République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1871
Proposition de motion de Mmes et MM. Guillaume Barazzone, Mario Cavaleri, Guy Mettan, Fabiano Forte, Michel Forni, Pascal Pétroz, Béatrice Hirsch, François Gillet, Anne-Marie von Arx-Vernon, Jean-Claude Ducrot, Nelly Guichard : Oui au maintien des forfaits fiscaux, de façon à alléger la charge fiscale des familles et de la classe moyenne!

Débat

M. Pascal Pétroz (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe démocrate-chrétien vous propose et soumet à votre bienveillante attention une proposition de motion qui demande le maintien et le soutien des forfaits fiscaux. Cette motion a été déposée il y a un an, le 19 février 2009, dans un contexte double: d'une part le débat, dans ce Conseil et dans la république en général, par rapport à l'allégement de l'imposition des familles, d'autre part un certain nombre d'initiatives, de velléités, qui se sont d'ailleurs concrétisées à Zurich, de supprimer les forfaits fiscaux. Du reste, aujourd'hui les Zurichois se mordent les doigts à cause de la décision qu'ils ont prise à l'époque.

Pourquoi les forfaits fiscaux, Mesdames et Messieurs les députés ? Il faut peut-être déjà expliquer brièvement comment fonctionne le forfait fiscal. C'est, techniquement, une imposition selon la dépense. Elle concerne un citoyen d'un autre pays qui s'installe chez nous. Un calcul est effectué par rapport à son train de vie, à ce qu'il dépense. J'ai cru comprendre que, d'après les dernières normes en vigueur de l'administration fiscale cantonale, la dépense minimale autorisée pour bénéficier d'un forfait fiscal est de 750 000 F. Donc nous parlons de gens qui ont certains moyens, et même des moyens certains.

Beaucoup de voix se sont élevées contre ce système; même un tennisman célèbre a dit: «Mais ce n'est pas juste ! L'étranger qui vient s'installer au forfait et qui gagne la même chose que moi paie 90% d'impôts de moins que moi.» On peut comprendre cet argument; il est vrai que, dans les forfaits fiscaux, il y a un véritable problème d'égalité de traitement, parce que les critères d'imposition ne sont pas les mêmes pour les gens qui viennent s'installer au forfait que pour nous, les Suisses. Mais nous estimons que le maintien de ce système se justifie pour une raison très simple. En 2007, d'après les chiffres qui nous ont été communiqués par l'administration fiscale cantonale, les forfaits ont rapporté 66 millions à l'Etat de Genève. Or ces 66 millions représentent des prestations, des écoles; ils aident des gens à ne pas rester au bord du chemin, ils allègent - nous l'avons vu - et financent l'allégement de l'imposition de la classe moyenne et des familles. Nous estimons donc qu'il était important, dans le cadre de ce parlement et à Genève, de manifester une volonté claire en faveur des forfaits fiscaux.

C'est la raison pour laquelle le groupe démocrate-chrétien demande au Conseil d'Etat de défendre ces forfaits fiscaux, bien évidemment, mais aussi de rendre à ce parlement un rapport détaillé pour que l'on essaie de voir plus clair quant à cette situation des forfaits. Voilà pourquoi le groupe démocrate-chrétien vous demande de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

M. Stéphane Florey (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, Genève ne peut tout simplement pas, dans le contexte actuel, se passer des forfaits fiscaux, s'il entend rester compétitif, ne serait-ce que par rapport à son voisin le canton de Vaud. Je rappellerai les points suivants.

Les bénéficiaires des forfaits fiscaux rapportent à l'Etat environ 60 à 70 millions par an. Ils paient l'impôt sur les successions, ce qui, dans certains cas, peut rapporter gros. (Brouhaha.) Ils ne récupèrent pas les 33% de l'impôt anticipé sur le revenu de leur fortune. De plus, ils contribuent largement à l'essor économique au niveau local; ils contribuent également à faire baisser les centimes additionnels communaux dans les communes où ils ont élu domicile.

Ne faisons pas comme Zurich, qui se mord encore les doigts d'avoir aboli les forfaits fiscaux; car oui, à Zurich, les quelques contribuables qui bénéficiaient de forfaits fiscaux ont tout simplement déserté le canton. Résultat: les recettes fiscales de ce canton ont diminué.

Je rappellerai également que, à Genève, 25% à 30% des contribuables ne paient pas d'impôts, et que c'est environ 60% des contribuables qui paient la majeure partie des recettes de l'Etat. Les personnes qui bénéficient de forfaits fiscaux contribuent aussi à rétablir l'équilibre entre ceux qui en paient et ceux qui n'en paient pas. Si l'on veut abolir les forfaits fiscaux pour les grosses fortunes, il faudra se poser la question suivante: qui va compenser les pertes fiscales quand elles auront également déserté notre canton ? Soit on augmente le taux d'imposition pour les grosses fortunes, ou alors - et je pense qu'il faudra malheureusement admettre cette possibilité si l'on abolit les forfaits fiscaux - les personnes qui ne paient pas d'impôts devront à l'avenir se résoudre malgré tout à en payer, ce que personnellement je refuse d'envisager. Mais l'Etat devra forcément proposer des solutions.

Comme nous avons déjà fait ce débat à la commission fiscale avec la révision complète de la LIPP et que nous avons aussi débattu dans le cadre d'un projet de loi socialiste qui demandait d'abolir les forfaits fiscaux - et dont l'entrée en matière a été refusée - je ne juge personnellement pas utile de rouvrir ce débat, et le groupe UDC soutiendra le renvoi direct au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)

Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Par principe, les Verts sont opposés aux forfaits fiscaux et ne soutiendront donc pas cette motion. Nous estimons en effet qu'il n'est pas correct d'accorder des aides pour que des riches étrangers se soustraient à leur devoir fiscal, et nous considérons les forfaits fiscaux comme une sorte de concurrence déloyale. Cette forme de taxation prive en effet les pays dont les ressortissants sont au bénéfice de forfaits fiscaux de ressources financières et peut donc mettre en péril le financement de certains services publics, en particulier dans les pays du Sud ou de l'Europe de l'Est. D'un point de vue éthique, les forfaits fiscaux ne sont donc pas acceptables.

Pour les Verts, les forfaits fiscaux accordés aux étrangers sont également injustes envers les contribuables suisses, qui sont tenus, eux, de déclarer leurs revenus au centime près, et imposés sur l'ensemble de leurs revenus. Cette vision semble d'ailleurs de plus en plus partagée en Suisse, puisque Zurich a aboli récemment par vote populaire les forfaits fiscaux.

Les Verts sont cependant d'avis que l'abolition de ces forfaits ne doit pas se décider à Genève uniquement, mais se régler au niveau fédéral. Il convient en effet que tous les cantons concernés se mettent d'accord sur la manière de procéder. La réflexion entamée par la Conférence des directeurs cantonaux des finances sur une certaine harmonisation des pratiques est un premier pas encourageant. Les Verts exhortent donc le Conseil d'Etat à poursuivre ses discussions avec les autres cantons concernés, afin de pouvoir le plus rapidement possible conclure un accord sur l'abolition des forfaits fiscaux. (Applaudissements.)

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Tout d'abord, quelques mots sur la forme. Je ne comprends pas que vous ayez gardé votre motion. Comme l'a déjà relevé le président actuel de la commission fiscale, elle n'a plus de raison d'être. On attend, depuis octobre, le rapport de majorité d'un projet de loi qui a été étudié pendant plusieurs séances à la commission fiscale; le Conseil d'Etat a donné les chiffres qu'il fallait... On a tout ! On attend le rapport de majorité depuis le 20 octobre. Cela viendra, et nous aurons un débat sur des choses qui ont été étudiées en commission.

Je profite de mon petit temps de parole pour dire que les socialistes ont effectivement proposé un projet de loi qui abolit les forfaits fiscaux. Bien sûr, ces derniers amènent pour l'instant au canton une certaine manne de la part de personnes riches. Mais d'un autre côté, ces forfaits fiscaux font partie des trois piliers les plus importants de la fraude fiscale internationale, et nous en reparlerons. Ils avantagent les étrangers qui cherchent à se soustraire à leurs devoirs fiscaux dans leur pays d'origine, voire qui désirent trouver un lieu avantageux pour faire prospérer leur fortune personnelle, plutôt que d'essayer de faire avancer des démocraties dans pas mal de pays d'Europe et du monde. Ils contribuent à maintenir de nombreux pays, précisément, dans des situations de sous-développement, comme l'a déjà dit ma préopinante, en autorisant les riches contribuables de ces pays à se soustraire à leurs devoirs premiers de citoyens. Ils déséquilibrent la fiscalité - également plus près de nous - des pays européens, qui vivent entre eux dans la même pression de concurrence fiscale que celle que l'on a entre les cantons suisses, chez nous, au niveau des fuites de capitaux, que certains pays européens rendent possibles.

Mais, Mesdames et Messieurs les députés, je crois qu'il y a quelque chose de beaucoup plus grave avec ces forfaits fiscaux: ils nuisent à l'image de la Suisse et de sa place financière, voire de sa gestion publique. (Commentaires. Brouhaha.) La place financière et économique genevoise, Mesdames et Messieurs, est assise sur une roche qui s'érode, comme on le voit dans les journaux économiques. Secret bancaire, forfaits fiscaux... Jusqu'où tiendrons-nous ? Je crois qu'il faudra commencer à réfléchir aux changements des dogmes. Donc nous refuserons cette motion.

M. Jacques Jeannerat (R). Mesdames et Messieurs les députés, comme l'a déjà fait Pascal Pétroz, je crois qu'il est important de donner la définition de ce que sont les forfaits fiscaux. D'abord, ils sont bien sûr réservés aux riches étrangers - j'insiste sur le mot «riches». Ensuite, pour en bénéficier, il faut bien sûr ne pas avoir d'activités lucratives dans notre pays, donc cet impôt n'est absolument pas comparable à la fiscalisation ordinaire, si je peux m'exprimer ainsi. Le calcul de cet impôt ne se fait pas complètement au hasard: l'administration fiscale se base effectivement, comme l'a dit Pascal Pétroz, sur une estimation des dépenses de ces étrangers. C'est donc lié à leur train de vie.

Si ces forfaits fiscaux, ces arrangements fiscaux - parlons en français - n'existaient pas, ces étrangers fortunés iraient tout simplement s'installer ailleurs. Il y a une multitude de pays qui fonctionnent comme le nôtre. Il faut le souligner.

Le principe des forfaits fiscaux - et là aussi, il faut parler clairement - est un facteur d'attractivité. Ce serait une erreur de les comparer à l'imposition ordinaire, puisque l'imposition sur la dépense devient précisément un élément de compétitivité vis-à-vis des étrangers, afin de conserver les recettes fiscales qu'ils apportent ainsi que les incidences économiques de leur présence dans notre pays.

Je le répète: je suis convaincu que, si les forfaits fiscaux n'existaient pas, bon nombre d'étrangers iraient vivre ailleurs. Ils ne viendraient simplement ni dans notre canton, ni en Suisse. La conséquence de la suppression de ces forfaits fiscaux, contrairement à ce que les socialistes imaginent, ne serait pas une recette supplémentaire de la fiscalité globale, mais bien une diminution. Leur maintien permet donc d'alléger la charge fiscale de la classe moyenne. (Remarque.) Il faut juste veiller à ce que le seuil minimum de base soit bien défini et respecté. La motion demande un rapport sur les effets fiscaux, c'est une bonne chose, je m'en réjouis. Les radicaux vous invitent donc à voter cette motion.

Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)

M. Olivier Jornot (L). Mesdames et Messieurs les députés, je n'aime pas le terme «forfait fiscal». C'est un terme qui est utilisé par les adversaires de ce mécanisme d'imposition selon la dépense; j'aurais préféré, chers collègues du parti démocrate-chrétien, que vous n'employiez pas ce jargon dont se gargarisent tous ceux qui viennent ensuite nous tenir des propos ineptes sur le favoritisme, sur la possibilité de frauder le fisc et que sais-je encore.

Cela dit, vous avez bien raison d'avoir déposé ce texte et de poser cette question. L'imposition selon la dépense n'est pas une fantaisie; elle est ancrée dans des textes: dans la loi sur l'impôt fédéral direct, dans la loi sur l'harmonisation des impôts des cantons et des communes. Ce n'est donc pas une spécialité que le canton de Genève aurait imaginée. Et comme l'a dit à l'instant notre collègue Jeannerat, cela ne vise pas tout un chacun, mais un certain nombre de contribuables extrêmement précis, qui ne doivent pas avoir d'activités lucratives. C'est une catégorie vraiment très spécifique qui est visée. De plus, le processus ne s'invente pas - d'où le fait que le terme «forfait» est absurde - parce qu'il faut faire état de son train de vie, des dépenses que l'on a, et il y a un mécanisme de contrôle que l'administration applique pour s'assurer que la personne ne paiera pas moins d'impôts que si elle avait déclaré l'ensemble de ses sources de revenu et de fortune qui se trouvent en Suisse.

Alors, à partir de là, qu'est-ce qui fait le débat ? Ce qui fait le débat, c'est la concurrence, la compétitivité, c'est le fait que la Suisse n'est pas le seul pays qui fait cela, que tout un tas d'autres pays le font, avec des statuts qui sont souvent encore beaucoup plus attractifs que celui que nous avons, nous. Par conséquent, supprimer les forfaits fiscaux - cela a été dit, mais je le répète, parce que, visiblement, certains ne l'ont pas bien entendu - n'aurait absolument pas pour effet d'augmenter les recettes fiscales d'autres pays de la planète, qui seraient les pays d'origine des ressortissants en question. Cela aurait simplement pour effet de nous priver, nous, de recettes fiscales, au profit d'autres régimes fiscaux, comme celui des Anglais, par exemple, qui ont souvent moins de scrupules que nous en la matière. Il y a donc un problème d'attractivité qui doit nous inciter, parce que le système est en soi parfaitement moral, à le maintenir.

Cela étant, Mesdames et Messieurs, ce système n'est pas seulement menacé par ceux qui, comme le parti socialiste genevois, déposent des projets de lois pour l'abolir. Il l'est également par deux dangers. D'abord, il est menacé par les cantons qui l'ont souvent appliqué avec trop de facilité, et il n'est pas normal en effet que, au titre de la concurrence cette fois-ci interne à la Suisse, on ait parfois appliqué des critères qui reviennent à dévaloriser le système. En ce sens, le parti démocrate-chrétien nous propose une invite - et je crois qu'il est bon que l'on s'en soucie - en vue d'une meilleure concurrence, plus juste, entre les cantons.

Mais le deuxième danger, Mesdames et Messieurs, qui menace les forfaits fiscaux, c'est exactement l'excès inverse. C'est le balancier qui part dans l'autre sens. C'est la Conférence des directeurs cantonaux des finances qui sort un communiqué de presse le 29 janvier pour nous annoncer que, désormais, les critères vont être durcis, beaucoup plus. Cela, Mesdames et Messieurs, représente aussi un danger, parce que si le balancier va trop loin dans l'autre sens, alors les forfaits fiscaux perdront de leur intérêt, et ce sont les directeurs des finances eux-mêmes qui auront finalement tué la poule aux oeufs d'or. Rien que pour cette raison, rien que parce qu'il faut que le Conseil d'Etat participe aux travaux de cette Conférence des directeurs en défendant la position des cantons qui, comme Genève, ont un régime de forfaits fiscaux, rien que pour cela, il vaut la peine de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)

M. Claude Jeanneret (MCG). A la lecture de cette motion, on doit se dire qu'il y a des gens qui ont du temps à perdre et qui en font perdre au parlement, parce que je ne vois pas très bien l'utilité de cette motion ce soir. Elle vient un peu comme la grêle après les vendanges. Mais on sait qu'elle émane du PDC. Et, de leur part, plus rien ne nous surprend. (Remarque.)

D'abord, il faut dire que l'on a déjà parlé dernièrement de la défense de la fiscalité des familles et de la classe moyenne. Et la nouvelle loi fiscale est la preuve que c'était le souci général et que cela a été très bien compris de toute part, puisque cette loi a été acceptée par ce parlement.

En ce qui concerne le maintien de l'impôt sur la dépense, ce que nous appelons le forfait fiscal, je crois que le débat est un peu trop polémisé pour être tout à fait sérieux. Il ne faut pas oublier ceci à ce sujet. Accepter ce forfait fiscal - ou plutôt cet impôt sur la dépense - est beaucoup plus juste. En effet, s'il est vrai que, il y a vingt ans, le forfait fiscal était une espèce de cadeau que l'on faisait à des gens très riches, aujourd'hui, l'impôt sur la dépense est tout de même calculé sur plusieurs éléments. Premièrement sur le loyer, relativement élevé, d'une propriété en général acquise par ces personnes. Deuxièmement sur la dépense générale. Or il ne faut pas oublier que ces gens ont tout de même certains moyens, ils donnent du travail ici et dépensent beaucoup d'argent. Ce sont des gens qui contribuent grandement à notre économie. C'est-à-dire que l'impôt qu'ils paient est peu de chose par rapport à ce qu'ils nous rapportent. Ils déposent leur argent chez nous; pour avoir une relance de l'économie, on le sait, c'est important. A la place de fabriquer des faux billets, comme certains, on a de l'argent dans les caisses des banques. Et c'est plus honnête et plus intéressant de procéder ainsi. De plus, ces gens sont intégrés chez nous.

Je crois qu'il est aussi important de bien comprendre ceci vis-à-vis de leur pays. Lorsque l'on accepte que des gens déclarent ce qu'ils ont en leur permettant de ne pas être taxés d'une manière trop sévère, et qu'il y a des successions ou des demandes d'emprunts dans certains pays, ils peuvent renvoyer l'argent chez eux. Alors que si ces personnes étaient simplement soucieuses de ne pas payer d'impôts, il y a assez de sociétés ou de fondations ou de tout ce que l'on veut pour supprimer la propriété réelle de l'argent. On le voit, les Anglo-Saxons sont des spécialistes dans ce domaine. Et de cette manière, on ne voit plus rien, et l'Etat surtout ne voit plus rien; ces fondations ou ces sociétés spéciales passent dans la famille sans impôt de succession, demeurant ad aeternam. Il s'agit là d'une véritable fraude fiscale extrêmement désagréable.

Donc je crois qu'il ne faut pas non plus en arriver à supprimer une chose qui, avant tout, est avantageuse pour nous, parce qu'elle crée un revenu d'impôts intéressant avec des gens qui ne nous coûtent rien. En plus de cela, c'est tout de même une concurrence sur laquelle nous ne sommes pas les seuls à jouer, comme l'a très bien dit mon préopinant. Il y a des grands pays, comme l'Angleterre. Même certains Etats des Etats-Unis attirent aussi les gens en ne leur faisant payer quasiment rien du tout.

Donc nous ne sommes pas, premièrement, une exception. Deuxièmement, nous avons au contraire un rôle intéressant, dans le sens que nous avons une mise à jour de ces fortunes, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas cachées. Dans ce sens-là, je pense qu'il faut bien sûr maintenir cet impôt sur la dépense. Mais ce n'est pas la motion du PDC qui peut, à mon avis, apporter quelque chose à ce débat, raison pour laquelle le MCG la refusera.

M. Michel Forni (PDC). Après ce merveilleux retournement de veste ou d'une interprétation, arrivant à une conclusion négative, permettez-moi, au nom du PDC, de revenir sur quelques éléments. Il est vrai, parfois, que des informations se télescopent et que des collisions peuvent survenir. Ce soir, nous sommes face à une proposition de motion qui parle de deux éléments: des charges fiscales pour les familles et des forfaits fiscaux. On a longuement épilogué et décrit la qualité et les mesures qui entourent cette notion de forfait fiscal. Il a été peut-être un peu moins souligné - même par le MCG - ce que c'est pour les familles d'avoir non pas des privilèges fiscaux, mais une certaine parade à des charges qui, tous les mois, leur enlèvent un pécule difficile à retrouver. Il y a aussi un certain dogmatisme, il faut le dire, de la gauche, lors des travaux menés en commission afin d'expliquer l'avantage de ce forfait fiscal pour Genève en tout cas et de son acceptation sur le plan suisse.

Il est aussi intéressant de se demander pourquoi Zurich s'est affronté à ce problème et a, si j'ose dire, ciblé particulièrement non pas les inclus qui, sur la Goldküste, ont parfois des rémunérations illimitées ou des bonus difficiles à quantifier, mais plutôt ces exclus étrangers, qui ont généralement échappé au rouleau compresseur, confiscatoire, de leur pays.

Revenons à cette motion. Elle invite le Conseil d'Etat à défendre le maintien des forfaits fiscaux à Genève, apportant un capital suffisant qui puisse être «poolé» par rapport à une fiscalité, sans oublier les familles. Comme cela a été dit, des éclaircissements seront demandés, donc une stratégie, qui doit également s'assurer que les conditions liées à l'octroi seront respectées, comme cela a d'ailleurs été fort bien expliqué lors des séances en commission par les experts du département des finances. Il y a peut-être une notion de morale, il y a peut-être une notion philosophique. Mais la Suisse autorise cet impôt, qui est qualifié et estimé sur la dépense. Et comme cela a été dit, les forfaits participent aussi, en dehors de l'impôt, à une incidence économique favorable, sur certaines fondations en particulier.

Alors oui au maintien des forfaits fiscaux, qui peuvent apporter à Genève un soulagement économique par rapport à la crise financière qui nous affecte. Oui au maintien d'une stratégie sur le plan national, qui a peut-être besoin de règles plus précises. Oui, effectivement, à une adéquation entre législations fédérale et cantonale, qui participe à cet équilibre de nos comptes à Genève. C'est la raison pour laquelle, au vu de ces différents éléments, je vous demande de soutenir le PDC et ceux qui sont d'accord de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

M. David Hiler, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, en premier lieu, j'aimerais insister sur le fait que le Conseil d'Etat a toujours été clair sur un point, qui cependant mérite très certainement d'être développé aujourd'hui. Quoi que nous puissions en penser l'un ou l'autre individuellement, il ne saurait y avoir de discussions qu'au niveau fédéral. La raison a été évoquée, brièvement, mais je crois qu'elle est relativement importante. Il y a, derrière la question des forfaits, des questions philosophiques et politiques. Dans le contexte actuel, de plus, il y a très clairement des questions de concurrence internationale visant la fiscalité, mais aussi bien d'autres choses, comme la gestion de fortune. Et puis, il y a une lutte, en Suisse, entre les cantons.

Premier élément, si la Suisse devait renoncer à ces forfaits, il serait bon que ce soit quand même dans une stratégie visant à ce que les avantages accordés dans les pays que je vais citer soient levés également, parce qu'il ne s'agit pas seulement de la Grande-Bretagne. Là, le cas est très connu. Mais il y a aussi les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, l'Autriche, Singapour, la Chine - mais oui ! - la Thaïlande et Israël. Vous comprenez donc qu'il s'agit quand même d'une petite moitié de la planète ! Dans ce cadre-là, évidemment, il faut donc que, si la Suisse devait un jour renoncer aux forfaits fiscaux, elle obtienne un certain nombre de garanties. C'est la même chose, si vous voulez, entre le trust et le secret bancaire. Parce qu'il y a un moment où l'on ne peut pas simplement réduire le sujet à une question de philosophie ou de guerre économique. Aujourd'hui, on est tout de même obligé de prendre en considération les deux.

La deuxième raison est relative à la concurrence intercantonale, et pas là où le PDC l'a située, mais sur le type de concurrence que la Suisse orientale et la Suisse occidentale entendent mener. Pourquoi est-ce que Zurich a accepté cette initiative ? D'abord parce que les forfaits ne correspondent pas à une tradition longuement établie. Ensuite parce que, très clairement, une partie de l'électorat de droite a voté cette initiative. Il y a eu un ou deux scandales. Quelqu'un dans le collimateur de la FINMA, qui est supposé ne pas travailler et qui reçoit un forfait, c'est quand même ennuyeux par rapport aux dispositions en vigueur.

Mais au-delà de cela, qu'est-ce qui fait aujourd'hui trembler les partisans des forfaits fiscaux ? L'initiative du canton de Saint-Gall. Pourquoi ? Parce que, en Suisse orientale et en Suisse centrale, il n'y a pas de tradition établie pour les forfaits, contrairement aux cantons des Grisons, de Vaud ou de Genève, pour lesquels ce sont des institutions vraiment très anciennes. Ces cantons, par contre, sont assez prêts à faire des concurrences extrêmement dures sur les taux. Sur les taux ! Or je dois quand même vous dire, Mesdames et Messieurs, que, là encore, on est obligé de voir les intérêts des uns et des autres. A savoir que si nous nous trouvions dans une situation de concurrence fiscale à l'égard d'autres cantons suisses sur la base de nos taux, je crains là que nous ayons quelques soucis, parce que nous ne pouvons pas nous aligner sur les Waldstätten en matière de taux. D'abord parce que nous avons des charges, et parce que c'est impossible. Donc j'appelle chacun dans ce débat à une certaine prudence. On n'est pas à n'importe quel moment de l'Histoire suisse. On est à un tournant.

Maintenant, il a été dit par M. Jornot - et c'est parfaitement juste - que, au rythme où on y allait, avec des forfaits pour des montants minimes accordés dans certains cantons, le système était en danger, parce que là, ce n'est même plus une mesure pour des cas particuliers; c'est se placer sur la concurrence fiscale en général. Or vous comprenez bien que, dans le monde d'aujourd'hui, où l'on ne fait pas tout à fait ce que l'on veut, ce n'est simplement pas tolérable. C'est donc la raison qui a poussé la Conférence des directeurs cantonaux des finances à mettre un stop - de façon consensuelle, je précise, quels que soient les avis. Ce stop vise, effectivement, ce que j'ai appelé les forfaits que l'on distribue dans des pochettes-surprises. C'est fini, Mesdames et Messieurs. C'est fini, parce que, autrement, cet impôt ne sera pas supprimé pour des raisons philosophiques, quoi qu'on en pense, mais pour des rapports de force internationaux.

Alors qu'a décidé la Conférence des directeurs cantonaux des finances ? La première décision a effectivement été de monter le multiple, en réalité, de la dépense que l'on calcule en fonction du loyer ou de la valeur locative de l'immeuble occupé. A la place de 5 fois, c'est 7 fois. Cela a quelques conséquences pour Genève, que nous mentionnerons dans le rapport si vous adoptez cette motion. L'autre critère, en revanche, le passage à une assiette minimale de 400 000 F pour la fiscalité de l'impôt, est déjà pratiqué. Nous avons déjà des critères beaucoup plus sévères, et depuis longtemps. En fait, le canton de Genève a toutes sortes de défauts, mais il n'a pas chassé le petit forfait. La dernière demande est de prendre en compte, tout de même, les dépenses au niveau mondial. Mais cela se fait par le multiple de 7 à la place du multiple de 5. Enfin, on est supposé tenir compte de la fortune. Mais comme l'appréciation est laissée aux cantons, je ne suis pas sûr que ce soit cela qui va changer beaucoup le système.

Plus généralement, le système est aussi menacé par l'utilisation qui en a été faite par des gens qui travaillent. Il est vrai que, dans des pays que j'ai cités, les forfaits ne sont pas des forfaits pour des gens qui ne travaillent pas. Ce sont souvent, au contraire, des forfaits pour personnes expatriées. Expatrié, ce n'est pas tout à fait comme immigré: un expatrié a de l'argent, un immigré en principe pas. Voilà pour la différence sémantique, très vulgairement. Dans ces conditions, Mesdames et Messieurs, je dois vous le dire clairement, notre intention est de soutenir la démarche de la CDF. Elle est parfaitement possible pour Genève. Elle a aujourd'hui pour effet d'arrêter les dérives du système et permet, le cas échéant, au Conseil fédéral d'agir, si jamais une volonté populaire s'exprimait en Suisse. Cela n'est pas exclu, puisque ce système n'est pas, au-delà des clivages politiques, extrêmement populaire dans certains courants situés fort à droite de l'échiquier politique, mais situés géographiquement un peu différemment que le canton de Genève.

Donc je crois qu'il est intéressant de vous présenter un rapport de tous ces éléments. Je ne pense cependant pas qu'il soit très intéressant de faire des calculs fantastiques et des extrapolations sur les chiffres d'affaires générés; on peut toujours donner un mandat et recevoir la réponse dans trois ans. Mais ce que je peux vous dire c'est que, si vous votez cette motion, le Conseil d'Etat vous donnera toute information utile sur les travaux de la Conférence des directeurs cantonaux des finances, sur la documentation qui est annexée et sur les conséquences de la décision de la CDF, qui doit faire l'objet d'un changement de la LHID et de la LIFD, donc ce n'est pas tout à fait pour tout de suite.

Mais j'invite tous les partis, quelles que soient leurs positions philosophiques, à bien prendre en compte la situation assez particulière dans laquelle nous nous trouvons. Si, pour montrer les vertus de cet impôt, on présente un rapport qui indique à quel point il fait notre bonheur et notre fortune, je suis sûr que nos amis français le liront avec attention. Inversement, si l'on ne veut pas tenir compte que nous sommes dans une guerre économique et faire semblant que tout va bien, en fait, que notre prospérité n'est nullement menacée par quoi que ce soit, alors là, on risque évidemment des effets assez importants.

C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs, quel que soit le résultat du vote de cette motion, nous vous informerons sur les décisions de la Conférence des directeurs cantonaux des finances - qui sont unanimes, je peux le dire - et sur les conséquences précises et nettes pour Genève. Maintenant, en attendant que l'avenir de la Suisse dans le vaste monde se stabilise, je ne suis pas absolument convaincu que ces sujets doivent faire l'objet des grands titres tous les mois.

Mise aux voix, la proposition de motion 1871 est rejetée par 47 non contre 45 oui. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Le président. Nous passons rapidement au point suivant, car nous avons le temps. (Protestations.) Si, ne vous inquiétez pas !