République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9676-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat sur l'aide sociale individuelle (J 4 04)
Rapport de majorité de Mme Christiane Favre (L)
Rapport de première minorité de Mme Anne Emery-Torracinta (S)
Rapport de deuxième minorité de M. Gilbert Catelain (UDC)
P 1573-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier la pétition CASI : impossible
Rapport de majorité de Mme Christiane Favre (L)
Rapport de première minorité de Mme Anne Emery-Torracinta (S)
Rapport de deuxième minorité de M. Gilbert Catelain (UDC)

Premier débat

Mme Christiane Favre (L), rapporteuse de majorité. Ce projet de loi touche à quelque chose de fondamental: l'aide et l'assistance que l'on doit aux plus démunis d'entre nous. L'aide financière, bien sûr, mais aussi et surtout l'aide à l'insertion et à la réinsertion dans un environnement social et professionnel. Cette aide à l'insertion et à la réinsertion se matérialise notamment par la proposition d'un CASI, c'est à dire un contrat d'aide sociale individuelle, passé entre la personne qui est au bénéfice de l'aide sociale et l'Hospice général, c'est à dire l'assistant social qui s'occupe du dossier.

Pour certains, ce CASI est trop contraignant. Pour d'autres il ne l'est pas assez. Le respect de ce contrat, qui implique d'atteindre des objectifs de réinsertion fixés par étapes, donne droit à un supplément d'intégration, un bonus qui correspond à un montant pouvant aller de 100 F à 300 F. Certains, qui partent un peu perdants, voient cela plutôt comme une possibilité de malus. Pour d'autres, ce bonus est une manière facile de faire monter les enchères.

La majorité de la commission a reconnu dans le CASI et dans cette somme accordée en supplément un outil intéressant, une forme de coaching utile sinon indispensable pour atteindre les buts poursuivis par cette loi que je vous rappelle: il s'agit de prévenir l'exclusion sociale et aider ceux qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel.

La majorité de la commission a jugé que ce projet de loi, tel que ressorti de ses travaux répondait à cet objectif. Je vous encourage donc, Mesdames et Messieurs les députés, à suivre les conclusions de la commission.

Mme Anne Emery-Torracinta (S), rapporteuse de première minorité. La rapporteure de majorité l'a bien dit: avec ce débat sur l'aide sociale individuelle, on touche à l'essentiel. Il ne s'agit pas seulement d'un débat technique, nous parlons de ce qui touche à l'essentiel de la société, c'est à dire la vision que chacun peut se faire de la réussite mais aussi de la pauvreté et de la distribution des richesses dans ce monde.

Les socialistes ont trouvé qu'il y avait des aspects tout à fait positifs dans cette loi, mais qu'il y avait également un certain nombre de points qui posaient problème parce que, justement, ils touchent à l'essentiel de ce qui constitue nos valeurs. Je ne reprendrai pas ici tous les points de mon rapport de minorité mais les aspects principaux qui ont au bout du compte amené les socialistes à refuser ce projet de loi.

Tout d'abord, rappelons que cette loi est en quelque sorte entachée par ce que j'ai appelé dans mon rapport «un péché originel». Ce péché originel, c'est qu'il s'agit de la formalisation légale à Genève des normes CSIAS, qui sont des normes qui ont abouti dans le concret à une baisse des prestations sociales pour les bénéficiaires. Je vous rappelle que l'Hospice général a estimé que cette baisse était de l'ordre de 9% par dossier.

Le deuxième point qui pose problème aux socialistes, c'est qu'il y a derrière cette loi quelque chose qui relève du principe de l'aide au mérite. Il y a très nettement, notamment avec l'article 20, une logique qui est celle du bonus et du malus. On encourage effectivement les «bons pauvres» - je mets des guillemets - pour qu'ils puissent se réinsérer ou tenter de se réinsérer et obtenir ainsi un supplément d'intégration.

En même temps, derrière cette logique, il y a aussi l'idée des abus. On sous-entend bien évidemment que, si certaines personnes ne veulent pas se réinsérer, c'est bien qu'il y a abus et qu'il y a des gens qui profitent de l'aide sociale. Nous sommes là, Mesdames et Messieurs les députés, dans quelque chose qui est sans doute bien loin de la réalité pour la majorité des bénéficiaires. Parce que parler d'abus dans l'aide sociale, c'est mettre en opposition deux hypothèses qui sont au fond totalement contradictoires: d'une part, les bénéficiaires seraient des gens en fait suffisamment malins et suffisamment actifs pour abuser et tromper la société; d'un autre côté, puisqu'il faut à tout prix les aider à se réinsérer, ils ne seraient pas assez actifs par eux-mêmes pour tenter de faire quelque chose pour s'en sortir.

Mesdames et Messieurs les députés, je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de rencontrer des bénéficiaires de l'aide sociale. Si tel est le cas, vous avez certainement vu qu'il s'agissait de gens qui, pour l'essentiel d'entre eux, sont bien incapables de tenter de nous abuser systématiquement. Pourquoi ? Parce que souvent ils ne comprennent tout simplement pas ce qu'on leur demande, ils se sentent submergés par les papiers administratifs et ce qu'ils veulent en général, c'est simplement de pouvoir travailler.

Ce qui nous dérange aussi, c'est que derrière cette logique de bonus et de malus il y a un jugement moral: il y aurait des bons pauvres et il y aurait des mauvais pauvres ! On est donc très loin de ce qui est dit dans l'exposé des motifs, à savoir l'idée que l'on réaffirme un droit à l'assistance. Si c'est un droit, alors il n'y a rien à prouver !

J'aimerais aussi que les partisans de l'aide au mérite réfléchissent à un point qui me paraît essentiel. Quand on parle de mérite, on parle de responsabilité individuelle: on dit au fond que l'individu doit être capable de faire l'effort nécessaire à sa réinsertion. Mais lorsque l'on regarde d'un peu plus près ce qui amène les gens à l'aide sociale, on s'aperçoit que ce sont des facteurs divers et variables qui ont moins à voir avec les personnes concernées qu'avec ce que la société a prévu en amont pour éviter que ces personnes soient amenées à demander de l'aide. Le fait d'aller à l'aide sociale va dépendre, par exemple, du marché de l'emploi. Y a t-il ou pas du chômage ? Cela dépend aussi des salaires. Je vous rappelle que l'essentiel des bénéficiaires d'aides sociales sont souvent des working poors lorsqu'ils travaillent. Cela dépend encore du système de sécurité sociale mis en place. Par exemple, on sait aujourd'hui que l'assurance-invalidité refuse toujours plus de monde et que les personnes concernées se retrouvent au bout du compte à l'aide sociale.

J'aimerais, à titre d'exemple, vous faire partager une situation: pensez au cas d'une femme d'une quarantaine d'année et sans formation professionnelle. Cette femme est mariée, elle devient veuve. Elle bénéficiera de l'AVS et vraisemblablement aussi de la rente que versera l'employeur de son mari. Cette femme n'aura donc pas besoin de l'aide sociale. Vous imaginez maintenant la même femme, qui ne perd pas son mari mais en divorce. Elle n'avait pas de formation professionnelle, ou alors une formation simple. Elle est sans travail, elle risque de se retrouver à l'aide sociale. Eh bien, la même personne sera soit à l'aide sociale, soit protégée par la société, selon les circonstances, tout simplement parce que nous avons décidé dans cette société que le veuvage était moralement acceptable et donc financièrement rétribué - si j'ose dire - alors que ce n'est pas le cas pour le divorce. Quand on prend cet exemple, on se rend bien compte que cela relativise singulièrement la responsabilité individuelle et que cela devrait nous faire réfléchir par rapport à l'aide au mérite.

Autre point important, le CASI, le fameux contrat mentionné par la rapporteure de majorité. Ce contrat nous inquiète parce qu'il induit des risques d'arbitraire. En vertu de quoi, telle personne, dans tel centre d'action sociale et de santé (CASS), obtiendra-t-elle un supplément financier d'intégration et peut-être pas telle autre personne, ailleurs, dans un autre CASS ?

En définitive, Mesdames et Messieurs les députés, nous estimons que cette loi va à l'encontre de ce qu'elle prétend être ! L'exposé des motifs parle d'une aide moderne et dynamique. Dynamique parce qu'efficace et à même de lutter contre la pauvreté. Eh bien non ! Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est pas avec l'aide sociale que l'on lutte contre la pauvreté !

Ce n'est pas non plus une aide moderne: je vous rappelle que le principe même de l'aide au mérite, l'idée qu'il y a des vrais ou des faux pauvres - des bons ou des mauvais pauvres - est une idée très ancienne, puisqu'en Occident elle remonte à la fin du Moyen-Age, au moment où le paupérisme a augmenté. J'ai même retrouvé, en faisant une recherche historique, un texte bâlois du XVe siècle, distinguant vingt-six sortes de pauvres et de mendiants, qui avait pour objectif de montrer aux autorités quels étaient les pauvres qui trompaient la population et quels étaient ceux qui méritaient d'être aidés.

Etre moderne, Mesdames et Messieurs les députés, si je prends le Petit Robert, c'est être du temps de celui qui parle ou d'une époque relativement récente. Malheureusement, dans cette loi, il y a des aspects qui marquent un retour en arrière. En politique, Mesdames et Messieurs les députés, cela signifie être réactionnaire ! Eh bien, Mesdames et Messieurs de la majorité parlementaire, j'ose le dire aujourd'hui, restez conservateurs et maintenez ce qui existe actuellement en refusant ce projet de loi ! (Applaudissements.)

La présidente. Le Bureau a décidé de clore la liste. Sont encore inscrits: Mmes et MM. Christian Bavarel, Laurence Fehlmann Rielle, Gilbert Catelain, Pierre Kunz, Eric Bertinat, Pierre Weiss, Renaud Gautier, Esther Alder, Gabrielle Falquet, Anne-Marie von Arx-Vernon, Lydia Schneider Hausser. Avant cela, la parole est au rapporteur M. Gilbert Catelain.

M. Gilbert Catelain (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Nous sommes saisis d'un projet de loi dont l'objectif est davantage un toilettage de la loi - qui reprend les révisions proposées par la Conférence suisse des institutions d'action sociale - qu'une réforme volontariste du Conseil d'Etat pour rendre plus efficiente l'aide sociale. En 2005, la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales a pris connaissance des résultats de la consultation et recommandait à ses membres d'appliquer «les concepts et normes de calculs de l'aide sociale» que vous pouvez trouver sur le site internet de la Conférence suisse des institutions suisses d'action sociale.

Pendant tout ce processus, le parlement a largement été tenu à l'écart, de sorte que les normes intercantonales que vous vous apprêtez à voter souffrent d'un large déficit démocratique.

Dans les faits, le canton de Genève est le canton de Suisse qui consacre le plus d'argent public à l'aide sociale, avec un budget de 187 millions de francs par an pour l'Hospice général en 2006, alors qu'il n'était que de 100 millions en 2003. Notre système social, qui a pour objectif principal de prévenir l'exclusion sociale et d'aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer, échoue lamentablement ! Même en période de haute conjoncture, le nombre de bénéficiaires ne cesse d'augmenter. La situation est particulièrement préoccupante chez les jeunes adultes de 18 à 25 ans. Entre le 31 décembre 2004 et le 30 juin 2005, le nombre de dossiers concernant des jeunes adultes a bondi de 11%, contre 5% d'augmentation pour le reste de la population. (Brouhaha.)

La situation est encore plus dramatique pour la période comprise entre 1999 et 2004. Pour cette même population de jeunes adultes, le nombre de dossiers est passé de 829 à 1502 dossiers. Rien ne permet de penser que le projet de loi que vous vous apprêtez à voter ce soir permettra d'inverser la tendance et d'atteindre réellement l'objectif de base qui consiste à réinsérer les bénéficiaires dans un environnement social et professionnel.

La question de fond que nous voulons nous poser est celle du rôle de l'Etat. Selon Walter Schmid, président de la CSIAS, l'aide sociale est impuissante dans de nombreux cas, car elle intervient à un moment où les chances de l'individu sont passablement compromises. Pour les 18-25 ans, il préconise l'allongement de deux ans de la scolarité obligatoire. Même la candidate socialiste aux élections présidentielles françaises a remis en cause le modèle français, pas plus tard que le 19 février 2007 à 22h, en déclarant sur TF1 qu'elle était contre l'assistanat et que l'assistance sociale ce n'était pas la dignité humaine. Etre contre cette loi ne signifie pas que nous ne puissions pas nous identifier au sort des plus fragiles !

Il n'est pas question ici de contester que l'aide sociale soit indispensable à la cohésion d'un corps social et à la santé des valeurs morales. Il nous importe bien davantage de recadrer le rôle de l'Etat, afin que les bénéficiaires passent du statut d'assistés à celui de citoyens intégrés socialement et professionnellement.

Pour l'UDC, l'Etat doit promouvoir une aide sociale moderne qui passe par des objectifs de réinsertion que le bénéficiaire et l'Etat s'engagent à atteindre. Il s'agit de convertir les moyens pécuniaires en mesures dynamiques soutenues par de solides moyens matériels, structurels et organisationnels.

L'aide au mérite doit redevenir le fondement de l'octroi de la poursuite de l'aide sociale. Si l'aide sociale aux premier, troisième et quatrième âges n'a pas à être remise en question dans son principe, puisqu'elle touche une catégorie de la population qui est fragilisée, il n'en va pas de même pour la catégorie des bénéficiaires adultes. La philosophie de l'aide sociale que vous vous apprêtez à soutenir manque de courage social ! Elle ne permet pas de restaurer la dignité humaine. L'aide sociale ne doit pas non plus devenir une rente de situation à vie. Or, la majorité de la commission a décidé d'aller au-delà de la garantie de l'article 12 de la Constitution fédérale en élargissant le champ du droit d'accès à de nouveaux bénéficiaires.

Concernant le CASI, nous y reviendrons certainement. Dans ces accords convenus avec la CSIAS, il est prévu que le Conseil d'Etat s'apprête simplement à mettre en application ces normes. Il ne s'agit pas forcément ici de réinsérer des personnes dont on sait pertinemment qu'elles sont dans une situation de fragilité qui ne leur permettra évidemment pas de se réinsérer dans le marché de l'emploi.

Concernant l'amendement socialiste qui consiste à vouloir réintégrer un abonnement annuel Unireso en plus du forfait pour l'entretien, je tiens à rappeler que les normes CSIAS prévoient dans le forfait d'entretien les postes suivants: nourriture, boissons et tabac, vêtements et chaussures, consommation d'énergie sans les charges locatives, entretien courant du ménage, nettoyage, entretien de l'appartement et des vêtements, y compris taxe pour ordures, achat de menus articles courants, frais de santé sans franchise ni quote-part, frais de transports, y compris abonnement demi-tarif, transports publics locaux, entretien vélo-vélomoteur, communications à distance, téléphone, frais postaux, loisirs et formation - par exemple, concession radio et télévision, sports, jeux, journaux, livres, frais d'écolages, cinéma, animaux domestiques; soins corporels - par exemple, coiffeur et articles de toilette; équipement personnel - par exemple fournitures de bureau; boissons prises à l'extérieur et autres - par exemple, cotisations d'associations et petits cadeaux. Donc, l'amendement qui nous est proposé par le groupe socialiste est déjà intégré dans le forfait d'entretien prévu par les normes CSIAS !

Nous nous étonnons aussi que le parti libéral, qui a fait campagne pendant les élections pour le Grand Conseil...

La présidente. Il va falloir conclure, Monsieur le rapporteur !

M. Gilbert Catelain. Je conclus ! Pendant cette campagne, le parti libéral s'est fendu d'un tout-ménage qui condamnait cette politique sociale à Genève qu'il s'apprête pourtant à soutenir aujourd'hui ! Pour tous ces motifs et en l'absence de cautèle, notamment financière, je vous invite à ne pas entrer en matière sur ce projet de loi.

M. Christian Bavarel (Ve). RDU, CSIAS, CASI, RPT... Si vous ne suivez pas assidûment le travail de nos commissions parlementaires, vous pouvez croire que c'est à peu près tout la même chose !

Reprenons donc tranquillement ce qui est en train de se passer. Le revenu déterminant unifié - RDU - qui est le mode de calcul vous permettant de savoir si vous avez droit ou pas à l'aide sociale est en train de se mettre en place. C'est quelque chose qui se fait progressivement, on commence petit bout par petit bout, on est en train de le faire !

Les normes de la Conférence suisse des institutions d'action sociale - CSIAS - sont aussi quelque chose qui vient d'être mis en place et qu'on commence à peine à appliquer. Pour les personnes qui vont - ou peut-être pas - toucher l'AI, on se retrouve avec un transfert de charges de la Confédération vis-à-vis des cantons, une répartition des tâches nommée RPT. Avec ces changements, quand vous êtes utilisateur de l'aide sociale ou travailleur social aujourd'hui, vous êtes sur un terrain mouvant... Nous sommes en train de dire à tous ces gens: «Tiens-toi au pinceau, j'enlève l'échelle !» On est dans quelque chose qui est irréaliste !

Mesdames et Messieurs les députés, prenons le temps de voir ce qui se passe ! Nous sommes dans un paysage brouillé par un écran de fumée ! Nous sommes dans des sables mouvants ! Et là-dedans, on tente de légiférer, certes avec de bonnes intentions, mais qui, pour finir, posent plus de questions qu'elles n'apportent de solutions.

Aujourd'hui, les Verts sont d'accord sur le fait que l'aide sociale doit servir à réinsérer; nous sommes d'accord de dire que, si une personne travaille, elle doit en retirer un bénéfice; nous sommes d'accord de dire qu'un contrat d'aide sociale individuelle peut être un bon outil pour les travailleurs sociaux. Avant de légiférer, nous voulons simplement aujourd'hui pouvoir évaluer ce qui se passe !

Mesdames et Messieurs les députés, il est donc urgent d'attendre car, face à cette situation, nous ne pouvons pas faire les choses sereinement. La loi que nous nous apprêtons à voter ce soir va devoir être modifiée très rapidement, car nous ne savons aucunement dans quelles eaux nous naviguons !

Vous constaterez que le groupe des Verts partira un petit peu en ordre dispersé sur ce sujet-là parce que, s'il y a de bonnes raisons de dire que le projet de loi va dans le bon sens, il subsiste cependant beaucoup de questions et beaucoup d'inquiétudes. Cela explique notre abstention en commission.

Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Le débat qui nous occupe ce soir ne porte pas sur une simple révision de la loi sur l'assistance publique au profit d'une aide sociale rajeunie qui se voudrait nouvelle et dynamique. Ce n'est pas banal, ce n'est pas une simple formalité ! C'est un vrai débat de société qui porte sur la place que nous entendons donner aux personnes les plus fragilisées de la société, celles qui se retrouvent à l'assistance en raison des circonstances de la vie. Je ne sais plus qui a dit que l'état d'une société se mesure à la place qui est faite à ceux qui sont les plus démunis. C'est vraiment de cela qu'il s'agit !

Cette réforme de l'assistance intervient dans un contexte difficile, malgré la soudaine embellie des finances publiques, et la plupart des débats politiques sont conditionnés par des impératifs d'assainissement, d'efficacité, d'efficience, et j'en passe. Il s'agit d'en faire plus avec moins et cette réforme n'y échappe pas ! Les récentes réductions des prestations auxquelles ont été soumis les bénéficiaires de l'assistance montrent qu'on a fait passer à la caisse les plus démunis sans demander en parallèle des sacrifices à ceux qui sont les plus fortunés. L'assainissement des finances publiques s'est fait au détriment des personnes qui sont les plus fragiles dans notre société, celles qui ne disposent pas d'un lobby très fort pour les défendre. C'est donc un premier point que les socialistes ne peuvent pas accepter !

Le second point que je souhaiterais mettre en évidence, c'est que cette nouvelle loi introduit tout simplement une aide au mérite par le biais du CASI et des obligations qui en découlent. Nous n'avons jamais contesté le fait qu'il était éventuellement possible de dynamiser la relation d'aide, mais le système qui est mis en place revient à faire entièrement reposer la responsabilité sur la personne qui est justement bénéficiaire de l'assistance. Il y a dans cette conception de l'assistance qu'on veut nous imposer une sorte de jugement moral, une sorte de retour à la charité publique, nouvelle formule. En fait, avec des vieux principes on veut faire du neuf, mais tout cela n'est qu'un vernis !

Le surplus d'intégration tel que prévu dans cette loi ouvre aussi la porte aux inégalités de traitement selon les appréciations des personnes qui seront en charge de l'application de ce contrat d'aide sociale individuelle.

En plus, dans son rapport de minorité, Mme Emery-Torracinta montre très bien que le contexte économique, aussi bien que le niveau socioculturel, a une grande influence sur les catégories des personnes qui se retrouvent à l'assistance. De par ce fait, la responsabilité individuelle des personnes à l'assistance s'en retrouve très largement relativisée.

Toujours concernant le contrat d'aide sociale individuelle, maintenant couramment appelé le CASI, nous avons beaucoup de doutes sur sa faisabilité, tel qu'il est envisagé. Quand on connaît la surcharge de travail des assistants sociaux, on se demande comment ceux-ci vont pouvoir faire face à toutes les consignes qui leur sont données ! Il faudra faire toujours plus. Or, il n'est pas prévu d'attribuer plus de moyens aux assistants sociaux. Tout cela pour essayer de faire en sorte que les personnes concernées puissent être réinsérées socialement, voire professionnellement.

Autre chose qui nous choque aussi, c'est finalement que ce CASI est appliqué depuis plus de six mois alors que la loi est discutée seulement ce soir. Est-il vraiment correct, une fois de plus, d'anticiper sur quelque chose qui n'a même pas été voté ? Si on lit l'exposé des motifs, malgré les prémices qui étaient assez intéressantes, le résultat final ne correspond pas à la vision qu'ont les socialistes de l'aide sociale, qui devrait respecter la dignité humaine et être basée sur des principes de solidarité qu'une société digne de ce nom devrait pouvoir appliquer.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste vous propose de refuser la prise en considération de ce projet de loi. (Applaudissements.)

M. Pierre Kunz (R). Nous les radicaux, nous voulions vous expliquer pourquoi le projet de loi 9676 est moderne, pourquoi il est tellement important et dans quel sens il marque une avancée considérable - très importante - dans notre conception de l'aide sociale dans ce canton !

Malheureusement, un front anachronique s'est constitué dans ce parlement autour de l'amendement prétexte hasardeux de Mme Pürro. Cet amendement et ce front anachronique nous désolent, comme ils désolent d'autres groupes de ce parlement parce que cet amendement déséquilibre gravement le projet de loi qui nous est présenté et qui a été travaillé si longuement en commission ! C'est un mauvais coup qui nous est fait là ! Nous renonçons donc à poursuivre ce débat et demandons le renvoi en commission.

La présidente. Bien, Mesdames et Messieurs les députés, nous avons donc une demande de renvoi en commission. Chaque groupe pourra s'exprimer trois minutes sur le renvoi en commission. La parole est à M. le député Pierre Weiss.

M. Pierre Weiss (L). Je tiens à remercier pour sa collaboration digne de l'union libérale-radicale mon collègue Pierre Kunz qui vient de vous demander le renvoi en commission, point sur lequel j'entends aussi intervenir. Parce qu'à lire la teneur de cet amendement, pour autant d'ailleurs que je le comprenne, on doit imaginer que des coûts considérables en découleront pour l'Etat.

Il faut compter environ 15 000 bénéficiaires de l'aide sociale. Sur ces 15 000 bénéficiaires de l'aide sociale, il y a certainement entre 3000 et 5000 enfants. 3000 à 5000 enfants auxquels on entend donner de façon inconditionnelle un abonnement de transports publics. Au passage, par un lapsus significatif, on parle dans l'amendement d'«Uniresco». Je ne sais pas si le «Uniresco» est un mot-valise dans lequel on met l'«uni» et l'Unesco ou bien l'«uni» et la resquille mais je préfère le terme «Unireso».

Dans cette proposition de dernière heure, qualifiée d'anachronique tout à l'heure - moi je dis qu'elle hétéroclite - on a non seulement une tentative de déséquilibrage, on a aussi une tentative de sabordage des longs travaux de commission sur un projet qui était né du temps où M. Unger était au Conseil d'Etat et avait déposé ce projet de loi. Et j'ai de la peine à comprendre les démocrates-chrétiens sur ce point ! J'ai de la peine à comprendre qu'ils veuillent refuser l'entrée en matière la plus rapide possible de cette importante modification législative continuée par son successeur à la tête du département responsable.

Raison pour laquelle les libéraux voteront en faveur du renvoi en commission pour que l'on étudie attentivement le coût de cette manoeuvre de dernière minute.

Mme Esther Alder (Ve). Les Verts soutiendront bien évidemment un renvoi en commission. La question des transports est une question importante et pourra ainsi être examinée sereinement. Par ailleurs, la minorité de ce parlement trouve que ce projet de loi présente un certain nombre d'imperfections et ce sera l'occasion de retravailler sur les différents points qui sont chers aux Verts et au groupe socialiste.

La présidente. La parole est à Mme la députée Gabrielle Falquet.

Mme Gabrielle Falquet. Je renonce.

La présidente. Bien, la parole est à Mme Anne-Marie von Arx-Vernon.

Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Pour le parti démocrate-chrétien, ce projet de loi mérite certainement d'être réexaminé. Nous relevons toutefois qu'il apporte un changement d'épistémologie, un changement de regard sur l'aide sociale, et c'est vrai que c'est aussi un choix de société.

Il est vrai que trop longtemps nous nous sommes laissé enfermer dans une définition de l'aide sociale destinée à des personnes en grande difficulté, en oubliant parfois leurs compétences et leurs ressources. A partir de ce moment-là, leur difficulté à se réinsérer est devenue la mesure étalon de l'aide sociale au lieu de leur capacité à se réinsérer.

Cette aide est devenue tellement stigmatisante pour celles et ceux qui la reçoivent qu'elle a engendré des fantasmes d'abus, voire de magouilles, et le parti démocrate-chrétien s'est toujours opposé, par rapport à cette vision qui stigmatise les gens qui bénéficient de l'aide sociale. Cette vision, d'aucuns voudraient la rendre banale, pour exclure encore plus une partie de la société qui ne leur ressemble pas ! (Brouhaha.) Ce projet de loi nous ramène à une réalité sociale qui se modifie régulièrement et plus vite que nous le souhaiterions. Nous en avons la preuve ce soir !

Pour commencer, dans cette loi il y a un élément important à retenir qui semble tout à fait pragmatique et applicable, le contrat d'aide sociale individuelle. Ce contrat est une bonne chose, il est déjà en expérimentation et il fonctionne ! Aujourd'hui, en ce 23 février, à la minute, nous ne savons pas combien ce projet engendrera de frais, en regard de la mise en place du revenu déterminant unifié et des normes CSIAS. (Brouhaha.) De plus, nous voulons revenir...

La présidente. Exprimez-vous sur le renvoi en commission, Madame la députée ! (Brouhaha. Mme Anne-Marie von Arx-Vernon est interpellée.)

Mme Anne-Marie von Arx-Vernon. Oui ! Je suis justement en train de dire pourquoi nous allons répondre favorablement à la demande de renvoi en commission ! De plus, l'amendement socialiste a le mérite de relever quelque chose qui nous intéresse, c'est l'aide aux enfants. Pour toutes ces raisons, nous allons absolument demander le renvoi en commission.

Mme Véronique Pürro (S). Je m'étonne un petit peu qu'un amendement tel que celui que j'ai proposé, qui devrait être discuté au cours de la discussion article par article, déclenche un tel cataclysme ! Parce qu'il n'y a franchement pas de quoi. Je ne retirerai cet amendement en aucun cas, Monsieur Weiss, et j'espère que le PDC, qui l'a signé, continuera à défendre cette idée qui est inscrite dans son programme ! Dans le programme PDC, priorité est donnée aux familles. (Remarques.) Aux familles en situation de précarité en premier lieu ! J'espère qu'au sortir des travaux de commission cet amendement sera accepté et peut-être même renforcé !

Parce que, comme l'a dit très justement ma collègue Virginie Keller Lopez dans le cadre d'un autre débat qui concernait l'abonnement TPG pour les aînés, aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, les personnes les plus fragilisées financièrement, ce sont les familles ! Et quand il y a des enfants, quand on est dans la précarité, c'est d'autant plus difficile de sortir de cette précarité !

Donc, l'idée d'introduire la gratuité de l'abonnement TPG pour les enfants, comme c'est le cas pour les bénéficiaires des prestations de l'Office cantonal des personnes âgées, est, je crois, une idée qui tombe sous le sens - et qui ne va pas concerner les 15 000 bénéficiaires de l'assistance publique. La commission étudiera de toute façon l'impact financier de cette mesure.

J'espère que la commission qui étudiera cette proposition intégrera cet amendement dans la loi et je m'étonne, une fois de plus, qu'on demande un renvoi en commission pour un simple amendement, mais c'est bien volontiers que le PS suivra cette proposition de renvoi en commission.

M. Eric Bertinat (UDC). Bien que nous refusions l'entrée en matière sur ce projet de loi, nous soutiendrons le renvoi en commission. Plus que la question de son coût lui-même, cette proposition d'amendement pose la problématique de l'application de normes CSIAS qui, entre parenthèses, prévoyant déjà des frais de transports - dont l'abonnement demi-tarif - au niveau des forfaits pour l'entretien.

On constate donc premièrement que la volonté d'appliquer les normes CSIAS est remise en question, puisque Genève va encore faire quelque chose de particulier, en introduisant une nouvelle dépense qui n'a pas lieu d'être.

Deuxièmement, c'est l'occasion pour moi de dénoncer le tourniquet perpétuel du PDC, qui en commission adopte une position et qui, quand on arrive en séance plénière, retourne sa veste et nous pose à nouveau des problèmes. Alors, nous rediscuterons de tout ça en commission.

M. Eric Stauffer (MCG). On va soutenir ce projet de loi, mais j'aimerais quand même vous dire, Mesdames et Messieurs les députés...

La présidente. Sur le renvoi en commission !

M. Eric Stauffer. Sur le renvoi en commission... On s'y opposera puisqu'on vient de dire qu'on va soutenir ce projet, mais j'aimerais quand même relever que la dignité commence par un emploi. Et pour avoir un emploi, Mesdames et Messieurs les députés, eh bien, il faut, encore une fois, aider nos concitoyens ! Et ce n'est pas en prônant cette ouverture, à se demander si des fois vous êtes élus par les départements français voisins, qui fera... (Huées.) Vous pouvez dire ce que vous voulez, Mesdames et Messieurs les députés, c'est la réalité ! (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)

La présidente. Monsieur le député, adressez-vous à la présidence !

M. Eric Stauffer. Et c'est ça qui est dramatique dans ce parlement ! C'est par là que ça doit commencer ! C'est par là, Mesdames et Messieurs ! Je vous rappelle qu'il y a 67 000 frontaliers à Genève... (Huées.) Qu'il y a 17 000 chômeurs et 10 000 demandeurs d'emploi ! (Exclamations. Brouhaha.)

La présidente. Monsieur le député, on avait compris que vous étiez contre le renvoi en commission. Il suffisait de le dire et de ne pas répéter encore et toujours la même chose ! Merci. La parole est à Mme la rapporteure Anne Emery-Torracinta.

Mme Anne Emery-Torracinta (S), rapporteuse de première minorité. Si c'est au sujet du renvoi en commission, je ne vais pas reprendre la parole, Mme Pürro a déjà parlé.

La présidente. comme vous étiez inscrite, je ne savais pas si vous aviez quelque chose à ajouter.

Mme Anne Emery-Torracinta. Oui, à mon rapport, mais pas quant au renvoi en commission.

La présidente. D'accord. Monsieur Catelain, avez-vous quelque chose à ajouter par rapport au renvoi en commission ?

M. Gilbert Catelain (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Mon groupe s'étant déjà exprimé, je renonce à prendre la parole. (Commentaires.)

M. François Longchamp, conseiller d'Etat. Si l'examen en commission de ce projet avait été hasardeux, rapide, furtif, j'eusse pu comprendre que nous débattions d'un certain nombre d'amendements fondamentaux en séance plénière.

Nous avons consacré vingt-cinq séances de commission à parler de la nouvelle loi sur l'aide sociale individuelle et il a fallu qu'à la faveur d'une lecture - que j'ai faite il y a environ un quart d'heure - je découvre un amendement dont je suis bien incapable ici de vous dire le coût, si ce n'est qu'il ne doit pas être minime. Puisqu'il y a 15 000 personnes à l'aide sociale, il y a donc probablement quelques milliers d'enfants qui sont concernés. L'abonnement annuel pour un enfant coûte à ma connaissance 450 F. On parle donc très vraisemblablement ici d'une somme qui serait importante.

Vous le savez, mon collègue Robert Cramer vous l'a dit par rapport à d'autres propositions analogues à propos des TPG pour d'autres catégories sociales de citoyens, il n'y a pas de dépense qui soit aujourd'hui anodine dans l'esprit du Conseil d'Etat. Il n'y a pas non plus de raisons pour que cette proposition ne soit pas chiffrée tout à fait correctement.

C'est pour cela que, bien à regret, nous devons nous satisfaire de devoir retourner en commission, alors que je m'apprêtais à vous dire combien cette nouvelle loi était une réelle avancée pour l'insertion sociale dans notre canton. Pour que je puisse vous chiffrer exactement le coût de cet amendement et les problèmes de principe qu'il risque de poser et qu'en toute connaissance de cause nous puissions - que vous puissiez - prendre les décisions qui s'imposent, je vous invite donc à appuyer le renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9676 et la pétition 1573 à la commission des affaires sociales est adopté par 78 oui contre 1 non.