fera auprès de la France, auprès des cantons voisins et de la Confédération, et de connaître toutes les bonnes solutions qui pourront être envisagées - et qui doivent l'être.

Le président. Merci, Madame la députée. Mesdames et Messieurs, nous allons écouter le président du Conseil d'Etat, M. Pierre-François Unger, puis nous passerons au vote.

M. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, j'ai attendu la fin et le traitement de la dernière proposition, pour prendre la parole, tant la matière me paraissait être unie et tant il m'a paru utile que votre parlement, s'éloignant pour une fois de querelles sans importance, puisse adopter ces trois textes à l'unanimité, pour nous les renvoyer, quelles que soient les imperfections dont ils sont parfois dotés.

En effet, nous avons assisté au plus grand licenciement collectif de l'histoire romande - survenu brutalement, d'un coup. Certes, Hispano-Suiza et Tavaro sont des industries qui ont licencié plus de gens, mais sur cinq, huit ou dix ans. C'étaient des entreprises qui perdaient des marchés, des savoirs et un pouvoir de créativité, et qui mouraient sur un temps relativement long. Ce qu'il y a d'invraisemblable - je dis bien d'«invraisemblable» - dans la fermeture de Merck Serono à Genève, c'est sa brutalité et son indécence, suite à la rencontre que nous avions eue, le 24 février, avec un représentant des ressources humaines, nous disant, comme dans toutes les autres pharmas du monde: «Il faudra faire une restructuration au niveau mondial». On le savait. Mais quand on lui a demandé s'il se passerait quelque chose à Genève, la réponse a été: «Ça, on ne le sait pas, mais probablement pas, parce que, comme c'est le seul centre de recherche qui fonctionne, on ne va quand même pas s'arrêter de rechercher.» Voilà les informations nous avions. Et quand on n'a que ces informations, on téléphone au directeur, tous les dix jours, pour savoir si lui en sait plus ! Lui prétend ne pas en savoir plus ou n'en sait pas plus. Et on essaie de suivre la plausibilité de ce qui va ou non se passer.

Mesdames et Messieurs les députés, selon le site de Merck, le 2 mai, on recherche pour Genève un chercheur senior, payé 200 000 F par an. Je souligne: «Location: Geneva.» Alors là, ce n'est plus simplement de la brutalité, c'est du mépris ! C'est du mépris, et c'est honteux ! Et quand on sait par d'autres voies que la même entreprise continue à demander des permis de travail, pas plus tard que la semaine dernière - c'est un membre de cette commission qui nous l'a confié - alors on se moque doublement du monde ! Encore une fois, je crois à l'économie de marché, je suis sûr que c'est le moins mauvais des modèles; mais il faut, pour que cette économie de marché fonctionne, garder un minimum de sens moral !

Et le sens moral, on peut l'attendre d'une entreprise familiale - qui se revendique comme telle ! Elle était familiale lorsque c'était Serono; elle est devenue «bifamiliale» lorsque c'est devenu Merck Serono, puisque la famille Merck détient encore 70% des actions. C'est donc une famille qui accepte cela, probablement - probablement ! - comme c'était le cas pour Novartis, sur le conseil brillant de l'un de ses consultants, qui envoie un stagiaire regarder où il y a du monde, du bruit, de la fumée et de l'argent; et s'il y a une petite discordance entre le tout, on dit que c'est là qu'il faut faire la croix... C'est ce qui s'était passé à Prangins. C'est limpide ! On ne donnera pas le nom du consultant, mais j'espère qu'il se reconnaîtra - parce qu'il fait toujours la même chose, et c'est toujours une ânerie ! Il a fallu qu'un Joe Jimenez, californien, débarquant de Californie, arrive à Prangins pour dire: «Attendez, il n'y a pas besoin de fermer ! Il faut juste leur demander de se remettre au travail.» Et puis, au passage, ils ont demandé deux ou trois autres avantages qui, le jour où ils seront connus de tous - et je ne parle pas des avantages concédés par les Vaudois - laisseront à penser que ce n'est peut-être pas comme cela qu'il faut faire à l'avenir.

Le problème de Merck Serono est très différent, encore une fois, par sa brutalité. Le problème de Merck Serono est très différent parce que l'on ferme un centre de recherche et un headquarter. Ce sont deux choses différentes. La discussion de savoir si un headquarter séparé, à 300 km du headquarter général, doit persister cinq ans après la fusion de deux entreprises, on peut l'avoir. Je n'ai pas de réponse, parce que je ne connais pas la matrice opérationnelle de la maison. Mais les chercheurs ne sont pas à Darmstadt ! Et la très grande majorité n'ira pas à Darmstadt ! Quelques-uns iront sans doute à Boston, peut-être un ou deux curieux à Pékin. Mais les autres n'iront pas à Darmstadt ! Darmstadt est une ville de 200 000 habitants, où il y a une entreprise et une seule: c'est Merck, qui a 9000 employés. Tout le reste, ce sont des sous-traitants et des petits commerces qui tournent autour.

Cela montre d'ailleurs à quel point tous ceux qui se moquent, lorsqu'on dit que les grandes entreprises induisent beaucoup d'emplois, se trompent ! Puisque, chaque fois qu'il y a une grande entreprise et qu'elle a des difficultés, ce sont des dizaines, des centaines, voire des milliers d'emplois induits qui disparaissent. Et pour le cas de Merck Serono, au-delà du drame que vont vivre les 1250 personnes qui seront mises à la porte, il y a les familles. Mme Fontanet l'a dit; elle est la seule qui a parlé de ces familles, qui multiplient par 2 ou par 2,5 le nombre de gens qui vont souffrir. Il y a les emplois induits, or ce ne sont pas simplement les emplois induits du café du coin, de ceci ou de cela. Cela va beaucoup plus loin: c'est la maintenance, ce sont les assureurs... C'est tout cela. Au total - au total ! - ce sont probablement 4000 emplois qui sont menacés, ou en tout cas amputés d'une partie de leurs fonctions.

Alors oui, c'est vrai, très rapidement après cette annonce, qui a eu lieu un mardi à 10h, j'ai rencontré M. Broulis pour avoir un peu l'expérience de Novartis, même si le problème de Novartis, fondamentalement, n'a rien à voir. Mais ce serait bête de se passer de l'expérience de quelqu'un qui a réussi quelque chose. A midi, je voyais M. Broulis. Le lendemain, je voyais le syndicat Unia, pas tellement, naturellement, pour qu'ils huent qui que ce soit une fois ou l'autre. S'il l'a fait, je trouve que c'est réellement dommage, parce que les contacts que j'ai eus avec le responsable du syndicat Unia étaient des contacts très ciblés, très précis et extrêmement courtois. Ces contacts ont porté sur la manière dont il convenait qu'il puisse entrer dans l'entreprise, pour qu'une entreprise qui n'avait pas de commission du personnel et qui était peu syndiquée puisse avoir accès à un certain nombre d'informations, faire valoir un certain nombre de droits et dire la chose suivante.

Puisque ce sont quand même des gens assez remarquables, ces fameux cols blancs ou bleus, qui, en fonction de la couleur, plaisent aux uns ou aux autres - mais c'est un salaire de 12 000 F par mois, à Serono; ce sont donc des gens en tout cas suffisamment bien payés pour qu'ils soient considérés par ceux qui les paient comme étant remarquables - eh bien, ces gens-là doivent avoir un peu de temps pour une consultation ! Ce n'est pas en trois semaines qu'un chercheur sur une molécule, que ce soit un immunosuppresseur ou une molécule d'une autre nature, peut se dire: «Je vais construire une start-up»... Pour cela, les gens doivent pouvoir se regrouper, réfléchir, avoir un contact avec une université, une école polytechnique ou une start-up existante, avec Eclosion et avec l'ensemble du réseau romand que nous avons activé à leur service pour essayer de trouver des solutions.

Mesdames et Messieurs, dans ce premier temps, nous aurions besoin d'un soutien à travers une motion, et il se trouve que la dernière est celle-là. Est-ce la meilleure ou non ? Cela m'est complètement égal ! Mais nous aurions besoin d'un soutien unanime sur un texte qui montre que vous êtes d'accord sur les points suivants: premièrement, nous devons nous battre sur les 1250 emplois existants; deuxièmement, nous devons nous battre sur des alternatives, au cas où tout ou partie de ces emplois ne pourraient rester; troisièmement, il faut que ces alternatives soient ou la recherche d'une entreprise d'une certaine taille, qui puisse venir telle quelle, ou la reprise par plusieurs petites entreprises, et puis des montages que l'on pourrait prévoir, avec des instituts universitaires ou des fondations - toutes ces choses que l'on sait faire dans ces milieux-là; et quatrièmement, Mesdames et Messieurs, il faut que l'on se préoccupe du bâtiment, quand bien même la proposition de M. Buchs avait pour but essentiel de susciter notre bonne humeur dans ces moments difficiles. (Remarque. Commentaires.)

Mesdames et Messieurs les députés, soyez unanimes pour nous soutenir dans la lutte que nous avons entreprise, dans les contacts que nous avons noués, dans les innombrables possibilités, encore floues mais qui sont à portée de main si les gens sentent que les uns et les autres sont dirigés vers le même but. Parce que la mesure qui a été prise par Merck Serono, à l'heure actuelle - que je regrette, venant d'une entreprise familiale - est une mesure humainement dramatique, et économiquement aléatoire ! L'action n'a pas monté. Or, ce que l'on attend quand on prend de telles mesures, c'est que l'action monte ! Elle n'a pas bougé ! C'est donc un échec économique d'avoir pris cette mesure. De plus, cette mesure est spéculativement impossible. Parce que celles et ceux qui imagineraient qu'en vidant cette usine on obtiendrait, le cas échéant, un déclassement pour faire une plus-value immobilière sur la parcelle et sur l'immeuble se trompent. Le Conseil d'Etat ne cèdera jamais: ce sera du terrain industriel, à vocation technologique, et il n'y aura pas de spéculation autour de cette affaire. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je mets aux voix la proposition de motion 2085 et son renvoi au Conseil d'Etat.

Mise aux voix, la motion 2085 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 58 oui et 23 abstentions. (Commentaires pendant la procédure de vote.)

Motion 2085