République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9592-B
Rapport de la Commission de l'enseignement, de l'éducation et de la culture chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Christian Brunier, Claude Marcet, Alberto Velasco, Marie-Paule Blanchard-Quéloz, Thomas Büchi, Alain Charbonnier, Antoine Droin, Gabriel Barrillier, Jacques-Eric Richard, André Reymond, Pierre Guerini, Gilbert Catelain, Marilou Thorel, Georges Lettelier, Louis Serex, Pierre Schifferli, Souhail Mouhanna, Guy Mettan, Nelly Guichard, Jeannine de Haller, Salika Wenger et Pierre-Louis Portier de promotion de la langue française au sein du service public genevois

Suite du troisième débat

Le président. Nous reprenons le point 33 de notre ordre du jour. Je demande aux rapporteurs de majorité et de première et deuxième minorités de bien vouloir reprendre place autour de la table. Dans l'intervalle, je donne la parole à M. Weiss.

M. Pierre Weiss (L). Mesdames et Messieurs les députés, dans le fond, nous reprenons quelque chose cinq ans plus tard et, malheureusement, la commission de l'enseignement ne s'était même pas rendu compte que nous étions déjà entrés en matière sur ce sujet. C'est dire le sérieux avec lequel elle a étudié ce projet de loi ! Elle l'a même voté !

Nous étudions ce soir un projet de loi dont on a dit à l'époque qu'il n'était pas sérieux. Il n'est pas sérieux parce qu'il mélange les compétences des uns et des autres: il parle du canton et des communes comme si l'Etat pouvait imposer sa volonté aux communes; il parle de l'Université et du pouvoir judiciaire, ignorant même ce qui se passe pour l'un ou pour l'autre. Ce projet est superflu, il est incomplet et il oublie les HES, s'il veut parler des universités. Il est incohérent, parce qu'il ne se rend pas compte que - il ne le sait probablement pas - bon nombre de thèses en faculté des sciences et de médecine sont écrites en anglais... Il oublie la dynamique des langues, avais-je écrit dans le rapport de majorité de l'époque, parce que jadis si le français empruntait à l'italien, après avoir emprunté au latin et au grec, eh bien, aujourd'hui il emprunte à l'anglais, et, demain, je ne sais à quelle autre langue...

Une voix. Au chinois !

M. Pierre Weiss. Ce qui est certain, c'est qu'il y a une dynamique des langues. Mais il y a ici une démarche protectionniste, probablement qui traduit un certain complexe d'infériorité que je ne peux que regretter.

Cela étant, certains pourraient imaginer un renvoi de ce projet de loi - parce que la commission a travaillé de façon superficielle - dans la même commission ou, pourquoi pas, dans celle des droits de l'Homme. Toutefois, ce renvoi serait superflu, parce que ce projet de loi est mauvais et qu'il serait simple de l'amender ici, si nous allons jusque-là dans nos débats. Avec mon collègue Saudan, nous avons d'ailleurs déposé une proposition d'amendement pour limiter les méfaits de ce projet de loi.

Au fond, ce projet de loi a une volonté de rétablir une orthoglossie, mais sans dire de quelle orthoglossie il s'agit, c'est-à-dire quelle est la langue correcte. Est-ce la langue de l'Académie ? Est-ce justement celle à laquelle Jean-Michel Gros et moi sommes tant attachés et qui définit la Chancelière comme étant un petit récipient, et non pas ce que le dictionnaire du français jurassien, éventuellement genevois, appelle la chancelière «épicène» ? Est-ce, au contraire, le «Larousse» ? Le «Littré» ? Le «Robert» ? Ou les «Robert» - le «Petit» ou le «Grand Robert»... (Rires.) Le «Petit Robert» et le «Grand Robert». Il y a donc là, évidemment, Mesdames et Messieurs les députés, une focalisation sur ce qui est le plus important, et cette orthoglossie n'est pas encore assurée.

Cela étant, Mesdames et Messieurs les députés - et je vois que vous m'entendez bien, sans que j'aie besoin de traduire cela par des signes - il est aussi intéressant de lire les rapports de minorités. Je ne parle pas de l'excellent rapport de majorité, auquel j'adhère complètement. J'y adhère d'autant plus, Madame la députée Baud, que j'ai crainte ce soir que vous vous retrouviez, en fin de débat sur ce projet de loi, dans la situation qui avait été la mienne il y a cinq ans, à savoir celle d'être en situation minoritaire. Je veux parler des rapports de minorités, et notamment du deuxième rapport de minorité. Je crois qu'il est intéressant de se pencher sur les incantations identitaires qui en forment la trame et la substance. Dans ces incantations identitaires, on trouve en particulier une référence à Céline. La référence à Céline, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, en termes d'identité, n'est pas innocente. Pourquoi Céline, et pas... au hasard... Camus ?

M. Manuel Tornare. Aragon !

M. Pierre Weiss. Ou Aragon ! Non: Céline ! Céline, l'auteur, par exemple, d'un pamphlet qui s'appelait «Les beaux draps». Dans ce pamphlet, que fait Céline ? Il s'exprime contre le métissage. A l'époque, ce n'était pas nécessairement au métissage des langues qu'il se référait ! Non, c'était au métissage qui poussait les femmes françaises - qu'il vomissait - à se rapprocher, par exemple, «des nègres», comme il les appelait, et d'autres «populaces» dont je ne rappellerai ni l'origine pseudo-ethnique ni la religion ! Non, il y a là évidemment, Monsieur le président, dans cette référence à Céline, quelque chose qui est d'une couleur que je n'aime pas beaucoup ! Qui est probablement brune - quand elle n'est pas noire - et qui, en tout cas, est très sombre, qui nous rappelle une histoire.

Alors évidemment, sous couvert d'attaques de l'Amérique et du dollar, on en oublie aussi que l'anglais, c'est Shakespeare, c'est Agatha Christie, c'est aussi Salman Rushdie ! C'est-à-dire que c'est une langue extrêmement riche, une langue, d'ailleurs, au passage, beaucoup plus riche en vocabulaire que le français, puisqu'elle est constituée de deux vocabulaires: l'un, qui est d'origine germanique, et l'autre, qui est d'origine française, normande. Donc, en on oublie tout cela, on en oublie tout cela pour parler de la capitulation des élites.

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.

M. Pierre Weiss. Je vais conclure. Cette capitulation des élites aussi fait penser à celui qui, lorsque la guerre arrivait à son terme, est parti d'abord vers Sigmaringen, avec d'autres, et puis, ensuite, a fui vers le au Danemark pour éviter de faire face à ses responsabilités.

Le président. Il vous faut tout à fait conclure !

M. Pierre Weiss. Je crois que certains, quand ils choisissent des références, font un bien mauvais usage du français: ils feraient mieux de ne pas écrire, parce que, quand ils sont lus, ils sont condamnés !

M. Patrick Saudan (R). Mesdames et Messieurs les députés, je suis un des deux députés radicaux qui n'a pas voté l'entrée en matière de ce projet de loi quand il est passé en commission de l'enseignement. C'était quand même une décision difficile, parce que je dois vous avouer une certaine compréhension pour les motivations des auteurs de ce projet de loi. C'est la raison pour laquelle le parti radical a décidé d'accorder la liberté de vote aux députés de son groupe, car c'est un sujet très passionnel, et vous entendrez tout à l'heure mon collègue, M. Barrillier, défendre un point de vue opposé au mien.

C'est vrai que le rapport à la langue française est très passionnel, il y a une dimension identitaire que personne ne peut nier. Il y a aussi, comme l'a mentionné mon préopinant, un soupçon de nostalgie pour une période où le français était la langue diplomatique internationale. J'ai de la sympathie pour les arguments de M. Gilet...

Des voix. «Gillet» !

M. Patrick Saudan. De «M. Gillet», excusez-moi ! Mais je dois... (Commentaires. Rires.) Ok ! Please, settle down ! Mais je dois également me distancer très clairement des propos de M. Rappaz sur l'Amérique du dollar, sur les valets de l'hégémonie anglo-américaine, et j'aimerais, Monsieur le président, que vous rappeliez à M. Rappaz que ces mêmes valets ont envoyé à deux reprises, au XXe siècle, leurs «boys» défendre les démocraties européennes. Et c'est également l'une des raisons pour lesquelles la langue anglaise a un succès important en Europe.

Alors, pourquoi me suis-je opposé à ce projet de loi ? Premièrement, les articles 2, 3 et 4 sont beaucoup - beaucoup ! - trop rigides. Beaucoup trop rigides pour l'Université, mais ils le sont aussi beaucoup trop pour la première entreprise publique de ce canton: les Hôpitaux universitaires de Genève. Parce que, malheureusement, l'adage qui prévaut dans le monde médical, excusez-moi d'employer de l'anglais, c'est: «English or perish», pour la médecine !

Deuxièmement, si ce projet de loi était accepté, Genève vivrait dans un paradoxe un peu dérangeant, celui d'avoir adopté une loi quasi équivalente à la loi 101 du Québec, laquelle est une loi réactive envers l'intrusion de l'anglais, alors que Genève se vante d'être une ville internationale, ce qui implique une langue de truchement. Or cette langue est malheureusement l'anglais !

J'avais lu avec intérêt les propos du président du Grand Conseil, en 2006, qui, dans l'hémicycle, avait expliqué que, non, la Genève internationale serait heureuse de cette loi, car elle bénéficierait aux personnes non anglophones qui travaillent à Genève dans ce secteur. Mais force est de constater que dans toutes les réunions internationales l'anglais est ultraprédominant.

Troisièmement, je rejoins totalement la rapporteuse de majorité, qui, dans son rapport, mentionne que ce problème concerne bien plus la société civile que l'administration publique.

En conclusion, oui à la défense du français ! Oui aussi à l'inscription, dans la constitution, d'un statut de la langue française, c'est une bonne idée ! Mais non à une loi qui, au mieux, serait inefficace et, au pire, serait nuisible pour Genève.

Si nous voulons consacrer des moyens pour défendre le français, consacrons-les plutôt à consolider l'enseignement du français dans les pays africains francophones, parce que l'avenir du français se jouera là-bas. Et c'est le nombre de locuteurs francophones à la fin du XXIe siècle qui sera déterminant, plus que n'importe quelle autre disposition législative. C'est pourquoi, personnellement, je refuserai ce projet de loi.

M. Antoine Bertschy (UDC). Tout d'abord, je ne relèverai pas le complexe de supériorité que fait le président de la commission de l'enseignement supérieur vis-à-vis de la commission de l'enseignement tout court. Excusez ce qui s'est passé dans notre commission, mais même s'il y a peut-être eu un petit vice de procédure, je crois que nos débats ont quand même été intéressants et se sont déroulés comme il le fallait !

Pour en revenir à ce projet de loi, Monsieur le président, une audition, celle du chef du département, nous a semblé être la plus intéressante. Mais je crois que ce projet de loi oublie une chose, c'est que Genève est avant tout une ville internationale. Alors, on peut faire fi de tout, mais la Genève internationale, c'est 45 000 personnes dont 35 000 travailleurs. On peut les oublier, on peut faire comme si cela n'existait pas, mais, malheureusement, dans les communications que doivent faire l'Etat de Genève, les communes et les autres entités visées par ce projet de loi, il y a forcément des moments où il faut communiquer dans d'autres langues que le français.

Nous avons aussi été saisis d'un amendement qui propose de limiter l'article 2 de ce projet de loi. Je pense que cet amendement se trompe de cible. Le problème n'est pas dans l'article 2, mais à l'article 3. Je vous le lis: «Toutes les communications émanant des institutions à l'article 2 doivent utiliser des terminologies uniquement françaises». J'insiste sur ce «uniquement»: comment voulez-vous communiquer avec la Genève internationale, soit le dixième de la population genevoise si vous utilisez uniquement le français ? Ce n'est tout simplement pas possible ! On ne peut pas communiquer uniquement en français lorsqu'on est une ville internationale, reconnue comme telle.

Je voudrais aussi revenir sur ce qui a été dit par le second rapporteur de minorité. Là, à mon sens, il y a un vrai problème. D'ailleurs, je rappelle juste que cette personne se fait appeler «Sir Henry» sur la toile ! Ce n'est pas «Monseigneur Henry», c'est «Sir Henry» ! (Rires.) Il aurait pu utiliser le titre de comte, de prince ou d'autre chose. Non, il utilise «Sir Henry» et, après, il vient nous faire des leçons de morale ici, dans cette assemblée, pour nous dire qu'il faut utiliser des bonnes locutions françaises ! Monsieur le rapporteur, balayez devant votre porte, avant de venir nous donner des leçons de morale !

Tout votre rapport est à côté de la plaque ! Le projet de loi demande à ce que l'administration utilise le français. Or, tout votre rapport porte sur le secteur privé ! Evidemment, nous sommes désolés que la Poste utilise des anglicismes ! Nous regrettons que certaines entreprises utilisent des anglicismes, mais tout cela relève du domaine privé ! Là, le projet de loi parle du domaine public ! Et le conseiller d'Etat nous a expliqué que ce projet poserait problème, que ce soit au niveau de l'Université ou dans les relations avec certaines organisations. Ce n'est pas possible, et ce projet de loi va beaucoup trop loin.

C'est la raison pour laquelle l'UDC votera l'amendement, s'il est maintenu, pour limiter la portée du projet de loi, mais il refusera le projet de loi. (Applaudissements.)

M. Manuel Tornare (S). Mesdames et Messieurs les députés, la langue, les langues maternelles sont comme toutes les constructions humaines. Je suis d'accord avec vous, elles ont besoin de règles, de rigueur, pour pouvoir s'élever, pour pouvoir évoluer sur des fondations. Richelieu l'avait bien compris puisqu'il avait demandé à Vaugelas, le grammairien, d'établir les règles très strictes de la langue française. Il ne faut pas non plus oublier, je le dis pour le MCG, que Jean Calvin fut aussi un très grand écrivain qui fixa une partie de la langue française, comme Théodore de Bèze, qui était un homme de théâtre avant d'être théologien.

Toutefois, quand on devient les thuriféraires, les grands prêtres, les intégristes de la langue, de la langue de Molière, on devient comme Vadius et Trissotin dans «les Femmes savantes», c'est-à-dire des «précieux ridicules» ! Et l'on empêche la langue d'évoluer. Ce n'est pas ce que nous voulons.

Je pense que, comme toute construction humaine, encore une fois, une langue est vivante et ne doit pas être figée ! La langue doit s'infiltrer dans les interstices des générations... (Rires. Applaudissements. Commentaires.) Oui ! Oui, Monsieur Gros, je continue: les interstices des banlieues aussi ! Vous avez l'esprit mal tourné, Monsieur Gros, chacun le sait dans vos campagnes ! (Rires.) Vous vous souvenez, l'année passée, pour les promotions citoyennes, nous avions invité Grand Corps Malade; c'est un grand poète, qui utilise aussi un «métissage», cher Monsieur, pour reprendre les mots de Pierre Weiss et de Céline ! Le métissage des cultures, c'est aussi ce qui fait la richesse du français.

La langue doit être mutine, la langue doit aussi vivre d'emprunts - chaque semaine, vous assistez à des caucus: on croit toujours que «caucus» est un mot latin, or c'est un mot indien, d'Amérique du nord ! C'est véritablement cela que nous devons viser ! Et le jour où la langue n'est plus portée par des élans aussi vitaux, elle devient comme le latin ou le grec ancien, une langue morte ! Certes, à Ecône, on peut encore trouver une certaine vivacité à ces langues !

Quelqu'un a parlé de l'encouragement aux études. La seule manière de soutenir le français, la langue française, c'est de donner plus pour la culture, de donner davantage pour l'éducation, de faire en sorte que les énergies au niveau des productions artistiques, ici et ailleurs, soient développées.

Et la langue intègre aussi des régionalismes, depuis quelques années, depuis à peu près cinquante ans. Souvenez-vous qu'à Paris il fut un temps où l'on n'acceptait pas le champ lexical de Ramuz ou de Chessex... Eh bien, on a intégré ces régionalismes depuis très longtemps, et c'est aussi ce qui fait la force du français, comme au Québec et en Afrique noire. Non, une langue qui se replie sur soi, qui a peur de l'autre aussi, fait qu'on tombe dans l'académisme et dans une sorte de protectionnisme ! Le français n'en a rien à foutre - pour parler français - de la politisation que l'on a évoquée tout à l'heure ! Ça, c'est vraiment la mort du français ! Quand on parle de ce métissage, n'oublions pas que 30% des mots de la langue anglaise ont pour origine des mots français - vous le savez ! - et cela fait aussi la force du français.

Je terminerai par les arguments entendus tout à l'heure. Au Québec, c'est vrai qu'on a sauvé le français. J'ai examiné de près la loi du Québec, jamais les Québécois ne se sont immiscés dans la construction de la langue ! Jamais ! En revanche, ils ont imposé le français et l'anglais dans toutes les administrations, parce que le français commençait à disparaître, mais faire de l'ingérence dans la construction de la langue comme on entend le faire ici, non, ce n'est pas ce qu'il faut !

De plus, encourager le français, c'est très bien, comme on le fait en Afrique noire. Pierre Weiss parlait de Camus et de son pays, l'Algérie. En 1980 ou en 1982, le président Chadli Bendjedid a interdit le français. Depuis, on n'a jamais autant parlé le français en Algérie ! Résultat: parler, c'est transgresser. Vous voyez qu'on est toujours en plein paradoxe !

Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande donc de faire le «black-out» sur cette loi. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Barrillier, à qui il reste une minute quinze.

M. Gabriel Barrillier (R). Ce sera vraiment bref ! Monsieur le président, chers collègues, lorsque j'ai signé ce projet de loi, en 2006 ou en 2005 même, c'était ni par sentimentalisme, ni par passéisme, ni par intégrisme, ni par xénophobie. (Rires.)

Une voix. C'était par quoi, alors ? (Rires.)

M. Gabriel Barrillier. Et à l'époque, les députés qui ont signé ce projet de loi voulaient une simple chose, c'était qu'on respectât, en tout cas dans l'administration publique, une certaine forme de fidélité dans l'utilisation de la langue du pays. Le respect, c'est tout ! Encore une fois, il n'y avait pas de volonté de vouloir lutter contre le fait qu'une langue comme l'anglais soit une langue véhiculaire, à cause du commerce, à cause de l'évolution des rapports de force dans les relations internationales. On a eu des heures de débats... Quand j'ai signé ce projet de loi, je ne pensais pas qu'il y aurait une telle émotion. Vous êtes tous - y compris mon ami Weiss, qui a fait assaut de suffisance, de préciosité...

Des voix. Oh !

M. Gabriel Barrillier. Si, si, mon cher ami ! (Rires.) Mais cette préciosité marquait une passion dissimulée !

M. Pierre Weiss. Pourquoi ?

Le président. Monsieur Barrillier, il vous faut conclure, malheureusement ! (Exclamations.)

Des voix. Oh non !

Le président. Bon, on lui donne quinze secondes de plus. (Exclamations.)

M. Gabriel Barrillier. Quinze secondes ! Donc, je voterai les amendements proposés...

M. Pierre Weiss. Par qui ?

M. Gabriel Barrillier. Par le député Weiss...

M. Pierre Weiss. Ah !

M. Gabriel Barrillier. ...mais qui a déjà dit qu'il refuserait la loi, simplement parce qu'on doit respecter cette langue. Ce n'est pas compliqué ! Je vous remercie donc de m'avoir écouté et je voterai la loi amendée.

M. Jean-François Girardet (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, un article paru dans la «Tribune de Genève» de cette semaine titrait: «Faut-il bannir de l'administration le franglais et autres américanismes ?» Avec cet article, il y avait une belle photo de Mme Catherine Baud, députée Verte qui estime que cette loi n'est pas la bonne solution.

Le MCG trouve que cette loi est un bon moyen pour limiter les dégâts dans l'usage de la langue française, notamment l'abus de termes franglais. Nous avons lu avec intérêt les trois excellents rapports, lesquels nous permettaient de nous remettre dans l'ambiance qui régnait lors de la législature précédente à la commission de l'enseignement.

En fait, cette loi propose dans son titre: «Promotion de la langue française au sein du service public genevois». On apprend par les rapports que ce projet de loi a été déposé en 2005 - il y a un moment - et qu'il avait déjà fait l'objet d'un débat houleux au Grand Conseil. D'ailleurs, en essayant de refaire l'histoire, j'ai vu que sur les vingt-deux déposants de ce projet de loi, il n'en reste que trois aujourd'hui; les autres ne se sont pas retirés, mais ils n'ont plus été réélus au Grand Conseil. Sur les trois, il y a en plus le président. Il ne pourra malheureusement pas voter... (Commentaires.) ...sur ce projet de loi, mais il en est l'un des signataires.

Ce projet de loi avait de quoi rendre les débats houleux. J'en veux pour preuve qu'il demandait à ce que la loi soit appliquée dans l'administration, mais pas seulement comme en attestent toutes les entités mentionnées dans l'article 2: l'administration publique cantonale, bien sûr, les administrations municipales, l'Association des communes genevoises, les fondations de droit public, l'Université, etc. Alors, cela a été critiqué, et je suis étonné par les radicaux et le parti libéral, bien qu'ils aient laissé la liberté de vote à leurs députés.

Deux députés annoncent une demande d'amendement à cet article 2, précisément. Même s'il est daté de la séance du 8 décembre, je pense bien que c'est lors de cette séance-là qu'ils présentent cet amendement, lequel propose simplement que soient soumises à cette loi l'administration publique cantonale et les commissions officielles cantonales. Au groupe MCG, personne ne s'opposera à l'amendement de cet article 2, et je crois que si les deux dépositaires de cet amendement - à savoir les députés Weiss, du parti libéral, et Saudan, du parti radical - l'ont rédigé, c'est pour qu'il passe ! On nous dit que c'est pour limiter les dégâts, mais je ne vois pas quels dégâts cela peut faire de demander qu'on utilise la langue française dans l'administration cantonale.

Une voix. Bravo !

M. Jean-François Girardet. Il n'y a pas de dégâts à craindre ! On demande simplement qu'on parle le français !

Un deuxième amendement, que le MCG propose, fait suite à la remarque du député UDC Bertschy. A l'article 3, il est demandé que toutes les communications émanant de l'administration cantonale utilisent les terminologies françaises uniquement... Non ! Je pense qu'on ne peut pas être aussi légaliste. Et l'on propose de laisser cela ouvert en biffant le mot «uniquement» de la phrase. C'est donc l'objet de notre amendement à l'article 3. Comme on est en troisième débat, je suppose que c'est le moment de le présenter: «Toutes les communications émanant des institutions mentionnées à l'article 2 doivent utiliser la terminologie française.»

Moyennant ces deux amendements, je ne vois pas ce qui peut encore passionner le débat ! Il s'agit simplement de rejoindre les cantons suisses romands qui ont tous inscrit - soit dans leur constitution, soit, comme le canton du Jura, dans une loi - que la langue officielle de l'administration était le français. C'est ce que nous demandons à Genève ! Et je pense que nous ne sommes pas présomptueux en demandant simplement que soit inscrit dans une loi que la langue française est la langue officielle pratiquée dans l'administration cantonale genevoise.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, je redonne la parole aux rapporteurs, à ceux de deuxième puis de première minorité, d'abord. Soit à M. Rappaz, à qui il reste une minute vingt-cinq.

M. Henry Rappaz (MCG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Je suis ravi de savoir que mon pseudonyme a agacé M. Bertschy ! Et je pense aussi que ma petite musique de Céline a agacé une autre personne... Je dirai simplement que ce projet de loi perd toute sa valeur, parce qu'il provient du MCG ! (Exclamations.) Je pense que s'il était seulement d'une autre origine... (Brouhaha.) La preuve, c'est que les gens crient lorsque je parle !

Certaines personnes pensent que c'est très bien de mettre de l'anglais partout; moi je dis simplement que pour nos élèves, les apprenants, qui ne voient plus dans la rue un seul mot composé normalement, eh bien, ce n'est pas possible de bien parler le français lorsque tout est mélangé d'anglais, d'espagnol et d'autres langues ! J'ai terminé.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je passe la parole à M. Gillet, à qui il reste deux minutes.

M. François Gillet (PDC), rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, j'insiste, et j'espère que vous l'aurez compris, dans mon rapport de minorité, il n'y a absolument aucune préoccupation identitaire. Je crois que, au contraire, l'idée est de mettre en évidence un certain ras-le-bol, je crois, d'une bonne partie de la population genevoise qui a de plus en plus l'impression que le français - notre langue, ici à Genève, depuis des siècles - est toujours davantage entrecoupé de formules anglaises en particulier, d'«anglais gadget» dira-t-on, qui a pour but de faire moderne, de faire dynamique.

Alors, que ces formules soient de plus en plus utilisées dans le domaine de la communication, du marketing ou de la publicité, ce n'est pas notre problème ! Nous, nous parlons bien de ce qui devrait être la règle dans les communications de l'administration cantonale. Et je relève avec plaisir qu'on nous propose de faire ce qui aurait dû être effectué en commission, à savoir limiter la portée de ce projet de loi à ce qui nous concerne directement, c'est-à-dire les communications de l'Etat, que ce soient celles des services de l'Etat ou celles des commissions qui dépendent de l'Etat. Il est vrai qu'à ce niveau il y a matière à faire des progrès. C'est vrai que lorsque l'on est convié à participer à un «meeting» concernant le «New Public Management», nous pourrions aussi bien convier les gens à participer à un séminaire sur la nouvelle gestion publique ! Ça irait tout aussi bien et ce serait tout aussi clair ! Je crois qu'il y a matière à prendre en compte ce ras-le-bol d'une bonne partie de la population. Il y a, je le pense, un rôle d'exemplarité de l'Etat qui doit pouvoir s'appliquer là aussi, comme il s'applique dans d'autres domaines. L'Etat doit montrer l'exemple d'une façon ou d'une autre. Même s'il n'est pas question d'astreindre l'Université, les communes ou le pouvoir judiciaire à ces restrictions, en ce qui concerne l'Etat, nous pensons qu'il doit remplir cette fonction exemplaire de défenseurs de notre langue.

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le rapporteur.

M. François Gillet. Donc, je crois, Mesdames et Messieurs les députés, que nous devons marquer notre soutien à notre langue française. Les deux amendements qui sont proposés par MM. Weiss et Saudan, ainsi que par le MCG, peuvent être soutenus et le projet adopté en ces termes.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Je passe la parole à Mme Baud, à qui il reste une minute trente.

Mme Catherine Baud (Ve), rapporteuse de majorité. Ça ira tout juste ! J'aimerais encore recadrer ce projet de loi. Il ne s'agit pas, comme l'a fait remarquer M. Rappaz, de ne plus parler du tout l'anglais. Ce projet de loi vise les mots qui seraient introduits de manière maladroite dans un discours en français et uniquement dans le cadre de l'administration publique. Il n'est donc pas question des publicités et des affiches dans la rue.

Cela dit, il n'empêche que l'on peut constater ce soir que cette loi est mal faite, considérant les discussions et les amendements proposés, puisqu'on veut la limiter et la réduire à une simple motion adressée au Conseil d'Etat pour que celui-ci fasse en sorte qu'on parle un bon français dans les services de l'administration. Mais c'est déjà le cas, grâce à des règlements internes. Je ne vois vraiment pas l'utilité d'une loi qui est extrêmement générale, qui enfonce des portes ouvertes et qui ne propose même pas la création d'un observatoire de la langue française qui pourrait éventuellement contrôler quelque chose ! Là, on a une loi qui dit qu'à Genève on parle le français: d'accord, or mettons plutôt ça dans la constitution. Mais une loi ainsi faite, avec ces amendements, ne sert strictement à rien ! Donc, nous ne la voterons pas !

Le président. Merci, Madame le rapporteur. Je donne la parole à M. Beer.

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, si vous me le permettez, j'aimerais rappeler brièvement que le projet de loi provient de députés et que le Conseil d'Etat n'a pas jugé bon de légiférer sur cette question.

Personnellement, je me bornerai à relever qu'alors que le débat dure depuis pratiquement une heure aucun élément d'un texte publié par l'administration cantonale genevoise n'a été mentionné comme étant choquant ! Je trouve quand même extraordinaire qu'on se passionne pour l'invasion par la langue anglaise, alors que pas la moindre circulaire, recommandation ou communication, n'a été citée directement dans ce débat ! Alors, à défaut de remettre l'église au milieu du village, permettez-moi, dans une république laïque, de remettre le bistrot au milieu du village !

Mesdames et Messieurs les députés, quand je vois les circulaires de l'administration, je suis personnellement inquiet par rapport à d'autres types d'invasions: les abréviations et la technocratisation de la langue française. En toute modestie, j'aimerais vous dire que je ne pense pas que le département dont j'ai la charge s'illustre en échappant à ces reproches. Combien de fois a-t-on énuméré, à l'occasion de la publication d'un rapport du département de l'instruction publique, les trop longues listes d'abréviations qui le jalonnaient ? Combien de fois ai-je entendu reprocher à juste titre, notamment dans le débat sur la rénovation de l'enseignement primaire, l'utilisation de termes comme «l'outil scripteur» à la place du crayon ! Cela avait même défrayé la chronique jusque dans une émission de télévision célèbre du dimanche soir !

C'est dire que la qualité de la langue française est probablement le centre de nos préoccupations, et je pense même que le débat de tout à l'heure, sur les clients, les patients, les administrés et autres usagers et usagères, explique bien aussi les difficultés, pour une langue comme la langue française, de faire face à toutes sortes d'éléments que le monde contemporain charge en termes émotionnels, ce qui rejaillit forcément sur la langue et fait de la communication en langue française un véritable enjeu.

Si vous me le permettez, j'aimerais encore rectifier une chose par rapport à ce qu'a dit M. le député Girardet. Vous avez évoqué le Jura: vous avez raison, mais seulement en partie. Sachez que le Jura n'a pas légiféré. Le Jura consulte actuellement sur un projet de loi visant non pas la police de la langue, mais bien la promotion de la langue française par l'institution d'un Conseil de la langue. Il faut donc comparer ce qui est comparable, et le projet de loi ici évoqué n'est pas l'équivalent du projet de loi mis en consultation dans le canton du Jura. J'entendais juste être précis sur ce point.

Pour terminer, j'aimerais dire que, malheureusement, nous avons affaire parfois... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Langue française ou pas, il est quelquefois difficile de se comprendre si les conversations particulières l'emportent sur le débat général ! Permettez-moi simplement de vous dire que, en ce qui concerne le débat que nous avons quant à la place de la langue française, il faut mettre l'accent sur l'éducation - comme cela a été dit - sur la qualité de l'enseignement de la langue française, faire en sorte que celui-ci s'amplifie du point de vue des dotations horaires, et je vous remercie d'ores et déjà de soutenir les efforts du Conseil d'Etat en vue d'augmenter l'horaire à l'école primaire, qui ne visera pas seulement l'enseignement de la langue anglaise, mais bel et bien également l'enseignement de la langue française en priorité.

Dernier point: il arrive malheureusement que l'administration doive utiliser des termes anglais. Personnellement, je le déplore. Parfois, c'est le jeu normal de la stratégie. Lorsqu'on fait de la promotion économique pour présenter la région de Genève, on parle de «Geneva Lake Region», ce qui est logique, le but étant de faire connaître la région à l'extérieur. Toutefois, dans l'esprit de celles et ceux qui ont proposé la loi, je déplore par exemple que la Conférence universitaire suisse ait retenu pour la Déclaration de Bologne les termes de «bachelor» et «master», alors qu'on aurait très bien pu s'en tirer avec «baccalauréat» et «maîtrise» ! Je vous remercie de votre attention.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. En vertu de l'article 78A, alinéas 1 et 2, je donne la parole à M. Stauffer.

M. Eric Stauffer (MCG). Pour sauver ce projet de loi, je demande son renvoi à la commission législative, afin de le transformer en motion pour la constituante. C'est tout.

Le président. Seuls les rapporteurs peuvent s'exprimer, s'ils le souhaitent. Si ce n'est pas le cas, on va tout de suite passer au vote demandé par M. Stauffer.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9592 à la commission législative est rejeté par 65 non contre 23 oui et 6 abstentions.

Le président. Nous sommes saisis de trois amendements. Je vais d'abord vous soumettre l'amendement libéral à l'article 2.

M. Pierre Weiss. Libéral-radical !

Le président. Pardon: l'amendement libéral-radical ! Mais de nos jours, c'est la même chose - ou presque... (Rires.) En tout cas au niveau fédéral ! (Commentaires.)

Une voix. Pas du tout !

Le président. Je vous fais donc voter l'amendement radical-libéral qui est proposé à l'article 2. (Commentaires.) Mettez-vous d'accord ! Voici cet amendement: «Sont soumis à cette loi: l'administration publique cantonale, les commissions officielles cantonales.»

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 75 oui contre 13 non et 6 abstentions.

Mis aux voix, l'article 2 ainsi amendé est adopté.

Le président. Nous sommes saisis d'un amendement du MCG à l'article 3, demandant que l'on supprime le mot «uniquement». Le voici: «Toutes les communications émanant de l'administration publique cantonale doivent utiliser des terminologies françaises.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 41 non contre 40 oui et 13 abstentions. (Rires à l'annonce du résultat.)

Mis aux voix, l'article 3 est adopté, de même que l'article 4.

Le président. A l'article 5, nous sommes saisis d'un troisième amendement, cette fois libéral exclusivement. Le voici: «Les textes rédigés initialement ou traduits spécifiquement dans une langue étrangère ne sont pas soumis à l'article 3.» (Commentaires.) Non, on ne s'exprime pas ! On est en troisième débat et les temps de parole sont épuisés. Désolé, il fallait intervenir avant ! (Commentaires.)

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 62 oui contre 15 non et 14 abstentions.

Mis aux voix, l'article 5 ainsi amendé est adopté.

Mis aux voix, l'article 6 est adopté.

Le président. Je vous soumets ce projet de loi ainsi amendé. (Commentaires.) Le vote nominal est demandé: est-il soutenu ? Parfait, il l'est ! (Commentaires et exclamations durant la procédure de vote.)

Mis aux voix à l'appel nominal, le projet de loi 9592 ainsi amendé est rejeté en troisième débat dans son ensemble par 63 non contre 21 oui et 9 abstentions.

Appel nominal