République et canton de Genève

Grand Conseil

M 2036
Proposition de motion de Mmes et MM. François Lefort, Mathilde Captyn, Emilie Flamand, Catherine Baud, Sophie Forster Carbonnier, Brigitte Schneider-Bidaux, Anne Mahrer, Miguel Limpo, Jacqueline Roiz, Olivier Norer, Sylvia Nissim pour une gestion raisonnée et écologique du salage

Débat

M. François Lefort (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, nous en avons parlé il n'y a pas très longtemps lors du traitement d'une motion UDC, l'utilisation des fondants routiers est la solution conventionnelle la plus employée permettant d'assurer la sécurité routière et la viabilité hivernale en cas de neige et verglas. Il s'agit d'une solution conventionnelle dont les nuisances sur l'environnement en général et sur l'environnement urbain sont bien connues et ce depuis longtemps. Malgré cela, curieusement, la tendance est à l'augmentation de l'utilisation des fondants routiers, principalement du sel, c'est-à-dire du chlorure de sodium. C'est une tendance qui n'épargne pas la Suisse et qui est certainement corrélée à l'augmentation de la circulation routière, curieusement, dans un contexte climatique où les périodes de grand froid se font plus rares.

Les conséquences du salage, ce sont des pollutions des sols nuisibles à la santé des plantes et donc aux plantations de l'environnement urbain. Ce sont des pollutions des eaux de ruissellement nuisibles à la faune et à la flore aquatiques, ce qui est bien documenté depuis quarante ans. Les arbres des alignements urbains par exemple présentent fréquemment des symptômes de sécheresse et de carence minérale, sécheresse accentuée par le fait que le sel diminue la capacité des racines des plantes à prélever l'eau dans le sol. La longévité des arbres en est raccourcie et ceux de la plaine de Plainpalais en savent quelque chose, puisqu'il a fallu les remplacer, ce qui est principalement dû à leur vie réduite.

On retrouve aussi des concentrations de sel dans les eaux stagnantes ou souterraines qui peuvent atteindre jusqu'à 1,5 gramme de sel par litre. Dans ce contexte, cela provoque des toxicités aiguës et chroniques sur les organismes aquatiques, avec comme conséquence une mortalité accrue et donc une réduction de la biodiversité. Ces nuisances sont connues et il faut y remédier.

Ainsi, que demande cette humble motion ? Elle demande d'abord une gestion rationnelle des stocks de fondants routiers, c'est-à-dire l'équivalent de ce qui est réalisé ailleurs en Europe. Elle demande une utilisation parcimonieuse et efficace des fondants routiers, c'est-à-dire l'emploi de moins de sel mais au bon moment. Elle demande parallèlement que le Conseil d'Etat fasse la promotion de cette gestion rationnelle et de cette utilisation parcimonieuse auprès des communes. Elle demande l'emploi d'alternatives non chimiques aux fondants routiers, que ce soit le sablage provenant de matériaux recyclés locaux ou les fondants biologiques à base de déchets végétaux recyclés localement également, d'ailleurs disponibles dans notre région depuis l'année dernière par le biais d'une entreprise lausannoise.

Et pourquoi je mentionne cet aspect local ? C'est parce que le sel que nous dispersons sur nos routes ne l'est pas. Il fait des milliers de kilomètres et consomme en plus de l'énergie pour être acheminé jusqu'à nous.

Le président. Monsieur le député, il vous faut conclure !

M. François Lefort. Enfin, la motion demande aussi l'interdiction du chlorure de sodium - du sel de cuisine - dans les espaces verts et les alignements d'arbres urbains, c'est-à-dire là où les conséquences sont les plus toxiques sur l'environnement citadin que nous finançons, que les collectivités publiques financent.

Que demande donc la motion ? Elle demande des actions tout à fait compatibles et qui s'inscrivent pleinement dans la stratégie nationale de la biodiversité, qui vient d'être présentée par le Conseil fédéral au Conseil national. Cela étant dit, les Verts vous recommandent de renvoyer directement la motion au Conseil d'Etat. Si cette proposition ne réunissait pas vos suffrages, les Verts suggéreraient alors de la renvoyer pour le moins à la commission de l'environnement. Je vous remercie.

M. Philippe Morel (PDC). C'est un sujet glissant sur lequel il faut éviter de déraper. En effet, nous sommes bien conscients du problème de la pollution sur les végétaux par le sel. Nous ne voudrions cependant pas remplacer cette pollution par celle des voitures, vélos et motos qui pollueraient la nature en étant sortis d'une route givrée et en ayant glissé sur le verglas. Nous préférons la pollution des végétaux à celle qui est engendrée par les métaux.

Savez-vous qu'actuellement 51% de l'utilisation du sel va au salage des routes dans le monde, que le chlorure de calcium s'avère beaucoup plus efficace que le chlorure de sodium et qu'il y a plusieurs manières pour le répandre avec les saleuses ? On peut diluer le chlorure de calcium avec de l'eau, cela devient de la saumure. On peut ensuite le recomposer avec du sel, cela devient de la bouillie de sel. Il faut répandre entre 10 et 15 grammes de sel par mètre carré pour obtenir un effet d'une durée de vingt minutes. Il y a plusieurs types de verglas: le dépôt de givre, sur lequel le sel est actif; le verglas de congélation avec l'eau, sur lequel il est également actif mais moins bien; le verglas par les pluies sur un sol gelé, où le sel est beaucoup moins actif, et enfin les pluies de surfusion, contre lesquelles le sel ne peut strictement rien. En France - je n'ai pas trouvé le chiffre pour la Suisse - le salage des routes a coûté à peu près 100 millions d'euros en 2010.

Le sucre de betterave est une alternative - et c'est vrai qu'elle avait été proposée à l'époque par un membre du Conseil national du groupe UDC dont le nom commence par «F» - invoquée comme étant plus efficace, plus rapide et plus stable. Effectivement, la production de sucre de betterave peut être assurée par la Suisse. Il est cependant beaucoup plus cher et présente des inconvénients; il a en effet été démontré qu'il n'agissait que jusqu'à -35 degrés et que dans le nord de la Suisse, dans des régions extrêmement froides, le sucre n'était pas utile. D'autre part, il est exact que le sel est corrosif pour les plantes. Or, pour les voitures, nous ne voudrions pas le remplacer par du sucre au risque de rendre nos véhicules diabétiques. Il y a également d'autres possibilités, telles que des granulés biodégradables, qui sont toutefois très chers.

C'est un problème très important. Il est vrai que le sel est nuisible à la nature et aux véhicules qui se déplacent, quels qu'ils soient, raison pour laquelle le groupe PDC appuiera le renvoi de ce texte en commission pour évaluation et discussion.

M. Jean-Louis Fazio (S). Les socialistes soutiendront le renvoi de cette motion judicieuse à la commission de l'environnement. Je rappelle que la plupart des communes genevoises, dont la Ville de Genève, ont déjà signé les Engagements d'Aalborg qui stipulent les principes des invites de cette motion. De plus, il faudrait que Genève responsabilise les automobilistes en rendant obligatoire l'usage des pneus neige en hiver, comme le pratiquent certains pays du Nord, entre autres l'Allemagne. Nous vous recommandons donc d'accepter cette motion.

M. René Desbaillets (L). A la lecture de cette motion intitulée «Pour une gestion raisonnée et écologique du salage» et des différentes lois mentionnées dans les considérants - la loi sur l'action publique, la loi fédérale sur la protection de l'environnement, la loi d'application X, etc. - je suis pourtant convaincu que, quand à 1h du matin la neige commence à tomber ou que les routes gèlent, les responsables de la voirie, qu'ils soient publics ou privés dans certaines communes, ne vont pas se mettre à sortir les lois pour savoir ce qu'ils ont à faire. De temps en temps, faisons confiance aux gens du terrain, aux spécialistes qui ont l'habitude et l'expérience pour savoir ce qu'il faut faire ! Donc arrêtons de légiférer, surtout là-dessus ! Laissons faire les praticiens !

Le praticien dispose de plusieurs solutions. Comme cela a été dit, il peut mettre du sable, mais on sait que c'est valable dans les régions montagneuses où l'on ne tient pas forcément à faire disparaître la neige. On met du sable simplement pour que cela accroche un peu, pour les voitures qui ont les pneus d'hiver et surtout pour les piétons, afin d'éviter que ne se forment des plaques de glace et que tout le monde se casse la figure. Ensuite, il existe le salage systématique, ce qui était le cas il y a quelques années; on ne regardait pas, on passait partout; c'était le salage à l'aveugle. Cette notion est dépassée, parce qu'il est clair que s'il y a trop de sel dans les eaux qui partent dans les égouts, c'est néfaste. Puis il y a le salage spécifique. Et à Genève, entre ma commune de Satigny ou le village de Chouilly qui est à 500 mètres d'altitude et le pont du Mont-Blanc qui est à 370 mètres, je peux vous dire qu'il y a une grosse différence dans la technique à appliquer pour savoir comment saler les routes. Par ailleurs, dans la pratique, beaucoup de communes ne salent principalement que les itinéraires où roulent les transports publics et, pour les autres, dans certaines communes, il y a un écriteau informant la population que le salage est réduit. De plus, il existe encore une solution - puisqu'il y a des pro-européens - c'est d'adopter celle qui est appliquée à présent en Allemagne et en Autriche, où les pneus d'hiver sont obligatoires. (Commentaires.) Ils ne sont pas recommandés, mais obligatoires ! On pourra ainsi encore diminuer le salage.

Je pense par conséquent qu'investir simplement dans un petit cours de formation continue pour les responsables de la voirie - une journée annuelle auprès de spécialistes pour qu'ils prennent connaissance des dernières technologies et des produits les plus récents à disposition - est amplement suffisant. On ne va dès lors pas déranger une commission et rédiger des lois et des règlements pour un problème assez bénin à Genève, il faut le reconnaître. En conclusion, selon nous, il faut refuser la motion.

M. Eric Stauffer (MCG). Il est fort, le député Lefort ! Il est fort ! (Exclamations. Commentaires.) Il y a quelques minutes, nous avons parlé de fermer le réseau routier secondaire pour renaturer les petites routes de campagne et les Verts s'y sont opposés. Or à présent ils viennent nous faire la leçon, Mesdames et Messieurs: «Le sel est une catastrophe ! L'augmentation du trafic automobile est une horreur ! Il faut absolument sévir !» Mais jusqu'à quand allez-vous vous moquer des citoyens et des électeurs qui votent pour vous ? (Exclamations.) C'est quand même effarant !

Laissez-moi vous dire quelque chose: notre collègue député le professeur Morel a rappelé quelque chose de très juste, à savoir qu'il existe divers types de «verglas». Eh bien, moi je vous le dis, Mesdames et Messieurs, le glas des Verts a bientôt sonné pour vous ! (Exclamations.) Ça, c'est une évidence !

Vous nous proposez de faire de l'épandage de sable. Eh bien, si l'on poursuit la politique que vous prônez, vous les Verts, à savoir de mettre du sable, nous finirons par planter des cocotiers et nous attendrons l'«Award de république bananière» ! En effet, entre la police, les Transports publics genevois et les mesures que vous préconisez, franchement, vous ne laissez plus beaucoup de choix au pauvre et malheureux citoyen genevois... (Exclamations.) ...qui souffre parce qu'il n'a plus d'emploi. Il y a trop de chômeurs ! Vous plébiscitez encore l'arrivée massive de frontaliers. Oui, peut-être faudrait-il aussi mettre du sel sur les réseaux routiers secondaires, ceux qui sont chers à notre viticulteur qui vient de prendre la parole; peut-être aurait-il alors le déclic pour fermer ces routes et canaliser nos invités quotidiens sur certains axes de passage.

Finalement, nous, nous sommes empreints de bon sens. Nous sommes conscients qu'il y a un problème au niveau écologique et nous plébisciterons le renvoi de ce texte en commission pour l'étudier plus en profondeur. Mais à tout le moins, Monsieur Lefort, nous ne sommes pas contradictoires avec notre politique. Merci.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Pascal Spuhler, à qui il reste vingt secondes.

M. Pascal Spuhler (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vais faire court, puisque nous avons parlé longuement du sujet il y a deux ou trois sessions - M. Tornare, mon collègue, s'en rappellera sûrement - suite à une motion UDC par rapport à la mélasse sur les routes.

Je voudrais vous préciser que l'OFROU - l'Office fédéral des routes - s'occupe... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...très exactement du problème du salage et effectue les tests nécessaires sur toutes les mesures pouvant remplacer le salage. En ce moment, une étude est menée à Spiez sur la mélasse en l'occurrence; nous attendons le rapport de l'Office fédéral des routes pour 2013.

Nous n'allons évidemment pas nous opposer à ce que vous étudiiez à nouveau l'ensemble et que l'on réinvente la roue, pourquoi pas. La Ville de Genève prend également des mesures extraordinaires pour la répartition du salage et l'épandage de celui-ci, avec des buses qui calculent le froid et la quantité nécessaire. Nous sommes de ce fait déjà en train de faire d'énormes travaux...

Le président. Monsieur le député, il vous faut conclure !

M. Pascal Spuhler. Vous créez simplement la nouvelle roue... Pourquoi pas ! Renvoyons cela en commission !

Mme Christina Meissner (UDC). La végétation riveraine des routes et des cours d'eau ainsi que les habitants de ces derniers souffrent et vous savez à quel point j'y suis sensible. L'UDC, aussi consciente de ces problèmes de sel en excès, avait proposé le sucre, option qui n'a pas plu aux Verts sans doute parce qu'ils attendaient plus de douceur mais ne supportaient pas qu'elle vienne de notre groupe, sucre trop brun probablement.

Cela étant, il est nécessaire d'examiner... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...cette motion de plus près. Il ne s'agit pas de légiférer, comme le prétend le PLR, ou de laisser faire, car de nombreuses communes accomplissent déjà des efforts, mais peut-être pas toutes et peut-être pas de manière suffisante. Il s'agit donc d'étudier les meilleures solutions et de les promouvoir. Sucre ou sel, de toute façon les débats en commission vous apporteront de quoi assaisonner les séances. En ce qui concerne l'UDC, nous proposons le renvoi de cette motion en commission.

Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. Christian Bavarel, à qui il reste deux minutes.

M. Christian Bavarel (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous avons eu droit à notre soirée «wikipedia.org». Et les Verts sont flattés; nous sommes flattés d'entendre M. Stauffer nous reconnaître comme étant les vrais adversaires du MCG, étant à l'opposé de leurs idées et ayant les préoccupations inverses aux leurs. Oui, Monsieur Stauffer et Mesdames et Messieurs du MCG, nous sommes vos adversaires, les vrais, merci de le reconnaître. C'est notre combat politique. Et notre électorat est extrêmement flatté de savoir que lorsqu'il vote pour nous, il opte pour l'inverse du MCG. Oui, nous continuerons à défendre des valeurs qui sont environnementales, d'ouverture aux autres, des valeurs républicaines et d'Etat de droit. C'est le combat que nous entendons mener et le fait que M. Stauffer essaie de mettre des mots dans notre bouche prouve bien que le réel danger face au MCG... (Remarque. Le président agite la cloche.) ...ce sont les Verts et nous en sommes fiers. (Commentaires. Applaudissements.)

Le président. Merci beaucoup, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Pierre Weiss, à qui il reste dix secondes...

M. Pierre Weiss (L). Monsieur le président, j'aimerais bien que Mme Meissner s'exprime sur le sens de «sucre brun». Elle qui a l'indignation très facile et qui donne des leçons de morale aux autres, il me semble qu'elle a eu là une parole malheureuse qu'il conviendrait d'éclaircir.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Roberto Broggini, à qui il reste cinquante secondes.

M. Roberto Broggini (Ve). Très rapidement, Monsieur le président, je rappellerai juste à cette assemblée que tous les véhicules qui circulent doivent être adaptés aux conditions routières. Ainsi, une personne roulant avec une voiture sans pneus d'hiver alors qu'il neige est punissable. Malheureusement, beaucoup de gens ignorent cette réglementation qui figure dans la loi sur la circulation routière. Or si on l'appliquait, certainement que l'on pourrait moins saler les routes. Je vous remercie donc d'être attentifs à l'application du droit supérieur, le droit fédéral.

Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, cette épineuse question qui relève d'un comportement citoyen raisonnable est celle de nombreux magistrats de communes, qui utilisent avec parcimonie le sel depuis plus de dix ans déjà, conscients des difficultés subies par l'environnement.

Cela étant, on a l'habitude de dire: «Deux juristes, trois avis». Pour ma part, j'ai envie de dire: «Deux chimistes, trois avis aussi». Je crois que dans cette affaire il importe de ne pas légiférer et ne pas laisser faire non plus. En l'occurrence, je vous propose de renvoyer la motion au Conseil d'Etat, qui pourra édicter un certain nombre de points frappés au coin du bon sens par voie réglementaire.

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous allons passer au vote sur le renvoi de cette motion à la commission de l'environnement et de l'agriculture.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2036 à la commission de l'environnement et de l'agriculture est adopté par 46 oui contre 15 non et 1 abstention.