République et canton de Genève

Grand Conseil

R 580
Proposition de résolution de Mmes et MM. Anne Emery-Torracinta, Loly Bolay, Elisabeth Chatelain, Roger Deneys, Alain Etienne, Pablo Garcia, Geneviève Guinand Maitre, Françoise Schenk-Gottret, Laurence Fehlmann Rielle, Virginie Keller, Lydia Schneider Hausser, Anne-Marie von Arx-Vernon, Thierry Charollais, Claude Marcet, Catherine Baud, Mathilde Captyn, Mario Cavaleri, Nelly Guichard, Pierre Losio, Anne Mahrer, Guy Mettan en faveur de M. Fahad K., jeune requérant d'asile irakien et principal protagoniste du film «La Forteresse»

Débat

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Etrange parlement qui avait refusé à l'époque, en mars 2009, la demande d'urgence lorsque la situation de Fahad... Excusez-moi, je l'appellerai Fahad et ne donnerai pas son nom pour des raisons de protection de la vie privée. Donc, étrange parlement qui avait refusé l'urgence au moment où la situation était justement urgente. Ainsi, Fahad a été renvoyé vers la Suède.

Je ne vais pas refaire tout l'historique, mais simplement vous donner quand même de ses nouvelles, parce que je pense que cela vous intéressera. Vous avez d'ailleurs peut-être lu la presse à ce propos, il y a quelques semaines. En ce qui concerne le cas de Fahad, eh bien sa demande a été rejetée par la Suède. Fahad est entré dans la clandestinité pour ne pas être renvoyé en Irak, il est revenu en Suisse où l'attendait sa fiancée, s'est marié fin 2010, a repris ses études d'ingénieur et travaille actuellement pour l'Etat de Vaud. J'allais dire que tout est bien qui finit bien, mais cela aurait pu être bien pire s'il avait été renvoyé vers l'Irak.

L'année dernière, nous avions pensé que cette résolution, un an et demi après, allait enfin passer devant le parlement. Nous avions proposé trois amendements, sur lesquels je vais revenir maintenant. L'un concerne les refoulements vers la Grèce. J'allais dire que notre demande était en quelque sorte prémonitoire, puisque l'Office fédéral des migrations a décidé en janvier de cette année de renoncer aux refoulements vers la Grèce, et qu'il y a quelques jours - vous avez peut-être vu l'article de la «Tribune de Genève» à ce propos - le Tribunal administratif fédéral a rendu un arrêt de principe dans lequel il considère que les renvois vers la Grèce ne sont pas possibles, parce qu'il n'y a pas respect des droits humains. Donc, par rapport à l'amendement dont le libellé était: «de renoncer dans l'immédiat à tout refoulement vers la Grèce»... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...je propose de le transformer en: «de continuer à renoncer à tout refoulement vers la Grèce».

Maintenant, concernant les deux amendements sur Dublin II, là aussi je crois que le groupe socialiste a été visionnaire dans sa manière d'appréhender les choses, parce qu'on sait que Dublin II dysfonctionne. En effet, vous savez que la plupart des réfugiés arrivent maintenant dans les pays du sud de l'Europe - on l'a vu récemment avec la Tunisie, avec l'arrivée d'un certain nombre de réfugiés vers l'Italie. Forcément, des pays comme l'Italie ou la Grèce, en première ligne dans l'afflux des réfugiés, mettent maintenant les pieds au mur en disant: «Il n'y a pas de raison que ce soit nous qui devions accepter l'ensemble de ces réfugiés.» Je crois qu'il y a une vraie réflexion à avoir sur le plan européen, au même titre que ce que nous faisons en Suisse, où l'on répartit au fond de manière démographique les réfugiés dans les cantons. Il y a peut-être une vraie réflexion à mener sur le plan européen par rapport à Dublin II.

Par conséquent, s'agissant de ces deux amendements, nous maintenons celui qui consiste à ne pas appliquer systématiquement Dublin II pour les personnes vulnérables, ce que permet le droit suisse, tout comme bien évidemment celui qui vise à soutenir toute réforme allant dans le sens d'un changement par rapport aux accords de Dublin II. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite donc à accepter les trois amendements formulés par le groupe socialiste, avec la petite modification que je vous ai proposée pour la Grèce.

Une dernière petite remarque. Vous aurez peut-être lu la presse de ce matin, et là aussi le groupe socialiste a été en quelque sorte visionnaire, puisque le chef de l'Office fédéral des migrations s'est fait remercier, notamment, semble-t-il - parce que la conseillère fédérale ne l'a pas dit explicitement - par rapport à son attitude dans les dossiers concernant l'Irak.

Mme Christiane Favre (L). Mesdames et Messieurs les députés, nous devons oublier aujourd'hui le contenu original de cette résolution pour voter un amendement général. Soit, mais cette résolution a quand même trôné pendant deux ans à l'ordre du jour, alors que logiquement elle aurait dû être retirée le lendemain de son dépôt. Je ne peux donc pas m'empêcher d'en dire deux mots.

Mesdames et Messieurs, je n'aimerais pas être celle ou celui qui décide d'accorder ou pas l'asile, tant il doit être difficile dans certains dossiers d'avoir des certitudes de nature à garantir la justesse et l'objectivité de ce choix, a fortiori dans un pays aussi petit que le nôtre, où le couperet doit parfois tomber pour des questions de capacité d'accueil. Ce sont des décisions difficiles et on peut probablement penser que, derrière bien des refus, il y a une histoire douloureuse qui n'a pas trouvé chez nous sa solution. Mais est-ce bien notre rôle de faire pencher la balance en faveur d'un cas particulier ? Personnellement, je ne le crois pas, même si je peux comprendre que dans l'émotion, à la rigueur, certains soient tentés de déposer une résolution pour contrer une décision qui leur paraît particulièrement injuste, douloureuse et peut-être dramatique. Ce que j'ai de la peine à considérer, en revanche, c'est qu'une décision soit plus dramatique, plus douloureuse, plus injuste que les autres parce qu'elle concerne le principal protagoniste d'un film. Demander au Conseil fédéral de faire une exception en s'appuyant avec force sur cet argument médiatique, c'est à mon sens commettre une injustice de plus.

La deuxième mouture de cette résolution, soit l'amendement général, me pose un autre type de problème. Il y a d'abord le choix du lieu pour ce genre de discussion. L'actualité fait que la loi sur l'asile et les accords de Dublin font débat en ce moment à Berne, alors laissons le débat se faire là où il doit avoir lieu. Il y a ensuite cette idée de demander à la Confédération de renoncer à tout refoulement vers la Grèce - vous m'apprenez du reste qu'une décision vient d'être prise. J'ai un peu peur que nous ayons donné en l'espèce un mode d'emploi clignotant à tous les futurs requérants, qu'ils soient reconnus vulnérables ou qu'ils ne le soient pas. Et je peux vous assurer que le message sera rapidement diffusé et terriblement efficace: «Si vous voulez rester en Suisse, entrez par la Grèce.» Le moins que l'on puisse dire, alors que le débat sur les migrations est aussi sensible dans notre pays, c'est que ce n'est pas le moment. Pour toutes ces raisons, les groupes libéral et radical refuseront l'entrée en matière sur l'amendement et sur la résolution. (Applaudissements.)

M. Pascal Spuhler (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, que dire après ma préopinante ? Je crois qu'elle a à peu près mentionné tout ce qu'il fallait sur cette résolution, qui franchement aurait dû effectivement être retirée suite au départ de M. Fahad en Suède, puisque celle-ci n'a plus de raison d'être.

Par conséquent, il est évident que le Mouvement Citoyens Genevois ne soutiendra pas cette résolution ni son amendement général. Il est clair que cette résolution n'a plus de raison d'être et qu'il aurait fallu la retirer.

Mme Catherine Baud (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, effectivement le cas particulier de M. Fahad - cas maintenant heureusement terminé, puisqu'il a épousé une Suissesse à Lausanne en début d'année - a permis de mettre en lumière, d'ailleurs grâce au film de M. Fernand Melgar, les incohérences et les limites des accords de Dublin II sur les procédures d'asile et de renvoi. Toutefois, malgré cette médiatisation, pendant plus de deux ans M. Fahad s'est constamment retrouvé dans la situation d'être ballotté entre la Suisse et la Suède, toujours avec le risque de devoir rentrer en Irak.

Effectivement, les invites de 2009 sont obsolètes aujourd'hui. Elles ne sont plus d'actualité dans ce cas d'espèce, mais l'amendement présenté par les socialistes et la petite modification qui s'ensuit pour le rendre encore un peu plus d'actualité sont tout à fait judicieux, parce qu'il faut poser le problème d'une manière globale; il faut que les Etats européens membres des accords de Dublin II réfléchissent à une politique cohérente en matière d'asile et de migration. Et nous ne pouvons que soutenir ces réflexions, ces études, en espérant trouver une solution. En conséquence, nous vous recommandons de soutenir cet amendement général tel qu'il a été proposé. Je vous remercie.

M. Patrick Lussi (UDC). Ecoutez, beaucoup de choses ont été dites et bien dites, notamment par ma préopinante libérale. Je ne reviendrai pas sur ces points.

Permettez-moi peut-être de relever deux détails piquants. Le premier est que j'apprends aujourd'hui qu'on ne peut plus refouler vers la Grèce, mais, que je sache, ce pays n'a pas encore été exclu de l'Union européenne. Alors, de la part d'un parti qui veut absolument, je dirais, nous propulser dans l'Union européenne, j'aimerais simplement... Je pense, Madame - et je ne vous ferai pas l'insulte de vous dire que vous ne regardez pas l'actualité - que la situation économique, pas seulement en Grèce, devient catastrophique. Ce qui veut bien dire que si l'on suit votre raisonnement et cette résolution, bientôt nous devrons accueillir dans notre pays ou nous ne pourrons refouler aucun ressortissant de l'Union européenne, car il est vrai qu'ils seront dans des situations catastrophiques.

Quant au reste, permettez-nous, à l'Union démocratique du centre, d'être toujours un peu sceptiques ! Surtout lorsque, comme tout à l'heure, j'ai entendu de graves remontrances, disant que nous allions contre la séparation des pouvoirs. Madame et Messieurs des bancs de gauche, la séparation des pouvoirs est quelque chose que nous maintenons. Simplement, nous pensons que le législatif est là pour modifier des lois quand l'application ne va pas, mais n'est pas là pour influer ou pour essayer de modifier une décision d'un organisme qui, malgré tout, a souvent plus de gens de votre bord que du nôtre et qui prend une décision. Donc, face à cela, le groupe UDC vous demande de rejeter la résolution et son amendement.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, je mets aux voix en bloc l'amendement proposé par Mme la députée Emery-Torracinta, qui consiste à supprimer les trois invites et à les remplacer par: «d'appliquer systématiquement pour les personnes vulnérables comme pour celles dont un renvoi pourrait menacer la vie ou l'intégrité corporelle la clause prévue par l'article 3 du chapitre 2 du règlement de Dublin II permettant à la Suisse d'examiner la demande d'asile; de continuer à renoncer à tout refoulement vers la Grèce; de soutenir toute réforme du règlement de Dublin II allant dans le sens d'une meilleure protection juridique des requérants d'asile».

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 47 non contre 34 oui et 1 abstention.

Le président. Madame la députée, étant donné que cet amendement est refusé, vous maintenez le renvoi au Conseil d'Etat pour suite ?

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Non, je crois que ce n'est pas nécessaire, Monsieur le président.

Le président. Donc vous retirez la résolution ?

Mme Anne Emery-Torracinta. Oui.

Le président. Bien. Alors nous prenons acte que, étant donné le refus de l'amendement, cette résolution est retirée.

La proposition de résolution 580 est retirée par ses auteurs.

Le président. Comme vous l'a annoncé M. le député Frédéric Hohl, le point suivant, soit le point 39, est également retiré de l'ordre du jour. Nous passons donc à la proposition de résolution 587.