République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1693-A
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition : Soutien au centre Grisélidis Réal
Rapport de majorité de Mme Béatrice Hirsch (PDC)
Rapport de minorité de Mme Lydia Schneider Hausser (S)

Débat

M. Pascal Pétroz (PDC), rapporteur de majorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, une très brève prise de parole pour remercier notre ex-collègue Mme Hirsch de l'excellence de son rapport et pour vous dire que je n'ai, à ce stade, rien à ajouter. (Commentaires.)

Le président. Merci, quelle rapidité dans l'intervention ! Je passe la parole à Mme le rapporteur de minorité.

Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse de minorité. Je serai un peu moins brève, je m'en excuse d'avance. Avant de parler de la forme, je vais quand même rappeler quelques petites choses sur le fond de cette pétition. La prostitution est à l'ordre du jour de notre Grand Conseil depuis un certain temps, on va dire que c'est un sujet à la mode. Cette pétition concerne le soutien au centre Grisélidis Réal; il est vrai que la prostitution est le plus vieux métier du monde et touche en Suisse 14 000 femmes, selon une estimation, pour un chiffre d'affaires qui n'est pas négligeable de ce fait.

Le centre de documentation Grisélidis Réal, du nom d'une femme devenue célèbre à Genève, a pour but de créer une documentation sur le sujet de la prostitution, de mettre à disposition ce matériel, de créer un lieu d'échange sur le travail du sexe et les problèmes liés à la prostitution et d'offrir de l'information et de la formation. Ce centre représente un instrument important de lutte pour que les personnes qui se prostituent obtiennent plus de dignité. Un tel centre à Genève, carrefour du monde, mérite un soutien comme d'autres causes, par exemple l'interdiction de l'excision et de la traite des êtres humains.

Le centre de documentation Grisélidis Réal avait obtenu le feu vert de la Ville, de personnes et de fondations privées, mais il manquait, pour que le paquet ficelé financier soit complet, une contribution de l'Etat pour consolider la constitution de ce centre. La contribution de l'Etat impliquait que le Conseil d'Etat dise oui et ratifie l'attribution que la commission de répartition de la Loterie romande avait acceptée. Le non est arrivé avec comme motif que si documentation il y avait, elle pouvait trouver sa place dans les archives de l'Etat. Comme si les Archives d'Etat, qui réalisent par ailleurs très bien leurs missions, pouvaient mettre à disposition de la documentation sur le sujet de la prostitution et devenir un centre de documentation actif stimulant la réflexion !

L'impossibilité de recours contre ce refus du Conseil d'Etat est lourde de conséquences dans cette situation. C'est pourquoi, pour les quelques situations où le Conseil d'Etat donne une réponse négative sur l'attribution du fonds de la Loterie romande, nous demandons à ce que l'entité touchée puisse être au moins auditionnée, afin de pouvoir défendre de vive voix son point de vue. Pour toutes ces raisons, le rapport de minorité demande un renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat et non pas un dépôt sur le bureau du Grand Conseil.

M. Eric Leyvraz (UDC). A la commission des pétitions, nous avons entendu avec beaucoup d'intérêt les arguments avancés par les partisans du centre de documentation Grisélidis Réal. Suite au refus du Conseil d'Etat de suivre la décision de la commission de répartition de la Loterie romande qui accordait une aide au centre - décision souveraine et conforme au règlement sur les compétences du Conseil d'Etat - l'inquiétude qui pouvait apparaître quant à la conservation de ces documents uniques a été rapidement levée, car il existe la possibilité de déposer ces papiers aux Archives d'Etat, où tout un chacun pourra les consulter.

La commission des pétitions n'a pas trouvé dans les déclarations de ceux qui veulent créer un centre de recherche sur la prostitution les assurances nécessaires concernant son développement et sa pérennité après sa mise en place avec l'aide de subventions. La commission craint à juste titre que l'Etat ne soit obligé de soutenir annuellement le centre et sans avoir une idée des montants nécessaires. Il ne faut pas à tout bout de champ surcharger le bateau des finances cantonales, alors qu'il existe des solutions de rechange peu onéreuses.

L'UDC vous recommande donc de suivre les conclusions de la commission des pétitions et de déposer cette dernière sur le bureau du Grand Conseil.

Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG). Tout d'abord, le MCG tient à souligner l'originalité et la valeur créative dans la réalisation du centre Grisélidis Réal. Les objectifs qui sont poursuivis par ce centre peuvent très bien se comprendre sur le plan général. Ils sont ambitieux et bien articulés avec le projet du centre. Cependant, comment construire aujourd'hui ce qui nous semble manquer, la dimension internationale de ce centre et le développement de réseaux ? Comment construire un projet de formation ? Comment assurer la pérennité d'un tel projet de centre communautaire ? Le projet actuel ne propose pas d'alternative en cas de difficulté de financement, tel qu'il est proposé, et c'est fort dommage.

Considérons les trois points suivants. Tout d'abord, l'évolution des demandes et des pratiques dans le domaine de la prostitution, dans un contexte sociologique extrêmement complexe, nécessite de ce fait des professionnels extrêmement compétents pour s'occuper des visiteurs, si l'on veut reconnaître la valeur d'un tel projet qui est bien en deçà des besoins. Or, pour l'instant, on parle beaucoup de bénévoles et d'une secrétaire responsable.

Le deuxième point porte sur l'ambition d'utilité sociale de ce centre. Je trouve que l'ambition est très intéressante mais, dans un tel centre, on parle de formation pour les personnes qui se prostituent et cherchent à se réorienter professionnellement. J'ai peine à croire qu'on a pris la dimension complète de ce que cela impliquait en termes d'investissements, de connaissances, de suivi, d'implication et de moyens à mettre en place pour que cela puisse se faire.

Le troisième point de nos réticences concerne le futur et la garantie des investissements qui risquent en fait de transformer ce centre en un centre subventionné par l'Etat, si l'on veut répondre à l'ensemble des besoins et des buts formulés dans cette initiative, belle par ailleurs.

De ce fait, le MCG refusera cette pétition, malgré la sagacité développée dans la mise sur pied du projet, dont les objectifs sont toutefois tellement ambitieux qu'il nous semble que les moyens ne sont vraiment pas à la mesure et à la dimension de ce que l'on veut faire.

M. Frédéric Hohl (R). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe radical approuve les propos de nos collègues. Effectivement, nous avons reçu les pétitionnaires et il a été rappelé tout à l'heure que les archives cantonales accueillaient gracieusement les documents de Mme Grisélidis Réal. Ensuite, je vous rappelle que la demande des pétitionnaires est de faire un centre international, ce qui implique l'usage de plusieurs langues. Or, cela est juste impossible avec une subvention pareille ! Ça va donc très vite se transformer en une demande de subvention annuelle de 200 000 à 300 000 F pour répondre aux ambitions qui figurent dans ce prospectus. Ce n'est juste pas possible ! Je crois donc qu'il faut accueillir la proposition de l'Etat et que les archives cantonales s'occupent de cela. Nous vous remercions de suivre le rapporteur de majorité.

M. Roberto Broggini (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, nous avons tout à l'heure accepté une proposition qui allait dans le sens de ne pas permettre la prostitution des personnes qui ne sont pas majeures civilement, c'est-à-dire les personnes en dessous de 18 ans. Mme Grisélidis Réal a fait un travail considérable non seulement dans cette république, mais également dans la francophonie, pour faire reconnaître ce qui est un travail, et un travail que nous ne devons pas mépriser. Le travail d'archives qui nous est proposé ici peut justement aller dans le sens de la prévention, parce que c'est bien de prévention qu'il s'agit.

C'est de l'histoire également. C'est pour cela que les Verts soutiendront cette pétition qui propose information et diffusion. Lorsque j'entends les interviews de Mme Grisélidis Réal diffusées sur France Culture et l'impact que cela peut avoir auprès de diverses populations, je pense que c'est quelque chose d'extrêmement important. Nous devrions, nous devons aller dans le sens de cette demande.

Après, bien sûr, il conviendra de finaliser la manière dont cela devra être organisé dans la durée, la façon dont cela sera développé ou soutenu, mais je pense que nous pouvons aller dans la direction de l'ouverture, de l'information et de la prévention. C'est pour cela que nous vous encourageons à voter pour la prise en considération de cette pétition.

M. René Desbaillets (L). Après tous ces beaux discours sur la prostitution, ce que je voulais surtout, c'est relever l'incohérence de la gauche. On a passé une heure à discuter d'une résolution demandant de combattre la prostitution des mineurs de moins de 18 ans et, maintenant, la gauche nous demande d'utiliser les bénéfices de la Loterie romande pour faire de l'information sur la prostitution et créer un lieu de référence, d'information et de formation ! Vous auriez au moins pu rajouter: «Ouvert aux plus de 18 ans» ! Donc, dépôt de cette pétition sur le bureau ! (Rires. Applaudissements.)

M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, les raisons pour lesquelles le Conseil d'Etat n'a pas suivi le préavis de la Loterie romande, comme le droit le lui autorise, sont toutes simples. Les archives dont il est question ici étaient de trois natures.

Premièrement, il y avait des archives qui présentaient un intérêt historique, mais celles-ci ont en réalité été vendues par les héritiers aux archives littéraires suisses. De sorte qu'il ne restait dans les archives plus que deux types de documents. D'abord, une bibliothèque qui comportait un certain nombre de livres qui auraient pu intéresser, s'ils ne s'y trouvaient pas déjà, la bibliothèque de la Faculté des sciences économiques et sociales vers laquelle ont été orientés les ayants droit.

Ensuite, un fonds d'archives qui n'avait pas été jugé d'un intérêt suffisant par ceux qui avaient acheté le premier lot d'archives. Il a semblé au Conseil d'Etat et aux Archives d'Etat qu'il était plus opportun de remettre celles-ci à un service public, gratuit et accessible à tous, fait de professionnels compétents: celui des Archives d'Etat. C'est la raison pour laquelle l'ensemble du Conseil d'Etat a estimé qu'il n'était pas opportun que ces archives aillent se balader ailleurs.

Enfin, je vous rappelle que les fonds de la Loterie romande sont là pour soutenir des projets ponctuels, qui n'impliquent pas des frais de fonctionnement permanents. Aucune garantie quelconque n'a pu être donnée sur la pérennité de ce projet, au-delà de la première année de démarrage. C'est ainsi que le Conseil d'Etat a pris la décision de ne pas suivre le préavis de la Loterie romande et de faire confiance à un service public qui mérite précisément notre confiance, celui des Archives d'Etat.

Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 1693 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 59 oui contre 28 non.