République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9960-A
Rapport de la commission des affaires communales, régionales et internationales chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat portant adhésion de la République et canton de Genève à l'Accord-cadre pour la collaboration intercantonale assortie d'une compensation des charges (ACI)
Rapport de majorité de M. Eric Leyvraz (UDC)
Rapport de minorité de Mme Carole-Anne Kast (S)

Premier débat

M. Eric Leyvraz (UDC), rapporteur de majorité. Le projet de loi proposé aujourd'hui est assez spécial car le texte qui l'accompagne ne peut qu'être accepté ou refusé dans son entier. Il n'y a pas d'amendements possibles et comme l'ACI, Accord-cadre pour la collaboration intercantonale, a déjà été accepté par 23 cantons, il passera en force quelle que soit la décision du Grand Conseil. On peut parler de déficit démocratique. La perte de pouvoir des parlements doit préoccuper plus la classe politique. Une prise de conscience semble se dessiner, mais la table ronde des députés romands aux affaires extérieures vise à une nouvelle démarche pour reconquérir les prérogatives des parlements, car chaque fois que l'on retire un doigt aux représentants du peuple c'est un mauvais coup donné à la démocratie.

La députation vaudoise a d'ailleurs voté le 8 mai 2007 un article concernant la conclusion de traités et de concordats qui redonne au Bureau de leur Grand Conseil une visibilité sur ce sujet. Les députés de notre commission sont d'accord sur le fond du problème mais divergent sur la manière de l'aborder. La majorité de la commission voit les choses sous un angle, et puis la minorité, importante et fâchée du peu de cas que l'on fait des parlements cantonaux, exprime sa désapprobation par un non au projet de loi.

La majorité pense, elle, que si le peuple genevois a accepté en 2004 l'enveloppe, la RPT, le parlement ne peut pas refuser une partie importante de son contenu qui est l'ACI. De plus, l'ACI sera appliquée début 2008. Un non est donc inutile et serait contreproductif. C'est un mauvais message adressé à la Confédération et aux autres cantons. Notre canton frontalier, à l'instar de Bâle ou du Tessin, peut trouver injuste le nouveau calcul de la RPT qui nous pénalise de 140 millions de francs en incluant dans son décompte 50 000 frontaliers, mais non pas leurs revenus.

Toutefois, c'est une raison de plus de dire oui à l'ACI qui est un volet de la RPT. La compensation des charges sera, à terme, certainement positive pour Genève. Il ne faut pas l'oublier, Genève reste très demandeuse vis-à-vis de la Confédération. Pas un mois sans un appel, comme le soulignait récemment notre conseiller fédéral Schmid: garde de l'aéroport et des ambassades par l'armée, couverture aérienne lors de réunions internationales... L'Eurofoot 2008 arrive, avec un soutien policier espéré et nécessaire d'autres cantons. De plus, il ne faut pas écarter le probable dépôt d'un plan de traversée sous la Rade, avec un souhait de subvention fédérale... Non, ce n'est vraiment pas le moment de se distinguer pour la forme et d'ergoter en refusant ce projet de loi !

Soulignons, pour terminer, l'aspect positif d'une meilleure collaboration intercantonale qui permettra d'importantes économies d'échelle et préfigurera l'indispensable et inéluctable rapprochement d'unités territoriales et de populations trop petites pour espérer tirer leur épingle du jeu dans le monde qui se prépare.

Pour toutes ces bonnes raisons, la majorité de la commission vous demande donc, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter ce projet de loi.

Mme Carole-Anne Kast (S), rapporteuse de minorité. Comme l'a dit le rapporteur de majorité, la plupart des commissaires sont d'accord sur le fond mais n'en tirent pas les mêmes conclusions. En effet, comme il l'a relevé également, notre vote de ce soir ne sert absolument à rien puisque cet accord va s'appliquer de toute manière à notre canton. Donc ce vote ne sert à rien... Nous avons déjà perdu le pouvoir, ce que nous regrettons. Par conséquent je n'entends pas, et la minorité de la commission avec moi, donner notre aval à cette amputation.

Effectivement, non seulement la RPT fait du canton de Genève un éminent contributeur dans cette répartition des tâches et des revenus au sein de la Confédération et ne tient pas compte d'un certain nombre de spécificités du canton de Genève, mais, en plus, on demande aujourd'hui aux parlements de voter avec le sourire et l'enthousiasme le fait de ne plus avoir leur mot à dire sur un certain nombre de domaines et d'accords ! Nous ne pouvons pas accepter ce genre de fonctionnement. Nous avons déjà l'impression d'être souvent peu écoutés par l'autorité centrale de Berne et nous pensons que si les parlements sont simplement informés de certaines décisions, sans qu'aucun moyen ne leur soit donné pour s'y opposer - que ce soient les référendums, les initiatives ou d'autres propositions d'amendements des accords - eh bien, cela va un peu loin pour notre capacité de collaboration !

Cet accord est également critiquable sur le fond, dans la mesure où il va probablement péjorer les services publics de proximité. Il appelle évidemment à un regroupement d'un certain nombre de services: si cela peut se justifier dans un plusieurs cas, il est fort à craindre que cela ne se fasse que dans le pur but de réaliser des économies dans d'autres cas. Et c'est là une des raisons qui nous amène à voter non à cet accord, même s'il s'appliquera quand même.

Et puis globalement - pour ceux qui se sont donné la peine de lire le texte de l'accord - ce que la commission a fait avec beaucoup de conscience, celui-ci pose un système de résolution des conflits entre les cantons partenaires qui est extrêmement complexe et fastidieux. Nous pensons donc que cela aura également son coût et qu'il ne faut pas négliger cet aspect.

J'aimerais finalement terminer par un exemple, celui d'un cas où une décision a été prise en dehors des champs de compétence des parlements cantonaux et fédéraux, c'est l'exemple de la Convention de Bologne qui a été signée par un haut-fonctionnaire de la Confédération. Cette convention s'applique maintenant à l'ensemble des instituts universitaires du canton, sans qu'aucun parlement tant cantonal que fédéral n'ait eu l'occasion de s'y opposer ou de l'amender, ou de proposer quoi que ce soit... Si c'est ce genre de système que le canton de Genève veut pour la collaboration intercantonale et avec la Confédération, ce n'est pas celui que la minorité de la commission appelle de ses voeux ! Raison pour laquelle nous vous appelons à exprimer un non tout à fait symbolique à cet accord.

M. Claude Aubert (L). On l'a dit, le train est déjà parti. A qui doit-on s'en prendre ? Doit-on s'en prendre au chauffeur de la locomotive, doit-on s'en prendre au chef de gare ? Il est rare que l'on s'en prenne à soi-même ! Et, il faut bien le dire, Genève traîne les pieds en matière de collaboration intercantonale parce que, très souvent, Genève est l'un des derniers cantons à essayer de prendre le train.

En l'occurrence, nous pensons que nous pouvons nous consoler: si nous sommes parmi les derniers à prendre le train, nous sommes peut-être en avance sur le prochain train. Et il faudrait que les Genevois deviennent quand même beaucoup plus attentifs à ce qui se passe à Berne plutôt que de penser que nous sommes toujours une exception et que les autres doivent s'adapter à nous.

Par conséquent, il est important de s'associer à cette collaboration intercantonale et de cesser de penser que nous sommes toujours des exceptions.

M. Christian Brunier (S). Je vous rappelle que les socialistes avaient voté à l'époque contre la RPT, c'est-à-dire la péréquation financière et la répartition des tâches de la Confédération aux cantons. Donc, on avait voté contre, et pour trois fortes raisons: premièrement, le transfert des coûts est injuste envers certains cantons, dont celui de Genève; deuxièmement, cela risque de causer des lourdeurs et d'importantes segmentations des compétences, ce qui va susciter plus d'ambiguïté que de simplicité dans les processus de gouvernance de ce pays, et puis, troisièmement, il y a une perte de contrôle démocratique.

En entendant le rapporteur de majorité, M. Leyvraz ... Eh bien, j'ai l'impression que vous nous donnez raison, Monsieur Leyvraz ! Parce qu'il me semble que dans votre rapport de majorité vous avez quasiment combattu ce projet de loi, et vous y avez d'ailleurs trouvé plein de défauts. Et c'est vrai qu'il y a plein de défauts ! Cette RPT a provoqué des transferts de coûts... Même si ce n'est pas avec ce projet de loi, Genève est en train de subir sensiblement les conséquences de ce transfert de coûts... Je vous rappelle que le social a déjà subi des conséquences de ce transfert de coûts - entre autres, l'aide aux enfants handicapés est dans une situation dramatique et l'on doit aujourd'hui colmater les brèches de la RPT !

Et puis, par rapport à ce projet de loi, il y a deux domaines très préjudiciables pour Genève... D'abord, la perte de contrôle démocratique, on l'a relevé. La commission n'a eu aucun mot à dire, on devait dire oui ou non; il n'y avait aucune marge de manoeuvre. Et on voit que, là, les parlements cantonaux, à Genève comme dans les autres cantons, n'ont plus du tout la mainmise sur ces accords. Donc la collaboration, oui, mais pas à n'importe quel prix !

Ensuite, il y a grosse perte... Et on avait peu parlé de cela au moment du débat sur la RPT. Il s'agit franchement des dysfonctionnements qui sont apparu en termes de bonne gouvernance: chaque fois qu'on est en train d'instaurer un accord supracantonal, qu'on est en train de rédiger une convention intercantonale, qu'on est en train de prévoir un accord-cadre, qu'on est en train de faire un concordat, eh bien, on est en train de réinventer la roue au niveau de la gouvernance ! Et à chaque fois on se demande qui va contrôler ceci et qui va diriger cela... Parfois, on invente un conseil d'administration... De temps en temps, on crée des coordinations de conseils d'Etat.... De temps en temps, ce sont les hauts fonctionnaires qui décident... Et cela est grave ! S'il y a un domaine qui échappe au canton, à un moment donné il faut reconnaître les institutions existantes et il faut dire carrément que c'est la nation qui doit gérer cela. Arrêtons d'occasionner des complexités bureaucratiques coûteuses et franchement incompréhensibles !

Je prends quelques exemples. Dernièrement, dans le domaine de la médecine de pointe, on a créé un conseil d'administration entre Vaud et Genève, qui regroupe des conseillers d'Etat, des directeurs d'établissements... En fait, le parlement n'a plus grand-chose à dire ! Et les conseils d'administration des deux hôpitaux n'ont plus grand-chose à dire ! Il y a là une perte démocratique.

Quant aux HES, on sait aujourd'hui qu'en ce qui concerne toutes les hautes écoles et tous les accords-cadres au niveau national, les politiques ne décident de plus rien ! Je vous rappelle qu'on est entré dans le processus de Bologne sans qu'il y ait eu débat démocratique, ni dans les cantons ni à la Confédération ! C'est un groupe de hauts fonctionnaires bureaucratiques qui ont décidé cela, alors que les enjeux pour la formation dans ce pays sont majeurs. Et que l'on soit pour ou contre les accords de Bologne, eh bien, dans une bonne démocratie, un vrai débat aurait été nécessaire ! Parce que, par exemple, dans la collaboration carcérale, on a inventé un nouveau mode de gouvernance...

La présidente. Il va falloir conclure !

M. Christian Brunier. ...et là, dans ce projet de loi, on invente à nouveau des procédés démocratiques, des nouveaux modes de gouvernance... Alors, on se moque de la France en disant qu'elle a un système politique illisible, mais aujourd'hui la Suisse va dans cette direction. Et je pense que la démocratie est la grande perdante de cet accord.

Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Mesdames et Messieurs les députés, mieux vaut tard que jamais ! Nous ne serons que l'avant-dernier canton à adhérer à l'accord-cadre pour la collaboration intercantonale, Zurich étant la «lanterne magique». Il est important de relever que cet accord a opéré comme un électrochoc sur les parlements romands car il démontre un aspect problématique du nouveau système confédéral induit par la RPT: les parlements ne sont plus que les chambres d'enregistrement des décisions des gouvernements. Ces derniers ont beau être compétents et sérieux dans la défense de l'intérêt de leur canton, mais est-ce normal, est-ce vraiment normal que les élus de base, les représentants du peuple ne soient plus que des spectateurs ? Dans chaque parlement romand, et même tessinois, certains députés ont pris leur bâton de pèlerin pour proposer à leurs collègues un contrepoids légal sous forme de motion ou d'interpellation, afin d'être en tout cas sensiblement mieux concernés par les décisions des accords intercantonaux. Ce sursaut est salutaire et permet aux élus cantonaux de mesurer ou de mieux définir le rôle qu'ils veulent jouer à l'avenir. Notre Grand Conseil veillera très prochainement à accepter un projet de loi modifiant le règlement du Grand Conseil genevois dans ce sens.

Par ailleurs, cet ACI est incontournable. La Confédération avait annoncé que l'adhésion de 18 cantons suffirait pour que cet accord soit mis en application: c'est chose faite, ce chiffre étant déjà atteint. Notre vote ne sera que formalité. Il ne nous reste plus qu'à prier pour que les principes de subsidiarité de l'ACI soient un remède positif pour l'avenir de la Confédération.

Malgré les différentes réserves mentionnées précédemment, le groupe radical vous prie d'accepter ce projet de loi du bout des lèvres.

Une voix. Bravo !

M. Jean-Claude Ducrot (PDC). C'est également du bout des lèvres que le groupe démocrate-chrétien acceptera ce projet de loi. Je ne répéterai pas ce qui vient d'être dit, mais, dans la pesée d'intérêts, il est peut-être important de se rendre compte que nous ne sommes pas tout seuls, ici au bout du lac, et que nous devons bien évidemment essayer, par rapport à la Confédération, même si on se raccroche au train, d'avoir une influence intercantonale pour que l'intérêt de Genève, des Genevois, de nos institutions, puisse encore se développer dans le cadre intercantonal. Parce qu'à l'heure de l'Europe, où tout le monde autour de la table est certainement favorable à l'Europe - en tout cas ici une grande majorité - on ne peut plus avoir de résistance par rapport à nos voisins confédérés. Je pense qu'on a eu des exemples très parlants: la troisième voie CFF, les hautes études internationales qui dépendent de Genève, l'EPFL, l'EPFZ, etc. Je crois qu'il est extrêmement important que Genève prenne sa place dans le domaine de la recherche, la place d'un canton important qui a quelque chose à dire. Ce n'est pas en étant marginal qu'il va pouvoir crier très fort s'il n'est pas assis à la table, là où il doit être. Il est vrai que les parlements devront veiller à demeurer des contrepoids, à être du côté du législatif et être vigilants à ce que les décisions de ce Grand Conseil puissent être prises en compte.

Mesdames et Messieurs, le groupe démocrate-chrétien vous invite à voter, également du bout des lèvres, ce projet de loi.

Mis aux voix, le projet de loi 9960 est adopté en premier débat par 39 oui contre 21 non et 3 abstentions.

La loi 9960 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.

Mise aux voix, la loi 9960 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 39 oui contre 24 non et 4 abstentions.

Loi 9960