République et canton de Genève

Grand Conseil

R 648
Proposition de résolution de Mme et MM. Patrick Saudan, Bertrand Buchs, Vincent Maitre, Michel Ducret, Olivier Norer, Mauro Poggia, Charles Selleger, Pierre Conne, Jacqueline Roiz du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonal à propos de la modification de la législation fédérale sur les denrées alimentaires (affichage de la valeur énergétique dans le secteur de la restauration rapide)

Débat

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, le premier signataire de cette résolution est M. le député Patrick Saudan, à qui je donne la parole.

M. Patrick Saudan (R). Merci, Monsieur le président. Nous avons beaucoup parlé de l'augmentation des coûts de la santé; ceux-ci augmentent parce que notre population vieillit, parce que l'offre médicale, du point de vue technologique, s'accroît, mais aussi, malheureusement, parce que notre population grossit. Et il faut réaliser que, plus que la fumée active, plus que les maladies infectieuses, plus que la toxicomanie, l'obésité est devenue le plus gros problème de santé publique auquel sont confrontés les pays occidentaux.

Je ne vais pas vous abreuver de statistiques de santé publique. Un seul chiffre: les coûts liés au traitement des maladies provoquées par l'obésité, à Genève, en 2005, se situent entre 400 et 500 millions de francs. Juste pour vous mettre les choses en perspective...

Nous devons donc réagir ! Je ne veux pas en faire une croisade personnelle, mais, dans ma pratique hospitalière, je suis confronté, en bout de chaîne, à ces malades, et je ne peux - c'est vrai - que constater les conséquences dramatiques de l'obésité sur leur état de santé. Il n'y a pas de pilule miracle, il faut absolument prendre une série de mesures pour arriver à inverser cette tendance. Et, parmi les mesures prises dans le domaine alimentaire, une mesure est appliquée à New York depuis 2008. Elle est assez intéressante, car elle fait appel au libre arbitre du citoyen consommateur lorsqu'il consume... lorsqu'il consomme... - pardon pour ce lapsus très révélateur ! (Commentaires.) ...de la restauration rapide, type d'alimentation qui est malheureusement de plus en plus répandue chez nos jeunes. Cette mesure est toute simple: elle consiste à afficher clairement à proximité du prix la valeur énergétique en kilocalories des consommations, afin que chacun puisse décider en toute connaissance de cause s'il va acheter ou non ce type d'alimentation.

Qu'en est-il à Genève ? Vous pourriez me rétorquer qu'à Genève c'est déjà fait... Certes, une chaîne de restauration rapide très connue - que je ne citerai pas - applique cette politique, mais je tiens à vous expliquer comment elle procède. Au recto des sets de table, il est marqué: «Les informations nutritionnelle figurent au verso». Si vous voulez connaître la teneur d'un big «quelque chose» et d'un paquet de frites, vous allez au verso, dans le coin, et vous consultez les colonnes où sont indiquées ces informations. C'est là que vous vous rendez compte que vous avez ingéré 1000 kilocalories rien qu'avec ces deux produits !

Il est clair que cette mesure ne va pas révolutionner le traitement de la surcharge pondérale, mais elle peut être utile. Le problème c'est qu'elle implique un changement de la législation fédérale: c'est pourquoi nous agissons par voie de résolution. Je pense qu'elle peut tout à fait être renvoyée à la commission de la santé pour y être peaufinée.

C'est la raison pour laquelle le groupe radical vous demande de la renvoyer à la commission de la santé.

Présidence de M. Renaud Gautier, président

M. Eric Leyvraz (UDC). Cette résolution part d'un bon sentiment, mais l'objectif semble discriminatoire. On pourrait croire que la restauration rapide est la cause de tous les maux de notre société - l'obésité, ses maladies - et qu'elle est la source de nos problèmes. Si c'était le cas, il serait beaucoup plus simple de fermer ces restaurants !

Le mode de vie général - l'abus de l'utilisation de moyens de transport passifs et de médias électroniques - explique et amplifie les dérives de notre société moderne qui ne fait plus assez d'exercice et qui montre peu de goût pour l'effort physique.

Cette résolution attaque de façon unilatérale un type de restauration. Je doute que dans notre pays, où l'offre est variée et n'a rien à voir avec celle des USA, la mesure proposée soit intéressante. Il n'est pas si simple d'évaluer combien de calories se trouvent dans certains aliments, et les gens ne vont pas faire le calcul sur la quantité consommée. Les produits de grande surface portent souvent des indications en la matière, mais ce sont des produits conditionnés et l'effet sur la population est parfaitement nul.

Il serait beaucoup plus judicieux de discuter avec les chaînes concernées, qui, il faut quand même le reconnaître, ont fait de gros efforts dans le bon sens. Alors arrêtons de tout vouloir réglementer de façon exagérée ! Mettons plutôt l'accent sur l'éducation des jeunes en leur donnant le goût de la bonne nourriture ! C'est pourquoi il faut refuser cette résolution.

M. Frédéric Hohl. Le vin ! (Rires.)

M. Olivier Norer (Ve). Le groupe des Verts accueille bien entendu cette proposition de résolution avec un grand intérêt. Nous avons toujours soutenu, aux niveaux régional et national, l'application d'étiquettes énergie, notamment sur la consommation électrique des appareils ménagers; cela a effectivement permis, sur le long terme, de diminuer fortement la consommation électrique de ces appareils. On a pu le constater et quantifier ce qu'il était possible de faire. On a réussi à le faire, ce qui a permis au consommateur d'acheter en conséquence. Maintenant, le consommateur peut choisir l'étiquette A, A++, et la consommation de son frigo diminue.

De la même manière, l'étiquetage d'une consommation rapide dans un fast-food est tout à fait possible. Cela aidera à déterminer quel type de restauration est bonne ou pas pour la santé, si elle est saine, quelle est sa valeur calorique. Forcément, certaines restaurations se retrouveront en bas de la liste, et d'autres, en haut. En tout cas, les consommateurs pourront se faire une meilleure idée de ce qu'ils mangent. C'est tout à fait réaliste et possible.

Il est toutefois intéressant de lancer le sujet en commission de la santé, pour avoir des auditions complémentaires. Les offices fédéraux qui ont créé les étiquettes énergie pour différents produits - dont, comme je l'ai déjà dit, les appareils ménagers, mais, également, les voitures - pourront peut-être apporter des éléments.

M. Bertrand Buchs (PDC). Le problème de l'obésité, il ne faut pas le nier, est une vraie épidémie, et il faut la traiter comme telle: il faut se battre contre l'obésité et entreprendre tout ce qui est possible. La première des choses, c'est la façon de se nourrir. Il est donc essentiel que nous discutions de la valeur calorique des aliments que nous consommons. C'est un élément de base, pourtant la plupart des personnes n'ont aucune idée de ce qu'elles ingèrent, car elles ne savent même pas ce qu'est une calorie. A ce propos, je vous livre une petite anecdote: l'une de mes patientes ne comprenait pas pourquoi elle prenait du poids... Elle buvait chaque jour trois à quatre litres d'une boisson gazeuse américaine.

Il me semble donc tout à fait important de traiter de ce sujet en commission de la santé, cela nous donnera l'occasion d'examiner la question de l'affichage. Car il est possible d'avoir un affichage ludique et compréhensible, permettant aux gens de choisir leur menu en toute connaissance de cause lorsqu'ils consomment des produits de restauration rapide.

Une voix. Excellent !

M. Mauro Poggia (MCG). Dans tous les domaines, l'information est la prémisse de l'exercice de la liberté. Je dis bien: dans tous les domaines ! Il ne s'agit pas ici de comparer le consommateur de restauration rapide avec une machine à laver, mais c'est vrai qu'à la base le même souci se présente: celui d'informer, pour permettre de prendre une décision conforme à celle que l'on croit bonne au moment où on la prend.

Nous le savons, ces restaurants rapides sont souvent décriés, même s'il est vrai que des améliorations notables ont été apportées dans ce domaine - et nous les saluons - la malbouffe. Malbouffe qui est souvent servie aux personnes les plus modestes de notre population, peut-être les plus sujettes à l'obésité.

L'obésité est un vrai problème. On parlait tout à l'heure de santé, de coûts de la santé... Eh bien, nous le savons, l'alimentation a un impact direct sur la santé, il est donc important que l'on sache ce que l'on mange, et tout particulièrement dans ce type de restaurants. Bien entendu, il faut que les mesures prises soient proportionnelles aux résultats que l'on veut atteindre, parce que l'on ne peut pas exiger de tous les restaurants qu'ils fassent ce type de calculs. Mais dans la restauration rapide, où les menus sont, si j'ose dire, reproductifs, ce ne serait pas un très gros travail que d'afficher la valeur calorifique des repas. Je crois qu'on dit «calorique», pas «calorifique». Excusez-moi !

Nous considérons donc que cette proposition doit être soutenue, mais nous ne pensons pas, devant l'évidence du bienfait qu'elle peut apporter, devoir la renvoyer devant une commission. Nous estimons qu'elle peut être adressée telle quelle au Conseil d'Etat, afin qu'il interpelle l'Assemblée fédérale. Nous sommes certains qu'à Berne d'autres personnes de bon sens soutiendront cette résolution, comme nous le ferons tout à l'heure.

Mme Aurélie Gavillet (S). Ce texte part assurément d'une bonne intention, aussi le groupe socialiste le soutiendra-t-il.

J'aimerais simplement rappeler ici que la seule indication de la valeur énergétique, et cela uniquement dans le secteur de la restauration rapide, ne suffira pas à mener une véritable politique de santé publique. L'action de l'Etat doit plutôt s'inscrire dans un contexte global: il faut à la fois lutter contre les mauvaises habitudes alimentaires et promouvoir le sport et les repas de qualité, en particulier dans les écoles, pour les enfants et les jeunes. Le Conseil d'Etat doit le faire ! (L'oratrice est interpellée.) Il le fait effectivement, et nous le soutenons - les apprentis du CEC André-Chavanne, qui sont aujourd'hui à la tribune, ont pu déjeuner à la cafétéria Fourchette verte de leur établissement - cela fait...

M. Gabriel Barrillier. C'était bon ?

Mme Aurélie Gavillet. ...partie des tâches de notre canton, et nous trouvons que c'est très bien.

C'est dans cette mesure, Mesdames et Messieurs les députés, que la résolution qui nous est présentée aujourd'hui nous semble manquer d'une vision globale, pour se concentrer sur un aspect très particulier du problème. Mais comme elle semble partir d'une bonne intention, le groupe socialiste ne se sent pas le coeur de la refuser... (Exclamations. Le président agite la cloche.) ...et soutiendra un éventuel renvoi de cette résolution en commission.

Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le député Patrick Lussi, à qui il reste une minute.

M. Patrick Lussi (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe UDC s'inquiète ! En effet, vous nous traitez d'extrémistes, vous nous traitez de toutes sortes de choses, mais, en définitive, que voit-on ? Après l'alcool, après la fumée, voilà maintenant que vous vous attaquez à la bouffe ! Mais alors, quel plaisir reste-t-il ? (Rires.) En entendant mon préopinant Vert... (Commentaires.) ...dire que l'affichage de la consommation d'énergie a été une bonne chose en ce qui concerne les ampoules, je pense qu'il oublie une chose: la bouffe, c'est aussi une partie de plaisir !

Alors permettez-moi une petite boutade - et j'attends votre prochaine intervention... J'ai lu dernièrement qu'à chaque fois qu'un homme fait l'amour cela équivaut à courir un cent mètres... (Rires.) Vu mon âge, ma pratique annuelle devient dangereuse ! (Commentaires. Le président agite la cloche.)

J'attends un projet de loi, afin que l'on légifère dans ce domaine ! Je vous invite à refuser cette résolution. (Commentaires. Rires.)

Le président. Merci, Monsieur le député. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) La parole est à M. le conseiller d'Etat Pierre-François Unger, pour trois minutes.

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, il est vrai que l'information est la mère de la liberté et qu'à ce titre nous devrions en savoir plus... Quoi qu'il en soit, cette résolution, même si elle est destinée à l'Assemblée fédérale et que, de ce fait, nous n'aurions pas à en assurer la gestion, pose quand même d'innombrables problèmes.

En effet, que veut-on exactement ? Ce que l'on veut ne concerne pas seulement le fast-food: de manière générale, il faut un étiquetage ! Celui-ci devra-t-il se faire pour les régimes de bananes, les olives, le saucisson ? Et pourtant les gens en mangent beaucoup !

En réalité, cela n'a aucun sens de cibler particulièrement tel ou tel type de nutrition. Le seul moyen, c'est d'apprendre à connaître un tant soit peu la valeur nutritionnelle de ce que l'on mange, et cela fait partie du programme de l'école. Nous collaborons d'ailleurs beaucoup avec le service concerné, avec le médecin, M. Lormand - je crois qu'il vient de changer de nom; pas Lormand, le service, c'est pour cela que le nom ne me revient pas - et on a pu démontrer que les actions menées, une vingtaine depuis quatre ans, avaient permis de stabiliser l'index de masse corporelle des enfants entre 7 et 17 ans. On y arrive donc ! Ce n'est en tout cas pas le simple étiquetage de telle ou telle nourriture, au détriment de telle ou telle autre, qui va fondamentalement améliorer les choses: cela ne nous paraît pas inutile, mais compliqué !

De plus, entre la traçabilité, la présence d'OGM ou pas, le ceci, le cela, les renseignements sur les denrées alimentaires, qui sont censés nous informer, sont tellement illisibles qu'ils sont plus une source de désinformation qu'autre chose. Je ne vois donc pas ce que cela apporte réellement aux gens, à part qu'on se donne bonne conscience en fournissant un nombre incroyable de renseignements ! On sait par exemple que les besoins énergétiques varient beaucoup en fonction de l'âge, de l'activité sportive... Que vaut donc un renseignement, s'il n'est pas mis dans un contexte ?

Bref, je pense qu'il est préférable que nous discutions en commission de tous ces éléments, avant que d'adresser ce chaleureux message aux Chambres fédérales.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes en procédure de vote. Dans un premier temps, comme cela a été demandé, je vous soumets le renvoi de cette résolution à la commission de la santé.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 648 à la commission de la santé est adopté par 65 oui contre 5 non.