République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1732
Proposition de motion de MM. Sébastien Brunny, Henry Rappaz : Que la loi H 1 30 sur les taxis et limousines en vigueur le 15 mai 2005, ainsi que son règlement d'application, de la même date, soit appliqué, dans notre Etat de droit

Débat

La présidente. Cette motion est classée en catégorie II; nous disposons de trente minutes. Je donne la parole à M. le député Eric Stauffer.

M. Eric Stauffer (MCG). Evidemment que nous autres, députés du Grand Conseil et de la République et canton de Genève, ne pouvons pas faire autrement que de dire et répéter qu'il faut respecter la loi. Cette motion a été déposée dans ce but-là, puisqu'une nouvelle loi a été votée pour les taxis à Genève. Mais ce qu'il faut dire, c'est que cette loi, très probablement, n'est pas conforme au droit supérieur. Et pour l'attester, il y a une décision du Tribunal fédéral concernant le canton de Neuchâtel qui a rencontré quelques problèmes par rapport à la discrimination que la loi peut causer.

Je vais être relativement bref, parce qu'il est vendredi soir, et je crois que nous avons tous eu des journées assez longues et fastidieuses. Néanmoins, je vous le dis, je vais proposer le renvoi de cette motion à la commission des transports afin que la légalité de la loi H 1 30 soit reprise, en considération, car, comme vous le savez, nous avons produit aujourd'hui «une licorne à deux cornes», si je peux m'exprimer ainsi, en créant des bonbonnes jaunes et des bonbonnes bleues, en discriminant les bonbonnes bleues qui ne peuvent plus utiliser les voies de bus et les places de stationnement du domaine public.

En revanche, le Conseil d'Etat, et il faut le dire haut et fort, ne peut rien faire contre les taxis qui viendraient de France... (Protestations.) ...pour faire effectuer des transports sur Genève, puisque ces taxis-là ont le droit de conserver leur bonbonne sur le toit. Et quand bien même ils n'en auraient pas le droit - mais nous attendons avec impatience la réponse de notre conseiller d'Etat Pierre-François Unger - il n'y aurait de toute façon pas assez de contrôles possibles.

Il y a un autre problème: si des chauffeurs de taxi qui ont une licence dans le canton de Vaud ou du Valais venaient travailler à Genève, personne ne pourrait les en empêcher.

Vous savez que le Mouvement Citoyens Genevois a essayé d'oeuvrer pour arriver à un consensus et pour faire une seule corporation de taxis à Genève...

La présidente. Il va falloir conclure, Monsieur le député !

M. Eric Stauffer. Bien, je vais conclure très vite: nous allons exiger, nous, au Mouvement Citoyens Genevois, que des quittanciers électroniques soient installés dans les taxis, qu'un salaire minimum soit décrété par convention collective, et nous avons déposé une interpellation urgente écrite pour savoir combien de chauffeurs de taxis sont au bénéfice...

La présidente. Monsieur le député, votre temps de parole est terminé !

M. Eric Stauffer. Je peux reprendre la parole ensuite ?

Des voix. Non !

M. Eric Stauffer. Non... Eh bien, je crois que ce système du Grand Conseil entache gravement la démocratie, donc je me tairai... (Remarques. Brouhaha.) ...et je respecterai...

La présidente. Monsieur le député...

M. Eric Stauffer. Cela fait deux minutes - trois minutes - que je parle ?

La présidente. Trois minutes.

M. Eric Stauffer. Eh bien, sur des sujets aussi importants, qui sont la vitrine de Genève, puisque le touriste, quand il vient...

La présidente. Monsieur le député !

M. Eric Stauffer. ...le premier contact qu'il a... (Remarques. Brouhaha.)

La présidente. Je vais juste vous rappeler la règle concernant les motions. On dit que l'auteur est le premier signataire; dans votre groupe, il y avait deux personnes qui pouvaient prendre la parole en tant que signataires de la motion. Cela faisait déjà trois minutes. Et il y avait ensuite trois minutes pour une autre personne de votre groupe. Vous n'avez pas saisi cette opportunité, je suis désolée. La règle est la règle. La parole est à M. le député Christian Brunier.

M. Christian Brunier (S). On vient de recevoir une leçon de droit de M. Stauffer. Monsieur Stauffer, vous n'avez certainement pas qualité pour juger si c'est conforme au droit supérieur ou pas ! Je veux juste vous dire que cette loi a été votée par une grande majorité ou l'unanimité de ce parlement, que cette loi avait été attaquée devant le Tribunal fédéral mais que celui-ci l'a déclarée conforme, donc je crois que là n'est pas l'enjeu aujourd'hui.

Tout simplement, il y a un problème - c'est vrai - et c'est le bien-fondé de cette motion. Il y a un vrai problème de gestion des taxis à Genève depuis plusieurs années; chaque fois, on dit que la loi n'est pas satisfaisante et on la modifie. A vrai dire, on devrait tout simplement essayer d'appliquer les lois. Parce que, la dernière fois, on a modifié une loi qui n'était déjà pas appliquée ! Et je vous assure que si l'on appliquait la loi strictement, on améliorerait déjà sensiblement les choses - peut-être pas totalement, mais sensiblement.

Quand vous dites, comme si vous aviez inventé le bon remède, qu'il faut des quittanciers dans les taxis... Mais c'est déjà dans la loi ! Vous réinventez la loi, là ! Alors qu'il faut la faire appliquer ! Et c'est vrai qu'aujourd'hui le problème des taxis est que le Conseil d'Etat ne fait pas appliquer les lois. Donc, il faut trouver des solutions pour que ça marche enfin ! Cela fait dix ans que je suis dans ce parlement, cela fait dix ans qu'on parle du problème des taxis et qu'il existe réellement... Il faut faire appliquer la loi, il faut insister pour que les contrôles s'effectuent, et je crois qu'il faut renvoyer ce projet de motion en commission des transports pour qu'on discute vraiment de ce qu'il faut faire et pour, enfin, assainir cette profession. Parce qu'il y a des gens qui l'exercent et qui souffrent, parce qu'il y a aussi des clients qui ne sont pas satisfaits, parce que le prix du taxi à Genève est inacceptable ! Il y a donc un réel problème et, là, le gouvernement a une grande responsabilité.

Renvoyons cette motion en commission pour qu'elle soit étudiée et pour trouver enfin, avec le gouvernement, la solution ! Mais évitons de partir dans des modifications législatives qui, de toute façon, n'apporteront pas grand-chose.

M. Guy Mettan (PDC). Le parti démocrate-chrétien ne s'opposera pas au renvoi de cette motion en commission. Simplement, nous aurions souhaité qu'elle fût renvoyée à la commission de l'économie, puisque la charge de la gestion des taxis dépend maintenant du département de l'économie et de la santé. Donc, dans ce sens, il aurait été plus logique qu'elle soit étudiée par cette commission. Surtout que - peut-être que M. Unger va nous le signaler tout à l'heure - la loi actuelle nécessite sans doute certains aménagements et qu'il serait logique d'étudier cette motion avec les futurs aménagements qui nous seront proposés par le Conseil d'Etat.

Si vous deviez décider de la renvoyer à la commission des transports, il serait tout à fait logique dans ce cas que le responsable du département assiste aux travaux de la commission. Mais, par simplicité, peut-être que la commission de l'économie est plus à même, étant donnée la nouvelle répartition des départements, de s'occuper de cet objet.

M. Gilbert Catelain (UDC). Je crois que l'intérêt de la motion proposée par le MCG est de faire le point sur la situation des taxis à Genève, dans la mesure où, il y a deux semaines, les taxis français y avaient planifié un blocus juste avant l'ouverture du Salon de l'Automobile s'ils n'obtenaient pas un rendez-vous avec le Conseil d'Etat. Pour qu'on planifie un blocus sur l'ensemble de la frontière franco-genevoise, il faut reconnaître qu'il y a un sacré problème ! Ce blocus n'a finalement pas eu lieu, puisque le Conseil d'Etat a accepté de recevoir les représentants des taxis français. Donc, le renvoi de cette motion en commission sera aussi l'occasion, pour le Conseil d'Etat, de nous éclairer sur ses tractations avec les sociétés françaises de taxis et sur ce que cela impliquera dans la gestion de cette activité sur le territoire genevois.

On pourrait aussi imaginer que la commission planche sur des solutions pour mettre en oeuvre la loi et permettre aux acteurs de ce marché de vivre ensemble, et peut-être aussi pour envisager une réaffectation de certaines ressources, voire des collaborations, notamment avec certaines autorités, par exemple municipales.

M. Ivan Slatkine (L). Je voulais simplement dire que le groupe libéral soutiendra le renvoi de cette motion à la commission des transports et vous rappeler que le projet de loi y avait été traité pendant plus d'une année. Nous avions dit, nous, groupe libéral, que c'était juste la troisième fois en quinze ans qu'un projet de loi devait être revu pour les taxis...

On constate que les taxis veulent le beurre et l'argent du beurre. Il faudra, je pense, en commission des transports, être beaucoup plus strict vis-à-vis de cette profession. Bien sûr, il faut demander au Conseil d'Etat d'appliquer la loi, mais il s'agit surtout de faire comprendre aux taxis qu'il y a des lois et qu'il faut les respecter - et peut-être revoir la loi qui a été votée. Mais une chose est sûre: la problématique des taxis devra se régler par des mesures probablement beaucoup plus strictes que celles qui figurent dans cette loi.

Nous nous réjouissons de traiter à nouveau de ce thème en commission des transports, ce ne sera que la troisième fois en quinze ans... La dernière fois, on a passé un an à traiter du sujet. Donc, on se réjouit d'avance de recommencer !

M. Jean-Marc Odier (R). Le groupe radical accueille favorablement cette motion qui permettra de faire le point sur l'application de cette loi, qui est théoriquement bonne mais compliquée et difficile à appliquer.

Nous proposons le renvoi de cette motion à la commission des transports, parce que la loi a déjà été votée par cette dernière en 1999, puis en 2001.

Comme les départements ont changé, c'est maintenant M. Unger qui s'occupe de l'économie, son département chapeaute le service des autorisations et des patentes qui traite de ce domaine. Nous espérons pouvoir travailler avec M. Unger, mais à la commission des transports, où nous vous demandons de renvoyer la présente motion. La commission se fera un plaisir de faire le point sur la mise en application de cette loi difficile, qui nécessite beaucoup de moyens. A ce propos, j'aimerais juste ajouter que le Grand Conseil a voté cette loi sans se soucier des moyens qu'il faudrait engager en vue d'une application concrète et réalisable.

M. Jean Rossiaud (Ve). Le groupe des Verts soutient le renvoi de cette motion à la commission des transports. Effectivement, comme l'a dit M. Slatkine, on a travaillé pendant une année sur une loi qui était finalement consensuelle: on a demandé l'avis de tous les groupements de taxis et on est arrivé à une loi qui était, à mon avis, assez bien faite. Le problème que soulève le MCG, c'est qu'une loi doit être supprimée ou appliquée. Le Conseil d'Etat ne l'applique pas, on se demande pourquoi, et ce serait le moment de résoudre cela. M. Odier disait qu'il faut reprendre le travail en commission pour examiner pourquoi la loi n'est pas bien appliquée; à mon avis, il faut que le Conseil d'Etat fasse son travail.

La présidente. Merci, Monsieur Rossiaud. La parole est à M. le député Sébastien Brunny.

M. Sébastien Brunny. Je vous remercie, Madame la présidente, je...

La présidente. Non, excusez-moi ! Vous n'avez plus le droit à la parole, puisque le groupe MCG a déjà parlé trois minutes. La parole est donc à M. le conseiller d'Etat Pierre-François Unger.

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Un certain nombre de choses ont été dites, mais, me semble-t-il, avec une mauvaise conscience de ce qu'est une loi inapplicable. Bien entendu que le Conseil d'Etat fait tout pour appliquer cette loi ! Il y a eu, ces deux derniers mois, Monsieur Rossiaud, cinq cents dénonciations qui ont été faites sur des conduites inconvenables de taxis. Si cela, ce n'est pas faire appliquer les lois, il faut me dire ce que c'est ! Mais il se trouve que ces cinq cents exemples auraient probablement pu être dix mille ! Parce que cette loi n'est pas applicable, et pour plusieurs motifs.

Le premier - et pour une fois M. Stauffer avait raison, c'est suffisamment rare pour le signaler ! (Rires.) - c'est que cette loi n'est pas compatible avec le droit supérieur: cette loi n'a pas été évoquée en relation avec l'Accord sur la libre circulation des personnes. Si l'on ne prend pas conscience de cela, alors on ne comprend pas - ou on fait semblant de ne pas comprendre - pourquoi il y a des problèmes entre taxis français et taxis genevois. C'est la raison pour laquelle - et c'est la première chose que j'ai faite en héritant de ce dossier, en décembre 2005 - nous avons instauré, à l'aéroport, un outil qui permettait au moins de distinguer, parmi les taxis genevois et les taxis français, ceux qui menaçaient d'être des combattants. Nous l'avons fait en engageant du personnel aux frais de l'Etat, ce qui est tout de même un comble pour une profession qui entend garder le maximum de son indépendance. Mais cela a été fait de manière à pacifier la région de l'aéroport, qui était devenue un véritable danger.

Et puis, cette loi n'est pas, non plus, compatible avec la loi sur le marché intérieur. On ne peut pas, au vu des exigences genevoises, imaginer avoir les mêmes - et ceci, c'est la loi sur le marché intérieur qui le dit - vis-à-vis d'un taxi vaudois ou valaisan qui viendrait chercher des clients pour les amener dans les stations qui sont les siennes. Alors, il faudra tout de même que l'on reprenne un peu le sens de cette loi qui, d'ailleurs, au départ, était partie d'un bon sentiment, en identifiant deux populations de taxis - en réalité un peu plus, puisqu'il y a les taxis privés et limousines - mais en tout cas les taxis de service public et ce que je qualifierais comme étant «les autres» au sens large du terme.

Il faudra que votre parlement nous donne ou non son accord sur le fait que l'on considère les taxis de service public comme étant des gens qui jouent un rôle certifié, validé, avec des objectifs clairs, en termes d'amélioration de la mobilité sur le territoire. Et si l'on est d'accord là-dessus, il conviendra de leur donner des droits, et des devoirs, qui seront différents de tous les autres taxis, qu'ils soient genevois, confédéraux ou étrangers.

Et pour le reste, pardonnez-moi, on peut inventer cinquante mille choses, mais la liberté du commerce et de l'industrie fait que si l'on n'octroie à des gens aucun droit particulier, on n'a pas de raison particulière non plus de leur demander de s'astreindre à trop de devoirs.

Le vrai débat que nous aurons, que ce soit en commission de l'économie, ce qui me paraîtrait plus logique, ou en commission des transports - il sera fait comme vous le désirez, bien entendu - sera de savoir si l'on est prêt à dire qu'il y a une population de taxis protégés, ceux qui remplissent un rôle où l'intérêt public est prépondérant, et puis des gens qui ont des voitures dans lesquelles ils promènent des clients en ne bénéficiant d'aucun avantage particulier et qui se soumettront à la concurrence. Celle-ci fera que les prix pourront être variables mais qu'il sera possible de les comparer, parce qu'à tout le moins ils devront être affichés. C'est le centre du débat.

Ensuite, s'agissant des centrales et des équipements, les taxis de service public, au même titre que les transports publics, devront être reconnaissables visuellement par une bonbonne et par une couleur. Et puis les autres auront la couleur qu'ils veulent et n'auront aucun besoin d'être reconnaissables. C'est la raison pour laquelle, vous l'avez peut-être vu, les bonbonnes bleues sont d'ores et déjà remplacées par des petits panneaux autocollants au bas du coffre, donc à peine visibles, qui disent que, oui, il s'agit bien d'un taxi.

Concernant la protection des clients, il faudra bien qu'ils puissent un jour - c'est déjà obligatoire - obtenir, sans forcément qu'il y ait un quittancier dans le taxi, mais qu'ils puissent recevoir une quittance après avoir payé le taxi. Et ceci, vous l'imaginez bien, n'est pas très simple à contrôler, sauf à imaginer qu'un jour on demande le double de la quittance, joint à la déclaration d'impôts, ce qui, vous en seriez surpris, révélerait des ressources insoupçonnées. Je vous remercie. (Applaudissements.)

La présidente. Deux propositions ont été faites: renvoi de cette motion à la commission des transports ou à celle de l'économie. Je mets d'abord aux voix le renvoi à la commission des transports.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1732 à la commission des transports est adopté par 57 oui contre 12 non et 2 abstentions.