République et canton de Genève

Grand Conseil

La séance est ouverte à 20h55, sous la présidence de M. Eric Leyvraz, président.

Assistent à la séance: MM. David Hiler, président du Conseil d'Etat, François Longchamp, Robert Cramer et Pierre-François Unger, conseillers d'Etat.

Exhortation

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.

Personnes excusées

Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: MM. Laurent Moutinot, Charles Beer et Mark Muller, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Maurice Clairet, Morgane Gauthier, Mariane Grobet-Wellner, Guy Mettan, Yves Nidegger, Ariane Reverdin et René Stalder, députés.

Communications de la présidence

Le président. Mesdames et Messieurs, nous devons terminer ce soir l'examen du PL 10199, puis traiter l'initiative 142, sur laquelle nous devons également nous prononcer. Si nous arrivons à clore nos travaux ce soir, ce que je crois possible, nous ne serons pas convoqués demain matin; dans le cas contraire, nous siégerons. Les choses sont claires !

Annonces et dépôts

Néant.

PL 10199-A
Rapport de la commission fiscale chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Pierre Weiss, Michel Forni, Jacques Jeannerat, Michel Halpérin, Guillaume Barazzone, Gabriel Barrillier, Christophe Aumeunier, Jacques Baudit, Michèle Ducret, Edouard Cuendet, Guy Mettan, Patricia Läser sur l'imposition des personnes physiques

Suite du troisième débat

Le président. Nous poursuivons notre troisième débat. Je donne la parole à M. Velasco.

M. Alberto Velasco. Il me semble que ma collègue avait demandé la parole avant moi !

Le président. Madame et chère collègue, sur la liste des intervenants, votre nom figurait ensuite, mais si vous souhaitez prendre la parole maintenant, je n'y vois aucun inconvénient ! (Mme Anne Emery-Torracinta acquiesce.) Je vous en prie.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Concernant l'IN 142, si je peux vous rassurer, Mesdames et Messieurs les députés, nous avons jusqu'au 31 juillet pour l'examiner. En théorie, et en pratique aussi, nous pouvons donc parfaitement la traiter la prochaine fois.

Cela dit - je serai brève, car il me semble que le débat a déjà été suffisamment long - je souhaitais réagir à deux ou trois petites choses que j'ai entendues et qui m'ont, comme on dit, fait réfléchir.

Le premier point, c'est lorsque M. Gros a parlé de l'enfer fiscal - éventuellement du purgatoire - vers lequel on allait. Peut-on vraiment, Mesdames et Messieurs les députés, parler à Genève d'enfer fiscal pour les familles ? Je crois que l'on communique un très mauvais message à la population quand on parle d'enfer fiscal, parce qu'on donne l'impression que l'Etat et les collectivités publiques ne servent à rien !

Or, j'aimerais que les familles qui nous écoutent, et vous aussi, Mesdames et Messieurs les députés, réfléchissiez à ce que les collectivités publiques financent tous les jours. L'été va arriver, vos grands ados vont aller à la piscine, et ils vont peut-être payer 2 F l'entrée des piscines publiques à Genève... Il est clair que si les collectivités n'investissaient pas et ne mettaient pas d'argent dans les piscines, on paierait bien plus cher ! Vous allez peut-être profiter d'envoyer vos enfants dans des centres aérés, dans des camps de vacances; vous allez peut-être leur faire pratiquer du sport... Je me suis amusée à regarder les offres proposées par le service des sports de la Ville de Genève et, pour 10 à 20 F par jour, vous pouvez bénéficier de prises en charge à la journée, avec des activités sportives. Et que diriez-vous, Mesdames et Messieurs les députés, si, lorsque vos enfants font du foot, on vous demandait 1000 F de cotisation par année ? Ou 1500 F ? Or, dans les clubs sportifs, on paie 70, 80, 100 ou 120 F par année... Et tout ceci, comme la musique et bien d'autres choses - je ne veux pas parler des crèches et des écoles, on l'a déjà fait - tout ceci, ce sont des prestations qui sont financées par les collectivités, grâce aux impôts que nous payons.

Et puis, on peut voir plus loin. Si l'on était dans une société comme aux Etats-Unis, où l'Etat est peu social et s'engage faiblement en faveur des individus, eh bien nous devrions payer beaucoup plus cher toutes ces prestations ! Et si vous aviez des enfants dans une université américaine - je ne parle pas des grandes universités privées, mais simplement des bonnes universités d'Etat - ce serait au minimum 20 000 dollars, c'est-à-dire 25 000 francs suisses, qu'il faudrait débourser par semestre. Qui d'entre nous voudrait payer 50 000 F par année l'écolage à l'université, quand on sait qu'à Genève on paie 1000 F ?

Donc, Mesdames et Messieurs les députés, on peut discuter de baisser les impôts, mais je vous en prie, soyez honnêtes, soyons honnêtes, on ne peut pas parler d'enfer fiscal ! La fiscalité, c'est ce qui nous permet à tous aussi, en partageant un certain nombre de choses, de vivre en collectivité.

Deuxième point: on a parlé de relancer l'économie. J'ai cru comprendre que, grâce aux 300 ou 400 millions que nous allions économiser par le biais des impôts, on allait relancer l'économie genevoise... Si au moins, Mesdames et Messieurs les députés ! Mais je crains fort que les vêtements que certains ne manqueront pas d'acheter ou les loisirs que certains voudront pratiquer - peut-être en prenant l'avion pour aller ailleurs - relancent davantage l'économie chinoise ou celle de certains pays émergents que, réellement, l'économie genevoise ! Malheureusement - ou heureusement, peu importe ! - nous sommes dans un monde qui est globalisé, et l'on sait très bien que la marge de manoeuvre des Etats est faible et que, si l'on veut réellement relancer l'économie locale, c'est plus par le biais d'investissements. Parce que, là, on peut cibler les entreprises qui, par exemple, vont véritablement construire des transports ou améliorer l'assainissement énergétique des bâtiments.

Troisième point: on a beaucoup entendu parler du pouvoir d'achat des familles. Là, je crois qu'on est tous d'accord, il y a un consensus dans ce parlement pour dire qu'on doit augmenter le pouvoir d'achat des familles. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, et notamment les députés de la droite, voire de l'extrême droite, où étiez-vous quand, au parti socialiste, nous avons parlé de l'augmentation des allocations familiales ? Parce que s'il y a bien un sujet où il était question des familles, c'était celui des allocations familiales ! Et pourtant, nous avons été bien seuls, malheureusement, dans ces revendications. On a également parlé des familles monoparentales: où étiez-vous quand le parti socialiste a demandé un peu plus de souplesse dans l'application de la loi sur le SCARPA, pour permettre un recouvrement des pensions alimentaires pour ces familles monoparentales ?

Je suis obligée d'en déduire, Mesdames et Messieurs les députés, soit que nous n'avons pas la même notion de ce que doit être le pouvoir d'achat des familles, soit que vos motivations ne sont peut-être pas tout à fait celles que vous voulez bien faire croire à la population.

En conclusion, c'est avec grand regret que le parti socialiste refusera ce projet de loi. En effet, si vous aviez eu le courage de séparer ce qui est de l'ordre du bouclier fiscal de ce qui concerne véritablement l'aide aux familles - entendons-nous après pour savoir de quelles catégories il s'agit - eh bien je crois que nous aurions pu voter une aide aux familles. Et cela aurait été plus honnête par rapport à la population. C'est donc vraiment avec regret que le parti socialiste dit non ce soir. Mais vous ne pouvez pas, Mesdames et Messieurs les députés, prétendre que les socialistes n'ont pas voulu défendre les familles ! Tout à l'heure, M. Hiler a parlé de pari sur l'avenir; moi je dirai qu'en politique on doit toujours se demander jusqu'où on peut aller trop loin, jusqu'où on peut aller dans les compromis, jusqu'à quel moment les compromis ne deviennent pas des compromissions. Et aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, nous regrettons que vous n'ayez pas laissé le choix à la population ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. Je vais donner la parole à M. Velasco. Auparavant, je signale que le Bureau décide de clore la liste des intervenants, tous les partis s'étant annoncés. Doivent encore prendre la parole... (Remarque.) Non, c'est fini ! ...M. Forni, M. Meylan, Mme Künzler, Mme Hagmann, Mme Borgeaud, M. Bertschy, Mme Ducret, M. Stauffer, M. Halpérin, M. Deneys, puis Mme la rapporteure Schneider Hausser. Et la liste est close ! Je donne la parole à M. Velasco.

M. Alberto Velasco (S). Merci, Monsieur le président. J'ai la chance, comme d'autres collègues, de siéger à la commission des finances et de bénéficier des informations que M. le président du département des finances nous fournit. Et à ce titre, effectivement, je conviens que la situation est délicate pour tout le monde. Il est vrai qu'aujourd'hui aucun de nous ne peut savoir de quoi sera fait l'avenir dans trois, quatre ou dix ans. Il y a des perspectives qui s'annoncent difficiles pour notre pays... Des baisses du produit intérieur brut ont été affichées, pour notre pays, de moins 4,5%... (Brouhaha.) C'est énorme.

C'est vrai que notre débat se déroule dans un contexte très difficile. En effet, qui peut refuser les explications que le président du département nous a données tout à l'heure quant à l'impact sur les familles ? Pour ma part, elles m'ont convaincu. Effectivement, les familles vont bénéficier de ces mesures, et il ne s'agit pas ici d'un projet que l'on peut écarter d'un revers de la main. Mais, en ce qui nous concerne, ou en ce qui me concerne, c'est l'avenir que je ne vois pas. La relance, d'accord, mais de la sorte... Monsieur le président, vous avez relevé hier soir - et vous l'avez dit à nos collègues d'en face - que cette relance, par sa géométrie et par sa géographie, ne nous assure pas du tout de l'impact que nous souhaitons qu'elle ait ! D'ailleurs, aujourd'hui personne ne croit vraiment à une relance par la consommation - c'est normal, en période de crise les gens épargnent et la consommation n'a plus de frontière ! Donc, on n'y croit pas beaucoup. C'est plutôt une relance par l'investissement qui serait nécessaire.

Par ailleurs, nous savons que nous avons 3 milliards de retard en ce qui concerne les investissements dans ce canton, et nous savons que nous avons aussi une dette de 11 milliards. Alors contrairement à ce que M. Florey affirmait au début du débat, prétendument qu'à l'heure actuelle tout est bon pour la dette et que nous pouvons y aller... Non, Monsieur, tout n'est pas bon pour la dette ! C'est vrai que je suis de ceux qui disent que la dette n'est pas un prétexte pour bloquer nos projets d'avenir, mais de là à dire qu'il n'y a plus de problèmes... Non ! Nous ne savons pas de quoi demain sera fait, même si cela peut repartir assez vite, ce qui est à voir.

Ce qui est clair, c'est que nous allons maintenant avoir 400 millions de baisse fiscale, puis les revenus fiscaux comporteront des centaines de millions de moins en fonction de la conjoncture difficile. M. le président du département a expliqué hier qu'il y avait effectivement une réserve conjoncturelle pour 750 millions. Or 750 millions, cela peut durer une année ou deux. Et après ? Après, Mesdames et Messieurs les députés, il y a votre projet de loi intitulé «Frein à l'endettement», avec couperet, pour lequel le Conseil d'Etat, lui, ne peut qu'arbitrer... C'est-à-dire que lorsqu'il atteindra deux exercices avec des déficits où il n'y arrivera plus, il sera obligé de mettre en place ce que vous avez corseté, des baisses de prestations !

Alors je m'adresse à mes collègues d'en face: quand il s'agira de dire au peuple: «Mesdames et Messieurs, nous avons essayé, mais nous n'y arrivons pas, il faut maintenant soit couper dans les services ou les prestations, soit augmenter les impôts», est-ce que vous allez, vous, pour préserver ce que ma collègue Emery-Torracinta a énuméré tout à l'heure, voter une augmentation fiscale ?! Ou allez-vous dire: «Non, il faut couper» ? Dans ce cas-là, vous allez enlever d'une main ce que vous aurez donné de l'autre. Car aujourd'hui, vous accordez effectivement ces sommes aux familles, mais dans deux ou trois ans, quand il faudra choisir, si les choses vont mal - et sans vouloir jouer les Cassandre, quelle position adopterez-vous, si la situation venait à s'aggraver ? Personne ne peut aujourd'hui garantir ce qui ce passera dans deux ou trois ans ! C'est pourquoi, lorsque le président du département dit que cela peut aller, comme cela peut ne pas aller, eh bien je le crois ! Partout c'est ainsi ! Mais honnêtement, à ce moment-là - comme vous le faites aujourd'hui en préservant la qualité de vie de nos citoyens - allez-vous dire à ces derniers que, maintenant, il s'agit de relever les impôts puisque, malheureusement, les choses ne se déroulent pas comme on le croyait ?! Personnellement, Mesdames et Messieurs de la droite, je ne pense pas que vous allez le faire: je crois que, le jour venu, vous allez demander que des coupes soient effectuées ! Des coupes dans les services ! Peut-être pas dans des prestations concrètes, mais dans les services de l'administration. Et ce sont de telles conséquences que nous redoutons tant ici.

La deuxième chose - qui n'est pas noble, sous cet aspect-là - c'est que, comme toujours, vous avez mêlé deux débats, vous avez fait un paquet ficelé. Vous avez mis en place une baisse d'impôts pour les familles - ce qu'aucun parti de cet hémicycle ne conteste - et vous y avez inclus un bouclier fiscal... Evidemment, en prenant en otage tout ce parlement. (Brouhaha.) Et cela, c'est un manque de noblesse et un manque de courage politique. Car il me semble qu'il aurait fallu affronter les citoyens dans un débat de fond - comme le dit d'ailleurs M. le président du Conseil d'Etat. Effectivement, il s'agit d'un débat de fond ! C'est un débat de principe ! Et il fallait aller devant le peuple pour lui demander: «Est-ce que vous voulez de manière éthique, comme le dit M. Halpérin, limiter la confiscation des revenus d'une certaine petite catégorie bien aisée de la population ?» Voilà la question qu'il aurait fallu poser au peuple ! (Brouhaha.) Malheureusement, vous n'avez pas voulu, et vous avez ficelé le débat. Or c'est déjà la troisième fois que l'on nous soumet un projet de loi ficelé, et c'est inadmissible.

Mesdames et Messieurs, moi je vous donne rendez-vous dans un avenir proche... Je ne serai plus dans ce parlement, il y aura peut-être une configuration différente, avec d'autres majorités, on ne sait pas, mais, comme vous, je suivrai la politique, en tant que militant à l'extérieur. Je vous donne donc rendez-vous dans deux ou trois ans, pour voir si les mots que vous avez prononcés et les envolées que vous avez eues ici en faveur de la population se confirment. Je le répète, si jamais ils ne se vérifient pas, eh bien ce sont toujours les mêmes qui vont payer ! Et ce ne sont pas ceux qui ont les moyens ! Ceux-là auront toujours les moyens de s'en sortir, ils auront toujours les moyens d'aller ailleurs, de se payer des hôpitaux, des écoles... toujours ! Mais il y a une catégorie de la population qui, elle, n'aura pas les moyens de se payer cela, et ça c'est injuste et par conséquent inacceptable.

Le président. Il faudra terminer, Monsieur le député !

M. Alberto Velasco. Oui, Monsieur le président, je termine ! Nous refuserons donc ce projet, malheureusement, car le volet famille nous intéressait, mais il est vrai que nous ne pouvons pas accepter les autres aspects qui enfreignent la norme de l'égalité de traitement, je dirai: qui touchent à l'éthique quant à la politique fiscale.

M. Michel Forni (PDC). Lorsque vous ouvrez un livre de fiscalité, vous voyez qu'il y a toujours six éléments irréductibles; cela va de la valeur pécuniaire au droit des individus, en passant par celui des règles fixes et des voies d'autorité. Je ne vais pas me lancer dans un cours de statistique ou de fiscalité, car j'en suis bien incapable, mais je suis comme nombre de nos concitoyens qui sont un peu atterrés par ce que nous avons vécu ce soir.

Tout d'abord, je tiens à rappeler que l'impôt ne constitue pas le prix d'un service rendu ! L'impôt est là, dans un cadre de recouvrement, pour une couverture de dépenses d'intérêt général, et cela se fait vis-à-vis d'un Etat, qu'il soit fédéral, cantonal ou au niveau communal.

Deuxièmement, nous avons été transposés ce soir, non pas à la Vieille-Ville, mais au CERN, et l'accélérateur linéaire de particules s'est associé à une accélération de chiffres dont l'indigestion est totalement complète... Je défie nombre d'entre vous de me dire exactement quel est le résultat en chiffres de ce que nous avons discuté !

Le troisième élément est celui d'un certain rapport de minorité qui est basé sur une forme de révolte. Comme je l'ai dit hier, rectifier un système d'imposition demande des éclaircissements, des justifications, des comparaisons, des enquêtes, avec pertinence et de nombreux points, et ceci a été réalisé lors des cinquante-trois ou cinquante-quatre séances de commission. Cela s'est étalé dans le temps et a permis d'être digéré, élucidé et analysé. Et ce soir, nous sommes face à une des deux procédures de rectification. L'une, généralement, est celle de la contradiction; cela a été fait par certains. L'autre est celle de l'imposition. Et c'est une sanction, c'est ce que nous avons vécu ce soir, notamment vis-à-vis du bouclier fiscal. Alors, il peut y avoir des contentieux, des révoltes, mais il peut aussi y avoir un refus d'impôts par manque d'information.

Je reviens maintenant sur un élément qui a peut-être été sous-estimé. Nous sommes actuellement en crise financière, dans un système d'endettement, et nous avons un pari, puisque l'objectif principal de cette LIPP est de compenser une forme d'injustice, notamment - je le répète - vis-à-vis de la classe moyenne. Alors, me direz-vous, les allégements, c'est toujours dangereux. Les allégements, c'est 300 millions, c'est 100 millions pour les communes, et c'est vrai qu'il ne s'agit pas d'un système de déclassement ou d'un système d'allocations familiales: il s'agit d'un principe de défiscalisation. Et ceci est à retenir, parce qu'il est basé sur des normes connues, sur des paris, sur des calculs, et nous ne sommes pas en mesure de certifier que tout ce qui a été discuté serait établi. Prendre des paris sur l'avenir, c'est intéressant; le démontrer dans quelques années, c'est encore mieux.

Revenons un peu à l'essence de ce que nous avons discuté ce soir. Nous rejoignons exactement ce que je disais hier: le principe du bon impôt, ce que Voltaire disait, l'impôt de l'esprit, de la chanson, du rire... Finalement, nous avons bien ri, et c'est malheureux ! Revenons plutôt à une considération dont nous devons nous méfier: moins d'impôts, c'est moins d'Etat, c'est plus de marché. Souvenez-vous, Monsieur Deneys, de cette petite formule: moins d'impôts, moins d'Etat, plus de marché. Dans ce contexte-là, nous sommes, nous, gens de l'Entente, en faveur d'une imposition équitable dans un système politique fondé sur l'Etat, à la hauteur d'un sacrifice fiscal, il est vrai, mais dépendant étroitement des politiques qui seront menées, notamment sur le plan de conserver des politiques sociales. Il s'agit aussi d'un moyen de redistribuer les revenus et d'assurer une forme de socialisation où l'oeuvre est de notre société, qui peut prendre d'autres directions, notamment en s'auto-assumant, ce qui permet de réduire l'aide de l'Etat et lui confère d'autre part un pouvoir d'achat tendant à la dynamisation de marchés dans notre communauté. Cette LIPP tient compte de ce programme de solidarité. Il s'agit d'un enjeu politique, socioéconomique, en période de crise, et il s'articule avec des principes de liberté et non pas de soumission.

Le message que l'on veut transmettre, c'est une réflexion. Notre réflexion de ce soir doit rester politique; elle doit permettre, en l'acceptant, de dégager des principes qui voient arriver une stratégie dans un contexte d'éthique fiscale, qui va réconcilier d'une part le contribuable citoyen et, d'autre part, le contribuable client dans un environnement englobant famille, économie et société. Et ceci passe par des priorités objectives !

C'est la raison pour laquelle je propose de souscrire à ce projet de loi. (Applaudissements.)

Mme Michèle Künzler (Ve). Les Verts diront un oui confiant ! Confiant en l'avenir, parce que nous avons réfléchi aux objectifs politiques. Ces derniers nous semblent équitables: le splitting, la baisse d'impôts pour les familles, souhaitée par tout le monde; la rectification, enfin, de l'inégalité de traitement entre les couples mariés et les couples concubins. Ce sont là des choses importantes, demandées depuis longtemps. Et la progressivité de l'impôt - pas tellement chère à la droite - est augmentée. La progressivité est quand même un élément fondamental de l'imposition, et le minimum vital ne sera plus imposé: on l'exonère. Tous ces points sont extrêmement positifs ! C'est une fiscalité progressive, moderne. On a, c'est vrai, renoncé à certaines choses. Il reste le bouclier fiscal - qui produit un plafonnement d'impôts, une sorte de «flat tax», mais quand même à un niveau extrêmement élevé - et nous estimons qu'il est possible de vivre avec. Nous aurions préféré ne pas l'avoir, mais nous considérons que, lorsque 75% de la baisse fiscale sont attribués à des gens ayant des revenus en dessous de 200 000 F, nous avons vraiment atteint cette cible.

C'est donc avec confiance, confiance en l'avenir, que nous acceptons ce projet de loi, et nous pensons que nous avons les moyens d'y faire face au cours de ces prochaines années.

Le président. Merci, Madame la députée. Je salue à la tribune M. Jacques François, notre ancien collègue. (Applaudissements.) Je donne la parole à Mme Hagmann.

Mme Janine Hagmann (L). Mesdames et Messieurs les députés, au terme de ce long débat, il est évident que la fiscalité non seulement concerne, mais intéresse tout le monde, et ce n'est pas d'aujourd'hui ! Le vocabulaire qui désigne la part prélevée sur les revenus par l'Etat est très riche: la dîme, la taxe, la capitation, la taille, la gabelle, la redevance, le tribut, et j'en passe... Donc, tout mot qui signifie passage d'un porte-monnaie dans un autre, ou plutôt dans un panier, puisque le mot «fisc» vient du latin «fiscus», qui signifie panier.

Mesdames et Messieurs les députés, la commission fiscale a-t-elle réussi à constituer une loi qui permette un impôt équitable, et cet impôt existe-t-il ? Oui, je le pense. Le projet de loi qui nous est soumis est arrivé à présenter une fiscalité juste, compétitive et résolument moderne. N'oublions jamais que le prélèvement de l'impôt au-delà du strict nécessaire constitue un vol légalisé: on connaît tous l'adage «Trop d'impôt tue l'impôt».

Eh bien, le groupe libéral est fier d'avoir été le moteur, d'avoir été à la base, d'avoir vraiment été participatif à la mise sur pied d'une loi qui va permettre une aide et un soutien au devenir de citoyens responsables. (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

Mme Sandra Borgeaud (Ind.). J'aimerais juste dire à notre collègue socialiste, Mme Emery-Torracinta, qu'il n'y a pas de députés à l'extrême droite, étant donné que moi-même je suis indépendante, ce que je tiens à rappeler.

D'autre part, si l'on applique le discours des socialistes, on devrait investir tous azimuts - ce qui est assez nouveau chez eux - mais, surtout, il ne faudrait pas laisser respirer les familles, elles qui pourraient avoir encore un tout petit peu d'argent en fin de mois dans leur porte-monnaie... Si c'est ça, être socialiste, excusez-moi de vous dire que c'est une honte ! (Commentaires.) Je constate que vous préférez étrangler plus de la moitié de la population, à savoir les 65% qui vont être touchés par ce projet de loi, au bénéfice des plus démunis, qui ne sont pas la majorité de la population, et heureusement. Et je vous rappelle qu'on les aide financièrement ! Même si je suis convaincue - je persiste et signe - qu'avoir un emploi est la meilleure chose pour conserver sa dignité, travailler plus pour gagner moins d'argent, ce n'est juste pas acceptable ! (Brouhaha.) Donc, encore une fois, je vous invite à soutenir ce projet de loi.

M. Antoine Bertschy (UDC). Je ne vais pas faire de longs discours, car tout a été dit pendant ces deux jours de débats. Le groupe UDC vous l'a déjà indiqué: nous sommes quelque peu déçus du résultat final de ce projet de loi tel qu'il a été travaillé en commission. Néanmoins, selon notre philosophie politique, il est toujours préférable d'abaisser les impôts plutôt que de les augmenter, et nous soutiendrons donc ce projet de loi.

J'ai entendu tout à l'heure que le groupe libéral avait dû avaler des couleuvres... Concernant le groupe UDC, ce sont des boas constrictors qu'il a dû avaler ! Et nous avons de la peine à les digérer. Néanmoins, nous faisons ce pas de 350 millions et espérons revenir, par la suite, avec d'autres amendements et projets de lois qui modifieront certaines choses, par exemple l'impôt sur la fortune. Pour l'heure, nous voterons ce projet de loi pour les Genevois, pour la classe moyenne et pour les familles.

Mme Michèle Ducret (R). Quant à nous, groupe radical, nous sommes très satisfaits de ce projet de loi, qui est le fruit d'un long travail et de longues négociations entre les divers groupes qui siégeaient à la commission fiscale; nous en sommes très satisfaits, parce qu'il a atteint sa cible. Cette dernière était de protéger une catégorie de la population qui a été longtemps maltraitée, c'est-à-dire la classe moyenne. Nous sommes donc très contents de voir que cette classe moyenne, formée de personnes actives qui travaillent et qui paient leurs impôts - pas toujours avec plaisir, mais elles le font parce qu'elles ont le sens des responsabilités - va pouvoir respirer un petit peu mieux.

Par conséquent, nous vous engagerons à voter ce projet de loi qui est équilibré et qui, grâce aux discussions que nous avons eues, ménage les intérêts de l'Etat qui nous sont chers, permet à ces familles de respirer un peu et ne menace pas, contrairement à ce qui a été dit, les classes défavorisées. Au contraire ! Nous estimons que c'est un bon projet, et c'est pourquoi nous vous invitons à l'adopter. Je vous en remercie.

M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés...

Une voix. Fais court ! Court !

M. Eric Stauffer. Le groupe MCG soutiendra sans condition ce projet de loi qui est une bonne chose et allégera la fiscalité de cette classe moyenne qui a tant donné pour la république depuis bien trop longtemps; ce n'est donc qu'un juste retour des choses. En revanche, nous avons quand même quelques griefs à l'encontre de ce que nous avons entendu ce soir: des propos dogmatiques d'une autre époque ont été tenus, propos qui resurgissent malheureusement chaque fois que l'on parle de fiscalité.

J'aimerais d'autre part saluer Mme Künzler, qui a indiqué, au nom des Verts, que ces derniers soutiendraient ce projet avec enthousiasme pour l'avenir. Madame la députée, vous avez dit: «Nous avons réfléchi». Est-ce à dire qu'au sein de la gauche il y a une partie irréfléchie et une autre, réfléchie ? Eh bien, je vous laisserai juger par vous-mêmes, Mesdames et Messieurs ! Car effectivement, quand les socialistes disent «la droite», vous avez remarqué ce lapsus: ils vous incluent dans la droite... Alors, bienvenue, Mesdames et Messieurs des Verts ! (Brouhaha.) La droite se renforce ce soir dans un projet concernant... (Commentaires.) ...la fiscalité et pour venir en aide aux familles, et cet aspect-là était à souligner. (Brouhaha.)

Je terminerai en disant que nous ne pouvons que combattre cette idéologie socialiste qui a fait ses preuves dans l'aspect négatif des sociétés, qui a mis des populations à genoux, dans la précarité et la pauvreté. Et malheureusement, nous sommes les témoins, dans ce parlement, de ce dogme qui revient toujours et toujours, avec les mêmes propos: «Il faut taxer les riches pour défendre les pauvres.» En l'occurrence, Mesdames et Messieurs les socialistes, ce soir, vous vous êtes trompés, parce que vous avez combattu la classe moyenne inférieure... (Brouhaha.) ...celle qui, précisément, a des problèmes et risque de tomber dans la précarité ! Vous n'avez pas voulu lui venir en aide ce soir, alors j'espère que la population genevoise en sera le témoin et que, le jour des élections, elle saura se souvenir de qui veut défendre les citoyens et de qui ne le veut pas ! Car, ce que vous avez oublié de dire, Mesdames et Messieurs les socialistes, c'est que ceux qui ne gagnent pas assez pour payer des impôts, avec ce projet de loi, ils n'en paieront toujours pas. En revanche, ceux à qui on a beaucoup trop demandé durant de nombreuses années, eh bien, ceux-là, on va juste les alléger ! Or ce sont ces familles qui ont besoin de cet argent pour arriver à boucler leur budget de manière décente dans la République et canton de Genève ! Donc, finalement, ce soir... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...je pense que vous avez trahi votre électorat.

Je crois que, quand vous parlez de coupes qu'il faudra effectuer dans les budgets de l'Etat, vous pensez surtout aux petits copains que vous avez placés comme hauts fonctionnaires et qui, eux, gagnaient des sommes indécentes... (Brouhaha. Remarque.) Oui ! Oui, Monsieur Charbonnier ! (Brouhaha. Commentaires.) Monsieur le président, vous direz...

Le président. Restez dans le sujet, s'il vous plaît !

M. Eric Stauffer. ...vous direz à M. Charbonnier que lorsqu'on est capable, au parti socialiste, de faire gagner 440 000 F à quelqu'un pour un poste à 40%... (Remarques. Brouhaha.) ...c'est une indécence quand c'est payé avec les deniers publics ! Surtout dans une régie qui est au bénéfice d'un monopole d'Etat ! (Brouhaha.) Voilà la triste réalité de ce que vous défendez, Mesdames et Messieurs les socialistes ! (Commentaires de M. Alain Charbonnier.) J'espère que la population genevoise se retrouvera dans ceci. Et j'espère que l'AdG reviendra dans ce parlement... (Brouhaha.)

Le président. Silence, s'il vous plaît !

M. Eric Stauffer. ...parce que c'est la vraie gauche, et ce n'est plus cette gauche caviar des socialistes, qui sont en perte de vitesse... (Exclamations.) ...dans toute l'Europe !

Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, de m'avoir écouté jusqu'au bout. Et nous soutiendrons ce projet de loi ! (Brouhaha. Remarques.)

Le président. Silence, s'il vous plaît ! Je donne la parole à M. Halpérin.

M. Michel Halpérin (L). Monsieur le président... (Brouhaha. Rires.) Visiblement, la fatigue nous gagne, je serai donc très bref.

Des voix. Ah ! (Commentaires.)

M. Michel Halpérin. Il est vendredi soir, nous n'avons fait que cela hier, et aujourd'hui nous savons que la majorité de ce parlement va adopter ce texte. Il y a ceux que cela indispose et ceux à qui cela fait plaisir. Comme vous le savez, j'appartiens à cette dernière catégorie, parce que je crois que nous accomplissons ce soir un geste intelligent et important pour l'avenir de la république. Et je pense en particulier que c'est un geste qui a une portée sociale considérable, car nous avons modulé les conséquences de la fiscalité pour la classe moyenne.

Je voudrais rappeler ici, en réponse à des propos qui ont été tenus tout à l'heure, que la classe moyenne - que l'un de vous s'est indigné à situer autour de 200 000 F de revenu... Mais, 200 000 F de revenu, ou 230 000 F, Mesdames et Messieurs, c'est le salaire d'un couple d'instituteurs. Et, dans le monde d'aujourd'hui, où tous les couples, où tous les jeunes couples, ont à la fois une activité professionnelle et une activité familiale, prendre en considération ce type de revenu, c'est s'adresser au très grand nombre. Je crois que vous l'avez perdu de vue. Vous imaginez peut-être que la majorité de la population s'en sort admirablement avec des revenus comme ceux-là... Vous vous trompez, puisque la part disponible reste très inférieure ici, avec des revenus bruts qui sont supérieurs, à ce qu'elle est ailleurs. De sorte que, lorsque nous voterons tout à l'heure en troisième débat ces modifications, c'est à cette catégorie de gens qui travaillent et qui font vivre notre république que nous nous adresserons.

Maintenant, je voudrais en terminer avec une hypocrisie qui consiste à dire que ce projet de loi aurait été accepté, s'il n'avait contenu que les normes favorables à la classe moyenne. Eh bien non ! Je me suis imposé de parcourir la totalité des débats en commission, et j'ai constaté que sur tous les sujets sauf un seul - les déductions sociales - sur tous les sujets, y compris le splitting et un certain nombre de déductions de prévoyance, on trouve au mieux des abstentions socialistes, mais jamais un vote favorable à ces propositions qui étaient sociales par essence ! Alors vous avez choisi non seulement de ne pas contribuer à l'effort intellectuel et à la construction que les autres ont mise en place en faveur de la société genevoise, mais vous avez même fait le choix hypocrite ce soir de vous prévaloir de l'attitude des autres pour essayer de tirer votre épingle du jeu. C'est une hypocrisie de trop, il faut au moins qu'elle soit rendue publique !

Des voix. Bravo ! (Exclamations. Applaudissements.)

M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, dans un premier temps, j'aimerais remercier les collaborateurs de l'administration fiscale, qui ont accompagné les travaux de la commission avec une patience et un professionnalisme qui les honorent, ainsi que M. le conseiller d'Etat David Hiler, qui a éclairé ces travaux extrêmement difficiles et ardus, parce que basés sur un projet de loi qui partait d'une vision totalement démagogique visant à sacrifier un milliard de francs de recettes fiscales par an pour le canton de Genève. C'était la faillite assurée. Nous avons certes, grâce à ces travaux, permis de trouver des chiffres plus raisonnables, peut-être plus acceptables pour certains, mais qui fondamentalement posent cette fameuse question de la confiance: pouvons-nous avoir confiance en une baisse de recettes fiscales de l'ordre de 400 millions par an ? Peut-être ! Pour les socialistes, il manque simplement un élément à cette question de la confiance, c'est la notion de prudence. Peut-être que 400 millions, c'est acceptable. Mais peut-être que non. Et peut-être que la conjoncture actuelle, qui a changé radicalement ces dernières années - ou plutôt cette dernière année - nous incite à davantage de prudence.

Les socialistes attendaient les chiffres au terme des travaux de la commission, et le résultat de 400 millions ne nous convient pas. Il n'y a pas eu de possibilité de changer ces chiffres, les délais ayant été extrêmement courts parce que l'électoralisme triomphant de la droite majoritaire dans ce parlement a souhaité que cet objet soit soumis en votation populaire en septembre prochain, avant les élections, pour en faire un argument de campagne. Et cela, pour les socialistes, ce n'était pas acceptable. Car bien entendu qu'il était possible d'améliorer ce projet de loi ! Bien entendu qu'il aurait été souhaitable que le peuple puisse choisir s'il voulait prévoir un bouclier fiscal pour les plus riches ! Bien entendu qu'il aurait été souhaitable que le peuple puisse décider s'il voulait une baisse raisonnable pour les familles et les classes moyennes, de l'ordre de 200 à 250 millions, ou un projet maximaliste, comme c'est le cas aujourd'hui, qui est à 400 millions, sans compter les 100 millions en moins pour les communes genevoises ! Et cela, ça va compter, Mesdames et Messieurs ! Parce que les prestations des communes vont baisser ! Je l'ai déjà dit, la Ville de Genève aura 50 millions de recettes fiscales en moins. (Remarque. Le président agite la cloche.) A titre d'exemple, il y a aujourd'hui 2400 personnes qui attendent une place en crèche. Montant estimé pour ces 2400 personnes: 90 millions ! Eh bien, Mesdames et Messieurs, ces personnes attendront...

Pour nous, socialistes, la question de prudence était de se dire: «Allons-y par paliers, avec 200 millions aujourd'hui; nous verrons ce que cela donne, puis nous pourrons peut-être envisager davantage.» Car, des réformes, on peut en faire, mais j'aimerais vous poser une question: les pays qui ont baissé leurs impôts ces trente dernières années vivent-ils mieux ou moins bien ? Vivons-nous mieux aujourd'hui qu'il y a trente ans ? Moi, je n'en suis pas certain. Mme Hagmann a sorti un slogan qui est un peu de son époque, j'ai envie de dire, cela date de Ronald Reagan... (Remarque de Mme Janine Hagmann.) Oui, c'est «Trop d'impôt tue l'impôt.» Aujourd'hui, les Etats qui ont baissé leurs impôts, c'est précisément la Californie, qui est au bord de la faillite; ce sont les Etats-Unis, qui vivent à crédit; c'est la Grande-Bretagne, qui se retrouve comme un pays du tiers-monde; et c'est la France, qui ne va pas tarder à suivre. C'est ça, la réalité des baisses d'impôts ces trente dernières années ! Ce sont des Etats démantelés, des prestations sociales démantelées, et des Etats qui fonctionnent de moins en moins bien, où c'est le règne du chacun pour soi et où la précarité devient le système de vie. (Commentaires.) Et ça, Mesdames et Messieurs, les socialistes ne peuvent pas l'accepter !

Il y a aujourd'hui des projets qui nous tiennent à coeur, et nous ne pensons pas qu'en appliquant une baisse d'impôts aussi massive nous pourrons les assumer. Et cela nous pose vraiment problème ! (Commentaires.)

Alors, Mesdames et Messieurs les députés, j'ai envie de citer à nouveau ma phrase d'Obama, parce que l'Amérique a changé, heureusement ! Mais elle est au bord de la faillite ! Et nous ne pensons pas qu'aujourd'hui nous pouvons nous baser uniquement sur des baisses d'impôts pour résoudre tous nos problèmes. Ce n'est plus possible, ce sont des recettes du passé qui ont échoué, et il faut nous laisser une marge de manoeuvre !

Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, je vous invite donc à refuser ce projet de loi.

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse de minorité. Il y a trop d'impôts... Oui, nous savons bien que l'Etat étouffe beaucoup de membres de la majorité présente ici ce soir. Cependant, c'est grâce à l'impôt qu'il y a des revenus de l'Etat et un service public, et qu'il existe une importante classe moyenne à Genève. Et moins il y aura d'Etat avec ses prestations gratuites - ou à des prix raisonnables - et moins la classe moyenne existera.

Avec ce projet de loi et la baisse d'impôts qui s'ensuivra, certains, qui se trouvent dans la classe moyenne, passeront dans la classe moyenne inférieure; ensuite, au premier accident, ils deviendront pauvres, avec, certainement, moins de prestations. D'autres, faisant également partie de cette classe moyenne actuellement, seront dans la classe moyenne aisée et pourront peut-être s'approcher du groupe des riches du canton...

De nombreuses personnes situées aujourd'hui dans la classe moyenne peuvent l'être grâce à l'Etat. On pense, bien sûr, aux fonctionnaires, mais il ne faut pas oublier les mandataires de projets de l'Etat; je pense ici à la construction, à l'informatique ou à tous les milieux associatifs.

Les contribuables modestes - les personnes et les familles de la classe moyenne - devront donc bien réfléchir à leur vote: soit ils rêvent ou croient dur comme fer qu'ils deviendront riches et ne connaîtront plus de problèmes, et dans ce cas ils prendront des risques importants en votant ce projet de loi; soit les familles de la classe moyenne privilégieront la sécurité et la mise à disposition d'infrastructures de santé et d'éducation, d'appuis sociaux divers et multiples, de transports, mais aussi, comme on l'a rappelé, la possibilité de nouveaux grands projets pour l'Etat et pour la république. Alors elles voteront non à ce projet de loi dangereux et égoïste pour tous, dangereux aussi par rapport à son ampleur et à la répartition du cadeau fait en particulier aux revenus élevés.

Mesdames et Messieurs, vous avez dit que ce vote était historique: oui, effectivement, nous sommes à une charnière. C'est vrai que le parti socialiste - contrairement à ce que vous prétendez - aurait voulu, comme je l'ai relevé en premier débat, privilégier ou accorder des diminutions d'impôts à la classe moyenne, cette classe qui, précisément, ne peut plus toucher des aides de l'Etat et qui, cependant, ne vit pas avec de très hauts revenus. Voilà, Mesdames et Messieurs, je pense qu'il est inutile de répéter que nous refuserons ce projet de loi - malheureusement, comme l'a rappelé notre cheffe de groupe - parce qu'il est démesuré et ne correspond pas au temps que nous vivons ! (Applaudissements.)

M. Alain Meylan (L), rapporteur de majorité. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes arrivés au terme de ce débat, et je tiens à remercier chaleureusement l'administration fiscale de l'appui qu'elle nous a fourni en commission grâce à ses explications et à ses simulations. En effet, c'est un travail sérieux et important qui a été effectué. Mes remerciements s'adressent naturellement aussi à M. Hiler, présent tout au long de nos longues séances lors desquelles nous devions traiter d'une matière ardue. De même, je remercie tout particulièrement ceux qui m'ont soutenu dans la rédaction de ce rapport de majorité; en deux semaines, il n'a pas pu se réaliser tout seul. Ceux qui m'ont aidé se reconnaîtront dans cet hommage !

Des mots ont été lancés au cours de ces deux soirées de débats: «révolution fiscale», «la Loi - avec un grand "L" ! - fiscale de ces dix dernières années de législature», «différence entre un homme politique et un homme d'Etat» quant à une vision électoraliste ou à propos de la prochaine génération, «purgatoire» ou «lieu d'enfer», «trop d'impôt tue l'impôt», «soutenir les plus démunis», «soutenir ceux qui soutiennent les plus démunis»... On a aussi cité Obama: «Yes, we can.» Oui, Mesdames et Messieurs, nous le pouvons ! Oui, Mesdames et Messieurs les députés, la loi que nous nous apprêtons à voter est un acte essentiel et fondamental de notre législation fiscale: simplification, helvétisation, transparence et amélioration ciblée sont au rendez-vous.

Il est un fait que la charge fiscale est lourde, très lourde ! Trop lourde pour nos contribuables, dont les 65% verront leurs impôts diminuer par l'acceptation de cette loi.

Le travail réalisé par la commission est exemplaire, je l'ai dit à plusieurs reprises, et ne peut être qualifié de bâclé, comme certains le laissent entendre, bafouant ainsi leurs propres travaux - et c'est dommage. Passons.

Petit rappel: sur quoi ont débouché les sept dernières années de travail en commission, au cours desquelles cette fiscalité a été étudiée, Mesdames et Messieurs ? Ce projet de loi s'attache à réunir les cinq lois sur l'imposition des personnes physiques, en prenant en considération la LHID et l'évolution la plus récente du droit fiscal helvétique. Ce projet de loi supprime la fameuse formule mathématique qui donnait du fil à retordre même au plus brillant mathématicien pour calculer ses impôts - un manque de transparence dénoncé par tous les experts fiscaux; il supprime le système du rabais d'impôt en introduisant des déductions; il corrige l'impact fiscal pour les plus faibles revenus par un barème d'impôt retravaillé; il remplace le système du double barème par celui du splitting intégral; il introduit un bouclier fiscal pour les contribuables les plus fortunés; il instaure des déductions importantes pour les charges de famille - 10 000 F par charge entière - et les frais de garde - 4000 F; il exonère les 20% des anciennes rentes LPP; il autorise la déduction des frais médicaux dès 0,5% du revenu net; il introduit des mesures spécifiques pour les rentiers afin qu'ils conservent leurs avantages fiscaux actuels; il maintient le taux d'effort pour la valeur locative, avec une adaptation aux nouvelles dispositions. Et, cerise sur le gâteau - mais on n'en a pas beaucoup parlé au cours des deuxième et troisième débats - il intègre déjà dans notre législation fiscale le résultat de la votation d'il y a deux semaines sur la réforme II de l'imposition des entreprises !

Oui, Mesdames et Messieurs, je suis particulièrement satisfait, je dirai même presque fier, d'avoir participé à ce résultat, qui a conduit une large majorité de ce parlement, des Verts au MCG, à se concerter et à s'écouter pour construire ce texte de loi qui, je le souhaite, trouvera sincèrement un écho très favorable auprès des fiscalistes et des praticiens, mais aussi auprès de nos concitoyens qui verront leurs impôts diminuer. Il est temps que ce que l'on pouvait considérer comme le trop-perçu d'impôts revienne en partie aux habitants de ce canton, sans mettre en péril les finances publiques ni les prestations - par ailleurs excellentes - fournies à la population. Et 321 millions pour 2009, c'est à peu près le montant que nous versons, que nous avons versé, pour notre Banque cantonale pendant des années, donc cela revient à dire que, cet argent, nous l'avons !

La majorité de la commission vous invite donc à plébisciter ce projet de loi tel qu'il est ressorti des travaux de la commission, afin que le pouvoir d'achat supplémentaire qu'il dégage pour les contribuables genevois puisse, dès 2010, soutenir efficacement la consommation et la conjoncture et, ainsi, contribuer à la relance économique que nous souhaitons tous.

Enfin, grâce à cette loi, nos citoyens trouveront un mieux-être financier et l'assurance d'une plus grande équité fiscale. Je vous remercie donc d'accepter ce projet de loi fondamental pour notre république.

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

M. David Hiler, président du Conseil d'Etat. Je reviendrai simplement sur deux ou trois points qui me paraissent importants et j'aimerais également rendre hommage au travail qui a été effectué.

Il y a, je crois, maintenant deux ans que les partis de l'Entente ont déposé un projet qui, je suppose, correspond à peu près à leurs rêves, à leurs désirs, à leurs souhaits: un milliard et quelques poussières d'impôts en moins ! Le Conseil d'Etat a proposé un projet à 247 millions, valeur 2005, ce qui fait que nous assumons les 300 millions qui sont notre part. Depuis bientôt neuf mois, nous discutons en commission. Le Conseil d'Etat se targue effectivement d'avoir réussi, sur de nombreux points, à faire partager ses vues par une majorité de la commission, pas toujours la même, pour cibler là où il pensait qu'il le fallait. Ce sont les revenus que j'ai rappelés tout à l'heure: pour les célibataires, les gens qui gagnent en gros entre 30 000 et 120 000 F; pour les couples, entre 40 000 et 400 000 F - étant admis qu'on ne peut pas, ainsi, exclure la classe moyenne - et là, j'aimerais relever ceci: un couple d'enseignants du primaire, c'est 260 000 F en fin de carrière, ils font partie de la classe moyenne ! Ou alors, la classe moyenne est une expression qui ne veut plus rien dire. Il faut rappeler également que, dès lors qu'on acceptait le splitting, on acceptait que des revenus de 400 000 ou 500 000 F connaissent une baisse d'impôts - oui, c'est la règle du splitting - puisqu'on changeait le barème par le biais du splitting.

Deuxième élément, nous sommes arrivés à une solution qui me paraît - très sincèrement, comme responsable des finances - peser 100 millions de trop. Je dois aussi admettre que ces 100 millions de trop, on les trouve dans des mesures auxquelles, sur le fond, je ne peux pas m'opposer. Nous étions venus avec 8000 F pour charges de famille: la commission a gardé le chiffre de 10 000 F qui figurait dans le projet de loi que vous avez choisi pour mener les travaux. Bien ! Cela m'ennuie un petit peu pour ma tranquillité personnelle, mais je suis ravi pour toutes les familles qui en profiteront.

Nous avons effectivement cherché à ce que non seulement la majorité des rentiers AVS-AI soient gagnants - ce qui était le cas avec le projet du Conseil d'Etat - mais que l'écrasante majorité le soit ! Les services ont travaillé d'arrache-pied. Nous y avions déjà travaillé tout l'été, parce que l'équation de base était pour le moins complexe. Nous arrivons à une solution qui, il est vrai, est relativement coûteuse: il y a 75 millions pour les rentiers AVS-AI, dont 50 millions, il est vrai aussi, ont un caractère provisoire, puisqu'ils sont liés aux anciennes rentes. Donc, au fil des vingt ou trente prochaines années, ils vont effectivement diminuer, mais nous avons réussi, dans une fiscalité qui était extraordinairement positive pour les rentiers par rapport aux petits salariés, à rendre à ces derniers ce qu'ils méritaient, sans prétériter les rentiers, et cela n'était pas facile.

L'avenir... Faut-il être optimiste ? Faut-il être pessimiste ? Laissez-moi tout de même, à ceux qui ont émis quelques critiques à cet égard, rappeler que j'ai une certaine constance dans le domaine. Je suis devenu responsable des finances lorsque le déficit était de 400 millions, en disant qu'il n'y a pas besoin d'augmenter les impôts ni de couper les prestations pour revenir à l'équilibre. En octobre, j'ai obtenu de ce parlement ce qui m'a paru presque un miracle: mettre 75 millions pour moderniser le système de rémunération en faveur de la fonction publique et, en plus, procéder à une indexation qui n'était pas légère. Le pari sur l'avenir a aussi été fait à ce moment-là. Il a été fait cette fois, si je me rappelle bien, à l'unanimité moins quelques abstentions. Alors, Mesdames et Messieurs, oui, je suis persuadé que la vie d'un certain nombre de familles, dans les classes de revenus que je vous ai indiquées, va se trouver améliorée par ce projet de loi.

Est-ce que le risque est trop grand ? Là encore, est-ce de l'inconscience, mais l'analyse est la suivante: depuis 2005, Mesdames et Messieurs les députés, l'ensemble des revenus fiscaux a augmenté de 28% ! Nous allons en remettre un peu plus de 5%. Bien ! Cela fait déjà plus de 23%. Nous allons en perdre, pour deux ans au moins, voire trois, à cause de la conjoncture. Bien ! Vraisemblablement, c'est encore simple.

Mais, Mesdames et Messieurs, toujours est-il que, depuis que j'ai rédigé avec mes collègues le plan de mesures et la stratégie du Conseil d'Etat, nous sommes partis d'une chose: y compris les baisses d'impôts, l'augmentation moyenne des revenus de l'Etat, pendant les années 90 - de crise - avec la baisse de 12% voulue par une partie de ce parlement et par le peuple, a tout de même été de 3% par an. Le pari a toujours été qu'il suffisait en période ordinaire de travailler sur 1 ou 2% de croissance des charges ! Pas de décroissance des charges. Comme vous l'avez constaté, le monde étant ce qu'il est, la linéarité n'est pas ce que nous pouvons garantir au niveau des recettes. Je me serais bien passé, à vrai dire, d'avoir battu le record de l'histoire de Genève du meilleur résultat à 786 millions ! On sait que cela ouvre des appétits dans tous les sens... Pour baisser les impôts, mais aussi pour dépenser de l'argent à toutes sortes de choses. Toujours est-il que ces 786 millions ont existé et qu'à eux seuls ils permettent en réalité de passer l'année 2010 et l'année 2011 avec des déficits assez substantiels. Je reconfirme, Mesdames et Messieurs, que sur l'année 2009, sur la base des estimations que l'on fait chaque mois au niveau fiscal, nous sommes toujours à l'équilibre.

Est-ce que l'on va ruiner les communes ? Eh bien, elles vont perdre 100 millions. Mais quel est le bénéfice moyen des communes, ces quatre ou cinq dernières années ?! Deux cents millions ! Deux cents millions par année. Mais la Ville... Oui, 156 millions ! Proportionnellement, on avait l'air ridicule avec nos 500 millions. Effectivement, concernant la Ville, vous avez donné le chiffre, alors je le reprends, 50 millions, c'est le déficit qu'ils imaginent, sur les hypothèses que leur a fournies le Conseil d'Etat. Ce sont celles que je fais chaque année. Ce sont celles qui sous-estiment systématiquement, il est vrai, les revenus qui entrent - et pour des montants non négligeables, parce que la marge d'erreur est tellement grosse que je n'ai jamais pris aucun risque là-dessus. Et j'en suis bien content ! Parce que, pour l'année 2009, si nous sommes dans le budget, c'est parce qu'il y a des correctifs sur les exercices antérieurs, et ces précautions, je pense, nous permettent de travailler.

Alors est-ce que véritablement, pour un Etat qui est très présent - et qui doit l'être, compte tenu de ce qu'est la société genevoise - le fait d'avoir 5% des revenus totaux de l'Etat en moins, après ce que nous avons connu, est susceptible de remettre en cause toute l'action de l'Etat ? Et là, à l'évidence: non ! Non, non, et non ! Cela peut serrer, cela peut freiner, peut-être qu'on ne peut pas, c'est vrai, en Ville de Genève, municipaliser les crèches cette année; il faudra municipaliser l'année prochaine. En 1989, alors que j'étais président de la commission des affaires sociales, cet objet était à l'ordre du jour... Alors je pense qu'une année de plus ou de moins, franchement, on pourra supporter !

Mais pour le reste, Mesdames et Messieurs, la question est fondamentalement la suivante: est-ce utile pour l'emploi ? Comment pouvons-nous, pour l'économie locale, aider l'emploi ? Puisque nous n'allons pas acheter le stock de Rolex... Eh bien, pour cette économie-là, pour éviter la contagion des branches exportatrices, nous pouvons investir. Juste ! Nous l'avons fait et, plus, nous ne pourrions pas conduire les travaux. Bienheureux si les 800 millions que nous sommes d'accord d'investir en dépenses brutes, nous arrivons à les dépenser. Ce n'est pas si simple, ni pour nous, ni pour les entreprises. Et en même temps, quelles sont les autres branches menacées ? Eh bien, le commerce de détail, l'hôtellerie-restauration. Là, il faut du pouvoir d'achat ! Il est quand même relativement rare que ce soit par le biais de fonctionnaires que l'on aille manger les pizzas... Il faut, à un moment donné, que les gens aillent manger les pizzas tout seuls ! C'est cela qui fera tourner, et c'est cela que nous cherchons à faire. Et c'est cela qui fait que le projet pour l'emploi... Vous avez raison ! Vous avez raison, Madame Torracinta, tout ne va pas rester ici ! Mais tout de même... Dans un produit, un t-shirt, ce complet, il y a une part qui est le producteur, et elle est malheureusement petite. Et il y a une part qui est pour louer les locaux et pour payer les salaires - modestes à nos yeux, considérables au niveau international - des personnes qui travaillent à la vente. Et pour ces personnes, s'il se vend moins, eh bien il y a moins d'emplois - et il y a peu de chances de les recycler sur les chantiers, si je puis me permettre... Ce n'est pas vraiment l'idéal de leur vie.

Nous croyons donc - comme Obama, soit dit en passant ! - qu'avec ce type de mesures nous pouvons contribuer à protéger l'économie locale, le temps que l'économie dirigée vers le vaste monde, qui est extrêmement importante ici, retrouve quelque santé. Alors vous me direz: «Qu'en savez-vous, qu'elle va retrouver la santé un jour ?» Eh bien, Mesdames et Messieurs, si l'économie mondiale - je ne vous parle pas de tel ou tel pays - ne recouvre pas la santé, rappelez-vous que ce dont on parle aujourd'hui sera une paille par rapport à ce dont il faudra parler. Mais pourquoi le penser ?! Pourquoi le penser, par rapport à la réalité ? Oui, nous sommes chanceux; oui, nous sommes heureux; même dans ces circonstances. Je l'ai indiqué à certains d'entre vous, ce matin j'ai reçu avec stupéfaction les résultats de mai pour l'impôt à la source; ce ne sont pas des évaluations, c'est de l'argent qui est rentré dans les caisses. On était à moins 8% sur les quatre premiers mois; le pronostic scientifique des méthodes historiques m'amenait à moins 15%, et finalement c'est moins 1% ! Moins 1% sur la masse salariale de l'impôt à la source.

D'ailleurs, à ce stade, c'est résolument la même chose que ce qu'indiquent les statistiques sur la masse salariale. Oui, les bénéfices des entreprises sont en train de prendre l'eau ! C'est vrai, et de façon extrêmement spectaculaire ! Et là, il y aura des pertes de recettes fiscales considérables sur cette année. Mais, si nous parvenons à limiter les dégâts sur les revenus, si nous parvenons à limiter les dégâts sur l'emploi, eh bien, même si c'est relativement coûteux, à l'égard de tous ceux qui ont gardé leur emploi, nous aurons fait quelque chose d'important ! Si vous connaissez une méthode meilleure pour soutenir les 20 000 personnes qui travaillent dans la vente, les 20 000 personnes aussi qui travaillent dans ces secteurs divers, hôtellerie, restauration, services à la personne, moi je veux bien ! Mais, jusqu'à présent, et contrairement à ce qui a été indiqué par M. Velasco, c'est bel et bien la voie qui est choisie. La condition du succès, c'est que la baisse profite à des gens qui vont dépenser cet argent ! Et il n'est même pas question de relancer par une croissance du pouvoir d'achat, il est question de préserver le pouvoir d'achat. Alors oui, je comprends que, pour des questions de principe, on ne puisse pas adhérer à ce paquet - jusque-là, je suis d'accord. Mais je voudrais que chacun admette que c'est une mesure de précaution et qu'il n'y a là pas plus ni moins de compromission - puisque le terme a été utilisé - que dans le choix fait par le gouvernement et le parlement à majorité de gauche et fortement socialiste du canton de Bâle consistant à baisser l'impôt sur la fortune. Le taux, carrément ! Parce que, eux aussi, vu leur voisinage géographique, beaucoup plus agressif que le nôtre en ces matières, avaient décidé à un moment qu'il fallait faire la balance.

Oui, Mesdames et Messieurs, nous avons un Etat qui, au niveau financier, a une très grosse assiette ! Oui, c'est parfaitement juste, cela ne sert à rien de comparer à 450 000 habitants, on est sur un bassin de 600 000 habitants ! Mais, même sur 600 000 habitants, nous sommes un Etat très présent. Le Conseil d'Etat a voulu qu'il soit non seulement présent, mais efficace et efficient quant à la délivrance des prestations publiques, et je crois que nous avons fait quelques avancées. Et je pense aussi que, tout au long de cette législature, l'image des fonctionnaires s'est améliorée; les gens ont compris que, oui, on travaillait assez dur, en fait, à l'Etat, et que le métier était difficile.

Oui, il y a un risque ! Il est politique ! Est-ce que ceux qui votent aujourd'hui la baisse d'impôts vont admettre qu'on puise dans la réserve conjoncturelle ? Eh bien, nous le verrons ! Mais je ne vois pas quelle alternative il pourrait y avoir. Parce que, si l'on coupe ailleurs, tout l'effet de relance, produit par la baisse d'impôts, s'effondre ! L'important est donc d'avoir un Etat convenablement géré, où l'on vérifie que les francs investis apportent quelque chose aux citoyennes et aux citoyens. Quant aux milliards dépensés dans le domaine social - en direct ou en transferts que l'on donne aux gens - je vous le répète, ce domaine est cadré et recadré par des lois: pour couper ces montants, il faut modifier les lois concernées. Je n'ai jamais vu que le peuple genevois accepte de lâcher les personnes âgées ou les plus pauvres: lors de toutes les votations, même sur des sujets où, franchement, on pouvait discuter - les prestations complémentaires cantonales plus fortes pour l'AI que pour l'AVS - les réponses ont toujours été claires.

C'est donc avec confiance - et avec une confiance très forte, si nous parvenons à lancer Praille-Acacias-Vernets - que je vous invite à voter cette baisse d'impôt. Et je vous rappelle, Mesdames et Messieurs, que l'année où nous réaliserons le déclassement, nous effacerons un déficit ! Un déficit, c'est purement comptable. Et l'année où nous commencerons à construire des logements, nous effacerons doublement ce déficit; pas, cette fois, avec une revalorisation comptable des terrains, mais avec de l'argent qui entrera par le biais de l'impôt ainsi que par le biais de - substantiels, tout de même - droits de superficie sur les terrains, assez nombreux, que nous possédons dans le périmètre !

Au-delà de ce qui a pu séparer les uns et les autres aujourd'hui, je souhaite donc que nous fassions aboutir en 2010 le déclassement de Praille-Acacias-Vernets et le vote du CEVA, qui sont les clés du développement urbain dans le cadre de l'agglomération franco-valdo-genevoise de demain, et je vous remercie de votre attention. (Vifs applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Monsieur Pétroz, vous avez la parole.

M. Pascal Pétroz (PDC). Monsieur le président, je souhaite demander le vote nominal.

Le président. Etes-vous soutenu, Monsieur le député ? Largement !

Mesdames et Messieurs, après sept heures trente de débat, nous allons nous prononcer sur ce projet de loi 10199.

La loi 10199 est adoptée article par article en troisième débat.

Mise aux voix à l'appel nominal, la loi 10199 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 72 oui contre 15 non et 2 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Loi 10199 Appel nominal

IN 142
Initiative populaire 142 "Pour le droit à un salaire minimum"
IN 142-B
Rapport de la commission législative chargée d'étudier la validité de l'Initiative populaire 142 "Pour le droit à un salaire minimum"

Débat

Le président. Nous abordons maintenant le point 116 de notre ordre du jour. Avant de passer la parole à M. Cuendet, j'aimerais dire quelque chose à Mme Emery-Torracinta: oui, Madame, vous avez raison concernant cette initiative 142, le délai est au 31 juillet. Mais je vous rappelle que, d'ici là, nous n'avons que deux journées de séances plénières, dont une sera consacrée aux comptes. Il n'en reste donc qu'une et nous aurons déjà à examiner une autre initiative, raison pour laquelle nous devons traiter celle-ci aujourd'hui.

M. Edouard Cuendet (L), rapporteur de majorité. C'est vrai qu'il est difficile de prendre la parole après un débat historique, pour aborder un sujet qui l'est peut-être un peu moins. D'autant que l'on ne va parler ce soir que de la recevabilité et non pas du fond. Du reste, j'avais la même préoccupation que la rapporteuse de minorité, soit de savoir comment aborder ce sujet extrêmement juridique et technique. Etant donné qu'il est 22h, je ne vais pas vous assommer avec un avis de droit long et fastidieux, mais plutôt me pencher sur la genèse et les caractéristiques de cette initiative du point de vue de sa recevabilité.

Je commencerai en disant que cette initiative est placée sous le signe de la contorsion. Les premiers contorsionnistes sont les initiants eux-mêmes. En résumé, l'IN 142 propose un salaire minimum cantonal, en tenant compte des secteurs économiques et des conventions collectives, pour garantir des conditions de vie décentes. La contradiction saute immédiatement aux yeux ! En effet, comment un salaire minimum cantonal peut-il assurer des conditions de vie décentes différentes en fonction du secteur économique concerné ? Des conditions de vie décentes sont-elles différentes pour un banquier, un boucher-charcutier, un coiffeur ou une femme médecin ? Voilà la question ! Il y a donc une confusion manifeste entre salaire minimum et revenu minimum. Et cette distinction n'est pas uniquement sémantique, elle se trouve au contraire au centre du problème de la recevabilité, et les initiants en sont parfaitement conscients.

En effet, la fixation d'un salaire minimum relève clairement d'une mesure de politique économique, et ce n'est pas de la compétence des cantons mais de la Confédération; c'est donc parfaitement incompatible avec le droit supérieur, ce qui n'est pas contesté. La fixation d'un revenu cantonal minimum, en revanche, représente une mesure de politique sociale qui, elle, pourrait être compatible avec le droit supérieur.

Evidemment, les initiants ont trituré leurs méninges, ainsi que le texte de l'initiative, pour donner une vague teinte sociale à une mesure de politique économique, à savoir la fixation d'un salaire minimum. D'ailleurs, les auditions l'ont prouvé: les initiants eux-mêmes ont déclaré que la logique n'était pas satisfaisante, mais ils ont souligné que l'idée était de répondre à une remarque du Tribunal fédéral. On voit donc bien que c'est du bricolage. Lors de leur audition, les syndicats se sont du reste montrés très critiques vis-à-vis du fond de l'IN 142 et, sur la forme, ils ont confirmé que l'initiative opérait une confusion entre salaire minimum et revenu minimum.

Mesdames et Messieurs les députés, l'élément de politique économique incompatible avec le droit supérieur est absolument prépondérant, comme cela ressort de manière déjà incontestable du titre de l'IN 142. En effet, cette dernière s'intitule: «Pour le droit à un salaire minimum». Il ne s'agit donc pas d'un droit à un «revenu» minimum, mais d'un droit à un «salaire» minimum. Ainsi, rien que par son titre, cette initiative est absolument incompatible avec le droit fédéral supérieur. Le Grand Conseil ne doit donc pas se laisser abuser par des tentatives de travestissement d'une mesure de politique économique en une vague mesure de politique sociale. Notre Conseil ne pourra que constater l'irrecevabilité totale de l'IN 142, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral et au principe de la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons, qui ne laisse aucune place aux cantons pour fixer un salaire minimum.

Le second contorsionniste de cette affaire est le Conseil d'Etat: les méandres de son rapport sont aussi nombreux et tortueux que ceux de l'Amazone. En effet, si l'on fait abstraction des fioritures et que l'on se concentre sur le raisonnement et les conclusions, le constat est frappant et sans appel: l'IN 142 n'est pas compatible avec le droit supérieur. Le Conseil d'Etat le reconnaît expressément dans plusieurs passages de son rapport que j'ai cités de manière complète dans mon propre rapport de majorité. Je vous épargnerai donc leur lecture, mais les conclusions ne prêtent absolument pas au moindre doute.

Dans son rapport, le Conseil d'Etat cherche à s'en sortir en affirmant que cette violation du droit fédéral et supérieur ne serait pas manifeste. Mais alors, que faudrait-il pour que cette violation soit manifeste ? Rien que le titre est contraire au droit supérieur ! On constate que tous les développements juridiques menés par le Conseil d'Etat arrivent à la conclusion que l'on viole la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons, et qu'il y a une violation de la liberté économique, de même qu'une violation du principe fondamental de la proportionnalité. En effet, le but recherché - à savoir un salaire non pas minimum, mais convenable - est déjà atteint par le biais de mesures de politique non pas préventives, comme le prévoit l'initiative, mais répressives, comme le prévoit le code des obligations, et donc ce principe de la proportionnalité n'est pas respecté puisque l'initiative tire avec un bazooka alors que le droit fédéral prévoit déjà des mesures proportionnées.

Pour tous ces motifs, je vous invite, comme la majorité de la commission législative, à constater l'irrecevabilité totale de cette initiative pour non-conformité avec le droit supérieur, violation de la liberté économique et violation du principe de la proportionnalité.

Mme Anne Emery-Torracinta (S), rapporteuse de minorité. Monsieur le rapporteur, si vous le permettez, je ne vous appellerai pas Monsieur le rapporteur de majorité, mais Monsieur le rapporteur de la moitié. En effet, ce n'est que la moitié de la commission qui a déclaré cette initiative irrecevable mais, comme vous le savez, notre règlement prévoit qu'en cas d'égalité des voix c'est le non qui l'emporte - donc, en l'occurrence, l'irrecevabilité.

Vous avez parlé de contorsions, Monsieur le rapporteur de la moitié, mais les contorsions, c'est vous qui les faites ! En effet, lorsqu'on examine la recevabilité d'une initiative, on se doit de faire les choses en ordre; il faut suivre les règles du droit et regarder si cette initiative est respectueuse d'un certain nombre de nos règles. Je ne vais pas vous faire l'affront de vous paraphraser ou de vous lire l'ensemble de mon rapport - de l'autre moitié - parce que ce serait un peu long et lourd, mais je vais quand même reprendre quelques points qui me semblent importants, notamment par rapport à ce que vous avez dit.

S'agissant de la recevabilité matérielle, cette initiative pose éventuellement des problèmes à deux niveaux: celui de la liberté économique et celui de la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons. Pour le reste, je crois que nous étions d'accord, donc je ne reviendrai pas sur les détails.

En ce qui concerne la liberté économique, on peut tout à fait atteindre à cette liberté en Suisse, à condition toutefois que l'on respecte certaines règles, qui sont au nombre de trois: il faut qu'il y ait une base légale, de même qu'un intérêt public, et il faut respecter cette fameuse proportionnalité. S'agissant de la base légale, c'est évident, et les initiants nous l'ont rappelé, il s'agit d'une initiative constitutionnelle, il y aura donc une loi, et la condition de la base légale sera ainsi réalisée. Pour ce qui est de l'intérêt public, on peut y revenir dans le détail si vous le souhaitez, mais il est clair que l'on est bien dans une mesure qui relève de la police ou de la politique sociale, et en tout cas pas de la politique économique, puisqu'il ne s'agit pas de fixer des salaires de manière généralisée en Suisse.

La question la plus intéressante est celle de la proportionnalité. Est-ce que cette initiative ne va pas trop loin ? Est-ce qu'elle respecte un certain nombre de sous-principes ? Et là, Monsieur le rapporteur, je crois que vous commettez certaines erreurs. En effet, pour respecter la proportionnalité, il faut tout d'abord que l'initiative soit apte à atteindre le but souhaité. Or on peut bien imaginer que, si l'on fixe des salaires minimaux en Suisse, on atteindra le but souhaité, qui est celui d'éviter par exemple les working-poors. En ce qui concerne le deuxième sous-principe, soit la nécessité, c'est un peu plus subtil. Est-ce qu'il n'existerait pas des moyens plus légers, dans le cadre notamment d'un partenariat social, plutôt que d'adopter une initiative qui serait assez contraignante ? Mais là aussi, on peut se dire que le principe de la nécessité peut être respecté puisque, jusqu'à preuve du contraire en Suisse, nous avons aujourd'hui encore de très bas salaires; et si cette initiative n'était pas nécessaire, nous ne serions pas dans la situation que nous connaissons actuellement.

Plus subtilement, vous avez parlé de la proportionnalité au sens étroit, qui constitue le troisième sous-principe. A ce propos, il est assez intéressant d'examiner un certain nombre d'éléments. D'abord, on a déjà eu un avis de droit du Tribunal fédéral - dans les années 50, il est vrai - au sujet d'une initiative bâloise qui souhaitait un salaire horaire minimum de 2 F. Là, le Tribunal fédéral avait tranché en disant que ce n'était pas possible, parce qu'au fond on imposait le même salaire à tout le monde et sans aucune nuance. Or l'initiative qui nous est soumise précise bien qu'elle va respecter un certain nombre de distinctions et qu'il sera tenu compte des différents secteurs économiques. Vous avez donc beau dire que vous ne savez pas comment les initiants ont «tripatouillé» les choses, mais toujours est-il que cette initiative ne va pas imposer le même salaire partout et à tout le monde, et par conséquent on peut dire que la proportionnalité est respectée.

Vous passez aussi comme chat sur braise sur une initiative vaudoise qui a été formulée dans des termes exactement semblables, à une toute petite nuance près, c'est que l'initiative vaudoise prévoit des différences régionales, mais on sait que pour Genève cela n'aurait aucun sens, puisque nous sommes un canton-ville. Cette initiative a été soumise à la sagacité des juristes de la couronne vaudoise, et l'avis de droit vaudois va tout à fait dans le sens de dire que le principe de la proportionnalité est respecté, et que l'on peut parfaitement instituer un salaire minimum différencié et respecter la proportionnalité. Par conséquent, s'agissant de la liberté économique, je crois qu'il n'y a pas à tergiverser: cette liberté économique, au sens de l'article 36 de la Constitution, est respectée.

Le point concernant la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons est nettement plus subtil, mais il faut savoir que la constitution genevoise dit très clairement que l'on doit invalider une initiative lorsque celle-ci est manifestement non conforme au droit. Le Conseil d'Etat consacre une quinzaine de pages de son rapport à cette question; or, si cela avait été facile à trancher, dans un sens ou dans l'autre, cela aurait été fait en deux ou trois paragraphes ! Si l'on y consacre quinze pages, c'est bien que la question est complexe et que, en tout cas, cette initiative n'est pas manifestement non conforme au droit supérieur. En effet, il n'y a pas ou peu de doctrine en Suisse sur cette question, et les différents professeurs d'université qui ont eu l'occasion au cours des ans de s'intéresser à ces problématiques arrivent à des avis différents et nuancés, en disant notamment que la question de la constitutionnalité des salaires minimaux n'a pas été définitivement tranchée et que ces derniers sont admissibles dans certaines circonstances. D'autre part...

Le président. Il faudra terminer, Madame la députée !

Mme Anne Emery-Torracinta. Oui, juste encore une ou deux phrases, puis je reprendrai la parole plus tard ! Les cantons ont la possibilité de légiférer dans ce domaine, pour autant que la Confédération n'ait pas une compétence exhaustive dans ce dernier. Or, en l'occurrence, on ne peut pas dire que la Confédération ait une compétence exhaustive. Là aussi, l'avis de droit du canton de Vaud est extrêmement clair, et le Conseil d'Etat le reconnaît également, en disant qu'on peut hésiter sur le respect ou non de la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons, mais qu'en tous les cas ce n'est pas manifestement non conforme et que, dans ce cas-là, le doute doit bénéficier aux initiants et l'initiative être soumise au vote populaire.

M. Olivier Jornot (L). Il y a sans doute un point sur lequel nous devrions tous être d'accord, c'est que cette initiative est sur le fond singulièrement sotte. Elle prévoit d'introduire une politique économique qui s'approche probablement de celle de la Corée du Nord, et je crois que même le parti socialiste - qui ce soir pourtant a fait la démonstration d'un dogmatisme idéologique particulièrement obtus - devrait être d'accord de ne pas soutenir ce texte promu par l'extrême gauche.

Cependant, nous ne nous accordons pas sur la question de savoir s'il convient ou pas que le peuple se prononce sur ce sujet. Le rapporteur de majorité a pourtant bien montré que, contrairement à ce que pouvaient laisser entendre les dizaines et dizaines de pages pondues par le Conseil d'Etat dans son rapport, la question pouvait être résumée de manière relativement simple. Nous savons en effet que, lorsque l'on parle de rémunération minimum, il peut s'agir soit d'un revenu minimum, dans la perspective de celui qui le reçoit - un revenu social, par famille et en fonction des besoins, qui tient compte de l'ensemble des ressources, à savoir pas seulement du salaire, mais également de l'aide sociale - soit d'un salaire minimum, c'est-à-dire ce que l'on demande à l'employeur de verser pour qu'il paie le juste prix du travail.

Dans cette affaire, vous le savez bien pour avoir lu le texte, les initiants se sont pris les pieds dans la barbe de la jurisprudence fédérale, parce que pour essayer de dire une chose et qu'en même temps le texte soit recevable, ils nous ont indiqué qu'il s'agissait d'un salaire minimum par branche, et ils sont allés jusqu'à déclarer que cela devait tenir compte des conventions collectives de travail. Deux initiants sont du reste venus nous dire sur ce dernier point ce qu'ils pensaient de l'interprétation de ce texte, en nous donnant les deux variantes contradictoires.

Bref, nous avons ici un salaire minimum et non pas un revenu minimum d'ordre social, il s'agit donc bel et bien d'une initiative qui porte sur la politique économique et non pas d'une mesure de simple police économique. C'est une véritable politique économique ! On nous propose en clair de passer dans une économie planifiée et que ce soit l'Etat, c'est-à-dire ce Grand Conseil, qui fixe les salaires dans chacune des branches de l'économie. Si cela, ce n'est pas de la politique économique, alors il n'y a jamais de politique économique ! Or il est rigoureusement exclu, en raison de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons, qu'un canton soit compétent pour décider de passer à l'économie planifiée; cela ne se peut pas et ne saurait être.

Par conséquent, cela signifie, Mesdames et Messieurs, que nous devons reconnaître aujourd'hui l'irrecevabilité totale de cette initiative, comme le Conseil d'Etat aurait dû le faire s'il avait simplement tiré la conséquence de son texte, puisqu'il nous a lui-même indiqué que l'initiative était contraire à la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons - je vous passe la citation dans son ensemble. Pourtant, le Conseil d'Etat, par une pirouette et un triple salto arrière, parvient à nous dire que, malgré cette contrariété, il faut déclarer l'initiative recevable. C'est certes parfaitement louable du point de vue du respect sacro-saint que nous devons avoir envers les droits populaires, mais c'est malheureusement regrettable par rapport au respect dont nous devons faire preuve à l'égard des électeurs. En effet, il n'est pas juste que nous fassions voter les Genevois sur un texte qu'ils n'auraient pas le droit ensuite de voir appliqué, parce que contraire aux textes les plus élevés de notre pays. Je vous invite donc à suivre l'égalité majoritaire - pour reprendre l'expression de Mme Emery-Torracinta - et à déclarer cette initiative contraire au droit fédéral et irrecevable.

M. Eric Bertinat (UDC). Avec cette initiative, on nous propose d'ouvrir un chantier - car tel est, selon Pierre Vanek, le but de l'IN 142 - et de laisser les autorités se débrouiller pour le terminer. Mais avant de poser la première pierre, ces mêmes autorités se trouvent bien embarrassées pour préciser de quel chantier il s'agit. Pour les initiants, il est question d'un droit à un salaire minimum; pour le rapporteur de la minorité, il faut comprendre que l'initiative demande que les salaires soient suffisants et, pour un représentant de la Communauté genevoise d'action syndicale, on parle de revenu minimum. Autant de termes qu'il faut comprendre à l'étude de la Constitution fédérale, du droit civil, du code des obligations et même de la Déclaration universelle des droits de l'Homme qui, selon les initiants, a servi de base à leur démarche.

Un député a parlé de la clarté discutable du texte, ce qui pose immanquablement la question d'une décision populaire difficilement applicable. L'exemple jurassien nous en donne un avant-goût. Le rapport du Conseil d'Etat a passé à la loupe tous les aspects concernant la validité de l'initiative et a fini par la déclarer recevable. Toutefois, l'UDC ne partage pas l'opinion du Conseil d'Etat. Notre groupe estime en effet que le texte de l'IN 142 est manifestement contraire au droit supérieur pour les trois raisons suivantes.

Premièrement, cette initiative viole la liberté contractuelle, selon laquelle les employeurs et les travailleurs négocient librement les salaires. A cet égard, le Conseil fédéral a bien précisé que la fixation de salaires minimaux par un organe étatique constituait une atteinte sérieuse à la liberté contractuelle. Deuxièmement, dans les domaines régis par le droit fédéral, les cantons ne peuvent édicter des règles de droit public que si celles-ci sont urgentes et justifiées par des motifs de police économique. Or il convient de rappeler que 94% des secteurs économiques sont couverts à Genève par des CCT qui imposent des salaires minimaux. Finalement, le droit des contrats n'autorise l'introduction d'un salaire minimum qu'en cas de sous-enchère abusive et répétée, et uniquement sous la forme d'un contrat type de travail.

En conclusion, L'UDC considère que la non-conformité de l'IN 142 au droit supérieur est manifeste, raison pour laquelle le groupe refusera sa recevabilité matérielle.

M. Gabriel Barrillier (R). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais tout d'abord remarquer que, pour la énième fois, on demande au Grand Conseil, qui est un organe politique, de dire le droit. A chaque exercice, on conclut d'une façon ou d'une autre et, neuf fois sur dix, cela finit au Tribunal fédéral. J'ai donc comme l'impression que cette initiative-là va aussi faire son petit tour au Tribunal fédéral ! En effet, cela a été relevé, il y a un manque de jurisprudence et une doctrine insuffisante sur une problématique compliquée.

Je crois que tout a été dit, mais j'aimerais relever la schizophrénie du Conseil d'Etat. Je ne peux pas m'en empêcher ! En effet, j'ai trouvé dans le rapport du Conseil d'Etat au moins à une quinzaine d'endroits une démonstration et une argumentation qui, normalement, auraient dû aboutir à l'irrecevabilité. J'appelle donc cela de la schizophrénie, et le chef de département le sait.

Ce qui me paraît le plus important dans cette problématique, c'est que la clarté du texte - qui n'est pas un critère constitutif essentiel de la recevabilité - pose problème, et on l'a bien vu lorsque nous avons auditionné les syndicats et même les initiants. Les conventions collectives de travail sont-elles comprises ou pas ? On a eu plusieurs réponses. Y aura-t-il plusieurs salaires minimaux selon les branches ? A ce sujet, nous n'avons pas reçu de réponse tout à fait claire. A fortiori, nous avons constaté que les syndicats qui ont été auditionnés ont pour le moins eu l'expression d'une position assez incertaine sur cette problématique.

Par ailleurs, j'aimerais ici souligner que, s'agissant de la conformité au droit supérieur - et c'est à cette aune-là que nous avons jugé l'IN 142 - nous savons très bien que, avec la libre circulation des personnes que nous avons votée à plusieurs reprises, le parlement et le droit fédéral sont allés très loin dans la fixation et la vérification de conditions salariales - et sociales - décentes, puisqu'il s'agit de lutter contre la sous-enchère répétée et abusive. Et le dispositif fédéral qui a été mis au point pour éviter cette sous-enchère répétée et abusive va très loin dans le contrôle, par les partenaires sociaux et l'Etat, des conditions de travail lorsqu'il y a dumping. Par conséquent, les syndicats étant dubitatifs et le dispositif fédéral étant complet, nous en avons déduit à juste titre que cette initiative était totalement irrecevable.

Encore un mot sur la constitution jurassienne de 1977, sauf erreur. Celle-ci contient une disposition sur cette problématique du salaire minimum, mais j'ai fait remarquer - et personne ne l'a contredit en commission - qu'il faut se souvenir des circonstances dans lesquelles cette constitution a été acceptée et ratifiée par le Parlement fédéral. Je ne dis pas qu'il y a eu complaisance mais, en tout cas, à l'époque, il est clair que cette disposition n'a pas été contestée par le législateur fédéral ni par le Conseil fédéral parce qu'il fallait, dans les circonstances qui entouraient la naissance du nouveau canton, aller de l'avant et ne pas freiner cette marche. En conclusion, nous sommes tout à fait convaincus que cette initiative, étant contraire au droit fédéral, doit être entièrement invalidée.

Mme Loly Bolay (S). On parle beaucoup du Tribunal fédéral, M. Barrillier l'a dit tout à l'heure, et c'est d'ailleurs assez cocasse parce que, lorsque la minorité de ce Grand Conseil fait des rapports - comme par exemple celui de l'IN 126 sur l'énergie - voilà que le Tribunal fédéral lui donne raison ! Il a aussi donné raison au sujet de l'initiative sur la fumée et, lorsque plusieurs ténors ici ont fait recours, ils ont perdu au Tribunal fédéral. Donc, pour ma part, je me réjouis parce que, vous avez raison Monsieur Barrillier, cette initiative ira certainement au Tribunal fédéral et celui-ci nous donnera vraisemblablement raison à son sujet, pour les raisons que ma collègue a exposées tout à l'heure, mais également pour celles que je vais citer maintenant.

Que demande l'initiative ? Elle souhaite que l'Etat institue un salaire minimum dans tous les domaines d'activité économique, en tenant compte de tous les secteurs économiques et des salaires fixés dans les conventions collectives de travail. C'est dire si cette initiative, ainsi rédigée, respecte le principe de proportionnalité. D'ailleurs, dans un avis rendu par le Conseil fédéral le 20 avril 1977 - cela fait donc un moment ! - ce dernier dit ceci: «Selon l'article 6 du code civil, le droit public cantonal est toutefois réservé. Un canton pourrait, pour des raisons relevant de la police économique, prescrire des salaires minimaux lorsque, par exemple, les salaires payés ne suffisent pas à couvrir le minimum vital.» Or, Mesdames et Messieurs les députés, il faut savoir qu'il n'existe aujourd'hui que 132 conventions collectives de travail, 132 ! Cela signifie que seuls 40% des travailleurs sont couverts par ces conventions collectives de travail, et qu'il y a de nombreux autres domaines d'activité où les employés ne sont pas couverts. En outre, depuis quelque temps, soit depuis l'ouverture des frontières, on assiste à des dumpings salariaux. On voit bien qu'il y a des gens qui n'ont pas le minimum pour vivre, bien qu'ils travaillent huit heures par jour. C'est dire si cette initiative répond à un intérêt public prépondérant.

Maintenant, la question est de savoir si cette initiative est conforme au droit supérieur. Cette question, comme celle de sa recevabilité, est au coeur même du débat que la commission législative a eu, et c'est ce à quoi nous devons répondre ce soir.

Lorsqu'on lit le rapport du Conseil d'Etat, on voit qu'il est très mitigé, pour ne pas dire qu'il s'agit d'un jugement à la Salomon. En effet, le Conseil d'Etat écrit ceci à la page 29 de son rapport: «En conclusion, l'IN 142 porte atteinte à la liberté économique, mais - et ce mais est très important ! - une interprétation de son texte permet de considérer qu'elle ne constitue pas nécessairement une atteinte disproportionnée à la liberté économique.» Comprendra qui pourra ! Puis, à la page 31, ce même Conseil d'Etat nous dit qu'on peut considérer que l'initiative populaire 142 n'est pas manifestement contraire au droit supérieur. Je répète: «n'est pas manifestement contraire au droit supérieur». Eh oui, Monsieur Barrillier ! C'est comme ça ! C'est le Conseil d'Etat qui le dit ! Par conséquent, l'initiative 142 - et ce n'est pas moi qui le dis, mais le Conseil d'Etat - doit être considérée comme recevable, même si, comme il le fait souvent quand cela ne l'arrange pas, le Conseil d'Etat déclare qu'il faut la refuser. Mais nous, nous ne voulons pas la refuser ! En effet, Monsieur Longchamp, vous qui représentez le Conseil d'Etat aujourd'hui dans cette enceinte, il y a déjà eu un précédent concernant une initiative similaire dans le canton de Vaud. Et, dans un arrêt du Tribunal fédéral, on lit que, dans la mesure où elle respecte le principe de proportionnalité, en instituant un salaire minimum différent, et dans la mesure où elle poursuit un but politique social, sans viser à interférer avec la libre concurrence, on peut dire que cette initiative respecte le droit supérieur, ainsi que le principe de proportionnalité, et doit donc être déclarée recevable. Je vous remercie de m'avoir écoutée ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. J'ai le plaisir de saluer à la tribune d'anciens enfants travailleurs, invités par la Marche mondiale pour témoigner sur le travail des enfants à l'occasion du 10e anniversaire de la Convention 182 de l'OIT, soit la «Convention concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination.» (Applaudissements.)

Mme Emilie Flamand (Ve). C'est une soirée un peu surprenante ! On a en effet entendu M. Cuendet puis M. Jornot nous parler des conditions de vie des travailleurs et d'un revenu minimum qui devrait comprendre l'aide sociale. Entendre les libéraux me faire l'éloge de l'aide sociale... Pour moi, c'est une soirée assez exceptionnelle, je dois vous le dire ! (Commentaires.)

Pour redevenir un peu plus sérieuse, je n'ai pas grand-chose à ajouter à l'excellent rapport de minorité de ma collègue Anne Emery-Torracinta, qui l'a rédigé de façon tout à fait claire et synthétique. Cette initiative n'est pas manifestement contraire au droit supérieur, comme elle devrait l'être si nous devions la juger invalide. D'ailleurs, les arguments sur lesquels repose le raisonnement de la moitié-majorité sont extrêmement complexes, voire un peu tirés par les cheveux. En effet, nous avons plusieurs cas similaires en Suisse, et la constitution du Jura comporte un article semblable. Or si je veux bien croire qu'à l'époque le contexte historique faisait qu'il aurait été difficile de ne pas garantir la constitution jurassienne, je pense tout de même que l'on n'aurait pas pu garantir tout et n'importe quoi dans cette même constitution.

Par ailleurs, une initiative ayant exactement le même texte a été déposée dans le canton de Vaud et un avis de droit extrêmement fouillé a été rendu par les services juridiques de l'Etat de Vaud, lequel concluait à la validité de l'initiative.

L'applicabilité, dont plusieurs personnes ont parlé ici, sera un autre problème. Il est vrai que la constitution du Jura n'a jamais été concrétisée dans une loi, mais c'est un problème tout à fait différent. Aujourd'hui, nous devons nous prononcer sur la validité de cette initiative et, telle qu'elle est, elle est valide. Encore une fois, on peut regretter que le fond du débat influence la forme et nous savons que la majorité de ce parlement n'est pas favorable au fond de cette initiative mais, de grâce, ne surchargeons pas une fois de plus le Tribunal fédéral avec nos petites genevoiseries ! Si vous croyez que cette initiative est mauvaise, laissez-la venir devant le peuple, présentez à ce dernier un argumentaire et vous pouvez avoir confiance pour qu'il vote selon vos arguments.

En conclusion, les Verts soutiendront la validité de cette initiative et vous invitent à en faire autant. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. Le Bureau décide de clore la liste. Doivent encore prendre la parole MM. Stauffer, Jeanneret, Sauty, Catelain, Mme Emery-Torracinta, M. Cuendet et le conseiller d'Etat Longchamp.

M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je rigole ce soir d'entendre les socialistes nous parler de dumping salarial - je fais ce petit aparté avant de parler de la légalité ou de la recevabilité de l'initiative 142. Je rigole parce que, pendant des mois, le MCG a dénoncé avec force le fait que les accords bilatéraux I et II et l'afflux massif de frontaliers ont provoqué du dumping salarial, et vous nous avez toujours contrés en disant que ce n'était pas vrai et que c'était marginal. Et aujourd'hui, votre premier argument consiste à dire qu'il y a du dumping salarial et qu'il faut instaurer un salaire minimum ! Laissez-moi donc vous dire que je me marre gentiment de votre incohérence politique...

Le président. Venez-en aux faits, s'il vous plaît !

M. Eric Stauffer. Oui, bien sûr ! Mais enfin, c'est un fait indéniable lié directement à l'initiative 142, si vous me le permettez, Monsieur le président.

Vous avez dit que le Conseil d'Etat a indiqué que l'initiative serait normalement recevable, partiellement recevable ou que sais-je, mais moi j'ai appris durant cette législature à ne pas prendre comme parole d'évangile les appréciations du Conseil d'Etat, tant il est vrai que le Tribunal fédéral a cassé bien des décisions du gouvernement, notamment en ce qui concerne les muselières pour les chiens, une votation sur l'initiative 134, sauf erreur, au sujet de l'école, et j'en passe et des meilleures. Le Conseil d'Etat n'est donc pas vraiment une référence en cette matière.

Au MCG, l'appréciation que nous en avons faite est qu'effectivement, conformément à l'article 27 de la Constitution suisse, il y aurait un problème d'incompatibilité et de non-respect du droit supérieur. Pour cette raison, le MCG va s'opposer à la recevabilité de cette initiative et, lorsque nous parlerons sur le fond - car je ne doute pas qu'un jour nous allons arriver à débattre sur le fond - nous combattrons avec la dernière énergie l'instauration d'un salaire minimum. En effet, nous ne voulons pas de smicards genevois, à l'image des Français. C'est une véritable catastrophe parce que, lorsqu'il y a un salaire minimum, cela devient la référence, et tout le monde est payé au minimum. Alors si vous voulez continuer, Mesdames et Messieurs les socialistes, qui êtes cette fois rejoints par les Verts - on voit que les alliances se font et se défont dans ce parlement - c'est votre responsabilité ! Vous allez continuer à paupériser la population genevoise avec des salaires de plus en plus bas et une concurrence effrénée qui vient de l'Union européenne, et cela, nous n'en voulons pas. Les conventions collectives sont là pour régler les problèmes dans chaque corporation, et ces conventions ont fait la fierté de la Suisse, qui a un niveau de salaire bien supérieur à celui de l'Europe. En instaurant un salaire minimum, vous allez encore déguiller le peu de pouvoir d'achat que les Genevois ont, et le MCG s'y oppose avec la dernière énergie !

M. Claude Jeanneret (MCG). Je trouve un peu dommage de constater que l'on se base ici, au niveau parlementaire, sur des juges fédéraux pour savoir si une initiative est recevable ou pas. Il me semble que c'est assez grave, parce qu'il y a autant d'avis de droit que de juristes ! Heureusement, je n'en suis pas un, je me contenterai donc d'être un économiste d'entreprise, ce qui est quelque part tout aussi détestable !

Je ne pense pas que, dans une confédération qui a toujours donné la priorité aux contrats et à la convention contractuelle, une réglementation obligatoire d'un salaire vienne servir le travailleur. Je dirai au contraire que cela va le desservir ! On peut citer un petit exemple: si l'on compare une vendeuse et une femme de ménage, la vendeuse est sur un contrat collectif et gagne moins qu'une femme de ménage, ce qui signifie qu'il y a un respect du travail qui existe en Suisse. On a, par l'esprit confédéral, et non pas par l'esprit obligatoire d'une initiative, des salaires plus élevés que partout ailleurs dans le monde parce qu'on a une liberté contractuelle, on a un respect du travail, on a un argent bon marché, on a une économie qui fonctionne, on a des initiateurs d'économie et on a des gens qui travaillent. Le seul danger qui existe chez nous, c'est justement le salaire minimum, parce qu'à ce moment-là on va devenir comme la France, avec un SMIC qui est la référence générale d'un petit salaire. Et que voit-on arriver maintenant ? Des centaines, des milliers d'eurofrontaliers, qui s'engagent à n'importe quel prix chez nous, parce que de toute façon leur salaire sera supérieur au SMIC. Et c'est pour cela qu'avec cette initiative, indépendamment du droit fondamental des juristes, le droit de réglementation entre adultes va disparaître, au point de vue du droit commercial et du droit fondamental de la Suisse, et cela au détriment du travailleur. Par conséquent, nous sommes totalement opposés à entrer en matière sur ce projet.

M. Olivier Sauty (MCG). J'hésitais à prendre la parole, parce qu'on ne sait pas très bien quoi faire. Vous avez pu voir dans le rapport que le commissaire MCG à la législative - en l'occurrence moi-même - a voté oui à la recevabilité. Je ne vais pas changer d'avis aujourd'hui, et je vais vous dire pourquoi. Sur le fond, si cette initiative devait être présentée, le MCG et moi-même nous y opposerions formellement, parce que ce n'est pas au législateur de fixer les salaires minimaux, mais bien aux conventions collectives, qui sont du reste à Genève extrêmement efficaces. Maintenant, ce n'est pas parce que je suis opposé à l'idée que le législateur fixe les salaires que cette initiative en est pour autant irrecevable. Je pense que cette initiative est conforme au droit supérieur et qu'elle doit être présentée au peuple. Toutefois, ce que j'espère, c'est que, si elle est présentée au peuple, elle sera refusée. Voilà mon avis, et je vous invite personnellement à voter oui ce soir.

M. Gilbert Catelain (UDC). Le débat est censé porter sur la recevabilité de cette initiative. L'enjeu ne porte donc que sur un seul point, à savoir la conformité au droit supérieur. C'est un aspect essentiel.

Puisqu'on peut le faire, je relèverai au passage l'exemple d'un canton comme le Jura, qui a accepté ce salaire minimum. De quoi s'aperçoit-on ? Que le Jura est un canton où il y a peu d'emplois - mais où il y en a beaucoup, comme dirait Eric Stauffer, pour les frontaliers. Donc, cela n'a pas été praticable. Finalement, les Jurassiens viennent travailler à Genève, car, s'il n'y a pas de salaire minimum, le revenu y est cependant plus élevé que dans le canton du Jura. Apparemment, ce type de comportement se reproduit chaque fois qu'on prend ce genre d'initiative.

Concernant la recevabilité de cette initiative, je dirai que, au minimum, il y a le doute... Au minimum ! En principe, lorsqu'il y a doute, on s'abstient. Donc, sur le principe, on ne devrait pas voter la recevabilité, mais s'abstenir ou la refuser.

Par rapport à toutes les explications qui nous ont été fournies en commission, notamment quant à l'absence de marge de manoeuvre pour l'Etat de légiférer dans le domaine du droit du travail, et par rapport, aussi, au fait que les représentants des initiants - respectivement des associations de défense des travailleurs - ont exprimé des différences d'appréciation entre revenu minimum et salaire minimum, le peuple ne pourra pas faire la distinction entre revenu et salaire... On ne sait pas exactement ce que nous propose cette initiative. A mon avis, il y a plus que doute. C'est la raison pour laquelle nous ne devons pas voter la recevabilité de cette initiative.

Mme Anne Emery-Torracinta (S), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, il n'y a pas forcément beaucoup de juristes dans ce parlement, mais c'est quand même formidable de voir des gens, qui n'étaient pas en commission et qui ne sont pas juristes, venir donner des leçons de droit ! Quand M. Catelain nous dit que, puisqu'il y a doute, il faut en tout cas dire que ce n'est pas recevable... Monsieur Catelain, si vous lisez la constitution du canton de Genève, vous verrez qu'il faut que ce soit «manifestement non conforme» ! Un doute, ce n'est pas «manifestement non conforme» ! Donc, faites une lecture claire de la constitution.

Quand M. Stauffer nous parle de dumping... Il est complètement à côté de la plaque. En effet, concernant le dumping, il y a un article du code des obligations, le 360a, qui permet au canton d'intervenir dans un cas très particulier: lors de sous-enchères salariales abusives et répétées. On n'est pas dans cette problématique-là, donc ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas, Monsieur le député !

M. Barrillier a évoqué la question des conventions collectives. Je crois, Monsieur le député, que vous avez mal lu, aussi, le texte de l'initiative, puisqu'il stipule très clairement qu'il sera tenu compte des secteurs économiques ainsi que des salaires fixés dans les conventions collectives. Il me semble que c'est clair, il ne s'agit pas de passer par-dessus ce qui existe actuellement.

On nous dit aussi: «Nous ne sommes pas juristes, mais il y a des avis de droit... Ce n'est pas très clair...», etc. Ici, nous avons deux avis de droit: celui du Conseil d'Etat genevois et celui des juristes vaudois. Les deux concluent à la recevabilité ! L'un des deux c'est - sans aucun problème, à mon avis - celui des Vaudois. Cet avis considère qu'il sera peut-être difficile d'instaurer une loi d'application, mais que c'est totalement recevable. Et il y a l'avis du Conseil d'Etat genevois, qui est un peu plus nuancé, qui indique qu'il y a quelques doutes mais que c'est recevable. On dit souvent qu'il y a deux juristes et trois avis. En l'occurrence, on a deux avis qui, quant à la recevabilité, concordent ! Il me semble donc qu'on peut les suivre.

Ce qui est intéressant également, c'est que l'avis de droit vaudois reprend une comparaison avec le domaine du droit du bail. Là aussi, dans le droit du bail, il y a des analogies avec le droit du travail; et à réitérées reprises l'avis de droit vaudois nous indique que «le Tribunal fédéral a reconnu la possibilité pour les cantons de légiférer, malgré la primauté du droit fédéral». Donc, il y a une marge de manoeuvre. Simplement, si l'on est honnête, on reconnaît qu'il n'y a pas eu de situation récente où le Tribunal fédéral a dû se prononcer, c'est pour cela qu'on est un peu dans le flou. C'est pour cela aussi que le flou doit profiter en tout cas aux initiants.

Par ailleurs, Monsieur Jornot... Soyons sérieux. Vous avez évoqué la Corée du Nord... N'exagérons pas ! Vous avez parlé de politique économique. Bien sûr qu'on serait dans une atteinte à la liberté économique, en ayant une politique économique, si véritablement tous les salaires étaient fixés par l'Etat. Mais il n'est pas question de tous les salaires ! Il est question des bas salaires, en essayant de fixer une limite minimale. Là, on est typiquement dans ce que l'on appelle de la police économique. Je ne vous donnerai qu'un exemple: je discutais hier avec une jeune coiffeuse qui venait de changer d'emploi, parce qu'elle était payée - dans un salon genevois - 2700 F net, donc à peu près 3000 F brut, par mois... Jeune coiffeuse diplômée ! Si vous n'appelez pas cela un bas salaire... C'est pratiquement en dessous de ce qu'on a prévu pour les emplois de solidarités, Mesdames et Messieurs les députés ! Alors, là on est bien dans la police économique, parce qu'il s'agit peut-être de faire respecter les conventions collectives ! En l'occurrence, dans la coiffure, elles ne sont plus respectées depuis deux ans.

Pour conclure, je dirai que nous devons admettre que cette initiative est recevable. Et, Mesdames et Messieurs les députés, depuis le début de la législature, chaque fois qu'une initiative vous a déplu sur le fond, chaque fois vous lui avez cherché des poux ! Et vous avez cherché à faire en sorte qu'elle soit déclarée irrecevable. Au bout du compte, je me demande bien de quoi vous avez peur, si ce n'est de la population. C'est comme tout à l'heure: vous préférez les paquets ficelés. Parce que, probablement que si vous étiez clairs dans vos choix, la population le serait aussi ! (Applaudissements.)

M. Edouard Cuendet (L), rapporteur de majorité. Selon la rapporteure de la «moitié minoritaire», il y a deux paroles d'évangile. L'une provient des services juridiques vaudois au sujet d'une initiative vaudoise, elle aussi déposée par l'extrême gauche. Eh bien, peu m'importe que les juristes de la couronne vaudoise se soient prononcés pour la recevabilité de l'initiative vaudoise ! Cet avis n'engage qu'eux-mêmes, et même pas le canton de Vaud, puisqu'il y a des réserves à la conclusion de l'avis de droit. Donc, cela n'engage qu'eux-mêmes, et ces juges vaudois ne sont pas une autorité judiciaire qui donne force de chose jugée à leur avis. Parce que, comme l'a relevé M. Stauffer précédemment, les juristes genevois de la couronne ont par le passé démontré que leurs avis n'étaient pas «incontestables» - pour rester poli - que ce soit dans l'affaire de la fumée passive, dans l'affaire de l'effet suspensif du CEVA, dans l'affaire des muselières, et j'en passe... Donc, n'accordons pas trop d'importance à ces avis de juristes de la couronne, qui sont tout à fait respectables mais qui n'engagent qu'eux-mêmes.

Le Conseil fédéral sert de seconde bouée de sauvetage à la rapporteure «de minorité de moitié», car on se réfère à la constitution jurassienne de 1977 - comme, justement, à une bouée de sauvetage. Eh bien, cette dernière, Mesdames et Messieurs les députés, s'est dégonflée ! Elle s'est dégonflée depuis les plus que trente ans qui se sont écoulés depuis l'adoption de cette constitution, pour la bonne et simple raison qu'entre-temps le droit a évolué ! Il a évolué, dans la mesure où la Confédération a utilisé sa compétence propre pour édicter des lois, à savoir, comme l'a cité la rapporteure de minorité, l'article 360a du code des obligations, qui épuise la compétence de la Confédération en matière de mesures de police et de politique de travail. La marge de manoeuvre des cantons est devenue par cet article 360a CO - qui fait partie des mesures d'accompagnement, qui est postérieur à la constitution jurassienne et qui est de rang supérieur en matière législative - eh bien, cet article 360a CO prédomine et ne laisse plus de marge de manoeuvre aux cantons. Donc, la constitution jurassienne ne nous est ici d'aucune utilité. Et il ne faut pas, comme je l'ai dit, s'y accrocher comme à une bouée de sauvetage, faute d'autres arguments.

Pour conclure, l'incompatibilité avec le droit supérieur est manifeste, et je vous invite à reconnaître et à adopter l'irrecevabilité totale de l'initiative 142.

M. François Longchamp, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, Nietzsche disait que ce ne sont pas les doutes qui rendent fou mais les certitudes... Dans le cas de cette affaire, le Conseil d'Etat a été effectivement saisi par de grands doutes sur la validité de cette initiative; il l'a été, parce que plusieurs éléments laissent supposer que cette initiative n'est pas conforme au droit supérieur. D'abord, la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière, celle d'un arrêt paru en 1954, laisse supposer que les cantons n'ont pas, comme c'était le cas dans une affaire bâloise, la compétence pour pouvoir instaurer un salaire minimum. La doctrine est à peu près unanimement défavorable à cette idée. La loi fédérale sur les mesures d'accompagnement des premiers accords bilatéraux est probablement un droit supérieur qui rend non conforme la recevabilité de cette initiative. Il y a d'autres éléments dont il faut aussi tenir compte: la constitution jurassienne - qui a reçu, c'est vrai, dans d'autres circonstances, la garantie fédérale - prévoit l'instauration d'un salaire minimum; l'arrêt du TF, on l'a dit, remonte à 1954; et le droit a peut-être évolué depuis... C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat a considéré que si, peut-être, l'initiative n'était pas conforme au droit supérieur, elle ne l'était en tout cas pas manifestement, précisément en raison de ces différents doutes. (Brouhaha.) Et c'est la raison pour laquelle, en application d'un principe qui vous est connu, le doute doit profiter au peuple, nous avons conclu à l'idée que cette initiative devait être recevable.

J'aimerais ainsi indiquer que nous avons, par contre, la conviction que cette initiative est nuisible: nuisible au partenariat social et nuisible dans le combat que nous devons mener contre la pauvreté, de même que nuisible aux intérêts mêmes des salariés, puisque tous les pays qui ont instauré de manière massive des salaires minimums n'ont vu d'aucune manière le pouvoir d'achat augmenter, bien au contraire. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Et l'exemple du pays voisin, la France, qui l'a instauré à grande échelle, démontre combien un salaire minimum est non seulement néfaste aux intérêts des salariés, mais au partenariat social dans son ensemble.

Cela étant, nous ne devons pas avoir peur du peuple. Vous ne devez pas avoir peur du peuple, ne serait-ce que pour l'honorable raison que c'est lui qui vous a élus et qu'il faut donc lui faire confiance. Ce peuple aura la sagesse, à n'en point douter, de dire tout le mal qu'il pense de cette initiative. Je suis convaincu, avec vous tous, ou avec une bonne partie d'entre vous et avec une bonne partie du monde syndical, que le partenariat vaut mieux qu'une initiative qui, visiblement, ne sera pas applicable - comme, d'ailleurs, ne l'a jamais été la disposition de la constitution jurassienne, qui n'a donné lieu à aucune législation d'exécution. Mais je vous invite, comme la Confédération vient de le faire à propos de l'initiative sur les minarets - qui, probablement, était non conforme à plusieurs engagements de droit supérieur - de donner conclusion au peuple et non pas aux juristes, même si, assurément, le Tribunal fédéral, quelle que soit votre décision de ce soir, aura matière à se prononcer. Il est certain que le Tribunal fédéral sera saisi, et il aura l'occasion de dire si sa jurisprudence de 1954, qui considérait le salaire minimum comme irrecevable, doit être maintenue ou, au contraire, si une évolution du droit laisse une marge de manoeuvre pour rendre cette initiative valide.

C'est dans ces conditions que je vous invite - avec tous les doutes qui permettent, pour reprendre cette citation de Nietzsche, de penser que le Conseil d'Etat ne va pas sombrer dans la folie - à déclarer cette initiative recevable. Et je vous assure que le Conseil d'Etat, d'une seule voix, mettra toute son énergie à la combattre et à défendre, le moment venu, le partenariat social qui fait la force de notre pays.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons nous prononcer sur les différents points de cette initiative.

Mise aux voix, l'unité de la forme de l'initiative 142 est adoptée par 80 oui et 1 abstention.

Mise aux voix, l'unité du genre de l'initiative 142 est adoptée par 80 oui et 1 abstention.

Mise aux voix, l'unité de la matière de l'initiative 142 est adoptée par 77 oui et 4 abstentions.

Mise aux voix, la conformité au droit supérieur de l'initiative 142 est rejetée par 50 non contre 30 oui.

Le président. Nous allons donc voter sur la possibilité d'invalidation partielle... (Exclamations. Commentaires.) S'il vous plaît, les personnes qui se trouvent à la tribune n'ont pas à manifester !

Je répète: nous nous prononçons sur la possibilité d'invalidation partielle ou de scission. (Sifflets et commentaires à la tribune.)

Mise aux voix, l'invalidation partielle de l'initiative 142 est rejetée par 80 non et 1 abstention.

Mise aux voix, l'exécutabilité de l'initiative 142 est adoptée par 42 oui contre 10 non et 29 abstentions.

Mise aux voix, la recevabilité de l'initiative 142 est rejetée par 49 non contre 30 oui.

L'initiative 142 est donc déclarée invalide.

Le Grand Conseil prend acte du rapport du Conseil d'Etat IN 142-A (sur la validité et la prise en considération de l'initiative).

Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission IN 142-B.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de ces deux jours de séances. Je vous souhaite une bonne rentrée chez vous et vous donne rendez-vous jeudi 25 juin à 15h.

La séance est levée à 23h.